La Couronne de Cuivre

Enhardie par la provocation, Amélie lui tira la langue avant de battre précipitamment en retraite dans le jardin.

- C’est pas du jeu comme ça !

Il ne lui fallut pas plus de trente secondes pour refaire son apparition armée d’un des seaux toujours remplis en prévision de l’arrosage.

- Tu as commis une erreur : ton ennemie est insensible aux menaces car elle n’a rien à perdre !

Et aussitôt de jeter le contenu du seau dont une partie non négligeable éclaboussa le sol de la cuisine et une plus importante encore les vêtements d’Angèle, maintenant trempée de la tête aux pieds. Son adversaire ne demanda pas son reste et courut vers le jardin en éclatant de rire, espérant éviter de justes représailles ou peut-être se réarmer pour continuer la bataille.

Elle se lança sans attendre à la poursuite d'Amélie. A présent, elle riait aussi, sans même s'en rendre compte. En franchissant la porte menant au jardin, elle stoppa net. Il y avait deux seaux pour l'arrosage. Son amie venait d'en vider un, il en restait donc un autre. Et elle était certaine qu'il était encore plein.

"Oh, oh", fit-elle avant de battre en retraite.

Sans doute était-il trop tard pour récupérer le seau : Angèle vit son amie disparaître derrière le petit appentis servant à entreposer les outils de jardinage et les dits seaux. Si la paladine voulait lutter à armes égales, il allait falloir qu'elle se procure davantage de récipients ou parvienne à ruser pour attirer Amélie près de la fontaine. La voix de celle-ci se fit entendre :

- Sortez les mains en évidence et rendez-vous, paladine. Il ne vous sera fait aucun mal, foi de Cojumite !

Mais elle avait perdu et acceptait sa défaite. Elle était épuisée à force d'avoir trop ri et même sa vision était brouillée de larmes.

"Je me rends mais s'il vous plaît, soyez clémente. Je n'ai plus un centimètre de vêtement à tremper."

Elle avança les mains en évidence et s'assit sur le petit banc en pierre.

Amélie hésita un moment de la conduite à tenir. Elle ne s'était peut-être pas attendu à ce que la paladine rende les armes aussi facilement. Ou soupçonnait quelque traquenard subtil. Elle finit cependant par approcher avec son seau, tous sourires. Mais plutôt que de le jeter sur elle, elle se contenta de le poser devant les marches et vint s'asseoir à ses côtés. Elle désigna le bout d'une manche de sa tunique et annonça fièrement :

- Il reste un petit bout de tissu sec là mais nous sommes toutes les deux bonnes pour nous changer. Ou alors tu préfères aller au temple comme ça ? On peut toujours dire qu'il a plu sur la route. Ah non, c'est vrai que les paladines ne peuvent pas mentir.

"Je crois que nous ferions mieux de nous changer où nous allons attraper un bon rhume."

Elle sourit.

"Dans tous les cas, c'était une très grande bataille. Par contre, je crois qu'il vaudra mieux nettoyer la cuisine avant de faire entrer quelqu'un chez nous. Il risquerait de ne pas comprendre et je me vois mal expliquer qu'il a plu à l'intérieur."

"Chez nous" L'expression avait ravi Amélie tout comme la douceur du ton d'Angèle et son nouveau sourire.

- Ne t'en fais pas, je laverai mes bêtises ! Mais ça attendra que nous soyons rentrées sinon Malo va finir par s'impatienter. Et puis si on le ramène ici, on le fera entrer par la porte principale.

Amélie n'était pas tout à fait sérieuse comme le montrait bien son clin d'œil.

- Tu veux te débarbouiller un peu peut-être. Il me semble que l'eau d'arrosage n'était pas tout à fait propre...

Sa tunique blanche en était devenue presque grise. En effet, l'eau d'arrosage n'était pas propre.

"Un bon débarbouillage s'impose malheureusement. Par contre, pour la cuisine, je te donnerai un coup de main. Et ne t'en fais pas, elle en a vu d'autre. Heureusement, le sol sèche vite."

Elle n'avait pas idée de l'heure qu'il pouvait être, aussi, se dépêcha-t-elle de procéder à ses ablutions et changement de tenue.

Il lui fallut un bon quart d'heure pour se débarbouiller et se rendre à nouveau présentable dont près de cinq minutes pour tenter de discipliner le seul épi toujours aussi rebelle. Quant elle descendit, elle put constater qu'Amélie s'était changée elle aussi. En outre, elle tenait un panier à la main et répondit à la question qu'elle n'eut pas le temps de poser :

- J'ai pensé qu'un pique-nique te ferait plaisir vu le temps qu'il fait. Et je pense qu'on a encore juste le temps d'arriver à la chapelle et de recruter Malo avant l'heure du déjeuner.

Angèle hocha la tête. Une fois n'était pas coutume, elle retrouvait Morgan dans les intentions de sa fille. Elle sentit une pointe de nostalgie l'envahir mais qu'elle parvint à dissimuler derrière un sourire.

"C'est une idée excellente. Un peu d'air ne pourra que lui faire que du bien. Et à nous aussi par la même occasion."

Elle regarda Amélie, hésita puis.

"Ta mère aurait été fière de toi, sais-tu ?"

Amélie prit un joli teint rosé et parut embarrassée pour répondre à la remarque. Au bout de quelques tentatives infructueuses, elle parvint enfin à articuler :

- Je... Merci. C'est très gentil à toi de dire ça. Que dirais-tu de la promenade des docks ? J'ai tout de suite trouvé que cet endroit était plein de charme. Et j'aime assez regarder les bateaux qui s'en vont parcourir le vaste monde ou en reviennent.

La jeune barde laissa la paladine la devancer jusqu'à la porte et s'esquiva une seconde avant de revenir avec deux chapeaux dont elle posa le premier sur sa tête.

- Je ne voudrais pas que tu risques de prendre un coup de soleil !

Angèle considéra quelques instants le chapeau, l'air amusé. C'était encore un héritage de Morgan. Un souvenir d'un moment hors du temps qu'elle avaient passé du coté du lac.

"Avec ça, je vais avoir l'air d'une juriste en vacances. Mais je suis une juriste en vacances."

Elle le garda à la main cependant, pour ne pas blesser ceux qui, en temps de guerre attendaient le retour de leurs proches avec son apparente insouciance.

"Mais merci."

- Tout à fait ! Enfin presque : tu n'as pas beaucoup chômé hier et je gage que tes compétences d'enquêtrices seront encore mises à rude épreuve dans les jours à venir. Mais je veillerai à ce que tu prennes le temps de manger convenablement, ça oui ! C'est mon rôle... d'assistante ! Parfaitement !

Elle frappa doucement sur son panier pour faire bonne mesure avant de se précipiter aux côtés d'Angèle. Les rues étaient animées en cette heure. Bon nombre de personnes semblaient se hâter de rentrer chez eux pour déjeuner. Somme toute, malgré la guerre, malgré les troubles, Manost restait une ville peuplée et animée. Peut-être moins qu'en temps ordinaire mais cela ne semblait pas gêner Amélie sans doute habituée à une atmosphère plus provinciale.

Sacré mainate. Au Clos, ils seraient beaucoup plus tranquille. Si elle l'attrapait, elle le plumerait. Du moins, elle s'arrangerait pour qu'il ne cause plus aucun tort à qui que ce fut. Elle en toucherait quelques mots à Dimitri.

En arrivant devant la porte, elle se souvint de l'état de la cuisine. Elle lança à Amélie un regard inquiet. Elle dit à Malo.

"Notre cuisine a subi un ... petit dégât des eaux. Mais nous irons dans la salle à manger ou plutôt au jardin."

C'était une semi-vérité, elle n'était pas obligée de dire que le dégât avait un prénom commençant par un A.

Malo s'arrêta quand elle atteignirent la clôture de la demeure et son regard se fit appréciateur :

- C'est vraiment un endroit magnifique, dîtes donc ! Cette maison ne ressemble vraiment pas aux autres que j'ai vues jusqu'ici. Et vous dites que vous avez un jardin en plus ? Eh bien, j'aimerais le voir si cela ne vous gêne pas.

Il sembla seulement s'inquiéter du dégât évoqué par Angèle et ne sembla pas remarquer - heureusement - la teinte que prit sa comparse à cette annonce.

- Votre dégât n'est pas trop grave au moins ? Parce que si je peux aider, c 'est le moins que je saurais faire.

Cette fois, Angèle eut tout bonnement envie de rire. Elle parvint pourtant à se contenir tout en expliquant d'un ton qui se voulait sérieux.

"Oh, vous savez, ce n'est pas si grave. Ce sera sec sous peu. De l'eau s'est subitement déversée à cet endroit là. Cela arrive parfois."

Et à plusieurs endroits du jardin ...

Malo haussa un sourcil, se doutant bien que ces explications dilatoires masquaient une vérité peut-être cocasse. Mais il était suffisamment bien élevé pour ne pas relever et assouvir sa curiosité.

- Ça a l’air un peu dangereux de se promener dans votre cuisine ! Je ferais mieux de l’éviter tant que je n’ai pas plus d’affaire de rechange. De toute façon, il fait vraiment trop beau pour s’enfermer à l’intérieur de mon point de vue. Enfin, c’est vrai que vous avez des préparatifs à faire alors je dois me faire une raison !

Angèle hocha la tête, toujours souriante.

"Oui, c'est pour cela que nous évitons de nous déplacer avec quoi que ce soit contenant de l'eau. On ne dirait pas mais c'est extrêmement dangereux. Tenez, par exemple, j'ai voulu m'occuper des rosiers et je me suis retrouvée trempée de la tête aux pieds."

Elle lança un regard appuyé en direction d'Amélie et retint avec difficulté un fou rire.

"D'ailleurs, si vous voulez aller au jardin, c'est par là. Je vais nous faire du thé."

Malo tourna lui aussi sa tête vers la jeune femme qui avait rougi de plus belle. Avec un sourire de connivence envers Angèle, il répondit joyeusement :

- Un thé est effectivement une excellente idée ! Mais après il me faudra vous laisser vous aider pour les préparatifs sinon je vais vraiment me sentir coupable. J'ai toujours aimé le thé, pas vous ? Il est impossible d'oublier ce genre de détails qui font tout le piquant de la vie !

"J'ai toujours aimé le thé. Peut-être un peu trop. Mais si vous êtes un grand amateur, nous en avons un très bon."

Elle fit un clin d'oeil à Amélie avant de lui presser amicalement l'épaule avant de rejoindre la cuisine. Elle faisait confiance à la jeune barde pour emmener leur hôte dans le jardin. Elle et Malo avaient décidément de nombreux points communs.

Malo semblait se réjouir de cette idée et Amélie l'emmena à l'arrière de la maison, laissant la paladine se charger de leur préparer le breuvage. Quand elle les rejoignit, elle constata qu'il avait sorti une petite table et trois chaises. Ils étaient en train d'échanger quelques mots mais Amélie interrompit sa réponse à l'arrivée d'Angèle et lui adressa un regard énigmatique. Pour sa part, leur invité s'extasia :

- Ces rosiers sont magnifiques ! Vous les entretenez vous-même ?

Angèle fit mine de ne rien avoir remarqué du manège des deux autres. Peut-être Malo posait-il d'autres de ses questions. Alors, mieux valait ne pas savoir.

"Dans la mesure du possible. Mais les roses sont surtout l'oeuvre de la propriétaire précédente. Elle n'est plus là pour les entretenir donc nous avons repris le flambeau."

Elle essaya de ne pas laisser la nostalgie l'envahir.

Malo parut sur le point de poser une question, sans doute à propos de « l’ancienne propriétaire » mais il eut apparemment la sagesse de se raviser. Il était invité ici et n’avait pas trop l’intention de se montrer ouvertement curieux et envahissant. Au lieu de cela, il répondit poliment :

- Cela doit demander beaucoup de travail. Mais vous êtes une femme très active de ce que j’ai pu constater. A moins que le jardinage soit une sorte de moyen de vous détendre ? Un peu comme les échecs.

Encore une fois, il parut sur le point de poser une autre question mais il se ravisa pour observer sa réaction.

Elle le considéra quelques instants en silence sans savoir quoi répondre. Elle n'avait pas l'habitude de courir, ni même de se battre et n'aimait pas les longues chevauchées. Elle ne se considérait pas vraiment comme active, plutôt comme posée.

"Vous savez, je suis plutôt une gratte-papier. Mais j'avoue que m'occuper des roses me détend énormément."

Malo lui adressa un sourire et répliqua d'une voix tranquille :

- Vous savez, il y a bien des façons d'être actif. Les activités qui occupent l'esprit plutôt que le corps ne sont pas moins valorisantes. Vous ne pouvez pas projeter aller à Cojum sans aimer la lecture par exemple. Ce serait comme aller chez le boucher en étant végétarien !

Elle osa avouer.

"Et c'est aussi une des rares cités de Dorrandin à posséder un observatoire. Celui de Luménis a été détruit pendant la guerre civile. Manost n'est pas féru de sciences ..."

Elle s'aperçut un peu trop tard qu'elle lui faisait une confidence.

"Bien sûr, je ne pense pas qu'ils laisseront entrer une astronome amateur."

L'aveu ne provoqua nul étonnement visible mais fut accueillit par un regard brillant.

- Tiens donc : seriez-vous férue d'astronomie Angèle ? Peut-être nous sera-t-il donné d'observer le ciel une fois sur place. C'est un spectacle extraordinaire et apaisant de mon point de vue.

Amélie observait son aîné et ne sut retenir un grand sourire qui en disait plus long que certains discours.

Angèle hocha la tête.

"J'aime observer les étoiles depuis que je suis toute petite."

Elle hésita avant d'ajouter.

"C'est apaisant de se sentir si petit face à l'immensité."

Malo hocha la tête calmement avant de répondre d'un ton paisible :

- Je comprends cela. En tous cas je pense : être paladine est une grande responsabilité. Sans parler des autres tâches que vous vous proposez d'assumer en tant que juge. Alors se dire qu'on ne représente qu'une part infime de l'univers doit avoir quelque-chose de rassurant. Moi j'aime les regarder parce qu'elles sont belles, pures, brillantes.

Etait-ce une impression où le regard du jeune homme s'était fait un peu plus insistant et centré sur elle ?

Angèle le regarda quelques secondes interdite avant de faire semblant de rien. Parlait-il vraiment des étoiles ? Elle espérait que oui. Ce dont il parlait ne se trouvait que dans quelques humains. Morgan disposait de ses qualités là ... Mais elle était partie. Tout le temps de sa présence, elle n'avait fait qu'être dans son ombre.

Elle but en silence son thé qu'elle trouva une nouvelle fois délicieux. Puis elle décida qu'il était bon de changer de sujet.

"Peut-être est-il bon de dresser une liste des objets à emporter pour ne rien oublier. J'ignore ce que nous aurons à disposition à Cojum."