La Couronne de Cuivre

- Ces trois points, ce sont les ruines d'une tour, construite autrefois par un ermite, un disciple de Sylvanus. Il n'en reste plus grand-chose, à peine le premier niveau. Mais elle peut servir d'abri pour votre première nuit, cela dit.
- A condition de ne pas craindre les fantômes... On la dit hantée, intervint Malvina.
- Bah, ce ne sont tout de même pas de vieilles légendes qui vont t'arrêter ! sourit Eliah.
- Et il t'est bien sûr possible de naviguer depuis la rivière toute proche. On doit avoir une barque à te prêter, si nécessaire.
- Il n'est pas certain qu'il ait l'occasion de la rendre, s'ils retrouvent la mage et qu'ils se téléportent directement...
- Mais c'est surtout une barque à mon avis trop petite pour un lion ! argumenta Cewyn, entrainant un hochement de tête de Yan.
- Mieux vaut utiliser le radeau que nos apprentis ont construit. Il est moins maniable mais bien plus grand...

Le rôdeur ne broncha pas à la mention de la tour qui pourrait effectivement les abriter une nuit avant qu’ils ne s’enfoncent dans le marais. En revanche, il haussa un sourcil lorsqu’il fut question de leur embarcation. Un radeau était effectivement plus adapté quoique bien moins confortable et peut-être plus dangereux à manœuvrer en cas de difficultés. Léo y serait plus à son aise cependant, en tous cas dans la limite du possible étant donné les circonstances. Nul doute que toute la diplomatie d’Eärundra ne suffirait pas à l’apaiser à défaut de lui faire apprécier le voyage. Le fait que le radeau ait été conçu par des apprentis était un autre motif d’inquiétude mais le demi-elfe tempéra ses craintes en se disant que Yan ne le proposerait pas s’il n’avait pas approuvé son état. Y jeter un œil en présence d’Eärundra ne serait pas superflu néanmoins comme le fit savoir Kasumi :

- Le radeau serait donc plus adapté si nous choisissons l’option de la rivière. Nous le testerons demain matin avec Léo avant d’arrêter notre décision, si vous en êtes d’accord. Dans tous les cas, nous vous remercions grandement pour vos informations et votre assistance. Le peuple des forêts de l’est est fidèle à sa réputation d’accueil et de protection et c’est avec fierté que je m’y sens toujours lié par le cœur sinon par le droit.

- C'est toujours un honneur d'accueillir un voyageur dans notre forêt, surtout lorsqu'il s'agit d'un rôdeur que nous eûmes le plaisir de former ici même et de compter parmi les nôtres.
Tous acquiescèrent d'un signe de tête, et Yan ajouta.
- Pour ce qui est des détails pratiques de votre expédition, prenez le temps d'en discuter entre vous ce soir. Vous me direz demain matin à l'aube quels sont vos besoins, et nous verrons ensemble comment y pourvoir.
- Il vous reste un peu de temps avant le dîner, pour vous installer. Sylvia s'est proposée pour vous héberger, tout comme Gwenaël, qui accueillit récemment votre père. Vous avez donc l'embarras du choix... Mais vous pouvez également monter une tente à la périphérie du campement, si vous le préférez. Ou dormir ici, dans la maison commune.

Kasumi afficha un sourire sincère à la formule de politesse de Jeremiah. Ces quelques mots en disaient long de la part du vieux bougon taciturne et allaient bien au-delà de ceux auxquels le rôdeur se serait attendu. Du reste, l’entretien s’était très bien passé de son point de vue, convivial et productif. Il avait appréhendé que sa défection ne lui vaille plus de rancœur mais on ne semblait pas trop lui en tenir rigueur, ce qui mettait du baume au cœur. Et une certaine nostalgie de la simplicité de sa vie ici. De l’impression d’y avoir sa place, son rôle, ses devoirs clairement définis. Des rapports humains soudant la communauté aussi. Une nouvelle fois, le demi-elfe se perdit dans un sourire rêveur cette fois tout en songeant au dernier sujet évoqué par son ancien mentor. Ils allaient devoir choisir chez qui dormir, à quelle invitation répondre. Le plus simple serait certainement d’accepter la salle commune, se plaçant ainsi sous la protection du conclave et du village. Un choix neutre à l’inverse de celui du bivouac qui marquerait clairement leur statut d’Extérieur et la volonté de marquer une distance, de ne pas s’intégrer. D’un autre côté, refuser l’invitation de Gwenaël ou de Sylvia risquerait de les décevoir l’un ou l’autre car le devoir d’accueil était perçu par un honneur par chaque membre de la communauté. Gwenaël avait déjà accepté d’héberger leur père et accepter l’invitation serait donc lui faire part de leurs remerciements. D’un autre côté, le rôdeur se sentait plus d’affinités avec Sylvia et ce serait l’occasion d’échanger de bons souvenirs... Il y avait moins de place chez elle mais il suffirait de se serrer un peu. Et peut-être aussi d’empêcher Tilmandil de dire trop d’âneries susceptibles de l’embarrasser devant son amie. Bref, c’était un nouveau sujet à discuter avec lui et Eärundra s’ils mettaient jamais la main sur la druidesse.
La séance semblait être levée aussi Kasumi inclina le buste, paumes tournées vers l’extérieur comme lors de son arrivée puis ajouta en réponse à Jeremiah :

- Je vous remercie encore une fois et tout particulièrement à ceux qui se sont proposés pour nous ouvrir leur porte pour la nuit. Que la Dame éclaire vos sentiers de ses bienfaits !

Jeremiah inclina légèrement la tête en réponse.
- Puisse-t-elle veiller sur vous et vous guider sur le chemin qui sera vôtre.
Les autres membres du conseil les saluèrent à leur tour, cérémonieusement, avant de se retirer un à un de la pièce.
- Bon... et alors, finalement, tu veux qu'on dorme où ? questionna Tilmandil lorsqu'ils furent à nouveau seuls. Je sais qu'on a encore un peu de temps pour se décider, mais j'ai une représentation à préparer moi...
Il s'interrompit, observa Kasumi d'un air scrutateur, et sourit légèrement.
- Mais je me demande pourquoi je pose la question... Je sais déjà la réponse...

Surpris en pleine rêvasserie, le rôdeur faillit sursauter quand Tilmandil aborda si brusquement la question qui lui tournait en tête, qui plus est avec son ton taquin et sans détour coutumier. Le demi-elfe détourna les yeux un instant sans même savoir pourquoi il aurait dû se sentir coupable. Sans doute à cause de la façon constante de son demi-frère d’insinuer des choses qui n’existaient pas ! Il avait une réponse bien sentie sur le bout de la langue mais elle lui échappa quand il ouvrit la bouche pour bafouiller qui plus est :

- Non, m.. mais qu’est-ce que tu vas encore t’imaginer, toi ? Nous allons devoir trouver Gwenaël pour le remercier de sa proposition et de l’hébergement fourni à notre père. Puis je pensais… eh bien, accepter l’autre invitation. Je dois bien ça à… à Sylvia. Ce n’est pas très grand mais en se serrant un peu…

Pourquoi se sentait-il rougir devant ce maudit barde à l’air goguenard ! Une diversion, et vite !

- Et oui, tu as raison : allons-y si nous voulons être prêts pour le dîner et la représentation. J’espère que tu n’as pas prévu de raconter des histoires fantaisistes sur un certain rôdeur où je te promets de me venger !

Le sourire de Tilmandil n'avait fait que s'élargir devant les protestations véhémentes du rôdeur. Et sa dernière réplique lui arracha un petit rire.
- Mais voyons Kasumi... tu sais bien que c'est mon quotidien, tout le sel de mon art, de conter des histoires plus ou moins vraisemblables, surtout lorsqu'elles concernant le seul convive de l'assemblée que je connaisse !
Il parut réfléchir un instant, puis ajouta, mi-figue, mi-raisin.
- Et donc, je sais maintenant qui est la destinataire de ton bout de bois. Il ne me reste qu'une inconnue : qu'essayes-tu donc d'y sculpter ?
Il sourit d'un air parfaitement innocent.
- Méfie-toi, quand une question me tarabuste ainsi l'esprit, j'ai tendance à mentionner le sujet aux moments les plus inopportuns... J'espère ne pas faire de gaffe...

L’audace du barde atteignait des sommets mais comment le rôdeur pouvait-il lui en vouloir après n’avoir pas manqué une occasion de le tarabuster pendant le voyage ? Il aurait pu tenter de nier les allégations de Tilmandil mais il était bien trop sage pour s’obstiner à mentir devant la curiosité de l’elfe et surtout sa capacité parfaitement agaçante à mettre le doigt exactement où il ne fallait pas. Kasumi n’avait jamais été doué pour les mensonges de toutes façons mais pouvait-il encore éluder la question ? Tilmandil ne cherchait-il pas depuis le début à obtenir de précieuses confidences en donnant l’impression d’en connaître plus qu’il n’en savait ? Bah, le risque n’était pas si grand après tout… Et il n’avait aucune raison de se sentir mal à l’aise non plus. Son regard brilla de malice quand il répondit en regardant son demi-frère droit dans les yeux :

- Chacun son petit talent et un artiste ne révèle jamais ses meilleurs tours, pas vrai ? Le bois ne m’a pas encore révélé tous ses secrets donc je ne peux pas vraiment te répondre tant que l’œuvre n’est pas achevée. Tu dois être bien placé pour le comprendre, non ? Et un cadeau ne concerne que celui qui l’offre et celui qui le reçoit. Mais si la curiosité t’étouffe, tu n’auras qu’à demander à cette mystérieuse destinataire de te le montrer si elle le veut. Nous verrons si tu es aussi fin limier que tu le dis alors ! D’ici là, je te fais confiance pour ne pas commettre trop de gaffes… Tu es trop intelligent pour te réveiller les bottes pleines de terre ou ce genre de désagréments, n’est-ce pas ?

Dans la main du rôdeur, le fameux bout de bois présentait désormais quelques éléments reconnaissables, plusieurs troncs et branches d’arbustes finement dessinés dont on avait l’impression de voir chaque fibre de l’écorce, des buissons pour combler les espaces au premier plan où chaque feuille était finement ciselée et semblait prête à bouger au moindre souffle de vent. Mais tout le centre et l’arrière de la sculpture étaient encore totalement flous, à peine dégrossis, masquant ce que le demi-elfe avait l’intention d’y représenter.

Tilmandil eut une grimace.
- Tu ne veux vraiment pas me dire ce que tu vas y sculpter ? Même à moi, ton presque-frère ? Et en plus tu me menaces... Tu sais pourtant bien qu'elle va vouloir le garder pour elle, secrètement caché contre son coeur, et ne le montrera certainement pas à un barde indiscret.
Il soupira, et leva les bras en un geste théâtral.
- Et voilà comment on passe à côté d'une belle chanson romantique. Juste par manque de confiance... Mais bah, passons. Allons nous installer chez Sylvia. A moins que tu ne préfères y aller seul et que je loge chez Gwenaël, et en profiter pour le remercier ? Après tout, rien ne nous oblige à dormir sous le même toit...

Du coin de l'oeil, Kasumi aperçut Eärundra qui revenait vers le campement, suivie à distance par Léo. Elle était en grande discussion avec un couple de druides qu'il avait côtoyés autrefois, un humain et une elfe : Bryden et Leïala

Le barde avait énormément de bagout, c’était indéniable, réussissant l’espace d’un instant à faire éprouver des remords à son demi-frère. Mais ces cachoteries n’étaient pas seulement destinées à le faire bisquer mais plutôt à le protéger de sa propre imagination débordante. Voilà qu’il suggérait maintenant qu’il dorme seul dans la cabane de Sylvia. Une inconvenance qui ne manquerait pas de provoquer des ragots et peut-être pas seulement de la part de Tilmandil… Il aperçut sa planche de salut en la personne d’Eärundra qui semblait enfin sur le point de les rejoindre avec probablement de nouvelles informations. Galvanisé par cette perspective et cette porte de sortie, il baissa quelque peu sa garde et le regretta tout aussi vite :

- Non, je tiens aussi à remercier Gwenaël et à faire sa connaissance. Et je ne suis pas assez vindicatif à ton égard pour te laisser affronter la présence d’Amish tout seul. Tu as vu ce que ça a donné avec moi déjà… Et pour la sculpture… Puisque tu y tiens tant et que je te considère plus que comme "presque" mon frère… Je vais tenter d’y placer un de mes souvenirs pour l’échanger avec une amie. C’est ce qu’on fait quand on en retrouve, non ? Certains préfèrent les mots ou la musique comme toi. Je ne vois pas ce qu’il y a de romanesque là-dedans ! Je pense l’avoir finie ce soir alors… je ne sais pas… Mettons que si tu évitais de parler de certains sujets gênants lors de ta représentation, tu pourrais avoir le droit de le voir une fois terminée. Juste une fois. Peut-être bien.

Cette fois le rôdeur se permit un sourire, sentant qu'il avait peut-être repris une part de son ascendant sur son volubile demi-frère.

- Aaaah ! Tu vois, quand tu veux, tu sais même te montrer arrangeant.
Le barde souriait, fier de sa victoire.
- Tu me la montres avant d'aller dormir, promis ?
Mais déjà Eärundra se dirigeait vers eux, dispensant Kasumi de répondre : il était évident qu'il ne souhaitait pas voir une personne de plus au courant.
Elle leur dédia un sourire lumineux.
- Avez-vous passé une bonne après-midi ? Je dois dire que la mienne fut particulièrement enrichissante...

Kasumi avait l’impression diffuse de s’être laissé avoir en faisant preuve de trop de largesses vis-à-vis de son demi-frère. Mais l’enthousiasme de ce dernier était tel qu’il était difficile de vouloir le décevoir. Et en y réfléchissant bien, sa requête n’avait rien de si redoutable même si elle était probablement guidée par une vision biaisée de la signification du cadeau qu’il comptait faire à Sylvia. A ce point, renvoyer Tilmandil à sa curiosité ne ferait qu’alimenter les plus folles hypothèses et il risquait de lui en rabattre les oreilles sur la moitié du trajet menant aux marais. Il finirait son œuvre plus tard mais se débrouillerait pour qu’elle soit prête avant l’heure de dormir en espérant ainsi s’éviter une batterie de questions malvenues.

Ce n’était toutefois plus le moment d’avoir ces considérations avec le retour d’Eärundra. Il lui rendit son sourire avant de répondre d’un ton satisfait lui aussi :

- Je suis content de l’apprendre et aussi de vous revoir enfin. Notre après-midi a été enrichissante également mais je vais faire aussi court que possible. Je laisse le soin à notre ami barde d’enjoliver mon résumé de détails connexes de grand intérêt sans doute… En échange d’un menu service, nous avons pu obtenir des informations sur la destination d’Elryndel et sur le moyen de le rejoindre. Nous avons évoqué la possibilité de naviguer sur le fleuve vers les marais pour gagner la moitié du temps de trajet mais il faudra évidemment votre accord et celui de Léo. Si vous êtes d’accord pour le convaincre de tester le moyen de transport et de monter sur un radeau… Quoi d’autre… Nous avons rencontré Cewyn dont vous avez certainement fait la connaissance mais je pense qu’il vous en a dit au moins autant qu’à nous sur les plantes de la région où nous nous rendons. Et… ah oui ! Nous étions en train d’évoquer la question du couchage. Nous avons reçu plusieurs invitations d’habitants du campement et nous allions déposer nos affaires chez l’un d’eux. Avez-vous prévu de dormir avec nous ou de rejoindre le cercle druidique pour la nuit ? Une dernière chose et désolé de vous surcharger d’informations : Tilmandil a accepté de nous donner un grand spectacle en échange de ces services, vous arrivez donc à point nommé pour le voir à l’œuvre. N’est-ce pas formidable ?

Le sourire du rôdeur était peut-être un peu exagéré. Juste un peu.

L'elfe eut un sourire tranquille, presque amusé.
- Et bien, je vous ai rarement vus aussi bavard. J'imagine que vous avez été heureux de revoir vos amis d'autrefois. Quant à moi, j'ai en effet pu échanger des informations intéressantes avec mes condisciples. Mais je vous en ferai part le moment venu : pour l'instant je vois que vous brûlez de voir le spectacle de votre demi-frère. Et pour ce qui est de l'expédition... Je pense laisser Léo nous suivre par voie terrestre aussi longtemps que ce sera possible sans risque pour lui. Il y a des pistes à terre, il suffit de bien faire attention où il pose les pattes. je sais qu'il va détester ce milieu, mais ce n'est qu'un mauvais passage. Et si je sens que cela devient trop dur pour lui, il n'aura pas d'autre choix que d'accepter de se tenir immobile sur un radeau...
- Et souhaitez-vous être hébergés avec nous chez Sylvia ? questionna Tilmandil, remarquant que l'elfe n'avait pas abordé la question.
- Sylvia ? Eärundra eut un regard presque scrutateur, mi amusé, mi-intrigué. Oh, je vais vous laisser entre vous je pense. Bryden et Leïala ont proposé de m'héberger.

La mention de Bryden et Leïala rappela au rôdeur la politesse et il s’empressa de les saluer courtoisement. En tant que druides, ils passaient le plus clair de leur temps à l’écart du campement ce qui n’avait pas franchement facilité les échanges durant sa jeunesse. Le couple lui était cependant plutôt familier comparé à d’autres au caractère plus hermétique pour ne pas parler franchement d’ermites. Eärundra et son caractère enjoué voire espiègle était une exception agréable sauf peut-être quand elle semblait se moquer gentiment et à demi-mot de lui comme il en avait l’impression en cet instant. Devenait-il si bavard soudain ? Et pourquoi Tilmandil s’empressait de le mettre dans l’embarras devant tout le monde à la moindre occasion où il éludait lui-même un sujet. Il venait d’évoquer franchement Sylvia comme il avait évoqué Astrée devant sa famille et même devant son amie d'enfance. A croire que les secrets ou même le moindre non-dit lui étaient insupportables. Comme s’il cherchait à provoquer des réactions franches qu’il s’empresserait sans doute d’interpréter à sa façon. Se sentant une nouvelle fois pris en faute, le demi-elfe tenta de masquer un léger rougissement et crut bon de s’expliquer devant Eärundra :

- Oui très heureux. Un peu nostalgique aussi de revoir tous ces anciens amis que j'ai quitté si précipitamment. Sylvia en est une d’ailleurs. Et rien de plus, Tilmandil, alors cesse-donc de sourire de cette façon ! Nous devons d’ailleurs aller y déposer nos affaires. Nous vous revoyons à la représentation, j’espère ?

Un instant, Eärundra eut l'air songeur, puis son regard retrouva son éclat malicieux habituel. Le sourire de Tilmandil, quant à lui, était clairement moqueur.
- Je serai à la représentation, bien sûr, répondit la druidesse. je vais également aller m'installer.
Elle s'en fut, à la suite de Bryden et Leïala, en direction d'un abri un peu à l'écart du campement.

Autour d'eux, chacun vaquait à ses occupation, non sans leur jeter parfois des regards empreints de curiosité.
- C'est vrai que vous allez nous donner une représentation ce soir ?
Kasumi reconnut Emea, la gamine qui les avait accompagnés jusqu'au campement, accompagnée de son frère Mica et de Willem.
- Oui, c'est vrai, répondit Tilmandil avec fierté. A condition que je puisse avoir un peu de tranquillité pour me préparer, ajouta-t-il en voyant que ses jeunes compagnons s'apprêtaient à le questionner à leur tour.
Sylvia fit son apparition à son tour, accompagnée d'un homme un peu plus âgé qui ressemblait fortement à Joris.
- Kasumi, Tilmandil, permettez-moi de vous présenter mon oncle, Gwenaël. Il me dit que lui aussi a proposé de vous héberger...

Kasumi était certain d’une chose : si tous ces regards et sourires énigmatiques le concernaient, il n’avait pas vraiment envie de savoir ce qu’ils signifiaient. Il ne se rappelait pas avoir jamais rencontré deux elfes comme Eärundra et Tilmandil, sans cesse espiègles ou malicieux. Sans doute était-ce dû à son jeune âge voire même à son mode de vie pour le barde mais la druidesse était pourtant bien plus âgée qu’elle ne le laissait paraître, il en aurait juré. Il ne la laissa cependant pas repartir sans un au revoir en lui promettant de lui garder une bonne place si jamais elle arrivait en retard.

Attendri par la rencontre suivante, le rôdeur adressa force sourires aux gamins en leur promettant sans vergogne qu’ils pourraient interroger le barde après la représentation mais que pour l’heure il avait en effet d’importants préparatifs à faire pour que le spectacle de ce soir soit grandiose. Une fois les gamins satisfaits mais impatients comme jamais, il adressa un clin d’œil à son demi-frère et lui asséna d’un ton amusé :

- Maintenant, il ne faut surtout pas me faire mentir, grand frère ! Des illuminations, des danses aussi peut-être… Voilà qui devrait contenter tout le monde. Oh, mais c’est ton métier, je te fais donc confiance.

Puis, apercevant Sylvia, il s’interrompit brusquement et son cœur manqua un ou deux battements quand il vit qu’elle était accompagnée. En comprenant qu’il s’agissait de son parent, il poussa un soupir et sourit de plus belle. Tendant la main droite à Gwenaël, il fit un effort méritoire pour cacher son ébauche dans son dos de l’autre main sans en avoir l’air. Mais il y avait peu de chance que les nouveaux venus s’en formalisent ou se montrent curieux si Tilmandil tenait pour une fois sa langue. Le rôdeur répondit un peu précipitamment à la question soulevée par Sylvia, inexplicablement troublé. Maudit barde qui me brouille la tête avec ses allusions ! :

- Je suis vraiment enchanté de faire enfin votre connaissance. Je tenais à vous remercier pour l’aide que vous avez accordée à notre père. Et aussi pour votre invitation généreuse. Peut-être pourrons-nous passer une partie de la soirée ensemble mais il se trouve que je doive décliner votre offre. J’avais déjà accepté celle de votre nièce tout à l’heure et… Mais si l’occasion se représentait, comprenez bien que ce serait un honneur pour moi et mon demi-frère.

Un mensonge éhonté mais après tout c’était une façon diplomatique de ne pas décevoir l’oncle de Sylvia. Le rôdeur crut bon d’échanger un regard avec cette dernière pour lui intimer de ne pas relever l’inexactitude et rougit de plus belle.

Sylvia eut un haussement de sourcils surpris, peut-être incrédule, avant de s'empourprer et de détourner très vite les yeux, sans rien trouver à répondre.
Fort heureusement, son oncle ne s'en aperçut pas ; on ne pouvait en dire autant de Tilmandil dont le regard espiègle analysait chaque réaction. Mais il tint sa langue, pour une fois.
- Ce fut un honneur de recevoir votre père sous mon toit, répondit Gwenaël. Et j'aurais eu plaisir à vous héberger également, d'autant que Joris ne cesse de chanter vos louanges... Mais je comprends que vous voulez passer du temps avec votre amie d'enfance. Sylvia m'a souvent parlé de vous. Oh, juste quelques anecdotes concernant votre entraînement...
- Comme la fois où tu as failli tuer un faucon que tu étais sensé soigner, par exemple, précisa l'intéressée d'un ton innocent, ayant retrouvé apparemment tout son aplomb.
- Sylvia !, protesta son oncle.
- Pour une fois qu'il réussissait quelque chose moins bien que moi ! Mais ne t'en fais pas, je suis sûre qu'il n'est pas vexé ! N'est-ce pas Kasumi ?

Le demi-elfe ne savait tout simplement plus où se mettre alors qu’il se trouvait être au centre de l’attention. Il n’avait donc pas vraiment noté l’expression de Sylvia, trop absorbé par sa propre gêne et son incrédulité d’avoir menti à leur bienfaiteur juste pour être certain de passer une soirée en sa compagnie. La suite des propos ne fit que l’embarrasser davantage à commencer par les louanges de Joris. Bon, c’était encore un adolescent aussi ce n’était pas si étonnant qu’il ait pu être impressionné par un étranger équipé comme il l’était et par les quelques minutes où ils avaient échangé quelques passes. Non, ce qui l’étonnait et le rendait songeur à la fois était que Sylvia ait pu parler de lui à son parent. Pourtant, il ne se rappelait pas lui avoir laissé une si forte impression en partant presque comme un voleur à la poursuite de ses chimères personnelles. L’épisode du faucon lui arracha un sourire et la question directe l’invitait à répondre, ce qu’il ne se priva pas de faire. Alors autant en profiter pour lui renvoyer la balle à sa manière joueuse :

- Tu n’as jamais réussi à me vexer ! Oui, les soins et moi… Je n’ai jamais bien su assimiler comment le corps et ses mystères fonctionnent. Alors que Sylvia parvenait toujours à des miracles avec une facilité déconcertante. Vous a-t-elle racontée comment elle était parvenue à ralentir le venin d’une morsure d’araignée de phase ? Sans son intervention, je n’aurais jamais pu tenir jusqu’au campement. Non, vraiment, ça a toujours été elle la plus forte en tout. Sauf en une discipline en fait.

Le rôdeur marqua un temps d’arrêt pour mesurer les effets de sa tirade avant de poursuivre d’un ton plaisantin en se tournant vers Gwenaël :

- Elle n’a jamais su se cacher efficacement ce qui me permettait de déjouer ses embuscades sans peine. Même de nuit. C’est comme si la moindre lumière est attirée par ces cheveux roux… Maître Jeremiah n’arrêtait pas de lui demander de les dissimuler sous sa capuche. Mais vous qui êtes de sa famille, vous devez savoir comment elle peut se montrer un peu têtu parfois, non ? En tous cas, moi je ne me plaignais pas…

Pour le coup, ce ne furent pas les cheveux de Sylvia qui eurent la palme du rouge le plus vif, mais ses joues... Elle commença à bafouiller avant de se reprendre et de lancer, cherchant sans doute à détourner l'attention de sa gêne.
- Mais c'était toi qui me disait que c'était dommage de cacher mes cheveux ! Alors je relevait un tout petit peu ma capuche dès que Maître Jérémiah avait le dos tourné... En fait, c'était juste pour mieux me pister si je comprends bien !
Elle rit.
- Et tu es trop modeste... Tu me battais largement à l'épée, au tir à l'arc, au pistage... et bien sûr pour se dissimuler, mais là j'ai quand même un vrai handicap avec ces fichus cheveux.
Gwenaël leva les yeux au ciel.
- Mais n'avez-vous pas bientôt fini de vous lancer des fleurs ? On dirait presque ces anciens combattants qui se remémorent leurs guerres passées... Peut-être devrions-nous les laisser à leurs souvenirs, Tilmandil, qu'en dites-vous ?
Le barde affichait un sourire jusqu'aux oreilles.
- Oh, je suis sûr que la nuit entière n'y suffirait pas... Je devrais peut-être loger ailleurs si je veux pouvoir dormir un peu... sans subir des heures de bavardages, j'entends.

Kasumi était étrangement fier de lui-même d’avoir enfin réussi à déstabiliser un peu Sylvia mais il devait rapidement en payer le prix comme il ne tarda pas à s’en rendre compte. Son allégation concernant la raison pour laquelle elle ne dissimulait pas ses cheveux le laissa perplexe et même hausser un sourcil. Lui avait-il jamais demandé une telle chose ? Cela ne lui ressemblait pas… Quoiqu’il devait bien s’avouer que s’il l’avait fait, ce n’aurait certainement pas été pour gagner quelque concours de camouflage. Mais il s’abstint de tout commentaire, de toute pensée dangereuse comme le fait que « ces fichus cheveux » avaient toujours su attirer son regard, même maintenant se rendait-il compte avec une certaine incrédulité. Les jolies boucles brunes d’Astrée avaient le même effet sur lui d’ailleurs. Reconnaître la beauté chez une autre femme était-il répréhensible ? Pensée dangereuse là encore. Et le silence s’était installé sans qu’il parvienne à se souvenir de la moitié des mots échangés par Gwenaël et son demi-frère. Le rôdeur s’arracha avec peine à ses pensées et se tourna vers eux, détournant brusquement son regard de Sylvia. Il répondit d’un ton un peu absent :

- Oh non, ce ne sera pas nécessaire ! Je souhaitais faire votre connaissance à vous aussi car Sylvia s’est montrée assez cachotière sur sa famille. Et je ne me risquerai pas à évoquer d’autres anecdotes devant un barde. Je nourris déjà les pires craintes pour ce soir. Mais peut-être que tu souhaites un peu t’isoler Tilmandil ? Pour finir ce que tu as à finir j’entends ?

Lui aussi entendait trouver une petite heure pour achever ce qu’il visualisait maintenant clairement. Un souvenir. Oui, l’un des plus vivaces et qui faisait étrangement écho à ce qu’ils venaient d’échanger depuis quelques minutes. Etrange coïncidence.

- Oui, admit Tilmandil, j'aurais effectivement besoin de travailler un peu au calme. Ca ne s'improvise pas, une représentation, contrairement à ce que les non-initiés peuvent croire... Mais je ne sais pas où m'installer, avoua-t-il d'un air désolé à Sylvia.
- Vous pouvez vous installer dans ma petite cabane. Je resterai encore un moment au-dehors pour ne pas vous déranger, mais il faudra que je vienne préparer le dîner ensuite.
- Ca ira très bien, merci.
- Je vous accompagne pour vous montrer où vous installer pour la nuit.
Sylvia adressa un sourire presque d'excuse à Kasumi avant d'accompagner Tilmandil.

- J'espère que vous retrouverez votre père sain et sauf, fit Gwenaël après un bref instant de silence. Je l'ai trouvé mal en point quand il a quitté la maison. Son obsession pour cette soi-disant racine miraculeuse lui donnait l'énergie du désespoir, mais si, comme le lui ont dit les druides, cette racine ne le sauve pas, il va s'effondrer...

Un peu distrait, la voix de Gwenaël faillit faire sursauter le rôdeur mais il se reprit assez vite pour ne pas marquer de silence avant de lui répondre d’un ton grave :

- Vous avez raison, c’est ce que je crains le plus. Non pas que la plante ait des effets néfastes en elle-même quoique la chose n’est pas à exclure non plus… Non, ce que je crains depuis que j’ai appris par où en est passé mon père, ce sont les effets que la plante aura sur son moral. On m’a raconté qu’il était prêt à chercher quelque espoir dans les plus folles des histoires mais quand il reprendra contact avec la réalité, j’appréhende qu’il ne lui en reste plus aucun. C’est pourquoi nous devons le retrouver avant qu’il n’atteigne ce bosquet, avant qu’il ne le quitte sinon. Je ne sais pas encore ce que cela changera mais il me faut tenter quelque chose. N’importe quoi. Je l’ai abandonné il y a si longtemps. Comme tant d’autres ici. Je le lui dois. Au moins à lui.

Gwenaël hocha la tête.
- Je vous comprend... Même si je ne sais pas ce que vous pourrez faire pour l'aider. Cewyn a tenté de le raisonner. Parfois entre elfe la confiance passe mieux, mais son statut de druide était un obstacle. Elryndel avait la sensation qu'il ne lui disait pas tout ce qu'il savait, tout ce qu'il aurait pu. Il s'en est ouvert à moi plusieurs fois. Cewyn lui répétait simplement que la voie qu'il explorait n'était pas la bonne et qu'elle ne le mènerait à rien, sans toutefois lui donner d'autre voie à suivre, d'autre espoir auquel se raccrocher. C'est du moins ce que votre père disait. Et il est bien connu que les druides gardent jalousement leurs secrets, d'où les doutes, peut-être infondés, de votre père... Quoiqu'il en soit, il n'a jamais voulu démordre de sa quête.
Il soupira.
- J'espère que vous saurez le ramener à la raison. Ou, mieux, que vous trouverez un moyen de le guérir de ce mal étrange qui l'affaiblit tant...
Puis, sursautant comme s'il se remémorait quelque chose, il ajouta.
- J'oubliais... Ma fille Amish a insisté auprès de moi pour que je la laisse vous accompagner. Je lui ai dit que vous n'aviez nul besoin de guide ou d'aide, ce qui l'a énormément vexée... Donc ne soyez pas surpris si elle insiste auprès de vous demain matin !

Les propos de Gwenaël ne laissaient que peu d’espoir au rôdeur de parvenir à convaincre son père à moins peut-être que celui-ci ait déjà expérimenté le remède en vain. Mais alors, quel espoir pourrait rester à Elryndel ? Serait-il encore apte à se montrer raisonnable ? A écouter son fils perdu revenu comme par miracle. Et que lui dirait-il ? De rentrer à Everaska sans espoir de guérison ? Là où il aurait simplement une chance de prolonger son calvaire ? Non, la seule chose qu’il était peut-être encore à même d’accomplir était d’obtenir son pardon pour sa défection, pour n’avoir jamais cherché à donner de nouvelles. Et peut-être faire la paix avec lui, avant la fin… C’était là une perspective bien déprimante qui doucha grandement son enthousiasme de tantôt et sa joie d’avoir retrouvé Sylvia. Entre autres. Le rôdeur avait donc gardé le silence jusqu’à ce que la dernière remarque de son hôte ne le sorte de sa torpeur, le laissant passablement incrédule :

- Amish vous a demandé ça ? Ne le prenez pas mal mais j’étais pourtant resté sur l’impression qu’elle préférait me lancer une dague dans le dos que de m’aider. Je n’ai pas fait grand-chose pour améliorer sa perception, je le crains. Peut-être que… Je ne sais pas, elle cherche à se prouver des choses à elle-même. Je vous remercie de l’avoir dissuadée en tous cas : nous nous engageons dans des zones très dangereuses et même si je sais reconnaître la valeur de votre fille, elle n’est pas encore tout à fait prête pour affronter de tels périls. Surtout que cela ne servirait en rien les intérêts de la communauté. Je lui parlerai si elle vient me trouver, n’ayez crainte. Nous nous devons de ne pas abuser de votre aide alors que vous nous en avez déjà tant accordés. En tous cas, vous pouvez être fier de vos enfants. Ils ont de la force en eux et Mielikki les bénisse de gagner votre sagesse et votre générosité.

Le demi-elfe était sincère mais il semblait toujours mal à l’aise par l’inutilité apparente de leur quête et la fin bien amère qui semblait devoir récompenser un succès éventuel aussi il ne chercha pas à prolonger la conversation :

- J’espère vous voir à la représentation de ce soir. Mais je crois que j’aurais moi aussi besoin de quelques minutes pour assimiler tout ça. Ce retour est assez bouleversant je dois dire…

Gwenaël hésita un instant, inquiet sans doute de l'expression qu'arborait le rôdeur. Plutôt que de le laisser s'éloigner, il prit à nouveau la parole.
- Ne soyez pas complètement pessimiste. Cewin a insisté sur le fait que la voie que suit votre père ne mènera à rien, que ce n'est pas la bonne. Mais il n'a jamais dit qu'il n'y avait aucune guérison possible.... C'est bien pour cela que votre père lui en voulait tant : il avait la sensation que les druides ne lui disaient pas tout, qu'ils se contentaient de lui dire ce qu'il ne devait pas faire, sans jamais lui dire ce qu'il pouvait tenter à la place. Votre père était persuadé qu'ils avaient une idée de solution possible et qu'ils refusaient de le guider. Il était aigri... mais peut-être n'en savaient-ils pas plus après tout. Il est difficile d'avoir la moindre certitude à ce sujet. Mais je pense que si la situation avait été sans espoir, Cewin le lui aurait dit sans détour. Ce qui me fait songer que, peut-être, il y a un espoir de guérison...
Il soupira.
- Si seulement vous étiez druide, vous auriez peut-être une chance d'en apprendre davantage... sauf s'ils ne savent effectivement rien.
Il grimaça.
- Allez donc vous préparer, et ne vous inquiétez pas à l'avance de ce qui vous attend là-bas. Il paraît que le bosquet où se trouve cette racine renferme bien des mystères... peut-être y trouverez-vous des pistes ?

Kasumi avait écouté attentivement les paroles apaisantes de son aîné. Certes, elles ne lui apportaient pas vraiment de réponse ou de solution mais au moins elles avaient le don de ranimer un peu d’espoir. Un espoir dont il aurait grandement besoin s’il voulait se montrer utile envers son père qui en serait encore davantage dépourvu. Le demi-elfe songea à Eärundra et se permit un sourire léger à l’adresse de Gwenaël :

- Vous avez raison. Nous avons une druidesse avec nous alors tout n’est peut-être pas perdu. Il y aura peut-être des réponses au bosquet, à condition d’être assez vigilant et persévérant pour les chercher. Gwenaël, je vous remercie. Pour tout en fait. Combien même il n’y aurait pas la ressemblance physique que je saurais que vous êtes de sa famille. Sylvia aussi avait le don de voir le côté positif des situations alors que j’ai souvent eu tendance à me décourager trop facilement. On dirait que le passé me rattrape depuis que je me suis mis en route, que je suis reparti dans l’autre sens. Je crois que je lui ai fait beaucoup de mal à elle aussi. Sans le vouloir bien sûr. Jamais je ne l'aurais souhaité. Elle avait confiance en moi et je l'ai déçue par mon attitude défaitiste et irréfléchie à vrai dire… Je suis en tous cas heureux d’avoir pu vous rencontrer.

Sur un dernier sourire plus optimiste, le rôdeur commença à s'éloigner avec l'intention de s'isoler et de s'asseoir quelques minutes à l'ombre d'un arbre. Au moins la pluie avait cessée et l'après-midi se parait même d'un rayon de soleil. Le ravitaillement pourrait bien attendre quelques instants encore.

Personne ne vint interrompre les méditations de Kasumi. Les rares enfants du campement lui jetaient parfois un regard intrigué, mais semblaient trop intimidés pour venir le déranger. Il apercevait Eärundra un peu plus loin, en train de discuter avec Leïala, Léo couché à ses pieds. Tilmandil était invisible, probablement en train de préparer son spectacle dans la cabane de Sylvia. Et du reste, celle-ci non plus n'était pas visible.
La journée s'achevait, et les tâches du quotidien occupaient chacun des membres de la petite communauté : cuisine, couture, entretien des outils, même les enfants étaient mis à contribution pour de petits travaux à leur portée.

Une courgette de taille impressionnante atterrit sur ses genoux, venant de nulle part, mais lancée avec adresse.
- Je te laisse la couper en morceaux ? Si je me souviens bien, tu n'es pas mauvais cuisinier...
Sylvia se détacha du cabanon derrière lequel elle se dissimulait et lui sourit.
- J'ai dispensé Tilmandil de corvée de légumes, il est trop concentré sur son spectacle. Mais je compte sur ton aide ! Enfin, quand tu auras fini ce que tu es en train de faire bien sûr. je t'attends chez moi...

Kasumi était totalement absorbé dans ses pensées et fit donc un bon impressionnant, n’ayant pas vu le coup venir. Il faillit même se couper mais heureusement il venait tout juste de terminer « ce qu’il était en train de faire » aussi la sculpture ne fut pas endommagée par son mouvement brusque. Il s’empressa d’ailleurs de la dissimuler dans son giron tout en regardant d’un air incrédule la courgette et la lanceuse de légume à l’origine de son trouble. Sylvia avait presque atteint la porte de sa cabane quand il retrouva sa contenance pour réagir bien piteusement :

- Je viens de me souvenir pourquoi je disais que c’était dommage que tu cachais tes cheveux ! Et bien sûr que tu peux compter sur un peu d’aide sinon on va encore devoir se rabattre sur ta spécialité… Non mais tu as vu la taille de cette chose ? J'ai déjà affronté des gobelours moins massifs ! Je suis censé la pourfendre de mon épée peut-être ?

Le demi-elfe s’était redressé et affichait un sourire amusé, heureux même. Comme s’il retrouvait soudain un moment passé, oublié, regretté. Il enfouit la sculpture dans son sac un peu trop rapidement pour que Sylvia puisse la contempler mais pas assez pour qu’elle ait pu manquer de le remarquer. Puis il s’approcha de la cabane en affichant un air mutin, comme s’il savait déjà qu’elle serait la réaction de son amie.

- Mais oui, bien entendu, tu vas la décapiter de ton épée et la découper en quelques mouvements bien ajustés... je suis sûre que tu es assez adroit pour ça !
Sylvia rit joyeusement. Mais elle ne pouvait empêcher son regard intrigué de se poser sur le sac de Kasumi. Elle finit par questionner, d'un air aussi détaché que possible.
- Et c'est quoi, ce que tu caches dans ton sac ? Un souvenir de ta bien-aimée loin d'ici ? Ou bien, je ne sais pas, un cadeau que t'a fait la druidesse qui t'accompagne peut-être ? On dirait que c'est du bois...

Le rire de Sylvia entraîna naturellement le sien, comme elle avait souvent eu le don de le faire quelques années auparavant. Cependant, quand elle manifesta une curiosité à peine dissimulée pour ce qu’il dissimulait, le rôdeur marqua un temps d’arrêt, une seconde de gravité en songeant à Astrée. Il n’avait plus sculpté pour personne d’autre qu’elle, à l’exception des enfants de l’orphelinat depuis un an qu’il avait fait sa connaissance. Comment prendrait-elle le fait qu’il fasse un tel cadeau à une autre femme ? Et celui-ci était-il si innocent que cela ? Le simple don d’un ami à une vieille connaissance. La volonté de se remémorer un pan de son passé. N’était-il pas un peu équivoque au contraire ? Ne reflétait-il pas quelque acte manqué ? Il avait gardé le silence pendant près d’une minute et se rendit compte que Sylvia avait interrompu son mouvement vers la porte pour l’observer, dans l’attente d’une réponse qui tardait à venir. Alors, comme pour prendre à défaut ses pensées évasives, il lui répondit d’un ton parfaitement mystérieux :

- C’est autant un souvenir qu’un cadeau. Mais il ne vient pas d’elles, non… Mais c'est en bois et à ce propos, je te dois une bûchette je crois !

Puis, il devança la jeune femme pour gagner la porte de la cabane avant de répliquer d’un ton bien plus léger :

- Mais revenons plutôt à cette chose que je suis censé étêter et découper en rondelles. Aurai-je l’appui d’une armée ? Ou à défaut de la meilleure partenaire de mission que j’aie jamais connue ?

La Couronne de Cuivre

[Haute-Forêt] Quête : Racines