La Couronne de Cuivre

Le travail fut long, fastidieux, mais pas forcément désagréable. Comparé à l'oisiveté quasi absolue qui avait été la sienne ces derniers temps, Taliesin le trouvait même plutôt bienvenu.
Les deux sortes de caisses ne tardèrent pas, cependant, à devenir insuffisantes. Car, entre les légumes intacts et ceux bons pour le bétail, des catégories intermédiaires se dessinèrent, dont les principales étaient "Ceux qu'on peut manger mais qu'il faut manger vite avant qu'ils s'abiment" et "Ceux pour lesquels l'avis d'un expert est nécessaire".
Les choses avancèrent bien, malgré tout. Les enfants s'activaient sans rechigner, et l'elfe œuvra de bon cœur, l'esprit presque léger. Répit appréciable tout autant qu'éphémère. Et force leur fut de constater que les dégâts étaient moins grands, peut-être, qu'ils ne l'auraient craint : les veaux avaient fait des ravages dont bien des légumes étaient sortis indemnes, ou peut s'en fallait. Au final, sans être anodines, les pertes demeuraient acceptables.

Si l'intervention de Saõ fut nécessaire pour quelques prises de décision, les deux fils Merlu s'avérèrent des spécialistes maraîchers en culotte courte. Ils étaient capables de trancher pour classer un légume dans la plupart des cas. La fermière fut bientôt impressionnée par leur savoir bourgeonnant et elle finit par leur poser les questions de rigueur. Si Taliesin avait espéré que les gamins ne diraient rien de leur origine, il en fut pour ses frais : ceux-ci déballèrent bientôt la quasi-totalité de leur histoire. En même temps, cela n'avait rien de bien surprenant, ni de réellement évitable.
Ils terminèrent leur rangement en fin de journée alors que la nuit était tombée. La pluie tombait toujours à grands flots, mais le vent avait faibli, signe que la tempête s'éloignait doucement. Les deux fermiers saluèrent leurs invités-ouvriers puis les renvoyèrent vers l'auberge : leur dure journée de labeur était terminée. Les enfants semblaient, cependant, éreintés mais ravis.

Si Taliesin avait été seul, il aurait couru ventre à terre jusqu'à l'auberge, ce qui lui aurait peut-être permis d'y arriver sans être trempé comme une soupe. Mais il y avait les enfants, lesquels n'y verraient goutte, dans l'obscurité, ce qui le forcerait à les guider à pas mesurés.
Tant pis pour la douche forcée.
-Allez, en route ! lança-t-il, d'un ton joyeux, après avoir chaleureusement salué les fermiers.
Puis il prit la tête de la petite colonne, se concentrant sur le chemin... et la bienfaisante chaleur de l'établissement.

Quand ils pénétrèrent dans la salle de l'auberge, passablement trempés, la plupart des gens étaient déjà en train de dîner. Fred et George firent de grands signes dans leur direction, mais alors qu'ils s'approchaient de leur table, Guéric surgit et intercepta Taliesin.
" J'aimerais que tu viennes manger avec moi et l'équipage." dit-il avec un sourire malicieux. " Nous devons discuter."
Les enfants se retournèrent pour observer l'elfe, interdits quant à l'attitude à adopter.

Le barde leur sourit.
-Vous avez quartier libre... fit-il. On se retrouve après le repas, si vous êtes toujours d'accord.
Il aurait aimé profiter de l'accalmie temporaire dans leurs relations pour manger en leur compagnie. Mais voilà, il ne pouvait pas vraiment décliner la demande de Guéric... Tant pis : il verrait les enfants plus tard. Il aurait le temps, d'autant que les Mélandiens étaient du genre couche tard. S'ils pensaient encore à ces fichues parties de cartes, ils ne verraient sans doute pas d'inconvénient à lui laisser un nouveau délai.

Constance et Griselda accueillirent Taliesin d'un sourire, tandis que Guéric hélait Katja pour commander son repas. Tandis que la tenancière répondait à sa demande, les deux femmes s'enquirent de la journée de l'elfe et rirent de bon coeur lorsqu'il leur décrivit les mésaventures de la marmaille. Lorsqu'ils furent enfin tous attablés devant le repas du soir, une soupe de poisson goûteuse avec du pain frais, le halfelin se décida à parler.
" Bon, vous avez vu, les Mélandiens étaient d'humeur joueuse, cet après-midi." commença-t-il.
Constance leva la tête pour repérer où se trouvaient les principaux intéressés, mais ils étaient loin, de l'autre côté de la salle, avec au moins deux tables pleines et bavardes entre eux.
" Oui. Nous avons vu." répondit le Capitaine.
" Ils veulent rejouer ce soir. Et je pense qu'il ne faudrait pas grand chose pour les amener à parier quelque chose."
Constance pinça les lèvres.
" Quelque chose comme quoi ?"
" Je crois que nous pourrions proposer nous-même ce qui nous intéresse."
" Tu penses à leur elfe."
" Par exemple."
" Nous n'avons rien à parier, nous."
" Si, nous avons des tas de choses à parier. Pourvu qu'on ne perde pas."

La cuiller de Taliesin s'immobilisa à mi chemin entre son assiette et ses lèvres.
Lorsque les Mélandiens avaient proposé une mise, un enjeu, il s'était bien gardé de relever. Comme l'avait dit Constance, ils n'avaient rien à offrir. Rien, du moins, qu'ils soient prêts à céder. Pourtant, la chose avait des dehors attrayants : obtenir la libération de l'elfe aurait apporté un grand réconfort à Valaellyn, lui aurait peut-être donné la force de poursuivre l'aventure...
Mais ils n'avaient rien à offrir.
-On risque de perdre, dit-il après un long silence. Tu as vu comme les parties étaient équilibrées ? On pourrait très bien se faire battre à plate couture. Et de toute façon, je ne veux même pas imaginer ce qu'ils nous demanderaient de miser.

Le halfelin croisa les bras.
" Allons, un peu d'audace." fit-il. " Je connais des moyens qui nous permettraient de l'emporter."
" Tricher est extrêmement risqué." intervint Constance. " Si tu es pris, imagine la catastrophe pour Mersant."
" C'est pourquoi je pensais que peut-être, notre ami ici présent avait des moyens indétectables, plus sûrs que des petits tours de passe-passe effectués sous la table." dit-il en se retournant vers Taliesin.

Taliesin en demeura pantois.
-Je... Je ne suis pas très chaud, se hasarda-t-il. Bien sûr, je connais deux trois... trucs, mais je ne m'en sers jamais, et ils restent détectables. Et s'ils sont détectés, ce serait... oui, comme le disait le capitaine, une catastrophe. Après, je pourrais éventuellement... je ne sais pas... me rendre... changer magiquement mon apparence pour que, sans transformation réellement visible, on me juge... totalement digne de confiance. Ma parole pourrait alors avoir du poids en cas de litige...
Il secoua la tête.
-Mais je ne suis pas très chaud. Les risques sont trop grands. Ces hommes ont manifestement l'habitude de jouer. Ils doivent fréquenter beaucoup de tavernes... Et, par conséquence, avoir une certaine expérience des entourloupeurs.

Guéric grimaça, manifestement déçu du tour que prenait la conversation. Mais il n'insista pas.
" Et si on les droguait discrètement ? Juste assez pour qu'ils deviennent mauvais ? Allez, c'est une aubaine, le jeu en vaut fatalement la chandelle... Je suis prêt à parier qu'ils remettront cette histoire de pari sur la table. On devrait en profiter. Je sais que bidouiller des cartes, c'est dangereux, mais... On doit pouvoir penser à quelque chose de totalement invisible."

-Et s'ils... se livrent aussi à des manipulations ? s'enquit le barde. Ils paraissent assez sûrs de leur niveau de jeu pour ne pas devoir recourir à semblables choses, mais... Qui nous dit qu'ils ne seraient pas tout autant que nous prêts à envisager cette solution ? Surtout si, en cours de partie, ils se rendent compte qu'ils sont en train de perdre ? Ils pourraient... tricher pour gagner, dans le meilleur des cas, et nous pourrions n'y voir que du feu. Ils pourraient même... s'arranger pour nous accuser de tricherie. Pour qui a les doigts agiles, glisser une carte dans une poche, sur un genou, ce n'est pas très compliqué.
Il reposa enfin sa cuiller.
-Quant à les droguer... Il doit bien y avoir des plantes pour les faire passer discrètement dans un état second, mais cela impliquerait que nous ayons des complices parmi le personnel. Voir le soutien des tenancier eux-même. Or, je les vois mal nous l'accorder : ils y risqueraient trop, eux aussi.

Le halfelin acquiesça avec une légère grimace.
" Tu as raison. Bon, tant pis. Autant pour ma bonne idée."
" Nous n'avons rien à risquer, Guéric." répéta Constance, désolée.
" Je sais, c'est bon. Changeons de sujet, vous voulez bien ?"

Taliesin soupira. Ce qui semblait devenir peu à peu son principal mode d'expression.
-Je suis désolé, Guéric, dit-il. C'était une bonne idée. Valaellyn aussi aurait aimé agir et... cette impuissance lui coûte beaucoup. S'il y avait eu un moyen sûr, vraiment sûr, nous aurions pu tenter. Mais là... C'est tellement risqué...
Il ferma un instant les yeux, puis les baissa sur sa soupe. Laquelle lui paraissait tout à coup bien moins goûteuse.

" Changeons de sujet, j'ai dit, c'est bon." grommela le halfelin.
Constance opina du chef.
" D'après le ciel, je pense que nous appareillerons en milieu de matinée. Je ferai lever tout le monde aux aurores, histoire que nous ayons le temps de petit déjeuner et de charger le bateau à notre aise..."
Elle sourit à Taliesin.
" Avez-vous pu parler à vos enfants de la situation ?"

-J'avais prévenu Victor qu'ils resteraient à Mersant avant même que nous ne débarquions... répondit l'elfe. Toutefois, notre échange n'est pas allé... au-delà de quelques mots. La nouvelle a été loin de lui plaire, vous pouvez l'imaginer. Mais je dois discuter avec le trio après manger : ça s'est décidé... un peu par hasard, suite à leurs aventures avec les veaux. Je ne l'avais pas forcément prévu, je ne sais même pas ce que ça va donner... Il m'en aurait pourtant coûté de ne pouvoir apaiser un peu nos tensions avant le départ.

" Très bien, alors." dit le Capitaine. " J'imagine qu'ils ne seront pas aussi sages que vous l'espérez, mais les habitants de Mersant les encadreront avec bienveillance, je n'en doute pas."
" Je ne me souviens pas d'avoir jamais vu d'enfants sur l'île." dit Griselda.
" Non, les fils de Rutger et Katja et ceux de Saõ et Rémiel sont adultes et loin, déjà." fit Constance avec le sourire. " Mais ils n'ont pas tout oublié."
" Est-ce qu'il n'y a pas un gosse qui s'est noyé, une année ?"
" Tu voudrais inquiéter Taliesin que tu ne ferais pas autrement."
" Je ne dis rien. Je trouve juste bien courageux d'abandonner des enfants à des gens qu'on ne connait pas."
" C'est toujours mieux que Mélandis."
" Cet endroit a des allures de petit Mélandis, certains jours." grommela Guéric.

L'attention de Taliesin avait immanquablement abandonné le peu de soupe qu'il restait dans son assiette pour se porter sur la conversation. Il n'était pas sûr d'aimer le tour qu'elle était en train de prendre.
-Le capitaine m'a dit que Rutger et Katja étaient de ses amis. Dès lors, je ne voix aucune raison de douter d'eux. Mais...
Il se tourna vers Guéric.
-Quand tu parles de petite Mélandis, tu fais juste référence aux marchands de passage, j'imagine ? Lesquels sont soumis aux mêmes règles que tous les autres. Règles qu'ils respectent pour préserver leurs propres intérêts commerciaux...

" Bien sûr." fit Guéric avec un haussement d'épaules. " Et tant que les gamins se tiennent à carreau, ils ne risqueront rien. Evidemment, ils seront confrontés jour après jour à la présence d'esclaves... Les Mélandiens se tiennent parce que nous sommes là, et parce que Katja n'aime pas les démonstrations de force dans son établissement... Mais une fois passée la porte, quand il fera beau, ils en verront de belles. Des gosses de leur âge contraints à la soumission, traités comme des animaux. Ils auront de la chance s'ils n'assistent pas à une exécution gratuite."
" Guéric, ça suffit." tonna Constance. " Tu es mécontent parce que nous ne sommes pas emballés par tes idées de tricherie, c'est bon. Mais laisser les enfants à Mersant est la meilleure solution. La plus sûre pour eux. Et Katja en prendra soin."
Guéric se renfrogna et ne dit plus rien, boudeur.
" Si tu le dis." fit Griselda en haussant les épaules.
" Qu'est-ce qui vous prend à tous les deux ?"

C'était décidément sa journée. En se levant, il était plein de certitudes, confiant quant à la détermination de Valaellyn et convaincu d'avoir pris la bonne décision concernant les gamins. Depuis, il avait tenté de persuader la jeune prêtresse effondrée de ne pas venir à Mélandis, et voilà qu'on lui dressait un tableau bien peu reluisant de Mersant...
-Je croyais que... le comportement exigé à l'intérieur de l'auberge s'appliquait à toute île, fit-il. Que l'esclavage était mal vu de tous, que les esclavagistes évitaient l'escale sachant les réactions qu'ils pourraient susciter...

" L'esclavage est mal vu par les Luméniens et les Manostiens. Mais quand ni les uns ni les autres ne mouillent à Mersant, pourquoi se retenir ?" demanda Griselda en haussant les épaules.
" Ils se tiennent. Généralement. Et aucun navire esclavagiste ne viendra à Mersant, c'est une certitude. De plus, les esclaves restent généralement à bord."
" Sauf quand ni Luméniens, ni Manostiens..."
" On a compris." grommela le Capitaine. " Vous imaginez le pire. Nous ne savons pas exactement comment les choses se passent en notre absence. Mais nous connaissons les gens de Mersant. La plupart d'entre eux ne sont pas d'obédience mélandienne."
" Mais certains le sont."
" Et tous sont commerçants avant tout."
" Vous exagérez." s'exclama Constance. " A Mélandis, tout le monde sera mélandien !"
" Mais les gosses pourraient rester à l'intérieur du QG. Et là, nous serons sûrs de ceux qu'ils fréquentent."
" Les risques sont beaucoup plus élevés."
" Peut-être."

-Tout aurait été tellement plus simple s'ils étaient tranquillement restés sur Hélonna... grommela l'elfe. Mais non, il a fallu qu'ils embarquent...
Au-delà de cet accès somme toute limité de mauvaise humeur, il n'en menait vraiment pas large. D'ici quelques minutes, il devrait livrer une périlleuse bataille d'arguments pour tenter de convaincre les mômes que rester ici était la meilleure solution. Mais comment le pourrait-il, alors que ses certitudes étaient si facilement mises à mal ? Il s'était raccroché à la solution proposée par Constance sans s'interroger, sans se poser la moindre question : il était tellement horrifié par la seule idée de les amener à Mélandis que, sous le coup de leur découverte sur le navire, il aurait été prêt à opter pour n'importe quelle solution alternative. C'est ce qu'il avait fait, d'ailleurs. Sans tenter d'approfondir les choses. Et voilà qu'il se retrouvait, la veille du départ, à envisager de les laisser à des gens qu'il ne connaissait pas, sur un îlot fréquenté par des esclavagistes, par des Mélandiens. Habité par certains d'entre eux, même.
Par ceux, en somme, dont il voulait à tout prix les protéger.
Il songea à l'état de Benoit les jours précédents. Il songea aux réactions de Victor face au danger, à cette force dévastatrice qu'il ne pouvait contenir...
Il balaya les pensées avec virulence, presque. Puis se ressaisit.
-Je suis désolé de monopoliser ainsi votre temps et votre attention avec de tels problèmes personnels... fit-il. Croyez bien que si cela n'avait tenu qu'à moi, je n'aurais pas ces enfants sur les bras, à l'heure qu'il est. J'avais essayé d'organiser les choses au mieux. Mais voilà qu'ils sont là. Et qu'au final, au lieu de me retrouver avec un seul gosse à protéger, j'écope d'un trio...
Il repoussa son assiette, l'appétit définitivement coupé. Il n'avait pas les idées très claires, à cause de la succession d'émotions ressenties au cours de la journée. A cause de la situation, aussi. Surtout. Mais il devait demeurer lucide et rationnel.
-Bref, je m'engage à me lever avant l'aube demain pour vous aider à charger le navire, ou même vous devancer, afin que vous puissiez profiter malgré tout du temps perdu à cause de cette histoire. Mais... j'ai besoin de savoir. D'avoir tous les éléments en main pour faire le meilleur choix possible. Ou le moins pire. Si j'ai le moindre doute quant à mon choix, je ne suis pas certain de... pouvoir être tout entier à la mission qui nous occupe tous.
Il observa ses compagnons, embarrassé. Déterminé, néanmoins.
-Connaissez-vous nos hôtes et le reste des habitants depuis longtemps ? Leur faites vous entièrement confiance ? Pensez-vous que les gosses courraient réellement des risques, en restant ici ? Les laisseriez-vous à Mersant, si vous étiez dans ma situation ?

" Bien sûr."
" Non."
" Je n'en sais rien, ma foi."
Constance regarda les deux autres, légèrement coléreuse.
" Laissez-les ici, Taliesin. Je ne connais pas Katja depuis longtemps, mais c'est une femme bien. Les hommes et les femmes qui vivent à l'auberge sont peut-être particuliers, mais ce sont des gens décents. Certains adopteront les gosses le temps de notre absence. Katja et Rutger sont d'anciens luméniens, qui ont quitté la ville sous le règne de l'impératrice, ils n'ont pas de sympathie pour l'esclavage, même si, c'est vrai, ils acceptent les Mélandiens sous leur toit. Mais c'est leur métier... Ils veilleront sur les enfants s'ils disent qu'ils le feront. Vous avez rencontré les fermiers, ce sont aussi des personnes bien. Il y a, c'est vrai, deux anciens Mélandiens parmi les habitants de l'île mais ils sont désormais Mersantais. Ils n'ont pas d'esclaves, il n'y en a pas sur l'île. Ils n'auront aucun geste déplacé envers les enfants. Vous ne devez pas vous inquiéter."
" Je les garderais auprès de moi. A Melandis, ils resteront dans le QG. L'un d'entre nous les aura toujours à l'oeil. Nous avons la place de les convoyer jusque là et de les en ramener. Ils seront auprès de personnes qu'ils connaissent, en qui ils ont confiance... Ils sont encore très petits."
" A Melandis, la moindre incartade se payera très cher. S'ils sortent... S'ils courent les rues... Les dangers sont immenses."
" Ils seront encadrés."
" Pas mieux qu'ici."
" Par des gens que nous connaissons."
" Ne faites pas cette erreur, Belenn."

-Merci pour vos avis...
Lesquels ne l'aidaient guère, tant ils étaient contradictoires.
Taliesin eut envie de se prendre la tête entre les mains. Mais il n'en fit rien.
-Capitaine, demanda-t-il plutôt. Pensez vous que je puisse m'ouvrir à Katja ? Pas de notre destination, évidemment, mais... de mon lien avec les enfants ? Elle doit bien se douter que ce ne sont pas de simples passagers clandestins... Toutefois, je me dis que... Elle serait peut-être la mieux à même de m'aider à trancher, si elle disposait de davantage d'éléments...

" Bien sûr. Vous pouvez lui en parler. Je pense qu'elle vous dira la même chose que moi. Mais elle n'est jamais allée à Mélandis, son image de la cité du Chaos est donc fatalement limitée."
" Elle ne vous dira pas que Mersant est dangereux, c'est certain." fit Griselda en haussant les épaules." Ce qui ne veut rien dire. Vous ne savez pas qui va débarquer demain. Elle non plus."

Il acquiesça, silencieux.
L'idéal aurait été que Valaellyn demeure avec eux à Mersant. Et qu'elle les reconduise à Helonna sur le premier bateau luménien venu. Mais...
Il se leva brusquement.
-Merde, j'avais promis à Valaellyn de lui apporter à manger... Excusez-moi...
Et de filer aussitôt vers le comptoir pour commander quelque chose de léger. Le cas de la prêtresse était un dilemme supplémentaire dont il se serait bien passé. Mais, pour l'heure, il préférait se concentrer sur sa mission concrète.

Rutger lui fournit une version allégée de la soupe de poissons et il put gagner les étages. Valaellyn était encore couchée mais elle se leva à son entrée et s'étira dans la chambrette obscure.
" Tu as pensé à moi... Je commençais à avoir un peu faim." fit-elle avec un léger sourire. " La journée a été bonne ?"

Le barde lui sourit.
-Oh, elle a été partagée entre jeux de cartes, triage de légumes et grandes réflexions quant aux mômes. Un mélange détonnant !
Il déposa le plateau sur la petite table dont disposait la chambre.
-Ce qui explique mon retard... Mais comment te sens-tu, toi ?

" Dans une sorte de brume." fit-elle avec un sourire fatigué. " Et je compte bien y rester jusqu'à ce que nous ayons vogué loin d'ici."
Elle soupira et secoua la tête.
" Je me réjouissais de cette escale... Et en fait, je n'y ai trouvé qu'angoisse et ennui. Vivement que nous soyons repartis."
Elle goûta la soupe de poisson, d'abord timidement, puis se mit à manger avec appétit.

-J'aurais aimé... que tu réfléchisses à ma proposition de regagner Luménis avec les enfants, par le prochain bateau... ne put-il s'empêcher de dire. Mais je comprends... Et il y aura demain matin.
Il fit quelques pas, ne sachant s'il devait rester ou déjà repartir. Le temps filait, il en avait conscience. Et tant de choses restaient à faire...
-En tout cas, je suis d'accord avec toi : cette escale a été... éprouvante. J'ai hâte qu'elle soit derrière moi.

Valaellyn acquiesça, pensive.
" J'y réfléchirai. Mais je pense que je veux aller au bout de tout ça. J'ai repensé à cet esclave... et à Galathée. Et ça me motive d'autant plus pour aller jusqu'à Mélandis. Jusqu'ici... Je me rends compte que c'était une abstraction... ce qui lui est arrivé... C'était juste horrible, mais il n'y avait rien sous ce mot. Horrible. A présent... A présent je découvre ce que cela recouvre... Et je comprends d'autant mieux les enjeux... Et ce que tu dois ressentir... Je ne t'abandonnerai pas. Je peux être utile, j'en suis certaine. J'ai des ressources... Même si je dois m'accoutumer... Je ferai face. Je dois faire face. Même si c'est difficile. J'y arriverai... avec ton aide... et celle des autres."
Elle hocha la tête.
" J'y arriverai."

La Couronne de Cuivre

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