La Couronne de Cuivre

" Aaaaaaaaaaaah !" s'exclama l'homme qu'elle menaçait, sans pour autant bouger.
Les deux autres firent volte-face, armes brandies.
" Qu'est-ce que c'est que cet avorton ? s'exclama le chef du trio, épée pointée.
— Qu'est... Qu'est-ce qu'il veut ?"
A ce moment-là, Sissi glissa sur le sol et vint se placer entre les jambes du bandit immobile.
" Qu'est-ce que tu veux, gamin ? Tu ferais mieux de lâcher ton arme vite fait, avant de te faire mal !"

Oui, bon, évidemment, Claris n'était pas un gladiateur à l'imposante carrure, ce qui pouvait gâcher quelque peu l'effet… mais il y avait d'autres moyens d'effrayer ces sales types.

Par exemple, ce qui fut fait immédiatement, enfoncer quelque peu sa lame dans le cou de l'un des hommes, pour faire couler un peu de sang, et déclarer froidement :

« C'est plutôt vous qui devriez lâcher les vôtres. Sissi ? Montre-leur pourquoi… »

Si tout se passait bien, le serpent se chargerait d'effrayer, et d'occuper un instant, le chef de bande, laissant à Claris le loisir de se débarrasser de son otage et de s'en prendre à un troisième type mort de trouille… bon, c'était très ambitieux, mais néanmoins possible. Peut-être…

Si les hommes se montraient coopératifs, il serait également possible de les faire descendre l'escalier. Le reptilien, en bas, avait demandé trois tête, mais n'avait pas précisé qu'elles devaient être mortes, ni détachées du corps qui les tenait.
Et puis, l'escalier était suffisamment étroit pour empêcher deux ennemis de faire front en même temps, et être placer sur les marches les plus hautes avantagerait Claris. Ce serait donc un champ de bataille tout à fait potable s'il fallait combattre.

Au moindre signe que les choses tourneraient mal, l'enfant de Reuel se préparait également à jouer de sa dague. Ces bandits seraient bien plus aisés à atteindre que le cobra touché quelques instants plus tôt ; et cela leur montrerait – montrerait aux survivants, si son lancer s'avérait aussi efficace que ceux de son père – qui Claris risquait le plus de blesser avec ses propres armes.

Le chef du groupe n'avait manifestement aucune intention d'obtempérer et son acolyte garda son gourdin brandi. Quand le serpent surgit devant eux, le premier attrapa le second par l'épaule et le plaça devant lui.
" Ecrase cette bestiole, je m'occupe du gamin." grommela-t-il.
Sissi attaqua, vif et précis, mais l'homme claqua du gourdin sur le sol, déviant la trajectoire du serpent qui revint à l'assaut et évita le coup suivant. Pendant ce temps, le chef du groupe était revenu à Claris et il lui sourit, mauvais.
" Tu crois quoi ? Que parce que tu menaces de décapiter ce demeuré, tu vas m'émouvoir ? Coince-lui donc ta lame dans la nuque, ça me donnera le temps de t'embrocher proprement.
— C'est... c'est une blague ?"

« Je ne crois pas, non. »

D'un geste vif et précis, Claris frappa son otage aux jambes, dans le but de l'empêcher à la fois de venir en aide à ses camarades, si l'envie lui restait encore, et de s'enfuir, ce qui serait plus probable. Puis, s'écartant d'un bond, se tourna vers le chef de groupe, l'arme levée et prête à frapper.

Sissi parviendrait bien, et sans trop de risques, à occuper le troisième type un temps suffisant – il crevait de trouille, semblait-il, et le tremblement qui en résultait rendait ses coups d'autant moins précis. Le blessé hors de combat – au besoin, un coup de dague bien placé l'obligerait à se tenir tranquille –, ce serait donc un duel – et Claris avait la ferme intention de le remporter.

L'otage poussa un cri lorsque la lame le faucha dans les jambes et il s'écroula en hurlant sur le sol, les mains pressées contre ses jarrets sanglants. Le chef du groupe en profita pour se fendre, se souciant peu de son acolyte, et la jeune femme évita l'épée de justesse. Il y eut cependant un bruit d'étoffe déchirée et Claris devina que son costume avait souffert. Impossible de s'arrêter pour juger des dégâts dans les circonstances, néanmoins. Impossible aussi de regarder vers le serpent jaune et le dernier bandit : ils s'étaient décalés dans un coin de la pièce, hors de son champ de vision.
Le brigand était plus leste qu'il n'en avait l'air et il savait manifestement manier sa lame. Il avait l'air passablement agacé par cette diversion imprévue.
" Gamin, il y a dix hommes là au-dessus... dit-il au bout d'un moment, fatigué d'échanger des passes inutiles avec la jeune fille. Tu ferais mieux de te rendre."

« Dix hommes seulement ? »

Claris sourit, montrant clairement que ce nombre ne l'impressionnait nullement. Il y avait bien plus de serpents à l'étage inférieur, sans compter la créature qui semblait dotée de pouvoirs magiques. Bon, aucun d'entre eux ne viendrait à son secours, mais tout de même.

Celui-là, en tout cas, semblait tout à fait en mesure de se battre, et prendre le dessus sur lui à l'épée seule ne serait pas aisée – d'autant que trop tarder laisserait du temps aux renforts pour arriver. L'enfant de Reuel avait encore quelques dagues, et il était peut-être temps de s'en servir.

Reprenant l'échange de coups, Claris se mit en devoir d'aiguiller autant que possible l'attention de l'homme sur la pointe de sa lame, pour le distraire de ce qui se passait autour. Sitôt qu'il lui sembla que ses chances de succès étaient acceptables, un coup plus fort que les autres entraîna l'arme adverse sur le côté, tandis que son autre main lançait sa dague aussi fort que possible, espérant blesser son adversaire et le gêner ainsi dans ses mouvements.

La dague fit mouche, heurtant violemment le bandit à l'épaule gauche et se fichant dans son armure de cuir. Il poussa un juron formidable et attaqua la jeune fille de plus belle, aiguillonné par la douleur. Claris se retrouva bientôt dos au mur. La dague finit par tomber d'elle-même, libérant un flot de sang écarlate qui dégoulina sur la poitrine et le flanc du brigand. A leurs pieds, le premier des hommes rampait vers la sortie en geignant, laissant derrière lui une marque sinistre. L'homme qui combattait le serpent avait crié plusieurs fois, mais il était difficile à la Mélandienne, concentrée, de savoir si c'était de peur ou de douleur.
" Petite merde, je vais t'empaler sur ce mur..." grogna l'adversaire de la jeune fille.
Il était conscient de sa fatigue prochaine, de la blessure dans son épaule, de la nécessité d'en finir rapidement.

Il fallait coûte que coûte empêcher le premier blessé de s'enfuir. Claris avait déjà utilisé les dagues à ses poignets, et n'en avait pour cette fois aucune à sa ceinture : seules lui restaient celles attachées à ses chevilles, et la situation présente ne lui laissait guère d'occasion de se pencher pour les récupérer. C'était un geste auquel il aurait fallu penser aussitôt après avoir équipé Gérold…

Ils étaient donc deux à vouloir que le duel se termine aussi rapidement que possible… mais avec des idées opposées sur la tournure qu'il devait prendre, bien sûr.

« Essaye seulement, gros tas. »

Avec un sourire provocateur, Claris sembla baisser sa garde, attendant qu'il frappe pour plonger sur le côté, frappant au passage si la chose était possible, se libérant au minimum de sa position délicate. Une manœuvre risquée, mais qui, avec un soupçon de concours de Tymora, donnerait ses fruits…

Le brigand fut dupe, mais pas suffisamment pour qu'elle parvienne à le toucher efficacement. Par contre, elle se dégagea du coin où il l'avait acculée et se retrouva au centre du petit hall. L'autre bandit rampait toujours vers la sortie, Sissi semblait toujours aux prises avec le gourdin, et Claris entendit alors distinctement du bruit dans le couloir au-delà : d'autres personnes arrivaient apparemment en renfort. Le chef du trio lui décocha une grimace, levant la main gauche pour presser un instant sa blessure.
" Tu es dans la mouise, mon gars... Rends-toi et on se contentera peut-être d'aller te vendre à Virziw. Si on est obligés de t'attraper, on pourrait avoir des idées beaucoup moins comiques..."

Bon. Il fallait parfois reconnaître que les choses étaient assez mal engagées. Attaquer ces trois hommes ainsi de front avait effectivement été une folie… mais ça avait, au moins, été quelque peu amusant. Si les renforts ennemis arrivaient, l'heure était venue de se replier quelque peu.

Claris se fendit d'un rire méprisant, comme s'il était évident que l'homme ignorait ce dont il parlait.

« Que tu crois. Sissi, tu viens ? Voyons-voir jusqu'où ils oseront nous suivre… »

Se drapant dans sa noblesse, Claris recula lentement, l'arme toujours levée pour tenir l'ennemi à distance, laissant au serpent le temps de revenir à ses côtés, puis s'engagea prestement dans l'escalier.
Être sur les plus basses marches serait quelque peu désavantageux, mais cela contraindrait au moins ses adversaires à devoir lui faire face un par un, sans empêcher le serpent de combattre à ses côtés.
Dans le pire des cas, si le reptilien désirait trois têtes, Claris pourrait aussi bien les trancher devant lui.

Les hommes ne la suivirent pas dans l'immédiat. Les rochers obstruaient le passage et son poursuivant principal était nettement moins leste qu'elle. Elle resta donc dans la pénombre, sur les marches, reprenant peu à peu son souffle.
" Je suis moooort ! beugla alors l'homme dont elle avait méchamment blessé les jambes.
— Tais-toi, tu veux... Jed ?
— Bouse, cette bestiole m'a mordu au moins quatre fois... Je me sens mal... Je me sens... mal.
— Qu'est-ce qui se passe ici ?"
Un quatrième protagoniste venait de faire son entrée.
" Il y a un gamin dans l'escalier. Je ne sais pas d'où il sortait...
— Un gamin ?! Vous avez vu dans quel état vous êtes ?
— Surveillez cette issue. Je vais chercher de quoi le déloger... ou l'enterrer définitivement."

Profitant du répit, Claris détacha prestement ses deux autres dagues pour les fixer à ses poignets, où elles seraient plus accessibles.

« Quatre fois ? Bravo, toi, beau boulot. »

Claris avait parlé dans un souffle, continuant d'écouter les conversations ; ce qui ne l'empêcha cependant pas d'accorder une caresse à l'animal, en récompense.

Aux voix, c'était l'un de ceux ayant perdu le plus de sang qui s'apprêtait à partir, laissant un homme indemne à sa place. Pas un très bon échange… mais au moins, avait-il plus de chances que l'autre de s'écrouler avant d'avoir pu récupérer ce qu'il partait chercher, ni d'avoir ameuté d'autres personnes.

Remontant quelque peu, l'enfant de Reuel put profiter de la lumière des torches des brigands pour entrevoir ce qui se passait au dessus, tout en demeurant dans l'ombre de l'escalier. La dague suivante était dans sa main, n'attendant qu'une opportunité de frapper.

D'un ton enjoué, Claris lança « Bande de lâches… descendez, si vous l'osez… »

Mais les bandits ne répondirent pas à sa provocation. Elle entendit juste les gémissements de celui qui était blessé, toujours à terre.
" Quelqu'un va me soigner ? Non ? Je peux plus marcher, cette vermine, il m'a...
— Tais-toi. C'est superficiel. Tu ferais mieux d'essayer de comprimer la blessure...
— Je me sens maaaaal... répéta celui que Sissi avait attaqué. Je vois comme des... comme des... Aaaah..."
Un grand choc suivit : Claris devina sans peine que le troisième homme, hors de son champ de vision, venait de s'écrouler dans la poussière. Sissi, à ses pieds, semblait siffler de satisfaction, et lui jeta un coup d'oeil bleu tout à fait inexpressif.
" Bouse.
— Il... il est mort ?
— J'sais pas... J'vais pas voir... Ce diable est toujours là-dedans..."

Diable ? Oui, voilà une appellation qui lui seyait beaucoup mieux que gamin.

De sa position, Claris pouvait apercevoir le troisième homme. Armé, semblait-il ; mais cela ne suffirait pas à l'effrayer. Si vraiment, son précédent adversaire avait succombé à ses blessures, cela faisait déjà une tête qu'il n'y avait plus qu'à ramasser. Et les deux – voire trois – autres suivraient sans tarder.

« Tu es prêt à y retourner, toi ? »

Après une caresse au serpent, Claris remonta quelque peu davantage… et, avant de jaillir hors de l'ombre l'épée à la main, lança de toute ses forces son avant-dernière dague sur le seul de ses adversaires encore indemne.

Mais le troisième homme eut un bon réflexe, ou peut-être un coup de chance, et leva son épée devant lui au moment où la jeune femme surgissait. Sissi glissa alors entre les jambes de Claris pour se ruer vers le bandit, le distrayant quelques secondes, et la Mélandienne put reprendre l'avantage. Elle fit tant reculer son dernier adversaire qu'il finit par marcher sur le premier brigand, toujours à terre, et fut déséquilibré, tombant brutalement en arrière dans un cri. Le serpent en profita pour mordre violemment l'obstacle, dont les yeux se révulsèrent presque aussitôt, et qui cessa de bouger. Le dernier des brigands n'avait pas encore lâché son épée, mais assis dans la poussière, il constituait une cible autrement plus aisée à atteindre.

Décidément, ce serpent faisait un allié de poids. Claris finirait peut-être même par le regretter lorsqu'il resterait finalement auprès des siens, une fois Gérold et l'artefact récupérés. Restait à espérer que le reptilien, en bas, se satisferait du fait que deux des trois têtes promises aient perdu la vie par les morsures plutôt que par la lame… mais l'on verrait bien.

Debout devant son ultime adversaire, et avec la ferme intention de tuer celui-ci sans intervention extérieure, Claris eut d'abord recours à son ultime dague, visant la main qui tenait l'arme, avant de s'approcher pour frapper.

L'homme ne put se défendre et la dague lui entailla férocement les doigts, le forçant à lâcher son arme. Claris put ensuite se fendre et l'embrocher presque proprement avec son épée, la lui plantant directement dans le coeur, sans cruauté mal placée. La chose s'avéra plus difficile que prévue, car le cuir bouilli de la veste du brigand était solide et la demoiselle manquait de force, d'autant qu'il essaya, dans une ultime tentative de retarder l'inévitable, de dévier la lame de ses paumes. Mais la jeune femme avait pris son élan pour frapper et sa détermination fit le reste. Frappé à mort, le bandit poussa un cri étranglé, gigota un instant, puis s'immobilisa dans la poussière.

« Salue Jergal de ma part. »

L'homme cessa de bouger, tué par sa lame. Finalement, les choses s'étaient plutôt bien passées. Avec la très précieuse aide du serpent, sa trop grande témérité avait fini par porter ses fruits.

Claris s'appuya un instant au mur. La fatigue causée par le combat était plus importante qui avait été anticipé de prime abord. Mais aucune blessure ne semblait avoir entamé sa chair, alors que ses adversaires, eux, avaient succombé. Une très brillante victoire… qui laissait une impression curieuse.

Son premier réflexe, sitôt que ses muscles jugèrent bon de reprendre leur activité, fut de récupérer ses dagues, toutes trois traînant encore au sol. Puis de vérifier rapidement l'état de sa tenue, endommagée par l'épée du premier homme. Peut-être faudrait-il emprunter quelque pièce d'étoffe à l'un des cadavres pour respecter la décence.

Mais ce second point n'était sans doute pas le plus urgent. Le premier homme en question… s'il ne s'était pas effondré des suites de sa blessure à l'épaule, il allait revenir. Peut-être avec du renfort. En tout cas, avec ce qu'il faudrait pour empêcher de prendre l'escalier, et quoique Sissi ait été formidable, se retrouver au milieu des autres serpents sans pouvoir remonter n'était pas particulièrement du goût de Claris.

Que faire ? À tout hasard, commencer par sortir rapidement dans le couloir, pour tenter de voir ce qu'il en était…

Et c'est dans le couloir que se trouvaient les mauvaises nouvelles : elle tomba nez à nez avec trois bandits qui s'étaient approchés discrètement pendant qu'elle récupérait ses dagues. Et ils fondirent sur elle en un instant. Le premier portait une épée, le second un bâton et le troisième, nettement plus problématique, un grand filet aux mailles de corde grossière. Aucun des trois n'était le brigand qu'elle avait touché à l'épaule.
" Chopez-le !" s'exclama le premier en la prenant en chasse.
Ils étaient très près. Elle avait peu de chance de parvenir à se glisser entre les rocs qui protégeaient l'escalier sans être touchée.

Humpf. Sortir avait été une mauvaise idée…

D'un autre côté, le temps aurait de toute façon manqué pour découper les cadavres, ou pour les pousser dans l'escalier avant que ces trois-là ne surgissent ; mais ce n'était pas le genre de réflexion qu'il était temps d'avoir.

Claris battit brusquement en retraite, aussi vite que ses muscles fatigués le lui permettaient. Son seul espoir de leur échapper était de gagner les escaliers avant leur arrivée, abandonnant ses victimes précédentes.
Peut-être Sissi s'interposerait-il, lui faisant gagner quelques précieux instants ; mais Claris n'eut pas la présence d'esprit de l'appeler à l'aide.

Mais Claris ne vit nulle trace du serpent et lorsqu'elle déboula dans le petit hall, les corps encore allongés de ses victimes ralentirent sa course, comme elle tentait de les enjamber sans trébucher. L'épée de son plus proche poursuivant ne la toucha pas, et elle sauta lestement au-dessus du bâton qui tentait de la faucher. Comme elle l'avait craint, ce fut l'inoffensif filet qui se révéla l'élément décisif. Elle parvint à agripper le premier rocher, se prépara à l'escalader, puis les mailles lourdes lui tombèrent dessus, comme un oiseau posant ses serres sur ses épaules, et elle se retrouva prisonnière d'une toile géante. Il n'était pas impossible qu'elle parvienne à trancher l'une ou l'autre corde à l'aide de son épée ou d'une dague, mais les trois hommes étaient derrière elle et ne tarderaient pas à la saisir au travers de sa prison mouvante.

« Bougre de… ! »

Tymora lui avait sans doute trop accordé ses faveurs jusque là. L'épée toujours à la main, Claris tenta de se retourner. Il était hors de question de se laisser faire aussi aisément, et le premier type à approcher serait méchamment accueilli… mais, bien sûr, le filet l'empêcherait de riposter face à un coup de gourdin.
Il fallait se rendre à l'évidence (mais certainement pas aux bandits) : les ennuis débutaient sérieusement. Et Gérold ne serait pas en mesure de venir à son tour couper ses liens en retour.
Sissi interviendrait peut-être… mais le meilleur espoir de Claris était que les brigands ne prennent pas la peine de trop fouiller ses possession. Ils trouveraient peut-être les dagues attachées à ses poignets, mais n'avaient aucune raison de soupçonner qu'il y en avait également une à sa cheville. Enfin, l'on aviserait.

« Vous me paierez ça. »

On lui paya ça d'un bon coup de pied dans les côtes, qui envoya des ondes de douleur dans toute sa carcasse. Empêtrée dans le filet, son épée ne lui était pas d'un grand secours. Les mailles puaient la bête et Claris comprit qu'elle était prise comme les fauves qu'elle avait entrevus plus tôt. Si leurs crocs, leurs griffes et toute leur fureur n'avaient pu venir à bout du piège, elle avait peu de chance d'y parvenir aisément. Les extrémités du filet étaient lestées et lutter l'épuisait inutilement. Cette fois, le bâton lui heurta aisément les rotules. Elle avait deux possibilités : continuer à se débattre ou rendre, provisoirement, les armes.

Claris se retint de crier – cela leur aurait fait trop plaisir.

Que disaient les poèmes idiots qu'on lui faisaient apprendre autrefois, déjà ? Sire lion… prit dans des rets dont ses rugissements ne le purent défaire… patience et longueur de temps font plus que force ni que rage.

Ses doigts s'ouvrir lentement, comme contre sa volonté, et l'épée lui échappa. En fait, il semblait que c'était la conscience qui lui échappait. Compte tenu de sa frêle corpulence, et des dégâts qui, étaient-on en mesure de penser, lui avaient été infligés pendant l'affrontement précédent, il n'était pas déraisonnable de l'imaginer en train de s'évanouir.

À la vérité, bien sûr, ce n'était qu'un faux-semblant. Claris avait réussi, inexplicablement, sans doute, à sortir indemne de la bataille au cours de laquelle ses trois adversaires précédents avaient trouvé la mort ; et était tout de même en mesure de résister à deux coups de gourdins. Mais cela, ses nouveaux adversaires l'ignoraient, et c'était là une chance de s'en sortir.

Yeux clos, sans armes et dans une grimace de douleur, l'enfant de Reuel semblait ne plus réagir.

" Il est dans le chou... fit un des hommes en poussant la jeune fille du pied, la faisant légèrement rouler.
— T'as vu ça, il a tué Jed, Tobias et Max, je peux pas le croire.
— Y'avait un serpent, a dit Harold. J'le vois pas.
— On va lui faire sa fête... rapidement."
Claris entendit le son d'une dague qu'on dégaine du fourreau.
" Non. Il faut d'abord qu'on sache d'où il sort, pourquoi il est là... Attache-lui les mains et les chevilles.
— Pourquoi moi ?
— Pourquoi pas ?"
Claris sentit qu'on lui dégageait les jambes, rien de plus, du poids du filet. Un pied se posa en travers de ses omoplates, la clouant au sol, tandis que le premier bandit s'affairait à lui lier les chevilles.

Louée soit leur crédulité. Au moins, ils ne frappaient plus.
Le bruit de la dague l'inquiéta quelque peu – une arme courte, cependant, lui aurait, peut-être, laissé le loisir de riposter. Heureusement, ils choisirent une autre alternative.

Claris se laissa faire – pour l'instant. C'était dérangeant, mais pas encore problématique ; il serait toujours temps de riposter plus tard. Pour l'heure, il fallait surtout attendre qu'on retire le filet dans son ensemble.
L'épée était encore à portée de sa main, mais cela ne durerait sans doute pas. En revanche, les bandits ne semblaient pas se préoccuper de ses dagues, dans l'immédiat. En espérant que cela dure…

Ainsi, le survivant s'appelait Harold, et il avait réussi à tenir debout assez longtemps pour appeler à l'aide. Bon, il faudrait finir le travail un peu plus tard.
Où diable était passé Sissi ? Sans doute était-il caché quelque part, attendant, comme Claris, une occasion… à moins qu'il ne soit retourné auprès du reptilien, à l'étage inférieur ? Il pourrait témoigner par ses sifflements que les têtes demandées étaient prêtes à être livrées. Au moins, libéreraient-ils peut-être ce pauvre Gérold.

Dans l'immédiat, il fallait attendre… s'ils voulaient l'interroger, comment ces lourdeaux tenteraient-ils de lui faire reprendre conscience ?

Une fois qu'il lui eut lié les chevilles, le bandit attrapa la jeune fille par les jambes et la tira sans ménagement sur le sol, l'extrayant petit à petit du filet, mais l'écartant aussi définitivement de son épée. Elle sentit ses vêtements se relever autour d'elle, mais heureusement pas assez haut pour qu'ils ne dévoilent ce qu'elle n'avait nulle envie que les brigands découvrent. Le bandit lui saisit un bras, puis l'autre, et lui lia les poignets dans le dos. Se faisant, il découvrit les dagues, dont il la délesta rapidement, les envoyant d'un jet dans un coin de la pièce.
" Qu'est-ce qu'on fait des trois autres ?
— J'en sais rien. Laisse-les là pour l'instant. Amenons celui-ci au chef."
Claris se sentit soulevée puis jetée en travers d'une épaule, laquelle lui entra désagréablement dans l'estomac.
" J'arrive pas à croire qu'un avorton de ce genre ait pu tuer trois des nôtres !"
Et ils sortirent dans le couloir.

Que voilà une sortie peu glorieuse… pieds et points liés, sur l'épaule d'un brigand ; avec deux autres comme lui aux alentours. Plus qu'une seule dague, hors d'atteinte dans l'immédiat – au moins, lui en restait-il une.

Ses autres armes et les trois indispensables cadavres, au moins, demeureraient sur place : sitôt qu'il serait possible de se libérer, il serait envisageable de retourner dans les profondeurs. Les serpents lui avaient rarement autant manqués…

L'idée de rencontrer le chef ne l'enthousiasmait bien sûr pas le moins du monde, mais les possibilités d'y couper semblaient limités. Néanmoins, Claris ouvrit très légèrement et discrètement les yeux, comme une fillette épiant les activités nocturnes, espérant pouvoir au moins situer ses ennemis aux alentours sans se faire repérer.

L'homme qui la portait marchait en tête, suivi par ses deux comparses. Ils tournèrent dans le couloir fréquenté, passèrent devant la porte de Gérold, toujours close, puis gagnèrent le bureau que Claris avait entraperçu plus tôt.
" Où sont les autres ? fit une voix, mécontente.
— Ils sont tous raides.
— Mais vous l'avez eu, ce merdeux."
Claris entendit quelqu'un se lever et une main se posa sur son postérieur.
" Il est juste dans le gaz..."
Le brigand qui la portait la fit glisser de son épaule et la lâcha sur le sol sans ménagement. La pierre était dure et la jeune fille sentit sa tête rebondir désagréablement. Heureusement, il ne l'avait pas jetée de très haut. Un pied s'enfonça à nouveau dans son ventre, le tâtant.
" C'est vraiment un gosse. D'où sort-il ?
— Un gosse qui se défend rudement bien à l'épée.
— Fouillez-le, il a peut-être quelque chose qui nous permettrait de l'identifier."

Aïe. Ça aussi, ils allaient le payer.

L'identifier ? Les signes distinctifs de Claris, ils les lui avaient enlevé un instant plus tôt – il s'agissait des armoiries familiales sur ses lames. Tout le reste de son équipement était neutre – l'anneau lumineux n'avait rien de bien exceptionnel, et le sifflet à son cou n'était identifiable que par les membres de sa famille.
Il restait bien une dague, accrochée contre sa cheville, mais ils ne la trouveraient pas – il faudrait avoir l'idée de venir chercher contre les cordes enserrant ses pieds.

Qu'auraient-ils fait en apprenant son identité ? Son père et son oncle n'étaient pas sans une certaine réputation, et l'on n'osait généralement pas s'en prendre à eux sans de solides appuis… cependant, on pouvait sans doute en dire autant de la famille de Vainevie, ce qui ne les avait pas empêché d'enlever Gérold.

Rageant intérieurement, Claris continua cependant de feindre l'inconscience – ils ne perdaient rien pour attendre.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Un vieux temple et beaucoup de sable