La Couronne de Cuivre

Aucun des centaures ne répondit à sa question. Le mâle demeura silencieux, la femelle resta aux aguets, à nouveau debout. Dès qu'Astrée eut terminé d'écrire, elle lui prit l'écorce des mains et partit au chevet du mâle gris. Elle le secoua, une main sur l'épaule, et il se redressa. Il était encore pâle, et même à distance à laquelle elle se trouvait, la rôdeuse reconnut les signes de la fièvre, dans ses cheveux noirs qui lui collaient aux tempes, dans la sueur qui lui couvrait le front, dans les frissons qui l'animaient de temps en temps. Il prit cependant le temps d'examiner l'écorce et hocha la tête, avant de la lui rendre et de se recoucher. La femelle repartit de l'autre côté du feu. Astrée la vit verser une poudre sur ses mots, secouer l'écorce, puis la rouler précautionneusement. Elle la fixa ensuite sur la hampe d'une flèche, échangea quelques mots avec le mâle roux, puis s'éloigna dans la forêt, l'arc sur l'épaule.
La jeune femme avait désormais les mains libres, à défaut des chevilles. Même s'il ne la regardait pas, le mâle roux veillait, cependant, elle ne pouvait l'ignorer.

Astrée observait les gestes de la femelle avec davantage de curiosité que de crainte. Elle s'attendait à servir de messagère, donc à se trouver bientôt libre de ses mouvements. Aussi fut-elle stupéfaite de la voir s'éloigner avec son arc. Et inquiète, également. Ils donnaient deux jours aux villageois pour leur obéir... Mais pourrait-elle leur faire parvenir avec certitude le message ? Oui, sans doute. Seulement... Que se passerait-il si eux aussi ignoraient quelle était cette faille dont ils parlaient ? Elle-même, en tout cas, n'avait pas la moindre idée de ce dont il pouvait s'agir. Et ses ravisseurs ne semblaient pas vouloir la renseigner à ce sujet. Était-ce cela qui les rendait si vindicatifs à l'égard des villageois ? Elle aurait bien voulu comprendre... Et leur dire, aussi, qu'elle n'avait rien à voir avec cette histoire, qu'elle n'était pas d'ici, qu'elle n'avait rien à se reprocher. Mais ils s'en moqueraient, certainement.

Elle soupira. Elle resterait donc leur prisonnière. Il était inutile de vouloir s'enfuir, elle le savait. Elle n'osait même pas essayer de se détacher les chevilles. Mais pourquoi donc la gardaient-ils ici ? Ils avaient déjà une otage... Un coup d'oeil au mâle gris, secoué de tremblement, lui suggéra que peut-être ils estimaient tout simplement avoir besoin à nouveau de ses talents de guérisseuse. Ou peut-être était-ce pour une autre raison qu'elle découvrirait plus tard. Elle soupira, et fit mentalement l'inventaire de ses plantes. Il devait lui rester de quoi faire baisser la fièvre.
Elle hésita. Elle pouvait proposer de préparer une décoction. A la fois pour leur prouver sa bonne volonté, et parce qu'ils avaient promis de la tuer s'il mourrait. Elle s'efforça de surmonter l'appréhension qui lui nouait la gorge à chaque fois qu'elle devait affronter le roux du regard, et de parler d'un ton aussi calme et conciliant que possible. Après tout, il lui avait offert à boire, il n'était donc pas que colère et haine.
- Si vous voulez... Je peux préparer encore de quoi le soigner. Il va en avoir besoin.

Il ne répondit pas, comme s'il n'avait rien entendu, et demeura immobile. Pour une créature qui avait semblé débordante d'une énergie meurtrière la veille, il semblait étonnamment capable de ne pas bouger, parfaitement maître de son corps. Les minutes s'égrenèrent, rythmées par les craquements de la braise, le chant des oiseaux insouciants, le souffle du vent dans les branchages. Ils semblaient perdus dans une nature tranquille, à mille lieues de la violence qu'Astrée avait contemplée le jour précédent.
Le mâle gris roula sur le dos, une seconde, exposant son ventre clair. Il semblait à nouveau délirer, murmurant des mots indistincts. Astrée vit l'expression du roux se crisper, la tension se dessiner sur son front et dans ses mâchoires. Puis il se leva et vint jusqu'à elle. Il la surplomba un moment, mais son regard était fixé loin au-dessus d'elle, dans l'écorce de l'arbre au pied duquel elle était assise. Il se pencha ensuite, toujours sans baisser les yeux, et la souleva par la taille, la prenant sous son bras comme si elle avait été un sac de grain ou un petit tonneau. Il l'emmena jusqu'au chevet du gris et l'y déposa, sans douceur mais sans brutalité excessive. Puis il retourna se coucher à sa place, sans un mot.

Apparemment, il l'évitait du regard autant qu'elle s'efforçait de le faire vis-à-vis de lui. Et il n'avait pas réagi quand elle avait proposé de préparer un breuvage. Peut-être n'avait-il pas compris ? Ou peut-être ne voulait-il pas s'abaisser à lui répondre. Elle espérait qu'il n'était pas trop tard maintenant...
Elle reprit sa sacoche d'herbes médicinales, sélectionna celles qu'elle savait efficace contre la fièvre. Il fallait y adjoindre un dépuratif, pour continuer de combattre le poison. Tilleul, saule blanc, sureau, eucalyptus. Un peu de salsepareille en complément. Six ou sept fois plus que pour un humain. Et il lui fallait de l'eau, également.
Elle leva les yeux vers le mâle roux, et soupira. Elle n'osait pas lui en demander. Il ferait la sourde oreille, ou lui décocherait un regard meurtrier. Ou peut-être ne comprendrait-il pas. Elle finit par repérer l'outre, abandonnée quelque part au sol, et s'en alla en sautillant la récupérer. Il aurait été tellement plus simple de se détacher les chevilles. Peut-être ne s'y opposeraient-ils pas, après tout, si elle promettait de ne pas fuir ? Elle soupira. Elle n'osait pas tenter la moindre chose sans avoir leur autorisation, et se sentait lâche et honteuse de ne même pas oser la quémander. Et puis, elle sentait bien que non, ils ne voulaient pas lui laisser davantage de liberté de mouvement que ce qui était indispensable.
Elle sautilla à pied joint pour revenir vers le blessé, s'assit sur les talons et s'affaira en silence à préparer le breuvage. Ne pouvant faire infuser les plantes dans l'eau bouillante, il aurait fallu attendre plus longtemps, sans doute. Mais elle n'avait pas le temps d'attendre. Comme la nuit précédente, elle en prépara une grande quantité. Elle lui en donnerait tout de suite une partie, débris de feuilles inclus, et puis le reste, mieux infusé, plus tard.
- Buvez..., fit-elle avec douceur en approchant la décoction de ses lèvres. C'est pour faire baisser la fièvre.

Il se redressa tant bien que mal pour boire le breuvage. Il grimaça à nouveau en le goûtant, mais en ingurgita la quantité que la rôdeuse estimait nécessaire, sans se faire prier. Il avala avec un frisson. Il demeurait très pâle et Astrée nota que le bandage de fortune qu'elle avait placé plus tôt sur sa plaie était marqué d'un cercle rouge : le sang avait percé.
" Merci." souffla alors le centaure, à voix basse, tout en jetant un regard inquiet en direction du mâle roux.
Mais celui-ci fixait son feu sans les regarder. Le centaure gris sourit doucement, poussa un profond soupir, puis se recoucha, repliant un bras devant ses yeux pour les protéger de la lumière, dans une position étrangement humaine.

Son simple mot de remerciement lui avait mis un peu de baume au cœur, et elle se surprit à lui rendre son sourire, un pauvre sourire grimaçant tout de même. Ce centaure était nettement moins vindicatif que ses comparses. Plus... cultivé, aussi, si toutefois ce terme pouvait s'appliquer à des centaures, puisqu'il savait lire. Mais elle n'ignorait pas que c'était le roux qui était le mâle dominant : s'il s'avisait de vouloir la tuer, nul ne s'y opposerait. Elle devait à tout prix éviter d'éveiller sa colère.
- Je vais vous changer votre pansement. Ne bougez pas...
Avec toute la douceur possible, elle défit le bandage, espérant ne pas rouvrir la plaie. Elle prit le temps d'observer plus attentivement celle-ci, à la recherche de signes d'infection. Puis, trouvant un minuscule morceau de savon, elle s'efforça de nettoyer la blessure plus efficacement que la veille : elle avait les idées plus claires, et il faisait jour. A nouveau, elle l'enduisit du baume cicatrisant d'Isudë, puis mâcha consciencieusement des herbes amères susceptibles de combattre un début d'infection qu'elle posa, en guise d'emplâtre, sur la blessure. Elle les maintint à l'aide de sa dernière bande de tissu propre, et ficela l'ensemble avec un nouveau morceau des vêtements du centaure.
Elle finit par s'asseoir, entourant ses genoux de ses bras. Elle savait avoir fait le maximum. Elle touilla sa décoction, encore un moment. La première prise ne devrait pas tarder à faire un peu d'effet, mais elle préférait en avoir d'avance. Et plus elle infusait longtemps, plus elle serait efficace. Elle se garda bien de tourner la tête vers le mâle roux.

Le mâle gris endura les soins avec le même stoïcisme que durant la nuit, bien qu'Astrée devine toujours, à la tension dans son corps, qu'il souffrait beaucoup. Il lui sembla cependant qu'il avait la peau moins brûlante, et la blessure, encore sanglante, ne présentait nul signe d'infection. Elle perçut, à sa respiration, au relâchement dans ses épaules, qu'il était en train de s'endormir. A nouveau, le temps s'écoulait autour d'elle, tandis qu'elle fixait le corps gigantesque, à la fois difforme et harmonieux, de la créature. Plus tard, alors qu'elle somnolait à son tour, elle entendit le pas de la femelle revenant de sa mission. Les deux autres centaures échangèrent quelques paroles à mi-voix, puis la femelle s'approcha. Elle regarda d'abord le mâle, ensuite Astrée. Il n'y avait nulle trace de fléchissement dans son expression, toujours la même rage à peine contenue.
" Quand pourra-t-il se lever ?" demanda-t-elle froidement.

Astrée écarta les bras en signe d'ignorance.
- Je ne sais pas...
Elle n'était pas clerc, pas guérisseuse non plus. Elle savait quelles herbes utiliser, et encore, pas forcément dans quelles proportions, et elle savait soigner une blessure relativement superficielle, mais son savoir s'arrêtait là.
Mais craignant que sa réponse trop évasive ne mécontente la femelle, elle ajouta immédiatement:
- Il va mieux, la fièvre baisse. Il faut continuer à lui donner du breuvage régulièrement, mais je pense qu'il est tiré d'affaire. Maintenant, il faut surtout qu'il reprenne des forces, qu'il se repose...
Elle espérait de tout cœur dire vrai. Parce que sa propre vie en dépendait, mais aussi parce qu'il ne semblait pas partager l'état d'esprit des deux autres, leur haine viscérale. Elle voulait qu'il vive.
- Peut-être... demain..., conclut-elle avec un haussement d'épaule incertain.
Elle ignorait tout des capacités de résistance de leur espèce. Le blessé supportait la douleur avec un stoïcisme à peine concevable, et sa masse corporelle l'aidait certainement à résister bien mieux qu'un humain aux atteintes du poison. Mais combien de temps faudrait-il à son organisme pour s'en débarrasser totalement ?

La femelle se tourna vers le mâle roux. Il lui dit quelque chose dans leur langue et elle rebaissa les yeux sur la jeune femme. Son sabot gratta le sol, reflétant sa nervosité.
" Retourne près de ton arbre." lança-t-elle à la rôdeuse.
Puis, constatant qu'Astrée avait encore les chevilles liées, elle les lui détacha d'un coup de couteau.
" Ne tente rien ou je te ferai regretter d'avoir jamais vu le jour." lui dit-elle en la fixant de ses yeux bruns.

Astrée hocha la tête en silence, frissonnant de peur malgré elle. Elle savait bien qu'elle ne devait rien tenter, elle n'était pas totalement stupide. Quoiqu'elle fasse, où qu'elle aille, ils auraient tôt fait de la rattraper de toute façon. Et de la tuer. Elle le lisait dans leur regard qu'elle osait à peine croiser. Il n'y avait que le gris qui semblait moins haineux. Il fallait à tout prix qu'il vive... Même si elle ne se faisait pas la moindre illusion quand à ses capacités d'infléchir l'attitude de ses congénères.
Mais tout de même, avoir les chevilles déliées était un net progrès. Elle tituba jusqu'à l'arbre qu'ils avaient désigné comme étant le sien, peinant à retrouver l'usage de ses jambes ankylosées. Et s'assit à nouveau, le dos appuyé contre le tronc, étalant cette fois-ci ses jambes avec soulagement. Elle évitait soigneusement de regarder dans la direction de ses geôliers, mais observait régulièrement, de là où elle était, l'état du blessé. Au moindre signe de fièvre, il faudrait qu'elle le fasse boire à nouveau. En demandant la permission des autres, évidemment.
En attendant elle avait tout le loisir de méditer sur sa situation, de se poser mille et une question. Où avaient-ils emmené Madeleine ? Ils n'étaient que quatre centaures, à ce qu'on lui avait dit, une femelle grièvement blessée, peut-être morte, et eux trois. Avaient-ils des congénères que les villageois n'avaient pas repérés ? Avaient-ils laissé l'enfant seule quelque part ? Pauvre gosse... Même si elle avait une affinité naturelle avec la nature, la capacité de ressentir la présence et l'état d'esprit des animaux, ce devait être bien angoissant pour elle. Surtout si elle percevait leur haine.
Mais elle savait qu'il était inutile de les questionner à son sujet : ils ne répondraient pas. pas plus que pour la faille. Elle n'était là que parce qu'ils voulaient qu'elle soigne le blessé. Et lorsqu'il irait mieux... elle préférait ne pas songer à l'éventualité qu'ils décident finalement de la tuer. Avec un peu de chance, ils se contenteraient de la chasser de leur territoire. Peut-être...

La femelle noire avait ramené deux oiseaux ventrus, des perdrix, de ses pérégrinations et elle se mit en devoir de les plumer consciencieusement. Le silence relatif de la forêt était retombé sur leur petit bivouac. Le centaure gris respirait doucement, manifestement endormi. Aucune trace de Madeleine, aucune trace des pisteurs Montequins, aucune trace de... mais si... Astrée sentit un léger frôlement sur son âme, une caresse timide dans son esprit, puis une image de pomme de pin ventrue s'imprima dans son regard. De l'inquiétude. Des questions qui ne pouvaient se formuler par des mots. Impressions, émotions furtives. Il y eut un frémissement dans l'arbre juste au-dessus d'elle et elle devina qu'un écureuil particulier l'observait, circonspect, hésitant à lui sauter sur les genoux.

Astrée observait les préparatifs du repas avec une douleur sourde à l'estomac. Elle avait tellement faim. Pourvu qu'ils lui en donnent une part... Oui, ils le feraient certainement, ils lui avaient bien donné de l'eau après tout. Elle n'arrivait pas à détacher ses yeux des perdrix. Elle en oubliait même de réfléchir aux myriades d'hypothèses concernant Madeleine, la faille, ou le sort qui l'attendait. Elle faillit même négliger ce frôlement si ténu dans son esprit... Prince.
La surprise la fit tressaillir, puis son visage s'illumina et elle tendit les bras pour le recevoir, petite boule de fourrure rousse. Elle le serra quelques instants contre elle, caressant le sommet de son crâne, et ouvrit son esprit au sien, partageant sans retenue les sensations qui l'assaillaient, le soulagement et le bonheur de le voir ici. Il n'avait pas à s'inquiéter pour elle, elle était vivante, elle allait bien, pour le moment en tout cas. Et ils ne lui feraient certainement pas le moindre mal, à lui. Elle était si heureuse qu'il ait fugué pour la retrouver...
Elle jeta un regard vaguement inquiet vers les centaures. Ils n'allaient tout de même pas s'alarmer de la présence d'un écureuil sur ses genoux ? Mieux vaudrait, tout de même, qu'il se glisse rapidement sous ses vêtements...

Astrée était peut-être ravie d'avoir retrouvé son familier, mais les centaures n'étaient pas nés de la dernière pluie, et l'apparition de l'animal eut un effet immédiat et plutôt spectaculaire : le mâle roux se leva brutalement. Ce fut cependant la femelle noire qui intervint, comme à son habitude. En trois foulées, elle était sur la rôdeuse, qu'elle agrippa par le col et souleva violemment.
" Est-ce qu'il a été suivi ? Parle, humaine, ou je t'arrache la tête !"
L'écureuil poussa toute une série de pépiements outrés et Astrée le sentit sur le point de se transformer en cheval. Il était cependant beaucoup plus petit et léger que les centaures et ne ferait pas le poids en cas d'affrontement.

Astrée blêmit, et supplia de toutes ses forces Prince de rester écureuil, et de filer se réfugier dans l'arbre, ou plus loin. Toute à sa joie, elle ne s'était pas méfiée, persuadée qu'ils ne le considéreraient que comme un banal animal. A tort. Le manque de sommeil et la faim lui brouillaient les idées.
- Ne lui faites pas de mal... Ce n'est qu'un écureuil ! Et...
Elle eut envie de dire qu'elle l'avait juste attiré avec des miettes de pain, mais c'était un mensonge trop stupide. Aussi s'en tint-elle à la vérité.
- Personne au village ne sait que j'ai un ami écureuil. Je ne suis pas d'ici...

" S'il disparait, je te tue. Fais en sorte qu'il reste avec toi et en vue, à tout moment." lâcha la jument en la repoussant au sol d'un ton rageur.
L'écureuil poussa à nouveau une série de cris furieux, défiant le centaure comme un chat hérissé. Il était plus petit qu'un seul sabot de la femelle et Astrée devina qu'elle hésitait à lui en flanquer un bon coup. Mais elle rompit l'affrontement et retourna vers le mâle, lentement. Celui-ci s'était recouché mais la rôdeuse sentait que cette fois, il la fixait sans réserve.

Astrée retomba lourdement sur le sol et baissa la tête, découragée, caressant d'un geste machinal l'écureuil roux, essayant de le calmer, lui enjoignant, aussi, de rester écureuil. Elle n'avait pas réfléchi... Elle n'avait pas songé une seule seconde que l'animal pouvait avoir été suivi, que ce serait en tout cas l'idée qui viendrait à l'esprit de ses ravisseurs. Si elle lui avait demandé de rester caché, il aurait pu explorer les environs, peut-être repérer Madeleine, l'aider à fuir même. Et elle venait de gâcher cette chance unique. Dommage qu'il n'ait pas fui immédiatement en voyant les centaures, elle aurait prétendu qu'il était trop terrifié et qu'elle n'arrivait pas à le convaincre de revenir. mais ils ne l'auraient peut-être pas crue après tout. Si seulement les centaures n'étaient pas si méfiants... Et si elle-même l'avait été davantage... Voir le mâle gris se remettre peu à peu l'avait rendue trop confiante, trop optimiste. Et l'endroit était trop paisible. Elle en était venue à négliger presque à quel point ils se défiaient d'elle, à quel point il la haïssaient.
Elle s'appuya au tronc et ferma les yeux. Pour ne pas voir la nourriture qu'ils préparaient, pour ne pas lire la haine dans leurs yeux surtout. Si au moins, en voyant qu'elle n'avait pas cherché à cacher son familier, ils interprétaient cela comme une preuve de bonne volonté, de sincérité... mais non, apparemment rien ne pourrait jamais les convaincre qu'elle ne constituait pas une menace pour eux. Elle était une humaine après tout. Elle soupira. Sa situation lui apparaissait désespérée. Pourtant, objectivement, elle savait bien qu'elle ne l'était pas davantage qu'une heure plus tôt.
Elle devait cesser de se torturer l'esprit avec des "si". Ce qui était fait était fait.
Était-il possible qu'il ait réellement été suivi ? Qu'il se soit transformé devant Hugo, par exemple, et l'ait guidé ? Non, elle était certaine que non. Il ne se serait pas transformé devant un inconnu. il avait fugué seul pour lui venir en aide. Et il s'était bêtement fait prendre à cause d'elle. Et de toute façon, mieux valait, pour elle et pour Madeleine, que personne ne l'ait suivi.

Prince était plein d'hostilité mais il paraissait également comprendre, dans une certaine mesure, que la situation était dangereuse, aussi s'installa-t-il sagement sur les genoux de la jeune femme, s'offrant à ses caresses. Il n'était cependant pas source d'apaisement, en dépit de sa douceur. Il aurait bien mordu le jarret du premier mastodonte passant à sa portée. Ou bondi dans un oeil trop curieux. Quelque chose de belliqueux, en tout cas, et ses pensées désordonnées roulaient dans l'esprit fatigué d'Astrée.
Les centaures mangèrent effectivement sans rien lui proposer. Au bout d'un certain temps, la sensation de faim s'estompa cependant, se réduisant à un élancement sourd dans son ventre. Mais elle se sentait faible et la tête légère.
Les heures se succédèrent dans cette étrange torpeur. La femelle noire se leva plusieurs fois, tantôt pour se porter au chevet du mâle gris, tantôt pour disparaître un moment dans le sous-bois. Le mâle roux était de pierre. Le gris bougeait de temps en temps, lentement, mais ne semblait plus délirer.
En fin d'après-midi, alors que le ciel s'assombrissait déjà, les trois animaux eurent cependant une conversation animée. Le gris s'était relevé, plus vaillant, reposant désormais sur son corps équin, le buste dressé. Il paraissait en total désaccord avec le roux, tandis que la femelle se contentait de les observer, défiante. Le mâle dominant parut asséner ses arguments jusqu'à ce que le gris secoue la tête, renonçant. La femelle noire contourna ensuite le feu pour venir vers Astrée.
" Lève-toi. Nous partons."
Derrière elle, le mâle roux recouvrait leur feu de terre, en étouffant flammes et tisons, tandis que le gris se mettait debout, la main pressée sur le flanc. Mais son corps de cheval était indemne et il parut capable de tenir sur ses pattes.

Astrée avait observé les allers-retours de la femelle d'un oeil songeur, se demandant si elle allait voir la petite fille, qui en ce cas ne devait pas être très loin. Il faudrait qu'elle demande à Prince s'il l'avait aperçue. Et à quelle distance était le village. Mais avant qu'elle ne se décide à creuser le sujet, elle vit le gris se relever. Elle observa la discussion qui s'ensuivit avec une inquiétude sourde. Le mâle gris semblait bien rétabli, ce qui la soulageait et l'inquiétait à la fois. Ils n'auraient donc plus besoin d'elle. Peut-être statuaient-ils sur son sort ? Le mâle roux, en tout cas, semblait imposer son point de vue. Elle aurait instinctivement préféré que ce soit l'autre...

Elle soupira. Le contact de Prince, colérique, ne l'avait en rien apaisée. Par moment, elle partageait sa colère. A d'autres, le découragement l'emportait. Elle se sentait faible, au bord du vertige. Le soir allait tomber et elle n'avait rien avalé depuis... elle ne savait même plus depuis quand, tiens. La perspective de la nuit la fit penser un instant à Reynald, qui peut-être avait tenté de la contacter quand elle était inconsciente, qui peut-être devait s'inquiéter. Avec raison. Plus elle réfléchissait, et plus elle se demandait si elle avait la moindre chance de sortir vivante de tout cela. Parce que finalement... quelle raison auraient-ils de la garder en vie ?
C'est d'un oeil morne qu'elle regarda la femelle approcher. Ils partaient. Elle hocha la tête, résignée. Presque surprise qu'ils l'emmènent avec eux. Pour quoi faire, à présent ? Elle demanda à Prince de s'enrouler autour de son cou et se leva, fragile sur ses jambes. Elle jeta un oeil inquiet au blessé, évitant soigneusement le regard du roux.

Le mâle gris paraissait peu vaillant, mais il emboîta le pas du roux. Celui-ci avait à nouveau son épieu et avait passé un sac de cuir sur son épaule. La femelle poussa Astrée devant elle, puis saisit son arc et y encocha une flèche. Ils s'ébranlèrent ensuite dans le sous-bois, aux aguets, scrutant les taillis, s'immobilisant de temps à autre pour écouter, simplement, le souffle du vent et les craquements de la forêt. Astrée ne tarda pas à avoir la confirmation de ce qu'elle avait supposé : l'ombre qui tapissait le fond du bois était de pierre. Peut-être était-ce le mur auquel Montequine était adossé, peut-être pas. Ils ne s'en approchèrent pas davantage, demeurant sous le couvert des arbres. Les centaures semblaient savoir où ils allaient. Le gris avançait lentement, s'appuyait souvent sur un tronc pour se soutenir, et le roux s'arrêtait pour ne pas les distancer. Astrée avait donc moins de mal à soutenir leur rythme. De temps en temps, elle sentait l'ombre de la femelle, juste dans ses pas, mais cette dernière ne la bouscula pas, pas plus qu'elle ne lui adressa la parole. La nuit était en train de tomber, l'air se refroidissait, et une première goutte traversa la canopée pour venir toucher la joue d'Astrée. La nuit serait humide.

Sortir de la torpeur de la clairière, pour se mettre en marche, rendit paradoxalement un peu d'énergie à Astrée. Énergie n'était sans doute pas le terme approprié, tant elle se sentait faible sur ses jambes. Un peu de volonté, plutôt. Ou peut-être était-ce le contact de Prince en colère qui lui donnait un regain de combativité. Toujours est-il qu'elle se surprit à se demander si son étalon pourrait distancer un centaure à la course. Si jamais elle avait l'occasion de se trouver un peu à distance d'eux, d'échapper quelques instants à leur vue... pourrait-elle fuir sur le dos de Prince ? Il faudrait qu'elle guette l'occasion. Peut-être lorsqu'ils dormiraient ? Ils dormaient bien, non, parfois ? Mais ils monteraient la garde à tour de rôle. Inutile de rêver... Sauf si le gris était de garde : elle pouvait essayer de glisser un somnifère dans sa potion. Mais elle doutait de savoir doser les plantes correctement.
Elle soupira. Elle ferait mieux d'éviter de faire ainsi des plans irréalistes. Ils se défiaient beaucoup trop d'elle pour lui la moindre chance de ce genre.

Elle observait les mâles devant elle, sans guère se soucier de la femelle qui la suivait. Le gris était encore bien faible. Peut-être était-ce pour cela qu'ils la gardaient avec eux ? Mais ensuite ? Tentant d'analyser froidement les choses, elle se dit qu'ils semblaient considérer tous les humains comme des ennemis. Ce qu'ils étaient, sans nul doute, par ici, puisqu'ils organisaient des battues pour les éliminer. Donc... Elle devait partir du principe qu'ils la tueraient dès qu'elle ne leur serait plus utile. Le gris, peut-être, ne l'aurait pas tuée. Mais les autres, si, sans doute. Malgré le fait qu'elle se soit soumise à leur volonté, qu'elle ait soigné de son mieux leur congénère, qu'elle ne soit pas d'ici... Elle n'arriverait pas à infléchir leur haine envers elle. Leur attitude n'avait pas évolué d'un pouce depuis la veille. La fuite était donc sa seule chance de salut. Mais en aurait-elle jamais l'occasion ?
Bon, dans l'immédiat, tout cela ne changeait rien à sa situation : elle devait continuer à obéir, éviter de les mettre en colère, tenter d'endormir leur méfiance à défaut de gagner leur confiance.
Elle observa un moment, elle aussi, les fourrés, guettant un éventuel danger, avant de réaliser qu'en compagnie de si formidable bêtes, elle ne risquait probablement rien. Aucun prédateur ne s'y frotterait. Excepté des humains, peut-être, mais ils n'agiraient pas de nuit et ne prendraient pas le risque qu'une otage se fasse tuer. Donc, non, elle ne risquait rien pour cette nuit.

Ils finirent par emprunter un chemin qui s'élevait sur une colline boisée. La pente était raide, le centaure gris peinait, trébuchant dans les pierres et les racines de l'étroit sentier. A aucun moment, le roux ne tenta de l'aider. Il se contentait de s'arrêter, lui jetait parfois un regard vide, comme s'il était transparent. Jamais le gris ne protesta ou ne se plaignit. Il reprenait pied, s'agrippait à une branche basse ou un rocher, puis se remettait en route. L'ascension paraissait interminable et la nuit était désormais bien avancée.
Puis leur guide bifurqua sur la gauche, traversa un épais mur de végétation, et Astrée vit la gueule d'une grotte s'ouvrir dans le flanc de la colline. Les centaures y pénétrèrent sans lumière et le gris alla immédiatement se coucher contre une paroi, avec un soupir las. Le roux demeura dans l'entrée, bras croisés, scrutant les arbres en contrebas et les ténèbres qui avaient envahi la forêt. La femelle attrapa Astrée par l'épaule et la poussa vers le fond de la grotte. Elle la dépassa ensuite, et fit rouler un rocher de bonne taille, dévoilant un boyau étroit.
" Rampe-là dedans. Avec ta bestiole." fit la femelle.
Il y faisait un noir d'encre, impénétrable. Mais il sembla à Astrée qu'elle entendait, ténu, le sanglot d'un enfant.

Astrée observait avec circonspection la femelle rouler l'énorme rocher. Ils voulaient qu'elle entre... là-dedans ? Autant pour ses projets d'évasion irréfléchis... Jamsi elle ne pourrait sortir de là. Puis elle sentit son coeur manquer un battement en entendant les sanglots.
"Madeleine ?" s'exclama-t-elle.
Craignant de mécontenter la femelle si elle n'obtempérait pas immédiatement, elle se glissa aussitôt dans l'étroit boyau, tenant Prince d'une main pour ne pas qu'il se sauve. Les centaures risquaient de le tuer d'un coup de sabot... Et surtout, ils avaient promis de la tuer, elle.
"J'arrive, n'aie pas peur..."
Facile à dire. Il faisait un noir d'encre...

Elle n'eut pas le temps de regretter sa décision : la femelle remit le rocher en place aussitôt, la plongeant dans une obscurité totale. Pourtant, alors que les sanglots redoublaient, quelque part, devant elle, il lui sembla que les ténèbres grisaient. Il n'y avait pas moyen de se perdre : le petit tunnel ne lui permettait pas de changer de direction ni même de se retourner. Elle progressa donc droit devant elle sur quelques toises, palpant la pierre pour ne pas se cogner. Soudain, le plafond disparut et elle sut qu'elle pénétrait dans un espace plus vaste. Les pleurs étaient tout proches, à présent, et l'ombre moins dense. Il lui fallut cependant quelques secondes pour en comprendre la raison : très haut au-dessus d'elle, il y avait une petite tache plus claire, sans doute une ouverture sur le ciel, que la nuit avait momentanément cachée. L'enfant était quelque part sur sa gauche, toute proche à présent, et elle l'entendit renifler.
" Qui est là ?" murmura-t-elle d'une voix sourde, chargée de peur.

Au fur et à mesure de sa progression, Astrée nota que l'obscurité n'était finalement pas si dense. Ce qui signifiait probablement l'existence d'une autre issue, peut-être trop étroite pour elle, mais certainement pas pour une abeille. Elle en eut la confirmation en débouchant enfin de l'étroit tunnel. Prince au moins pourrait fuir. Restait à voir en quoi cela pourrait lui être utile. Mais pour l'heure, c'était Madeleine qui la préoccupait.
- Astrée, répondit-elle à la question angoissée. L'étrangère qui est arrivée au village l'autre jour...
A l'aveuglette, elle se rapprocha de l'endroit d'où venait la voix, guettant la silhouette enfantine.
- Est-ce que ça va ? Ils ne t'ont pas fait de mal ? questionna-t-elle avec douceur en lui prenant la main à tâtons.

Il faisait trop sombre pour qu'elle puisse la voir, mais Astrée trouva rapidement sa main. La petite fille se rua dans ses bras, se blottissant tout contre elle et éclata en sanglots convulsifs. Elle était gelée, tremblait tout contre la rôdeuse. L'écureuil quitta Astrée pour venir se pelotonner contre l'enfant. Celle-ci sursauta, mais finit par caresser la petite fourrure chaude. Il lui fallut un bon moment avant qu'elle se sente apaisée.
" Ils ne m'ont pas blessée, non, murmura-t-elle. Mais ils vont le faire, tu sais, et j'ai si peur... Tu es venue me chercher ?"

Astrée serra la fillette contre elle, lui caressant les cheveux avec douceur. Elle était frigorifiée. Pauvre petite. Ces centaures n'avaient décidément pas de coeur pour maltraiter ainsi un enfant...
Sa question la fit grimacer. La gamine était persuadée qu'ils allaient lui faire du mal. Elle sentait leur haine, peut-être davantage qu'elle encore.
- Je... je suis venue te chercher, oui. Mais ils m'ont capturée...
Elle se décolla doucement de l'enfant et ôta sa veste chaude pour lui passer autour des épaules.
- Mais ne t'en fais pas, on va trouver un moyen de s'en sortir. Et prend mon manteau, pour commencer. Ça va te réchauffer.
Elle la serra à nouveau contre elle, pour tenter de la réconforter davantage que pour la réchauffer. Sortir d'ici... comment ? Pour le moment, elle avait beau écarquiller les yeux, elle n'y voyait goutte.
- J'y verrai plus clair quand il fera jour. En prenant le temps de chercher, on pourra peut-être trouver une issue.
Non, il n'y en avait certainement pas... Et elle n'avait pas de corde pour tenter d'atteindre le trou qu'elle devinait au-dessus de leur tête.
- Et puis, je peux aussi envoyer mon écureuil chercher de l'aide, par le trou là-haut, si par chance ils nous laissent seules dans la grotte.
Ce qui n'arriverait certainement pas. Elle voulait juste lui donner un peu d'espoir. Mais tout de même, elle enverrait Prince au-dehors dès l'aube : il pourrait surveiller si leurs geôliers quittaient la grotte. Ils ne se méfieraient pas d'une abeille. Elle envisagea, un instant, de lui demander d'y aller tout de suite. Mais il n'y verrait rien, lui non plus. Mieux valait attendre. Ils allaient de toute façon passer la nuit ici.

" Y'a pas d'autre sortie qu'on peut utiliser, murmura la fillette. La grotte, elle est toute petite, tu sais. Eux, ils rentrent dedans par ce côté là-bas, mais la pierre est encore plus énorme, ils doivent se mettre à deux pour la bouger..."
Elle soupira et se serra plus fort contre Astrée.
" Si ton écureuil, il peut aller chercher de l'aide, alors les chasseurs ils pourraient sûrement s'occuper d'eux avant qu'ils puissent nous tuer... Mais la grotte, j'en avais jamais entendu parler... Alors que je les connais bien, ces bois ! Comme c'est sur la colline, ils vont voir arriver les chasseurs de loin... Il faudrait qu'ils sortent, tu as raison... Mais tu crois qu'ils sortiraient sans t'emmener ? Je ne veux pas que tu partes."
Elle renifla.
" Moi je crois que si les chasseurs les trouvent, ils les attaqueront. Parce qu'ils croient sûrement qu'on est mortes. Et qu'on peut pas céder devant ceux qui nous terrorisent, sinon, ils ont gagné. Même si après, il y a des gens qui souffrent."

Astrée soupira.
- C'est bien compliqué tout ça...
Ça l'était pour elle, alors qu'elle était adulte. Ce devait être bien difficile à appréhender pour une enfant de cet âge...
- Je pense moi aussi que les chasseurs les tueront tous s'ils en ont l'occasion.
Vu l'attitude belliqueuse des centaures, ils n'avaient pas vraiment d'autre choix.
- Et tu as raison, ils ne peuvent pas s'approcher tant qu'ils sont là, c'est trop dangereux. J'espère qu'ils n'essaieront pas. Je préférerais... qu'ils viennent nous chercher pendant que les centaures sont partis. Mais ils risquent de m'emmener, tu n'as pas tort.
Elle se mordilla les lèvres. S'ils l'emmenaient, ils vérifieraient que Prince suivait. Il ne pourrait pas se charger d'amener de l'aide à l'enfant.
- Ou peut-être pas, après tout. Ils avaient besoin de moi pour soigner le gris, mais maintenant qu'il va mieux...
Maintenant, ils n'avaient plus besoin d'elle. Et risquaient donc de la tuer. Mais en ce cas, ils l'auraient fait sans l'amener ici, non ?
Elle était fatiguée, elle n'avait rien mangé, elle n'arrivait pas à réfléchir efficacement. Elle soupira.
- Je ne comprends pas pourquoi les centaures ont autant de haine envers nous. Mais ils ont fait parvenir un message au village en disant qu'ils... te tueraient si la faille n'était pas rouverte. Je ne comprends pas de quoi ils parlent. Ça te dit quelque chose, à toi ?
Cela n'avancerait en rien leur évasion, elle en était consciente. Mais elle avait besoin d'y voir plus clair.

" Tu as faim ? demanda Madeleine. Il reste des pommes, je crois. Elles sont un peu vieilles, mais pas encore pourries..."
Elle farfouilla sur le sol près d'elle et lui tendit un fruit rond, un peu ridé.
" Les centaures, ils sont pleins de colère parce qu'ils sont comme ça, dit-elle. C'est à l'intérieur d'eux. Comme les loups. On est obligés de se protéger. Mais quand on aura eu leur chef, ce sera terminé. Tant qu'il est sauvage, ils croient qu'ils peuvent gagner. C'est comme une preuve, tu comprends ? La faille, on a dû la fermer pour les empêcher de continuer à nous attaquer. Parce qu'ils arrivaient de partout. Mais maintenant, c'est presque fini. Bientôt ce sera fini. Même si toi et moi, on meurt à cause d'eux, après les choses seront apaisées pour toujours. Et Montequine vivra mieux. Et les centaures aussi. Il faut juste que les chasseurs attrapent le chef. Mais ils vont y arriver. Moi je le sais. Hugo, c'est le meilleur !"
Sa voix vibrait d'un espoir sincère, même si le froid la faisait encore trembler.

Astrée avala le fruit en quelques bouchées, trognon comprit. Mais cela ne fit que rendre plus vive encore sa sensation de faim. Elle réfléchissait en écoutant les explications de Madeleine. Les villageois ne rouvriraient pas la faille. Ils risquaient une invasion. Ou alors, ils l'ouvriraient seulement pour la refermer presque aussitôt peut-être ? Pour cela, il faudrait qu'ils croient réellement que les centaures allaient leur rendre l'enfant. Et même elle n'y croyait pas.
Elle grimaça.
"Pour ma part, j'aimerais autant qu'on ne meure pas, fit-elle d'un ton presque léger, avant d'ajouter, plus sombre : Mais je ne suis pas sûre que tu aies raison concernant le mâle dominant. Même si vous le tuez, ou si vous le capturez, il risque d'y en avoir un autre qui prenne sa place, non ? Peut-être n'essaiera-t-il pas d'étendre son territoire par ici, peut-être se méfiera-t-il davantage... Ou peut-être pas. Je ne sais pas vraiment comment fonctionne une harde de centaures, après tout."
Elle leva les yeux, scrutant l'éclat plus clair du trou.
- Toi qui connais le coin... Est-ce qu'il y aurait un moyen, pour les chasseurs, d'atteindre le sommet de la colline par une autre voie, par l'arrière, sans se faire repérer des centaures ? Ils pourraient nous lancer une corde par là...

La Couronne de Cuivre

[Quête] Montequine