La Couronne de Cuivre

" A moins qu'il ne soit clerc de Mielikki, je doute qu'il puisse faire quoi que ce soit qui corresponde réellement à ce dont cette source a besoin. Il faudra nous contenter d'eau bénite pour le moment. Et par la suite.... Si une dryade naît, elle saura agir... Mais pourra-t-elle naître ici ? Hum... C'est compromis dans une telle atmosphère... Ou il faudrait que Mielikki intervienne en personne.. hum..."
Il secoua ses branches.
" Pardonne-moi, je réfléchis à voix haute et tu es épuisé. Ton eau bénite nous suffira, pour l'heure, et il faudrait déblayer les cadavres. Il n'y en a pas tant que ça... Mais je n'ai pas de bras... Oh, et puis ça attendra ton réveil. Dors, tu en as besoin. Surtout si tu as été touché par cette créature que tu combattais... Elles transmettent des maladies peu agréables."

Dormir aurait été tentant et le demi-elfe faillit céder à l'appel du sommeil mais il se redressa tout de même - plein de fierté - pour se diriger immédiatement vers la source jonchée de cadavres. Il ne pouvait pas laisser le chêne boire cette eau souillée pendant toute une nuit. Malheureusement, il n'avait pas parcouru trois mètres qu'il était rattrapé par l'épuisement. Il se sentit vaciller, son champ de vision se brouilla puis tout devint sombre...

Il se sentait flotter quelque part, nulle part. Il ne voyait rien, et pourtant tout baignait dans une lumière vive, presque éblouissante. Et cette chaleur... Non pas une chaleur étouffante, plutôt celle d'un bon feu de cheminée, celle qui vous réconforte et vous apaise. La chaleur d'une présence amicale, invisible et omniprésente. Celle des bras d'une mère qui berce son enfant, au milieu des parfums des fleurs des champs.
Il était si bien qu'il aurait pu rester indéfiniment dans cet état.
" Aie Confiance..."
Il ne sut si ce mot émanait de ses propres pensées ou s'il était prononcé par une entité prodigieuse veillant sur son sommeil. Mais il se réveilla avec ce message en tête.
Il faisait grand jour, des myriades d'oiseaux chantaient au-dessus de lui, et le soleil jouait à cache-cache derrière les jeunes feuilles du chêne sous lequel il était allongé.

Le demi-elfe se réveilla parfaitement reposé et serein mais mit un moment à reprendre pied dans la réalité et à se souvenir où il se trouvait. Quand il reconnut le chêne sous lequel il était allongé, le souvenir du combat de la nuit lui revint et il esquissa une grimace. Il se redressa lentement en s'attendant à ressentir une faiblesse physique suite aux blessures qu'il avait reçues.

Qu'à cela ne tienne : il entreprit aussitôt d'adresser une prière à sa déesse pour attirer sa bénédiction sur la clairière. Quand il aurait fini, il escomptait se mettre au travail pour dégager la source et espérait que Sylvia aurait l'idée de lui envoyer son oiseau pour qu'il puisse la rassurer après son départ précipité et de sa défection auprès de Mylène. En bref, la journée promettait d'être chargée.

Le sylvanien était présent non loin, mais semblait dormir : il était aussi immobile qu'un chêne véritable.
La source était dans l'état exacte où il l'avait laissée, et pourtant, il lui semblait que les ondes néfastes qui en émanaient étaient moins importantes qu'au cours de la nuit. Peut-être, simplement, parce qu'on était en journée.
Quant à lui, il se sentait nettement mieux que durant la nuit. Il avait dormi huit bonnes heures, et l’affaiblissement qu'il avait ressenti lors de son affrontement avec l'ombre n'était plus qu'un souvenir. Il ne se ressentait pas non plus de son combat avec le blême, mais il savait que certains effets pouvaient surgir à retardement.
Il n'eût pas le temps de se mettre au travail qu'il entendit le cri caractéristique d'un faucon. Il ne venait pas du ciel mais de la branche d'un hêtre situé à quelques dizaines de toises. L'oiseau était porteur d'un message, comme attendu.
" Vif-Argent m'a fait savoir que que tu dormais, donc je l'ai chargé d'attendre ton réveil...J'aurais préféré que tu me réveilles, même en pleine nuit, si tu devais partir d'urgence, mais l'essentiel est que tu ailles bien..."

Evidemment, il s'était attendu à recevoir un tel reproche de Sylvia : c'était de bonne guerre pour l'avoir certainement inquiétée... En tous cas, il rédigea une courte réponse en s'excusant de son départ plus que précipité et entreprit de la rassurer : la clairière avait été attaquée mais lui et son ami sylvestre avaient prévalu. Il faudrait cependant qu'il reste sur place un temps indéterminé pour réparer les dégâts.

Une fois fait, il attacha le message à la patte de l'oiseau et lui adressa une moue désolée avant de le laisser s'envoler : il avait du pain sur la planche. Dégager les cadavres qui obstruaient la source n'en seraient que la première étape...

Il s'attela donc à la tâche. Il y avait moins de corps à déblayer qu'à la résurgence, mais on y trouvait tout de même six corps d'animaux de toute taille, et même un cadavre humain -tellement abîmé qu'il était impossible à identifier et qu'on pouvait se demander s'il n'avait pas été déterré. Il lui fallait les emmener suffisamment loin pour qu'ils n'empuantissent plus l'atmosphère.
" Tu as bien avancé", fit remarquer la voix du sylvanien alors qu'il arrivait à la moitié de son labeur.
Un grondement de son estomac, alors qu'il se redressait, lui rappela qu'il avait rien mangé depuis la veille.

L'activité n'était vraiment pas ragoûtante et la seule idée de manger avait de quoi lui retourner l'estomac malgré sa faim. Il hésita d'ailleurs un moment : finir le travail et prendre le temps de se débarbouiller avant de manger était tentant mais il lui fallu se rendre à l'évidence : finir de dégager les corps et trouver un coin om il pourrait les incinérer sans risque prendrait sans doute une grande partie de l'après-midi et il ne tiendrait pas jusqu'au soir sans se nourrir.

Il choisit donc de se laver soigneusement les mains et les bras qui avaient le plus souffert de son labeur puis il mangerait sur le pouce. Mais il ne manqua pas de saluer le réveil du sylvanien avec un certain sourire :

- Oui mais il reste encore bien du travail avant de nettoyer ce que les malarites ont fait ici. Il s'agissait bien d'eux, n'est-ce pas ?

" Oui, acquiesça le sylvanien, la voix vibrante de colère. Juste au coucher du soleil. J'ai entendu de loin leurs psalmodies funestes. Toute la forêt en frissonnait. Je ne sais pas exactement ce qu'ils ont fait... Mais leur objectif était de détruire la magie de cette source, de la maudire pour annihiler son pouvoir. Je suis arrivé trop tard, ils avaient quasiment achevé leur cérémonie. Mais pas complètement... et c'est peut-être grâce à cela que je sens un minuscule filet de pureté sourdre encore sous toute cette souillure. La source est encore vivante. Et le chêne aussi. Le bosquet pourra renaître..."

Le rôdeur partageait la colère et même le scandale ressentis par le sylvanien : ils étaient vraiment passé tout près d'une irrémédiable calamité. Et rien n'était encore gagné... Mais le demi-elfe brûlait de savoir ce qui s'était passé et d'en apprendre plus sur la menace que représentait toujours les malarites :

- J'imagine qu'ils ont fui en vous voyant : je ne vois aucun de leurs corps ici...

" Ils ont fui, en effet. Je les ai suivis un temps, je les ai vus se charger de leur paquetage, rejoindre la rivière et la longer vers le sud. Mais je ne pouvais laisser la source sans surveillance bien longtemps... Et j'ai bien fait de revenir : lorsque je suis arrivé, il y avait cette... abomination... qui se dirigeait vers la source. Je n'en avais jamais vu dans les parages, mais c'est vrai que je viens rarement ici. Je pense tout de même que d'une manière ou d'une autre, sa présence est liée à leur rituel."
Le souffle qui fit s'agiter son feuillage devait correspondre à un soupir.
" L'essentiel est d'en être venu à bout. Une fois vaincu, il s'est décomposé à la lumière du jour... Il n'en reste que poussière."

Cette fois, Kasumi partageait l'avis du sylvanien : l'essentiel était d'avoir mis en échec une partie des plans des malarites. Se voir confirmer qu'ils avaient plié bagage était aussi un soulagement mais il se promit d'avertir Respelm et les autorités au plus vite du départ d'un groupe dans cette direction. Et puisque le sylvanien avait été témoin de leur départ, il lui demanda combien d'hommes il avait vu. Ensuite de quoi il serait déjà temps de se remettre au travail à la source : il serait soulagé quand il en aurait extrait tous les miasmes et que les restes seraient en train de brûler. Rien de tel pour cela que de les amener dans une zone qui avait déjà été ravagée par les flammes : il n'y aurait alors aucun risque de provoquer un incendie par inadvertance.

Il apprit que les malarites n'étaient que trois hommes valides et un blessé. L'un des hommes était vraisemblablement le loup-garou, qui sous sa forme humaine ressemblait tant à Marco. Mais ils avaient désormais sans doute trop d'avance pour qu'il songe à les poursuivre : d'autres pouvaient s'en charger.

Il se remit donc au travail, traînant les carcasses une à une jusqu'à la zone incendiée. Le Sylvanien ne pouvait pas l'aider, et le soleil cognait dur dans cette zone dévastée. Il fut rapidement en nage, assoiffé, sans autre eau à boire que celle de la source souillée. Le manque de nourriture se faisait sentir : il n'avait pas d'appétit et n'avait de toute façon guère à manger, n'ayant pas eu le temps d'emporter un paquetage conséquent. Il lui restait quelques restes de son campement précédent, mais qui avaient été en partie dévorés. Bref, il lui faudrait songer à se sustenter et même s'approvisionner tôt ou tard. Mais le manque de nourriture n'était peut-être pas la seule cause de sa faiblesse, qui tournait parfois aux vertiges : il commençait à se sentir un peu fiévreux, vestige sans doute de sa lutte avec le blême.
Il parvint à bout de sa tâche en fin d'après-midi. Il ne lui restait plus qu'à mettre le feu aux carcasses. L'eau de la source demeurait trouble, salie certainement par le sang gouttant des cadavres, mais il avait ôté tout ce qu'il pouvait, ossements et chairs.

Kasumi mit le feu à l'entassement de carcasses et récita une longue prière pour recommander les âmes qu'elles pouvaient encore contenir à sa déesse puis retourna près de la source pour se laver autant que faire se pouvait dans une telle eau trouble. Il s'en désola car il se souvenait à quel point elle lui avait paru pure lors de sa première visite de la clairière. Le redeviendrait-elle un jour ? Il réunit ensuite quelques baies et tout ce qu'il put trouvé qui ne fut pas avarié et se sustenta. Sans appétit. Mais il savait que son corps aurait besoin d'énergie pour mener à bien les tâches nécessaires à la santé de l'arbre.

Malgré la nourriture, il réalisa qu'il se sentait anormalement faible. Ce pouvait être, tout simplement, le contre-coup de la nuit, mais il pressentait plutôt un début de fièvre. Pourtant il n'avait pas le temps de se reposer déjà. Même s'il avait fait l'essentiel pour la source, le chêne avait besoin de soins, lui aussi.
" N'oublie pas de verser un peu de ton eau bénite dans la source, s'il t'en reste, rappela le sylvanien. Et s'il te reste un peu d'énergie, il serait bon de protéger les blessures du chêne. Il a été bien entaillé à la base, sans compter les branches arrachées, et avec tous les miasmes qui flottent dans l'atmosphère... Mais c'est surtout l'entaille qui m'inquiète."
Il sembla réfléchir.
" Il faudra le panser... et les cendres de l'incendie vont nous êtres utile, mais ça ne suffira pas. Serais-tu capable de trouver de l'argile très fine, très pure ? Et éventuellement un peu de cire d'abeille ?"

Le rôdeur tenta d'ignorer sa fatigue mais il savait qu'il ne pourrait le faire longtemps avant de prendre une vraie nuit de repos. En tous cas, tant qu'il lui restait de l'énergie, il avait l'intention de l'employer à bon escient et commença à obéir aux instructions du sylvanien. Il vida la moitié de sa bouteille d'eau bénite là où l'eau de la source lui paraissait le plus trouble. A nouveau, il prononça quelques prières de bénédiction.

Il aurait aimé s'attarder pour mesurer l'effet de son action mais il devait déjà se remettre en route pour trouver l'argile et les abeilles demandées par l'être sylvestre. Sans doute avait-il dans l'idée de préparer un cataplasme mais il ne lui revenait pas de s'en interroger pour l'heure : seul compter de réunir au plus vite les ingrédients demandés.

Il trouva sans peine de la cire d'abeille. L'argile, en revanche, c'était une autre histoire. Le sol était couvert d'humus, et il était difficile de savoir ce qui se trouvait au-dessous.Le sol de la clairière ne lui avait pas paru spécialement argileux : il était peu boueux après la pluie. Il en allait de même pour celui près de la résurgence. Le sylvanien, après réflexion, lui suggéra de se rapprocher tout simplement du lit de la rivière : le sol, riche en alluvions, était probablement argileux à en juger par le type de fleurs qui y poussait : boutons d'or, liserons, joncs semblaient s'y plaire.

Le soir était tombé lorsqu'il eut enfin rassemblé les éléments nécessaires.
" Il faudrait mélanger l'argile avec un peu de cendre, et y ajouter de l'eau. De l'eau pure, de l'eau de pluie. Je ne pense pas qu'utiliser celle de la source soit une bonne idée... Mais peut-être que si tu malaxes bien la cire, en ajoutant un peu de miel, elle pourra remplacer l'eau ? Essaie, vois ce que tu peux obtenir, et enduis-en la blessure. Bien sûr, le chêne est capable de se défendre seul, comme le font tous les arbres de la forêt : il produira un bois dur à l'endroit de la blessure, qui isolera les parties tendres où coule la sève. Mais cela va lui prendre du temps, et si on peut éviter que les champignons et autres maladies n'en profitent pour l'infecter, autant le faire... D'ordinaire, je conseille de simplement laisser faire la nature, mais cette fois-ci, on fera une exception."
Il parlait lentement, comme à son habitude, avec son accent rocailleux, et analysait sereinement les choses. Il ne semblait pas vraiment se rendre compte de l'épuisement de Kasumi.

Sans doute le sylvanien était-il peu coutumier du métabolisme des demi-elfes... Mais Kasumi n'avait aucune envie de se plaindre de sa fatigue. Il écouta donc les conseils avec attention et s'attela à les mettre en œuvre avec application, assis en tailleur devant le gardien de la forêt pour qu'il puisse se rendre compte de sa progression et lui dispenser éventuellement d'autres instructions. Et comme l'activité manuelle ne nécessitait pas une pleine concentration, il se laissa aller à demander :

- Avez-vous un nom, vénérable ? Quant à moi, on m'appelle Kasumi.

La cire d'abeille, une fois chauffée dans ses mains, était suffisamment malléable pour se mélanger à l'argile. Il ajouta un peu de cendre, la plus propre possible, prélevée sur les arbres calcinés. L'ensemble formait une pâte épaisse, difficile à travailler, qu'il dut attendrir peu à peu à force de la malaxer avant de pouvoir s'en servir d'emplâtre. Il faisait nuit noire lorsqu'il obtint un mélange suffisamment souple.
Le sylvanien ne répondit pas immédiatement à sa question.
" On ne me nomme pas souvent... Il y a bien longtemps que je n'ai croisé quiconque de mon espèce, d'ailleurs... Mais mon nom est Akuburanar."
Observant l'emplâtre quasiment prêt, il ajouta.
" S'il te reste une goutte d'eau bénite au fond de ta fiole, n'hésite pas à l'ajouter, ça ne peut pas faire de mal... Mais je crois que tu peux tenter de l'appliquer maintenant. Et essaie aussi de réparer les branches cassées... Mais il fait nuit, je pense que tu dois avoir besoin de sommeil, comme moi."

Kasumi se sentait incroyablement fébrile et souffrait de vertiges mais il puisa dans ses dernières forces pour appliquer le mélange d'emplâtre et d'eau bénite partout où il voyait le bois du chêne avait été entaillé ou brisé.

Dès qu'il en eut terminé, il s'assit et tenta de soulager sa gorge sèche avec les dernières goutes que contenait sa gourde. Le lendemain, il devrait impérativement se ravitailler mais cela attendrait... le lendemain. Il n'avait plus aucune force et se sentit sombrer au pied de l'arbre.

Il ne sut ce qui le tira du sommeil -ni s'il était vraiment réveillé, à la réflexion. Il avait dû y avoir un bruit ténu, peut-être. Celui du passage discret d'un animal à travers les buis. Ou celui du chant que la créature fredonnait, du sylvestre apparemment.
Il ouvrit les yeux pour découvrir, penchée au pied du chêne, appuyée sur un bâton, une créature humanoïde à la chevelure châtain-roux, peut-être une femme aux formes généreuses, mais qui lui évoqua vaguement un faune ou peut-être un satyre... et qu'il n'eut pas le temps d'identifier car elle bondit aussitôt dans les buis, disparaissant à sa vue.

Etait-il en train de rêver ? Il aurait été bien en peine de le dire mais cela n'avait au fond pas vraiment d'importance : il s'était contenté d'observer et d'écouter l'étrange manège à travers ses paupières mi-closes, assuré que la créature ne constituait pas un danger pour le chêne.

Même s'il n'avait pas été aussi épuisé, il n'aurait pas cherché à la suivre. Non, il se contenta de refermer les yeux, un léger sourire aux lèvres puis de se rendormir. C'était un mystère qu'il lui était impossible de résoudre dans son état de semi-conscience.

Au moment où il allait sombrer dans le sommeil, il entendit un rire dans la broussaille, puis le chant reprit, fredonné d'une voix sourde, quelque part du côté de la source.
Mais peut-être qu'il était en train de rêver. Tout se brouillait dans son esprit... Il eut conscience, pourtant, que le chant s'approchait de lui, que peut-être, il devait ouvrir les yeux... mais il sombrait déjà, il était trop tard.

Il se réveilla un peu après l'aube, frais et dispo. Étonnamment frais et dispos, à la réflexion : il n'y avait plus trace de cette fièvre qui lui embrumait l'esprit la veille. Il se sentait simplement en pleine forme.

La magie de la clairière était vraiment étrange... Mais tout ce qu'il lui importait était bien qu'elle ait perduré malgré les déprédations des malarites. La première chose qu'il fit en se levant ce matin-là fut de s'approcher de l'arbre pour vérifier que son cataplasme tenait bon puis il remercierait sa déesse pour ses bienfaits. Son instinct de rôdeur le poussa également à rechercher des traces dans la terre meuble qui entourait le chêne. Il n'y croyait pas trop et pourtant ses rêves lui avaient paru très réels...

Une anomalie attira immédiatement son regard : l'emplâtre avait disparu. Il eut beau examiner tous les endroits où il avait patiemment enduit l'arbre de la mixture soigneusement préparée, il n'en trouva pas la moindre trace. A la place se trouvait une substance liquide incolore, luisant pourtant de reflets irisés sous la lumière du soleil.
Mais il eut beau regarder, il ne vit pas de trace de passage près du chêne : la terre, trop sèche, n'avait gardé aucune empreinte d'une créature habituée à se mouvoir discrètement dans les bois. Bien sûr, il y avait un peu d'herbe couchée, mais cela pouvait aussi être la trace qu'il avait laissée en s'accroupissant pour poser l'emplâtre. Ça aurait pu être un rêve... mais pourtant, la disparition de l'emplâtre prouvait le contraire.

Le demi-elfe fronça les sourcils de ces constatations contradictoires puis posa une paume sur l'écorce du chêne, comme pour en prendre le pouls, comme pour se rassurer de sa santé. Est-ce qu'il tolérait cette étrange substance qu'on lui avait appliqué pendant son sommeil. Et comme il en avait pris l'habitude chaque matin, il en appela mentalement à sa déesse, renouvelant la promesse de veiller de son mieux sur le jeune chêne. Il pria plus longuement de coutume ce matin-là, comme pour se faire pardonner sa négligence et remercier Mielikki que le chêne soit encore en vie malgré tout.

Il s'interrompit quand il sentit qu'il avait grand soif et recouvré l'appétit. Son premier mouvement fut de se diriger vers la source mais il s'arrêta en chemin : l'eau avait été souillée et il lui faudrait aller en puiser ailleurs.

" Tu peux en boire sans risque, elle est délicieuse."
Le sylvanien semblait lire dans ses pensées. Il était planté à côté de la source, près du grand sorbier, et étirait ses branches vers la lumière du soleil.
" J'en ai même rarement goûté d'aussi pure..."
Et Kasumi put constater, en s'approchant, que l'eau était devenue claire et limpide, sans la moindre trace de souillure. On y devinait quelques alevins, et même un jeune goujon qui fila sans demander son reste vers le ruisseau où s'écoulait la source.

Kasumi n'en croyait pas ses yeux mais il s'agissait d'une preuve de plus qu'il n'avait pas rêvé et qu'un petit miracle s'était produit. Il s'agenouilla avec révérence sur la berge de la source puis y plongea une main pour recueillir de l'eau au creux de sa paume. Elle semblait en effet fraîche et pure et il se rassasia goulument à cette eau qui valait les nectars les plus rares.

- C'est prodigieux : ce doit être grâce à la créature qui est passée par ici cette nuit...

Il ne savait pas s'il s'adressait à Akuburanar ou à lui-même pour tenter de s'en convaincre.

L'eau était effectivement l'une des meilleures qu'il n'ait jamais goûtée, et il put en boire à sasiété - il était véritablement assoiffé.
" Une créature ? questionna le sylvestre, intéressé. Je n'ai rien vu... Il faut dire que je dormais. Avec la chute des températures durant la nuit, le métabolisme de ceux de mon espèce se ralentit... Mais donc, nous avons eu de la visite ? De quelle sorte ? Lui as-tu parlé ?"

Après avoir bu son content, il se rassit sous le sylvanien et tenta de plonger dans ses souvenirs confus de la nuit pour lui répondre. Son ton était aussi incertain que ses réminiscences quand il s'exprima enfin :

- Je pensais être endormi et en train de rêver en fait. Je ne lui ai donc pas parlé et je l'ai à peine vue... Ce dont je suis certain est qu'elle était humanoïde. Avec des cheveux bruns roux je crois. Elle s'est dirigée vers l'arbre et la source. Et aussi vers moi. Et ce matin je me sentais à nouveau en pleine forme. Je crois qu'elle m'a soigné comme elle s'est occupée de panser le chêne et de purifier la source. C'est forcément une envoyée de la déesse.

Il y avait maintenant une pointe d'adoration dans son ton : ses prières avaient été entendues au-delà même de ses espérances.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Aubépine