La Couronne de Cuivre

Chaque mouvement de la porte, même minime, était accompagné de légers grincements... De là où elle était en tous cas, Marjorie semblait dormir. Ou faire semblant, tout du moins...

Elle n'avait pas refermé le loquet de la porte, mais au moins, le plus dur était fait : elle était dans le couloir.

Que coûterait de traverser le couloir, franchement ?

Elle parcourut quelques mètres, lentement, vers la cuisine, puis se retourna prestement pour vérifier qu'elle n'était pas suivie.

Traverser la salle à manger ne fut pas aussi difficile qu'elle aurait pu le penser. Sans avoir à allumer la lumière, les flammes en provenance de la cheminée éclairait la pièce d'ombres mouvantes et fantomatiques. Sofia marchait sur la pointe des pieds, effleurant le marbre plus silencieusement encore qu'une brise légère. Arrivée à destination, elle poussa à demi la porte à double battants de la cuisine, et s'y glissa sans attendre.

L'obscurité la saisit aussitôt.

Son coeur battait si fort qu'elle s'attendait à ce que ses battements aient réveillés la plupart des invités du château. Elle souffla longuement, appuyée dos à la porte, faisant tant bien que mal descendre la pression. Elle était seule.

Reprenant ses esprits, elle tenta de percer le voile de la nuit, mais en vain.

L'arrière-cuisine était tout près, juste derrière cette petite porte qu'elle savait au fond de la pièce.

Cependant, sans lumière, et dans un noir presque complet, cela risquait passablement de compliquer les choses...

Sofia remonta lentement sa main le long du mur, qui finit par heurter l'interrupteur.

Allait-elle prendre le risque d'allumer la lumière ?

Juste quelques instants...

C'était trop pour Sofia. Elle renonça.

Elle ne voulait plus revivre cette scène. Elle avait trop mal au coeur. Bien trop mal en repensant à tout ce qui s'était produit, et elle avait encore plus mal lorsqu'elle pensait à son propre fils.

Non, elle voulait sortir de cette cuisine et s'extirper de là. C'était tout. Elle ne voulait pas rester là.

Sofia ne savait pas si elle serait capable de retourner dormir. En rebroussant chemin, elle se demanda alors si ça ne vaudrait pas le coup de monter voir les statues dont Nils lui avait vanté les mérites... Histoire de changer de registre un peu...

Lentement, Sofia glissa sa main de l'interrupteur vers le battant de la porte, qu'elle poussa à reculons. Progressivement, la lumière orange tamisée de la cheminée ramena la vie à ses yeux. Où pouvaient donc se trouver ces fameuses statues... Que lui avait dit Nils, déjà ? "A l'étage", lui semblait-il.

La jeune femme traversa la pièce, tentant dans la mesure du possible de maîtriser le moindre de ses mouvements, et ne de rien percuter dans ses déplacements. Elle monta les marches une à une, et posa enfin un pied sur le plancher grinça de la salle de théâtre. Il n'y avait pas de cheminée ici, mais curieusement, il n'y faisait pas si froid, et les grandes fenêtres dans le mur sur sa gauche laissaient passer quelques rayons d'un lune à présent dégagée de tout nuage par le vent.

De chaque côté des chaises sur lesquelles ils étaient installés quelques heures plus tôt se trouvaient deux larges piliers faisant office de colonnes carrées. Sur sa droite, la scène, dont les rideaux n'avaient pas été baissés, sans doute dans la panique. En face, de l'autre côté de la pièce, d'autres escaliers descendaient de l'autre côté de la salle à manger, et derrière eux, on devinait l'entrée d'une autre pièce, à l'instar de celle qui se trouvait juste derrière elle.

Sofia opta pour la porte qui entrait dans une pièce qu'elle n'avait pour l'instant pas visitée. Elle se dirigea vers celle-ci, attentive au moindre son, vérifiant de temps à autre qu'elle n'était pas suivie.
Il s'en était fallu de peu pour qu'elle ne commette l'irréparable... Tant pis pour l'arme du crime (elle frissonna rien qu'en pensant à cette expression si... partiale !), elle ne devait plus s'occuper de cette affaire, et agir tranquillement, en fonction des évènements... Où était donc passé le calme olympien qu'elle avait arboré une partie de la soirée, feignant si tranquillement l'horreur de la découverte d'un cadavre ?

Dans un état de vigilance constante, elle posa enfin sa main sur la poignée de la porte et la tourna.

La jeune femme s'avança dans la pièce face à elle, se guidant à la maigre lueur de la lune au dehors. Le plancher trop ancien craquait à chacun de ses pas, ce qui l'obligea à la plus grande prudence pour ne pas réveiller tout le rez-de-chaussée.

La pièce dans laquelle elle arriva formait un demi cercle, relativement lumineux grâce à de très hautes et larges fenêtres qui donnaient une vue imprenable sur le parc. Une ambiance familière la saisit aussitôt. De grands draps blancs déposés sur des oeuvres, comme autant de fantômes... Certaines cependant avaient dues être travaillées encore récemment. La jeune femme déambula lentement entre les oeuvres, soulevant délicatement le linges qui les recouvrait.

Quelque chose cependant la mis soudainement mal à l'aise. L'une d'elles, découverte, représentait une créature ailée et menaçante. Elle ne distinguait pas nettement son visage dans la pénombre, mais on le devinait effrayant. Un Ange de la Mort. Elle avait déjà aperçu cette silhouette dans des livres, et ses représentations étaient rarement équivoques... La jeune femme s'approcha lentement, plissant des yeux pour mieux en découvrir les contours. Un malaise grandissant remontait de son estomac jusqu'à son coeur, puis dans ses poumons, à mesure qu'elle s'approchait. L'Ange pointait un doigt accusateur dans sa direction, si près qu'elle aurait pu croire qu'il s'adressait directement à elle. A la faveur de la nuit, tout ceci n'en paraissait que d'autant plus effrayant...

Instinctivement, Sofia se retourna, suivant la direction pointée par la statue.

Et son coeur sembla soudainement s'arrêter. La jeune femme mit ses dernières forces et toute sa volonté à ne pas hurler de terreur à la vue du spectacle qui s'offrait à ses yeux.

Le drap qui recouvrait la sculpture derrière elle venait de glisser sur le sol. Et devant elle surgit une gigantesque créature de cauchemar de plus de deux mètres de haut, squelettique, et dont les yeux malfaisants la fixaient, luisant d'une façon inexpliquée à la pâle lumière de la nuit.

Le coeur battant, Sofia recula contre le mur, les mains crispées sur le tissus de sa chemise de nuit, se mordant la joue pour ne pas hurler. Elle sentit le goût du sang envahir sa bouche.

Dans sa tête, c'était la folie furieuse, une tempête puissante qui semblait ne jamais vouloir s'arrêter. Pourtant, au bout d'un temps qui lui paru infiniment long, après avoir versé quelques larmes malgré elle, Sofia parvint à bouger de nouveau.

Lentement, très lentement, saisi d'une sensation de froid intense, elle se dirigea vers la statue. Ca n'était de toutes façons, qu'une vulgaire statue, n'est ce pas ?
Pour se changer les idées tout en se dirigeant vers la créature sortie tout droit des bas fonds de l'Enfer, elle pesta silencieusement contre Nils qui aurait voulu la conduire ici juste après le meurtre de Lucien... Non mais quelle idée il avait eu, celui-là ! Heureusement qu'elle avait décliné sa proposition !

Les yeux lui paraissaient des plus intrigants. Comment l'artiste s'était-il débrouillé pour créer cet effet ?

La jeune femme s'approcha encore, désireuse d'observer davantage la statue.

Son expérience de sculptrice finit enfin par prendre le dessus sur la panique. Retrouvant ses marques, elle laissa ses mains glisser sur les arrêtes saillantes de la... "Bête". Oui, elle pouvait appeler cela comme ça. Une "Bête". Un rejeton des Enfers, trapu, et dont la gueule semblait cracher la Mort elle-même. En quelle matière était-il ?

Cela ressemblait à du bois. Elle n'avait pas besoin d'y voir pour analyser. Simplement de toucher, à la rigueur de sentir. Non, ce n'était pas du bois... C'était... des os.

Elle frissonna. Comment était-ce possible... ?

Elle n'y voyait pas assez pour être certain qu'il s'agisse bien d'os humains, mais elle ne pouvait écarter cette éventualité d'un simple revers de la main.

Son attention se porta finalement sur le crâne, lui-même composé de multiples ossements. En s'approchant, les reflets dans les yeux avaient disparu. Mais elle n'avait pas rêvé. Il était peut-être tard, et la fatigue se faisait certainement sentir, mais elle n'avait pas rêvé.

Ses doigts agiles se faufilèrent le long des rainures, malgré une légère appréhension absurde de voir cette mâchoire menaçante se refermer subitement, puis rencontrèrent une surface plus lisse.

Quelque chose habitait les orbites creuses de la Bête. La droite, tout du moins. Quelque chose d'amovible. Retenant sa respiration, Sofia en extirpa ce qui s'avéra être une sphère, qu'elle fit tourner à la lumière extérieure. L'objet était lisse, presque doux, malgré sa teinte sombre. On aurait dit une perle. Une très grosse perle.

Quelle était donc cette chose ? Pouvait-il y en avoir d'autres dans la structure ?

Sofia était fascinée par l'objet et par sa texture. Elle se dirigea vers la fenêtre pour l'observer plus à son aise à la lumière du clair de lune. Elle retournerait voir après si il y en avait d'autres, cachés parmi les restes...

Qui pouvait avoir réalisé pareil travail ? Sofia retenait son souffle par intermittence en pensant qu'il y avait peut être là dedans des os humains... Elle tâcha de rejeter l'idée qui lui paraissait des plus répugnantes, mais ça n'était pas si simple... Comment Lucien avait-il eu l'idée d'acquérir une chose pareille ? Ce pourrait-il... qu'il l'ait construite lui-même ? Après tout... ne lui avait-il pas voulu du mal ?

Rassemblant ses pensées et son courage, elle se concentra sur l'objet qu'elle brandit devant la fenêtre, tâchant de comprendre de quoi il pouvait s'agir.

Sofia leva l'objet le plus près possible de la fenêtre, le tournant et retournant dans tous les sens... Il y avait une inscription dessus. Gravée, très finement. Malgré ses lunettes, ses yeux peinaient à percer la pénombre. Après avoir plissé les yeux avec acharnement, et s'aidant aussi de son sens du toucher, elle parvint cependant à identifier le symbole.

Un "III". En chiffre romain. Elle parcourut plusieurs fois le reste de la sphère noire de son doigt, mais c'était là la seule inscription. Que cela pouvait-il signifier ?... La question demeurait en revanche sans réponse...

La jeune femme quitta la fenêtre en direction de la statue de cauchemar, en quête d'une éventuelle nouvelle prise... mais en vain.

Tout à coup, elle s'agrippa au socle de l'ouvrage, prise d'un léger vertige. L'effort oculaire prononcé conjugué à la fatigue commençait sans doute à avoir raison d'elle...

Voilà une bien étrange découverte... Mais elle ne pouvait plus chercher, elle était bien trop fatiguée...

Elle glissa la boule de son mieux dans sa chemise de nuit et regarda une dernière fois la bien étrange statue composée d'os. Vraiment, quel goût... affreux... et malsain Lucien avait en matière d'Art !

Elle sortit lentement de la pièce et tâcha de regagner sa chambre à pas de loup.

Sofia rejoignit prestement sa chambre, entrouvrit délicatement la porte qui grinça pourtant de façon horripilante, glissa sa prise de la nuit dans son sac, puis se glissa dans les couvertures.

Marjorie n'avait pas bougé, et dormait toujours d'une lourde respiration régulière.

La jeune femme ferma enfin les yeux, se laissant gagner par un sommeil amplement mérité.

Mais avant de sombrer définitivement, un sursaut intérieur la saisit brutalement. Quelque chose clochait... Les sens en alerte, elle retint tout à coup sa respiration.

Le souffle lent et régulier de sa voisine avait cessé.

Sofia attendit, une minute, puis deux. Mais rien ne vint.

Si elle l'avait entendue, elle n'en laissa rien paraître.

La fatigue eut finalement raison d'elle, et Sofia plongea dans un sommeil sans rêve qui oblitéra toutes ses pensées parasites...

[HRP : On repasse de nouveau en phase nocturne.]

[HRP : Oui bon, j'ai envie de tromper mon prochain

Alors je poste. Juste pour faire joli

]

Sofia faisait des cauchemars horribles où Lucien la poursuivait armé d'un hachoir en l'accusant de l'avoir tué. Sofia avait peur, tellement peur. Les couloirs de l'affreuse maison semblaient s'étirer sur des kilomètres, et elle ne savait plus comment lui échapper. Elle arriva devant une porte, l'ouvrit, puis la referma derrière elle. Elle poussa un hurlement en se retrouvant nez à nez avec la créature confectionnée avec des os. Cette dernière bougea son espèce de bouche dans un rictus grotesque et lança d'une voix monocorde : REDRUM REDRUM REDRUM... qu'est ce cela pouvait signifier ?

En sueur, mal à l'aise, Sofia se retourna dans le lit sans se réveiller.

Mais les rêves de Sofia se faisaient de plus en plus terribles : voilà maintenant qu'elle rêvait qu'elle était poursuivie par Lucien et que son fils était dévoré par la créature en os...

Sofia se retourna à nouveau. Décidément, dormir n'apportait pas tout à fait le repos espéré...

"Quelques pas dans le couloir... Ce n'est pas si grave... ?"

Sa propre voix résonnait dans sa tête, tourbillonnant au milieu d'autres chuchotements indistincts... "MEURTRE MEURTRE"...

L'impression d’oppression se fit finalement si forte qu'elle la tira de son sommeil, brutalement.

Sofia eut l'impression qu'on lui avait asséné un violent coup de poing dans le ventre. Elle était assise dans son lit, transpirante, le souffle court.

Et seule.

Quelle heure était-il ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Marjorie n'était plus là en tous cas.

Une fois ses plus vives émotions passées, et après avoir repris une respiration plus normale, elle alluma sa lumière de chevet. Le réveil indiquait 8h30.

Sofia s'extirpa du lit lentement, baillant de toute la force de sa mâchoire. Il était tard, et elle avait envie d'en savoir plus sur la sphère qu'elle avait découverte la veille. Elle s'assura d'un geste qu'elle était toujours là avant de s'habiller rapidement.

Son estomac gronda. Il était temps de se sustenter un peu... avant de se lancer à l'assaut du mystère des sphères... et de surveiller du coin de l'oeil Marjorie.

Sofia ouvrit la porte, s'engageant dans le couloir, prête à rejoindre la salle à manger.

Une doucereuse odeur de brioche fraiche et dorée s'imposa aussitôt à ses narines, à peine eut-elle entrouvert la porte. C'était à n'en pas douter l'heure du petit-déjeuner, et avec le peu qu'elle avait réussi à ingurgiter la veille, son estomac cria aussitôt famine.

Sofia fit quelques pas sur sa droite, en direction de la salle à manger, et découvrit la vaste table ovale richement décorée d'autant de mets variés et appétissants. Autour de la table, Nils, Roland, et la jeune fille prénommée Mylène de la troupe de théâtre étaient assis côte à côte. Sofia poursuivit son tour de table, et aperçut le docteur Dupré, la femme du banquier, Alice, ainsi que son mari, Gaston, qui paraissait en pleine conversation intime avec Émile. En revanche, aucune trace de Marjorie...

Son regard se porta aussitôt sur la table en elle-même : brioches, pain frais, chocolat, thé, café, oeufs, jambons, miel... qui ne manquèrent pas de lui arracher une douloureuse crampe à l'estomac. Quelques regards se tournèrent dans sa direction à son arrivée, auxquels elle répondit d'un discret et courtois sourire.

Elle eut cependant à peine le temps d'ouvrir la bouche qu'une sonnerie grinçante retentit d'un coin de la salle. Mais même si elle-même n'en avait jamais possédé, elle reconnut rapidement la sonnerie de cette machine que l'on nommait "téléphone".

Le coeur battant, Sofia s'assit à son tour à table après avoir salué les personnes qui y avaient pris place. Une fois assise, elle se servit une brioche avant de chercher du regard le fameux "téléphone", espérant de tout coeur que quelqu'un vienne le décrocher, Emile par exemple, histoire que ce vacarme cesse.

Finalement, Sofia identifia la provenance du son. Il n'y avait pas à proprement parler de téléphone dans la pièce. La sonnerie venait d'une petite cloche dans un coin de la salle.

Tandis qu'elle portait son regard sur le majordome, elle remarqua qu'il la dévisageait elle aussi. Pour elle ne savait quelle raison. Savait-il quelque chose... ?

"Émile ? Qu'est-ce qui sonne, comme ça ?", interrogea tout à coup le docteur, coupant court à ces nouvelles - et elle l'espérait, vaines - suspicions.

"C'est le téléphone qui sonne dans le bureau, précisa Émile, qui commençait à se lever. Veuillez m'excuser, le devoir m'appelle."

Le majordome fit une courte révérence, et s'éclipsa par les portes du fond.

Sofia pinça doucement les lèvres. Il allait falloir se méfier d'Emile. Lui aussi paraissait des plus étranges. Mais elle verra à son retour. Pour l'instant, il fallait se sustenter pour résister à la journée et... retrouver Marjorie, la garder à l'oeil. Autant faire d'une pierre deux coups.

Elle s'adressa aux autres convives attablés avec elle :

"Bien dormis ?"

Elle patienta quelques instants avant de demander à nouveau :

"Auriez-vous aperçu Marjorie par hasard ?"

"Marjorie ?", répéta le docteur.
"Vous voulez parler de la jeune fille qui s'occupe du linge ?, ajouta Alice. Il me semble l'avoir croisée tout à l'heure dans l'autre partie du château..."

"Alors, mademoiselle, vous avez bien dormi vous aussi ?, lança Nils. Ce palace est véritablement somptueux..."
"...et quelque peu angoissant", renchérit Roland.

Monsieur Chambernaud n'avait pas encore pris part à la conversation. Pas plus que la jeune Mylène, d'ailleurs, qui paraissait terrifiée au point de ne pas quitter les yeux de son assiette.
Le sourire sardonique du banquier et son regard méprisant posé sur elle y étaient-ils pour quelque chose ?

Il arrive toujours un moment où mettre les pieds dans le plat ne vous dérange plus. Généralement, c'est que vous avez passé un stade au dessus de la manière dont vous vous sentez habituellement, et les choses n'ont plus d'importance.
C'était un peu l'état d'esprit de Sofia en ce matin chagrin après la nuit atroce qu'elle venait d'achever. Marjorie pouvait attendre, un peu de distraction lui ferait le plus grand bien.

Mylène n'avait pas l'air d'aller bien. Le festival pouvait commencer :

"Vous êtes certaine que vous vous sentez bien, Mylène ?"

Elle marqua une pause bien sentie et ajouta :

"Vous êtes malade ?"

La jeune fille ne lui répondit pas.

Au contraire, elle se leva brusquement, et toujours sans un mot, quitta la salle à manger dans ce que Sofia crut distinguer comme étant un sanglot.

Que se passait-il ? Nils et Roland - ses compagnons de théâtre - ne semblaient pas plus informés qu'elle-même...

"Je ne sais pas ce qu'elle a, avoua Roland. Depuis hier soir, elle est particulièrement nerveuse..."
"La pauvre fille, avec toutes ces frayeurs de la soirée... Il faut la comprendre...", ajouta Alice.
"Vous voulez peut-être que j'aille voir si elle va bien ?", s'enquit le docteur.
"Avec plaisir, oui, répondit Nils. Je me demande vraiment ce qu'elle a..."
"A votre place, je ne m'inquièterai pas trop, railla Gaston Chambernaud. Cette gamine n'est qu'une hystérique..."

Personne n'osa relever la remarque du riche et puissant banquier.

La porte s'ouvrit tout à coup, laissant apparaître monsieur et madame Marquand, qui saluèrent l'assemblée avant de s'installer à table.

Sofia acheva d'enfourner une tartine sans dire un mot. Les gens dans cette maison, avait vraiment une attitude des plus étranges... et Mylène n'était pas la seule concernée. Le banquier qui la traitait d'hystérique méritait une belle gifle pour la remarque désobligeante qu'il venait de se permettre. Sofia n'en avait cure. Encore une espèce de notable bourré d'argent qui se prenait pour une espèce de sage philosophe... ce qu'il n'était pas, et ne serait jamais, très certainement.

Elle attrapa enfin une brioche et s'éclipsa le plus discrètement possible, à la recherche d'Emile, partant dans la direction dans laquelle il s'était évanoui quelques minutes plus tôt.

La pièce par laquelle était parti le majordome - et par laquelle étaient arrivés le notaire et sa femme, s'avéra être un immense salon. Canapés de cuir, table basse en bois taillé, tapis persans... Sur le mur du fond, à droite d'une nouvelle porte plus immense encore, une majestueuse cheminée dominait toute la pièce d'une tête de serpent mythologique en pierre sculptée, la gueule ouverte, les crocs dehors. Dans un léger renfoncement sur le mur de gauche, une porte - à taille plus humaine - donnait sans doute dans une autre pièce. Enfin, sur le mur de droite, un couloir sombre s'enfonçait vers l'inconnu.

Sofia tendit l'oreille, mais rien ne vint lui donner d'indice sur la direction qu'avait bien pu prendre le majordome.

A priori, elle était seule.

Qu'à cela ne tienne, autant explorer la pièce ? Sait-on jamais, elle pourrait peut être trouver une autre sphère avec un chiffre romain dessus...
Sofia se lança dans l'exploration du salon, avançant prudemment, tâchant de ne pas faire trop de bruit, et de ne pas attirer l'attention...
Peut être verrait-elle Emile revenir ?

Le salon en lui-même ne comportait rien de très intéressant. Du moins, rien qui n'aurait permis d'y dissimuler quelque chose.

Sofia s'attarda sur quelques tableaux, des portraits, qu'elle identifia de la Renaissance. Elle n'aurait su dire en revanche s'ils étaient authentiques, bien que la fortune de Lucien eut rendu cette option plus que plausible. De longues tapisseries richement brodées recouvraient aussi certains pans de mur, donnant une allure très médiévale à la pièce.

La jeune femme fit quelques pas en direction du couloir sinistre sur sa droite, et reconnut rapidement celui par lequel Émile l'avait conduite à son arrivée, la veille. Les mêmes colonnes, les mêmes chapiteaux aux têtes de gargouille... Il devait sans doute correspondre avec le hall d'entrée, et sa chambre par la même occasion.

Ce qui intrigua le plus Sofia fut la cheminée. Cette statue de pierre en forme de serpent, se dressant sur le linteau, semblait dominer la pièce d'un regard sombre et menaçant. Qui pouvait avoir idée d'installer quelque chose comme ça dans une pièce censée être conviviale...

La jeune femme sursauta tout à coup lorsque la porte de la salle à manger s'ouvrit.

"Oh, vous êtes là ?", s'étonna une petite voix.

C'était le docteur. Le choc de la surprise doublé de l'exotisme singulier du caleçon qu'il portait manqua de peu de faire exploser la jeune femme de rire.

"Excusez-moi, je ne fais que passer", ajouta-t-il en poursuivant son chemin en direction de la porte en face.

Sofia mima une profonde inspiration devant la peinture la plus proche d'elle, et salua le docteur d'un petit sourire.

Un courant d'air glacé fit bruisser sa robe lorsqu'il ouvrit la porte. Sofia attendit quelques longues secondes, scrutant les bruits de pas qui s'éloignaient, puis une fois assurée de sa solitude, reprit son inspection des lieux.

Cette cheminée était vraiment immense. On aurait pu y faire brûler l'équivalent de trois âtres d'une cheminée ordinaire. Elle-même aurait presque pu y tenir debout.

Elle était sur le point de s'intéresser d'un peu plus près à la statue qu'un nouveau bruit de porte la fit tressaillir. Cette fois en revanche, il s'agissait de la petite porte latérale.

Et celui qui venait d'entrer était Émile.

"Mademoiselle Stoän ?, lança-t-il en s'approchant. Tout va bien mademoiselle ?"

Sofia le regarda par dessus les épais verres de ses lunettes.

"Je... oui, je vais bien, enfin... autant que faire se peut, vous savez. Il n'y a pas vraiment de quoi se réjouir, je crois..."

Elle ne bougea pas d'un pouce, gardant le silence pendant plusieurs secondes.

"Mais vous Emile ? Vous êtes certain que tout va bien ? Je vous sens préoccupé."

Émile baissa les yeux, et s'approcha de la cheminée.

"Oui..., avoua-t-il. Je suis vraiment désolé, avec tous ces événements j'en perds tout mon bon sens. Je ne voulais vraiment pas vous offenser."

Le majordome saisit un tison près de l'âtre, et entrepris de tasser les cendres de la veille.

"Mais pour tout vous dire oui je suis inquiet, reprit-il enfin. Je me suis aperçu de quelque chose d'étrange à l'étage. Je me demande si..."

Il s'interrompit tout à coup, et se mordit la lèvre.

L'interroger plus en avant n'était sans doute pas le moyen le plus rapide de le faire partir, mais il était aussi possible d'en apprendre davantage...

Il fallait le retenir, lui donner confiance. Sinon, il ne resterait pas, il partirait et elle ne savait pas si elle aurait l'occasion de le rattraper.

Elle s'approcha de lui et posa doucement une main sur son avant-bras.

"Quelque chose a disparu ?" demanda-t-elle, tâchant d'adoucir à la fois sa voix et ses traits.

Le trouble d'Emile pouvait-il être lié à son escapade nocturne ?

La Couronne de Cuivre

[MP] Histoire : Ailyn