[SCSA] Sans Chaleur, Sans Avenir

[Althéa]

En général, quand les gens se baignaient tous ensembles dans les films d'horreur, on les voyait très souvent repartir en hurlant les fesses à l'air ou dans de drôles de tenues qui ressemblaient à s'y méprendre à des ficelles et de minuscules morceaux de tissus. Elle ne savait pas pourquoi mais certains réalisateurs aimaient beaucoup montrer cela. Elle ne se voyait pas courir toute nue en hurlant dans les couloirs parce qu'il faisait froid et surtout qu'elle n'avait pas de bouts de ficelle. Et elle n'avait pas vraiment envie de se laver avec deux qui avaient fait pipi. Après, il y en aurait partout dans la baignoire.

"Ce serait mieux qu'on se lave un par un.", répéta-t-elle, sans relever les accidents des deux garçons, même s'ils l'amusaient un peu.

[Taliesin]

Pierre ouvrait déjà la bouche pour réconforter son copain lorsque celui-ci lâcha les mots fatidiques. Le premier réflexe du gamin fut de se fendre d'un "C'est pas vrai !" aussi tonitruant que mensonger. Mais l'inutilité de cette dénégation lui apparut aussitôt dans toute son ampleur : si Bellatrix et Benny n'avaient pas encore prêté attention à l'odeur qui émanait de lui, ils ne pourraient plus l'ignorer, à présent... Aussi, rougissant jusqu'à la racine des cheveux, baissa-t-il la tête pour ne pas croiser leurs regards sans nul doutes goguenards.

Pourquoi Christophe l'avait-il dénoncé de la sorte ? Il ne le savait pas. Ce qu'il savait, en revanche, c'est que son attitude s'apparentait à de la trahison. Or, il détestait ça, les traitres. Bouillonnant soudain de colère, il serra les poings.

-T'es vraiment qu'un sale... commença-t-il.

Mais Pierre ne put aller plus loin. La honte de voir son accident ainsi crié sur tous les toits avait pris le dessus et, en même temps que sa gorge se noua, il sentit les larmes affluer. Un instant plus tard, il tournait les talons et quittait la salle de bain à grandes enjambées pour aller se réfugier dans la chambre de l'angelot. Une fois la porte refermée derrière lui, il s'y adossa, se laissa glisser à terre puis, le visage enfoui dans les bras, il éclata en sanglots.

Il en avait marre de toute cette histoire. Marre et re-marre. Il voulait Étienne. Il voulait son grand-père. Et s'il ne pouvait pas les avoir, il préférait rester tout seul. Il avait rien moins qu'envie de poser de nouveau les yeux sur la trogne de Christophe le Traître et, si celui-ci avait la mauvaise idée de venir, il l'enverrait promener. Il n'avait qu'à se trouver une autre chambre. Celle du diablotin, tiens. Ça lui ferait les pieds.

[Manfred]

Peu à peu, la lumière du jour filtrant par les fenêtres déclinait. La nuit et son manteau de ténèbres engloutissait le Domaine des Divorcés. Mais les ombres ne purent s’insinuer là où les enfants discutaient. Les grosses ampoules y veillaient. A ce sujet, les interrupteurs étaient bien en vu.

Le château était assez silencieux. Voilà pourquoi tous remarquèrent quand la musique débuta. C’était un morceau de classique joyeux, entrainant, grandiose. Il venait d’en bas, du rez-de-chaussée, peut-être de la salle à manger. Monsieur Larouge était certainement à l’origine de cette initiative. Ici, au premier étage, violons et clavecins étaient étouffés, lointains à cause des épaisses parois de pierre.

[Mornagest]

Se sentant un peu honteux d'avoir ainsi provoqué le départ coléreux de Pierre, Christophe hésitait à aller le voir, mais il n'avait pas dit cela dans le but de lui faire du mal ; il avait simplement voulu signifier qu'il n'était pas le seul à avoir eu assez peur pour s'être mouillé le pantalon. Regardant Bellatrix et Benny d'un air désolé, il fondit à nouveau en larmes, tandis que les premières notes de musique résonnaient doucement, feutrées, dans le couloir et la salle de bains. Tout cela ne leur avait pas fait gagner du temps sur leur projet, et s'il y avait des dissensions dans leur petit groupe déjà fragile, ils n'iraient pas loin.

Mais Christophe ne pensait pas à cela. Il ne pensait qu'à rentrer chez lui et serrer très fort sa maman et son papa dans ses bras. Et il pleurait.

[Kasumi]

Benoît ne s'était pas attendu à la révélation de Christophe le concernant et surtout incluant Pierre. Il ne se serait jamais attendu à ce qu'ils puissent être victimes de tels incidents alors qu'ils étaient plus vieux que lui. A vrai dire, si Christophe s'était tu à ce sujet, il était bien probable qu'il ne l'aurait jamais remarqué. Mais il y avait malgré tout des considérations bien plus pressantes (si on pouvait dire) que la honte de ces petits accidents. Christophe était en larmes et Pierre était certainement parti bouder ou en imiter Cricri sans qu'on puisse le voir. La musique en bas signalait un changement : un changement qui rendait d'autant plus impérieux de s'organiser. Benny prit donc sur lui pour tenter de rétablir la situation, tentant de trouver du courage dans cette initiative :

- C'était vraiment bête de dénoncer Pierre. Tu lui as fait de la peine. Mais c'est pas la peine de pleurer pour le pipi. On gèrera facilement ça maintenant qu'on a la salle de bain. Mais il faut se dépêcher sinon on va louper cette occasion. Si vous êtes d'accord, je passerai le premier. Mais il faut pas laisser Piotr tout seul : c'est trop dangereux...

[Althéa]

Il avait raison Benny, il ne fallait pas que Piotr reste tout seul. Sinon, ils risquaient d'entendre un cri et de découvrir leur ami mort, en une ou plusieurs parties, la langue pendante pour plus de réalisme. En général, le premier meurtre était de loin le plus moche. Et elle ne voulait pas que cela arrive à l'un de ses amis. Elle hésita un peu avant de passer sa main sur les cheveux de Christophe d'une main maladroite. Elle aussi était fatiguée et avait envie de pleurer. Mais ils ne seraient pas plus avancer.

"Christophe, c'est peut-être mieux que tu restes avec Benny si Piotr est fâché contre toi."

Elle hésita encore et alla dans la chambre. Piotr pleurait. Elle ne savait pas vraiment quoi lui dire. Ce n'était pas vraiment son truc de consoler les gens.

"Moi aussi ça m'est arrivé, une fois. Je regardais "The ring" et mon imbécile de frère est venu me faire "Bouh". Il a bien rigolé, et pas moi. Mais chut, tu le diras à personne, dis ?"

Elle ne savait pas trop pourquoi elle avait dit ça.

[Taliesin]

S'il l'avait entendue venir, il se serait de nouveau adossé à la porte pour l'empêcher d'entrer : il détestait qu'on le voie pleurer et estimait avoir eu son content d'humiliations pour la journée. Mais voilà, il ne l'avait pas entendue, et être surpris en si piteuse posture fit renaître sa colère. Un instant, un très bref instant, il songea à l'envoyer balader.

Mais cela, c'était avant qu'elle ne parle. Son aveu le déconcerta autant qu'il le désarma. Il y avait de quoi : Bellatrix n'était pas coutumière de ce genre de démarche mais voilà qu'en plus, elle lui révélait un secret gênant. Le geste le toucha profondément et il ne sut d'abord ni comment réagir, ni que répondre.

-Je dirai rien, promis, finit-il par croasser. Suis pas un cafteur, moi.

Il se racla la gorge, s'essuya les yeux d'un revers de main puis se releva. A présent qu'il n'était plus seul, il refusait de se laisser aller davantage.

-C'est gentil d'être venue, reprit-il d'une voix légèrement plus normale. C'était pas malin de partir comme ça, je sais. Mais... Enfin bref, c'était pas très malin, et c'est sympa d'être venue me voir.

Mieux valait ne pas se lancer dans de trop longues explications : il n'était pas en état de se montrer très clair. Et puis, il y avait beaucoup plus urgent.

-Vous avez décidé quoi pour la salle de bain, finalement ? s'enquit-il, passant à un sujet qui, outre appartenir à cette catégorie du "beaucoup plus urgent", avait l'avantage d'être moins embarrassant.

[Althéa]

Bellatrix le regarda le plus sérieusement possible avant de répondre.

"On a décidé de prendre des armes et de tous s’assassiner les uns les autres. ça te dit ?"

Elle laissa passa quelques secondes avant de lui faire un sourire jusqu'aux oreilles.

"On a dit qu'on prenait le bain un par un mais qu'on se surveillait les uns les autres. Parce que s'il y a des tentacules qui sortent comme dans "la créature du lac noir", hé bien, on sera bien content que les autres soient là pour nous sauver."

Elle ne fit pas allusion au fait qu'il avait pleuré. Cela n'en valait pas la peine.

[Taliesin]

La première remarque de Bellatrix le fit rougir, car il la prit pour un reproche : oui, dans leur situation, se disputer, réagir comme il l'avait fait était d'une bêtise sans nom. Et si le sourire de la petite fille le rasséréna, il se promit malgré tout de se montrer plus prudent, désormais. Or, "désormais", ça commençait dès à présent.

-D'accord. On a qu'à prendre les sacs et retourner dans la salle de bain. On perdra moins de temps que si on les met d'abord dans les chambres et qu'ensuite on prend nos affaires dedans.

Et de joindre le geste à la parole. Évidemment, Il n'avait pas la moindre envie de revoir Christophe. Mais il ne devait pas se comporter en bébé. Et puis, il lui suffisait de l'ignorer...

[Kasumi]

Benoît était resté seul avec Christophe sans trop savoir quoi lui dire pour le rassurer. Décidément, il n'était pas doué dans ses rapports aux autres ce qui ne faisait qu'accroître sa timidité et son impression de maladresse. Il n'était donc pas fâché de voir revenir Bellatrix et Pierre, chargé de leurs affaires, qui plus est. Evidemment, il craignait un peu que la querelle ne reprenne où elle s'était interrompue mais au moins le statu quo ne menacerait pas de s'installer. Soucieux d'orienter la conversation vers un sujet qui n'était pas trop polémique, le garçon parla le premier :

- Bonne idée d'avoir amené nos affaires ! On prend chacun notre bain ensemble alors ? après tout, il y a plusieurs baignoires. Ou alors l'un de vous souhaite commencer ? Mais alors il faudrait se dépêcher pour pas qu'on soit interrompus. J'ai l'impression que le temps passe plus vite ici, pas vous ?

[Mornagest]

"Je pense qu'il faudrait qu'on se dépêche quand même. Le monsieur va finir par revenir nous chercher, si ça continue, et je suis pas sûr que ce soit une bonne idée. On n'a qu'à se laver tous en même temps, chacun dans une baignoire..."

Il n'aimait pas l'idée de se retrouver hors de la vue des autres pour plonger dans une baignoire d'où pouvait sortir des bêtes atroces pour le dévorer tout cru, mais si monsieur Larouge remontait voir ce qu'ils faisaient, il préférait être déjà lavé et rhabillé pour être présentable.

[Manfred]

Ils parlaient, ils parlaient, s’engueulaient et pleuraient aussi. Bref, le temps passait. La voix de Monsieur Larouge finit par arriver jusqu’à eux depuis, sans doute, le pied des escaliers.
« Les enfants ! N’oubliez pas que si quoi que ce soit ne va pas, vous pouvez me demander ! »
L’aristocrate ne monta pas mais nul doute qu’il allait le faire au bout d’un moment. Non qu’on le sentait impatient, mais il risquait de s’inquiéter. La petite troupe était sous son toit, donc sous sa responsabilité.

La musique continuait, instillant une atmosphère assez particulière dans la vaste bâtisse.

[Taliesin]

Christophe disait vrai, bien sûr : ils n'avaient déjà perdu que trop de temps et, s'il leur fallait une preuve, monsieur Larouge la leur fournit presque aussitôt. Toutefois, Pierre en voulait encore trop à son camarade pour lui donner ouvertement raison. Tiraillé entre sa rancune et son désir de ne plus se comporter en idiot, il trouva une solution qui, lui semblait-il, réconcilierait les deux tendances contradictoires : en effet, elle lui paraissait utile et, si tout allait bien, lui éviterait d'être le premier à faire ce qu'avait dit le garçon.

Quittant la salle de bain, il fit quelques pas dans le couloir et lança d'une voix forte :

-Faut pas vous inquiéter, monsieur ! Tout va très bien ! Mais on est un peu fatigués, alors du coup, on va pas très vite... Mais on va essayer de se dépêcher, promis !

Avec un peu de chance, cette intervention leur accorderait un répit : ce serait tout de même un peu gênant que l'homme monte alors qu'ils étaient encore en train de se laver... Quoi qu'il en soit, il ne fallait plus traîner, et le gamin rebroussa aussitôt chemin avec la ferme intention de s'en tenir à son engagement. Il prendrait dans son bagage une tenue propre, le sac à linge sale (pour y fourrer ses affaires mouillées) et sa trousse de toilette. Puis il entrerait dans l'une des petites salles de bain. Il avait l'intention de bien se laver mais non de prendre un bain : en dehors du temps qui manquait, il s'était pas assez à l'aise en ces lieux pour s'accorder un tel moment de détente.

[Kasumi]

Benoît fut soulagé de voir les autres agir enfin et arrêter de se perdre en contradictions futiles. Après avoir adressé un dernier regard interrogateur à Bellatrix et Christophe, il entreprit d'imiter Pierre en fouillant dans son sac à la recherche d'une tenue convenant plus à l'intérieur sans être trop légère au cas où il faudrait quitter précipitamment la maison. Le gamin choisit ensuite la salle de bain à côté de celle de Piotr avec l'intention de prendre un bain rapide. Cela le réchaufferait et il ne voyait aucune raison de se priver de ce petit plaisir. Il savait d'après ce qu'il avait lu que les créatures aquatiques dont il avait le plus à craindre ne tenaient pas dans une baignoire de cette taille.

[Mornagest]

Il ne craignait pas particulièrement les bains, ni les monstres liés à l'eau. Les lieux lui donnaient un sentiment vague de malaise, mais c'était sûrement lié à ce qu'il avait vu en entrant, et aux événements récents. En apparence, tout semblait normal, mais... Il opta pour un bain chaud et rapide, qui le débarrasserait de cet inconfort lié à l'urine. Il comptait garder ensuite les vêtements qu'il avait sur lui, à l'exception de son pull en laine qui était trop chaud pour la maison. Il était à peu près sûr d'avoir quelque chose de plus léger dans son sac, comme un sous-pull ou une chemise qu'il pourrait mettre par-dessus son t-shirt.

Sans mot dire, il se lava en vitesse, profitant tout de même du contact agréable de l'eau chaude sur sa peau tout à l'heure presque glacée à cause du vent mordant.

[Manfred]

HRP : Altéa, puisque je ne suis pas là ce soir, je poste avant toi afin de ne pas vous bloquer. J’espère que ça ne te dérange pas.

Le moment du bain ou de la douche était donc arrivé. Et rien ne vint le perturber. Aucun monstre ne s’aventura hors des tuyauteries. Monsieur Larouge ne fit point d’apparition surprise. Les enfants n’eurent même pas à se plaindre d’un quelconque manque d’eau chaude. Il y en avait en abondance.

La seule chose curieuse, en fait, venait des élèves eux-mêmes. Leur pâleur s’éternisait et, quoi qu’ils fassent, ils n’arrivèrent pas totalement à se réchauffer. Certes, le froid qui demeurait était sans commune mesure avec celui ressentit dehors. C’était maintenant très supportable et il était tout à fait possible d’en faire abstraction. Mais il était là.

En bas, violons, clavecins et, désormais, flûtes jouaient de concert. En bas était attendu la petite troupe pour le repas du soir...

[Althéa]

Bellatrix frissonnait. Elle avait rajouté un maillot de corps sous son tee-shirt mais elle n'arrivait pas à se réchauffer. C'était comme si elle avait emporté avec elle un petit morceau d'hiver. Elle mit cela à la fatigue et aux émotions de la journée. En bas, il y avait de la musique. De la belle musique avec des instruments qui n'avaient rien avec la guitare électrique saturée d'où son frère essayait de tirer en vain un son audible.

Contente malgré tout, elle avait envie de faire une blague, de s'amuser un peu. Juste avant de descendre, elle se tourna vers les autres.

"Vous allez voir, dit-elle avec son sourire malicieux, quand on sera en bas, on verra les instruments de musique jouer tout seul. Ou alors, on se rendra compte que ceux qui jouent sont des zombies ou des squelettes."

Et elle commença à descendre les marches.

[Taliesin]

Si la douche n'avait pas réchauffé Pierre autant qu'il l'aurait voulu, au moins se sentait-il beaucoup plus à son aise maintenant qu'il était propre et avait enfilé une nouvelle tenue. L'embarrassant accident dont il avait été victime en traversant la forêt n'était plus guère qu'un lointain souvenir, d'autant qu'il s'était empressé de faire disparaître les vêtements compromettants dans son sac à linge sale - il verrait plus tard s'il pouvait les faire sécher.

Récupérant ses affaires, il gagna le couloir puis la chambre de l'angelot, où il déposa son sac de voyage. Il songea à emporter avec lui, pour le repas, Archimède et son épée de bois. Mais il renonça vite à cette idée : il aurait eu bien du mal à les cacher, à présent qu'il ne portait plus son manteau. Aussi les dissimula-t-il sous la pile de ses vêtements de rechange.

Puis il s'apprêta à abandonner la pièce pour emboîter le pas à Bellatrix. Sa plaisanterie l'avait fait sourire : si elle recommençait à faire des blagues, c'est que le bain lui avait fait du bien. En revanche, il n'essaya pas d'imaginer la scène décrite par ses soins. D'ailleurs, à son avis, la musique provenait plutôt d'un vieux tourne-disque semblable à celui que possédait son grand-père. Ce genre d'appareil collerait parfaitement avec le décor du château.

[Mornagest]

Son bain fut bénéfique pour ce qui était de se laver, mais pas beaucoup pour se réchauffer. Il frissonnait encore alors qu'il achevait de s'habiller, et il avait l'impression qu'il n'avait guère plus chaud que lorsqu'ils crapahutaient au-dehors.

Il rangea ses affaires excédentaires dans son sac qu'il alla poser dans une des chambres (celle comportant la statue de génie devant sa porte) et rejoignit Bellatrix et Piotr, qu'il osa à peine regarder avec un air confus et gêné.

[Kasumi]

Quelque chose n'allait pas. Benoît mit plusieurs minutes à mettre le doigt dessus après l'avoir attribué en vain aux événements perturbants de la journée et de l'étrangeté de la salle de bain dans laquelle il se délassait. C'était cela ! Malgré l'eau chaude qu'il avait rajoutée à plusieurs reprises et les longues minutes délassantes qu'il avait passé à s'immerger presque complètement, il gardait une sensation de froid. Mais pas tout à fait comme quand il était enrhumé. Non, c'était plus diffus et en plus il n'avait mal nulle part. Le gamin fouilla donc dans sa mémoire, et immanquablement dans ses lectures, pour tenter de trouver une explication au phénomène. La première qui lui vint avait quelque chose de farfelu mais il n'osa pas la repousser immédiatement. Après tout, certains éléments concordaient d'inquiétante façon : l'accident de l'autobus, le chagrin de sa maman au téléphone, son incapacité à se faire entendre il avait lu dans un des ouvrages ésotériques de son oncle que les morts ne se rendaient pas toujours compte de leur état même s'ils ne pouvaient plus ressentir les choses de la même façon que les vivants. Le temps semblait s'écouler à une vitesse différente pour eux et ils avaient toujours froid. Oui, c'était cela. Mais comment l'auteur avait-il pu vérifier ces faits, cela il l'ignorait. Mais si tout était vrai, les autres devaient aussi se ressentir de la même façon que lui et peut être que monsieur Larouge était lui aussi un fantôme ou alors un sorcier puissant puisqu'il était capable de communiquer avec eux. Blême et anxieux de mener de telles réflexions, Benny rebondit sur la plaisanterie de Bellatrix qu'il avait à peine écouté pour poser sa question d'un ton grave sans mesurer l'effet de ses paroles sur les autres :

- Vous aussi vous avez froid ? Vous croyez qu'on est des fantômes ?

[Taliesin]

Pierre ne remarqua pas que Christophe était gêné et remarqua encore moins qu'il avait posé son sac dans une autre chambre. En fait, tant qu'il n'aurait pas digéré le mauvais tour joué par celui-ci, il avait choisi de l'ignorer.

Ce qu'il n'ignora pas, en revanche, ce fut la remarque de Benny. Il y réfléchit quelques instants puis secoua la tête.

-Non, je crois pas. Si on était morts... Ben on serait au paradis, non ? Ils disent ça, à la messe... Ou alors y aurait juste plus rien. Ou bien... On était pas tous à côté, dans le car, pas vrai ? Alors soit on serait pas là tous les quatre, soit y aurait d'autre enfants avec nous.

Il trouvait sa réponse logique. Mais, surtout, s'il était mort, il pensait que son papa et sa maman seraient venus le voir. Mais cela, il préféra ne pas le dire. Il n'aimait pas beaucoup évoquer ses parents face à ses copains.

[Althéa]

Bellatrix ne savait fichtrement pas quoi répondre. Elle ne croyait pas du tout en dieu, mais elle savait parfois que pour certains, comme son papa qui aimait jurer en anglais, cela soulageait un peu. Elle, elle croyait au pouvoir de Morticia Adams. Sa maman cachée était toujours là quand elle avait besoin d'elle. Elle ne la voyait pas vraiment, mais elle sentait sa présence. Aussi, face à la question de Piotr, préféra-t-elle jouer la carte de la dérobade et de les emmener dans un territoire qu'elle connaissait bien.

"Ou c'est peut-être un rêve. Mais faut faire attention, parce qu'on meure dans les rêves aussi."

Elle hocha pensivement la tête.

"Même si c'est un rêve, faut pas trop faire de bêtises."

[Mornagest]

Christophe frissonna à nouveau en écoutant parler ses camarades. Oui, il avait eu froid, et cela continuait malgré le bain chaud ; c'est ce qu'il leur expliqua.

"C'est peut-être pour ça qu'on a pas vu les autres. Eux, ils sont toujours vivants après l'accident, et nous pas..."

Cela lui fit encore un nœud dans la gorge, mais il parvint à se contenir, cette fois.

"On f'rait peut-être bien d'y aller, non ? Sinon, le monsieur va finir par monter voir ce qu'on fait."

Changer un peu de sujet pourrait l'aider à oublier ses craintes...

[Kasumi]

Benoît n'en voulait pas aux autres de ne pas prêter foi en sa théorie. Lui-même préférait éviter de l'envisager et l'avait évoquée dans le but d'être rassuré. Les explications de Piotr ne l'avait pas tout à fait rasséréné mais il se raccrochait néanmoins à leur logique indéniable. Quant aux interventions de Bellatrix et de Christophe, il en retint qu'un cauchemar où on pouvait mourir était peut être pire que d'être déjà mort parce qu'on pouvait encore souffrir et qu'il était grand temps de donner des signes de vie à leur hôte.

- Il vaut mieux qu'on ne dise rien à monsieur Larouge le temps de voir à quel point il est impliqué. Vous croyez qu'il dort au même étage que nous ?

Le petit s'engagea dans les escaliers, tâchant de prêter l'oreille à la musique ne serait-ce que par politesse envers leur hôte.

[Manfred]

Trouver la salle à manger fut aisé même si d’aventure les enfants avaient oubliés les courtes explications de Monsieur Larouge. En effet, il suffisait de suivre la musique.

La vaste pièce était occupée en son centre par une longue table en bois massif. Une bonne vingtaine de personnes pouvaient s’y installer. Vincent était assis à l’un des bouts de la table. Quatre assiettes attendaient à côté de lui, deux de chaque côté. La vaisselle était d’argent et finement travaillée. Les verres à pied étaient en cristal et les serviettes brodées. Au menu : viande et pommes de terre. Les parts étaient généreuses. Rien qu’à l’odeur, on pouvait deviner la qualité de la cuisine.

Piotr avait raison. La musique provenait d’un tourne-disque posé sur un meuble. On pouvait aussi noter la présence d’une grande cheminée. Les flammes dansaient dans l’âtre. Au-dessus étaient exposé un portrait montrant l’aristocrate en compagnie de cette femme ressemblant à Morticia Adams. Il y avait aussi une fille plus jeune, une adolescente vêtue de blanc, comme une religieuse.

« Ha, vous voilà ! – fit l’homme en voyant ses invités arriver. – Prenez place. J’espère que vous vous êtes un peu remis de votre mésaventure. Alors, si nous faisions des présentations dignes de ce nom ? Parlez-moi un peu de vous, je vous parlerai un peu de moi ! »

[Taliesin]

La silhouette blanche sur le portrait de famille attira l'attention de Pierre qui, immanquablement, songea à la personne qu'avait entrevue Benoît juste avant l'accident. Cependant, il n'eut pas le temps de s'attarder sur la question : monsieur Larouge leur parlait et, à moins de vouloir paraître très bizarre ou très méfiant, il fallait lui répondre. Ce qui n'était pas évident : le gamin avait peur de trop lui en dire.

-Oui, la douche nous a fait du bien, je crois, commença-t-il, affichant un sourire reconnaissant qui était en partie sincère, en partie forcé. Moi, je m'appelle Pierre, et j'habite à Pont-l'Espoir. Je suis en CE2, comme mes amis.

On les avait invités à s'assoir et, par conséquent, il devait choisir sa place. Il n'avait aucune envie d'être tout près de l'homme mais, puisque les autres n'avaient pas encore réagi, s'adjuger l'une des chaises les plus éloignées risquait de sembler malpoli. Aussi s'installa-t-il sur l'une de celles voisinant directement leur hôte. Ce faisant, il rendait sans doute service à l'un de ses copains. Et puis, il continuait à jouer ceux qui ne craignaient rien, qui ne savaient pas qu'ils étaient tombés dans un piège. Faire semblant s'avérait d'autant plus facile que monsieur Larouge s'était montré très gentil avec eux et que rien de mal ne leur était encore arrivé dans sa maison. Du coup, ce n'était plus tout à fait de la comédie, puisqu'on pouvait se demander si l'individu était réellement méchant...

Pierre en était presque venu à se poser la question. Presque. Il demeurait toutefois persuadé que le cauchemar allait recommencer avant peu et il se promit de demeurer vigilant, de ne pas se laisser endormir par l'apparente tranquillité des lieux, par l'apparente gentillesse de l'homme. Il se promit d'essayer, en tout cas.

[Kasumi]

Benoît avait senti son appétit s'éveiller à la vue du repas et maintenant qu'il était détendu par son bain chaud mais la vue du portrait au-dessus de la cheminée le fit blêmir. C'était elle ! Il en était sûr. Mais alors que faisait-elle près de la route ? Les occupants de la maison avaient-ils manigancés l'accident ? La coïncidence était trop impensable pour ne pas accroître encore davantage sa méfiance. Dans ces conditions, il était heureux que Pierre ait pris la parole et surtout qu'il se soit installé le premier à table. Les possibilités de se placer n'étaient dès lors que très limitées s'il voulait éviter que Christophe se trouve à proximité immédiate de Pierre et ravive ainsi la dispute. Laisser Bellatrix s'installer à côté de leur hôte était tout aussi impensable aussi Benoît affronta-t-il sa timidité pour prendre place en face de Pierre et répondre d'une voix éteinte tant par la découverte de l'identité de la dame blanche que pas son penchant naturel à la réserve :

- Moi, c'est Benoît.

[Mornagest]

Christophe ne remarqua rien d'anormal concernant le portrait de la jeune fille, et pour cause : il n'avait pas vu la dame blanche dont avait parlé Benny, et l'aspect de la fille était loin d'être effrayant. En tout cas, pas plus que le reste de la maison, ou que monsieur Larouge. Malgré cela, il ne pouvait se sentir complètement à l'aise dans cette maison si... décalée. Un tourne-disques ? Ses parents en avaient un, mais ce modèle-là lui parut bizarre. Plus ancien ? Il n'était pas sûr, guère connaisseur en la matière. Mais tout, ici, lui donnait l'impression d'être dans un vieux film, du genre où les voix en français étaient lamentablement mal jouées et le son atrocement étouffé.

Il hésita avant de prendre place. Il avait envie d'être loin de Pierre, mais il voulait se faire pardonner pour sa bêtise. Il s'en voulait encore, et ne comprenait pas complètement pourquoi il avait dit ça... le mal était fait, bien sûr, mais... peut-être que Pierre lui pardonnerait ? Et puis, laisser Bellatrix s'asseoir à côté de Benny ne lui paraissait pas idiot. Il avait l'impression que l'un était amoureux de l'autre, à moins que ce ne soit le contraire. Il ressentit un pincement de jalousie fugitif en pensant à cela, avant de se décider à aller s'installer à côté de Pierre. Il faudrait bien lui présenter ses excuses à un moment ou un autre...

"Et moi, c'est Christophe", fit-il d'une petite voix, une fois juché sur sa chaise.

[Althéa]

Bellatrix qui avait pourtant entendu Benny parler de la dame blanche ne fit pas le rapprochement avec le tableau. La présence d'un adulte qu'elle ne connaissait pas lui ôtait tous ses moyens. Chaque fois, on se méfiait d'elle. Et elle ne s'attendait pas à un traitement de Vincent, même s'il avait l'air plutôt gentil. Par contre, voir de nouveau "Morticia" sur le tableau lui fit plaisir. Comme elle était belle avec son visage pâle !

Benny s'installa à coté de Vincent, et elle lui en fut d'emblée reconnaissante. Et Christophe lui laissait visiblement la place à coté de Benny ! Elle se sentit rougir des pieds à la tête. Mais, pour ne pas avoir l'air d'une dinde, à rester la bouche ouverte au milieu de la pièce, elle gagna sa place avec un grand sourire. Puis, regardant Vincent, elle se présenta à son tour.

"Je m'appelle Bellatrix."

[Manfred]

« Et bien, moi, comme je vous l’ai déjà dit, je suis Vincent Larouge. Mes parents m’ont légué ce château, alors j’en prends soin. C’est du travail, vous savez. Enfin, ce n’est peut-être pas un sujet très intéressant pour vous. J’aime la musique, la danse, le théâtre, la sculpture aussi. L’art est, à mon sens, la chose la plus noble que l’homme ait pu inventer. Il colore l’existence, enchante les sens. »
L’aristocrate était du genre loquace. Et il parlait un peu comme un orateur. Ces propos étaient fluides, son ton agréable. Peut-être qu’entre ses mains, par sa voix, les romans prenaient une dimension nouvelle. Il était certes un adulte, mais il ne semblait pas avoir ce côté trop sérieux, trop terre à terre, qui faisait fuir les jeunes. Au contraire, il y avait une pointe de fantaisie en lui. Et puis, on le sentait joyeux. Visiblement, cela ne le dérangeait pas du tout d’accueillir la petite troupe.

Désireux que ses invités se sentent bien, il n’aborda que des sujets légers. Aucune des questions qu’il posa n’était étrange ou dérangeante. Y répondaient ceux qui voulaient, les autres pouvant sans problème conserver le silence. Ainsi se déroula le repas.

Pour Benoît :

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Benny eut un peu de mal à détacher son regard du tableau au-dessus de la cheminée. Du coup, il en remarqua les détails. Les trois personnages illustrés n’étaient pas dans une attitude de bonne entente. L’homme et la femme se tournaient le dos, regardant chacun dans une direction opposée. L’adolescente, au milieu, paraissait triste. Elle était de face et regardait droit devant elle. Pas une seule fois Vincent n’évoqua le tableau où ses occupants.

A présent, c’était des boules de glace dans des coupelles qui se trouvaient sur la table. Chacun avait eu le loisir de demander son parfum préféré.
« Demain, nous irons donc à Pont l’Espoir. J’aimerais y aller tôt car j’y vois l’occasion de régler certaines affaires. Aussi, peut-être est-il préférable pour vous de ne pas trop tarder à vous mettre au lit. »

HRP : pensez, dans votre réponse, à décrire votre comportement à table. Monsieur Larouge pose des questions sur vos loisirs, sur l’école, vos amis, ce genre de choses. A vous de voir si votre personnage répond.