La Couronne de Cuivre

-Oui... Je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui, il y aura beaucoup de motivés, parmi nos compagnons, pour entreprendre de grandes choses : tout le monde a besoin de souffler, de... reprendre ses esprits, je dirais. Mais le Conseil doit définir un plan d'action, et mettre en branle ce qui peut déjà l'être. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous reposer sur nos lauriers, notre situation est trop précaire.
Il l'entraîna à l'intérieur, en direction de la cantine improvisée. Ils y retrouvèrent Albérich et Hubert puis, ensemble, gagnèrent une pièce déserte pour y tenir leur réunion.

" J'ai pris la liberté de demander à ce qu'on nous amène une table, dit Albérich, lorsqu'ils furent tous réunis. Et je vais m'improviser secrétaire, si ça ne vous gêne pas. Nous parlons beaucoup mais nous ne prenons pas de notes. Peut-être Marthe le faisait-elle, et peut-être Ignace était-il capable de tout retenir, mais ce n'est pas mon cas."
Dès qu'ils furent équipés, il sortit du parchemin, un encrier et une plume.
" Je n'ai aucune idée de la date... je calculerai plus tard, fit-il avec le sourire. Etienne, peut-être devrais-tu commencer ? Après tout, tu sais où en sont les choses."

-Ah, heu, et bien... je crois que vous en savez presque autant que moi, mais d'accord, fit-il, émergeant de ses pensées. D'abord, la forteresse est sûre : nous l'avons explorée de fond en combles, nous avons éliminé les quelques morts-vivants qui s'y trouvaient... Il n'y a rien à craindre, ici, et chacun peut s'y promener sans encourir d'autres risques que celui de s'égarer. Ensuite, ous avons également sécurisé l'itinéraire que vous avez emprunté pour venir des portes jusqu'ici, et fermé les grilles à proximité, ce qui le protège contre toute attaque... Enfin, nous avons mené queques repérages en surface, notamment à proximité du lac... Sans aller très loin, évidemment.

" Quelles devraient être nos priorités ? demanda Hubert, bras croisés.
— Proposons en vrac, nous ferons le tri ensuite, dit Albérich. Vu la taille de la forteresse, je dirais que dans un premier temps, une priorité devrait être que les gens s'y installent réellement. Elle est assez vaste pour que nous y vivions plusieurs mois, sans souffrir de la promiscuité. Je crois qu'il faudrait ouvrir d'autres étages, laisser la possibilité à des familles, des couples, des individus seuls, même, de se réapproprier leur intimité.
— Il faut réorganiser la garde...
— S'occuper des enfants cannibales...
— Et certains voudront poursuivre l'exploration, en parallèle. Mais vers où ?
— Elire de nouveaux conseillers ?
— Faire l'inventaire de ce que nous avons et de ce qui nous manque.
— Comme de vrais bons lits."

La dernière remarque les fit sourire.
-Inventorié notre matériel est un bon début, oui. Peut-être le palais recèle-t-il des choses utiles, de même que la cité. Néanmoins, comme Hubert le suggérait hier, je pense qu'il faut commencer par envoyer une expédition aux forts, pour récupérer ce que nous y avons laissé mais également les chariots demeurés en arrière et ce qu'abrite le camp des cannibales. Cela constituera un apport non négligeable.
-Parmi ceux qui resteront ici, certains devraient cartographier le château, afin que nous en ayons une connaissance parfaite. Les autres pourraient le visiter à leur guise, pour se familiariser avec les lieux... Ensuite, je suis d'accord avec toi, Albérich : chacun doit pouvoir s'installer où il le souhaite, avec qui il le souhaite.
-Pour le reste, je pense que les jeunes Paludiers constituent un dossier brûlant. Leur surveillance mobilise des forces vives, et leur présence représente sinon une menace, au moins un sujet d'inquiétude. Il faudrait s'activer au plus vite pour essayer d'en intégrer quelques-uns. En ce domaine, les connaissances de Varamyr nous seraient d'un précieux concours.

" C'est vrai que je ne suis pas encore descendu voir comment les choses s'étaient déroulées. J'ai croisé Gabriel, cela dit, et il paraissait vivant. De ce que nous avons pu constater hier, les plus jeunes semblent avoir besoin d'être réconfortés... et ce sont peut-être les plus facilement intégrables à la communauté. Cependant, je ne vois pas bien comment les gérer en groupe. Le mieux serait de voir, dans un premier temps, si certaines familles ont envie de tenter l'aventure de l'accueil... pour ne pas aller trop vite en besogne."
Hubert acquiesça sans rien dire.
" Nous ne disposons pas encore de structures fortes, comme un temple ou une commanderie, pour les intégrer autrement."

-L'accueil dans des familles est sans doute la meilleure solution, oui. Mais il faudra d'abord s'assurer qu'ils ne représentent pas une menace : après tout, on doit leur apprendre à tuer dès leur plus jeune âge... Cela impliquera donc de leur faire comprendre que nous n'avons pas de mauvaises intentions à leur égard, ce qui ne sera pas simple, et réclamera par la suite des gens particulièrement vigilants.
-Je suis sûr qu'ils seront sensibles à l'affection et à la bienveillance dont la Communauté les entourera. Et je suis sûr, aussi, que Varamyr nous donnera des conseils utiles.
-Autre sujet : nous devrons songer aux disparus, à ceux qui pourront éventuellement être ressuscités...
-Oui... Mais peut-être vaut-il mieux,d'abord, essayer de retrouver le trésor ou les mines ? S'il y a d'autres diamants, la donne sera considérablement changée...

Hubert et Albérich échangèrent un regard, puis le Luménien poussa un bref soupir.
" Nous avons perdu treize personnes dont nous disposons du corps. En fonction de la taille des diamants que nous possédons, le rappel à la vie doit être fait plus ou moins vite et sera plus ou moins traumatique. Il est vrai que localiser la mine pourrait être utile, mais même si nous le faisons, évaluer ses possibilités d'exploitation ne sera sans doute pas facile. J'imagine que les nains qui nous ont accompagnés sont les plus à même de nous renseigner à-dessus. J'ai parlé aux deux veuves que nos hommes ont laissées... Il y en a peut-être d'autres, suite aux combats d'avant-hier... L'un dans l'autre, il faut nous décider rapidement."

-Il y a une veuve de plus, oui. Gabriel a passé du temps avec elle avant votre arrivée. Hum, et les diamants dont nous disposons sont de taille respectable...
-Nous pouvons nous accorder deux ou trois jours pour localiser d'une part le trésor, qui contient peut-être des joyaux utilisables, d'autre part la mine. Si, passé ce délai, nous n'avons rien trouvé de probant, il faudra trancher, quitte à trouver un moyen de conserver les corps plus longtemps si leurs proches le souhaitent.

" Barthélémy peut ramener un homme à partir d'un cheveu, s'il dispose d'un diamant de bonne taille, dit Albérich avec un haussement d'épaules. Nous pouvons ensevelir les corps et conserver le nécessaire à une résurrection, pour chaque personne tombée. Ce n'est pas idéal en termes de gestion... du deuil... mais c'est accessoire, je suppose. Si les diamants dont dispose la communauté ont une valeur forte... Peut-être y a-t-il moyen de les tailler pour obtenir six ? Mais je n'y connais rien, je dois bien l'avouer. L'un dans l'autre, je suis d'accord avec Etienne : cherchons le trésor, cherchons la mine, avisons. Mais nous ne pouvons pas retarder la décision de plus de quelques jours, sous peine de créer des tensions fortes dans le groupe. La veuve de l'un d'entre eux m'a déjà reproché notre tiédeur dans ce domaine."
Hubert frissonna mais ne dit rien.

Ils acquiescèrent.
-Bon, résumons les dossiers urgents : inventaire de nos réserves, exploration et cartographie du château, expédition aux forts et au camp cannibale, recherche du trésor et de la mine, cas des petits Paludiers... Quelqu'un voit-il autre chose ? Et qui veut se charger de quoi ?
-Je peux constituer et mener l'expédition aux forts : je pense que les éclaireurs seront ravis. Néanmoins, je peux céder ma place si cela te tente, Hubert.

" Non, c'est bien, dit Hubert avec un sourire. Je ne suis pas particulièrement pressé de retourner jusque là, or j'ai la conviction que tôt ou tard, nous devrons réinvestir ces lieux de manière plus durable... Il faudrait vraiment, à ce sujet, faire brûler les cadavres du premier assaut."
Albérich était pensif.
" Je crois que cette liste de choses à faire nous indique que nous devrions nous trouver des collaborateurs. Je vais me charger de l'inventaire et des enfants, mais ça va me prendre trois jours, sauf si je déniche des volontaires pour m'aider et me décharger de certaines choses."
Hubert se tourna vers Etienne.
" J'imagine que tu auras envie de partir en exploration, après toutes ces heures à la forteresse. Je vais rester ici : j'ai besoin de prendre les lieux bien en main pour me sentir plus à l'aise, et ça me permettra de faire le tour des remparts, des souterrains, d'imaginer comment installer les gens en fonction des besoins. J'en profiterai pour réorganiser un peu la garde."

-Tu sais, j'ai déjà pas mal exploré, alors il ne faut surtout pas te priver si cela te tente. Mais sinon, d'accord, faisons ainsi. Cependant, nous veillerons à ce que tu aies toi aussi ton content d'expéditions, le moment venu. Quelqu'un pourrait parfois te remplacer pour superviser la garde de la forteresse, tandis que tu te rendrais dans la cité pour découvrir ces bâtiments et anéantir les morts-vivants... De ce que je sais des paladins, ce genre de mission, c'est plutôt dans leurs cordes, non ?
Comme d'habitude, à moins que quelqu'un ne soulève un autre point, ils pouvaient se séparer.

" A vrai dire, je n'ai pas quitté Solarcis pour redevenir chef de la garde ailleurs, Etienne, dit alors Hubert, un peu plus grave. Mais j'ai des candidats en tête, et le moment venu, nous en reparlerons. Pour l'instant, je considère que nous sommes encore dans une situation incertaine."
Au moment où le conseil se sépara, Albérich attrapa le coude d'Hubert et l'entraîna un peu plus loin dans le couloir. Le paladin, décontenancé, ne protesta pas.
" Nous devons parler de notre engagement dans la communauté." dit le Luménien de but en blanc.
Hubert grimaça.
" Mais encore ?
— Nous avons signé pour le trajet. Le trajet est terminé.
— On peut voir ça comme ça...
— C'est un fait. Or nous sommes tous les deux en train de nous impliquer plus avant. Nous sommes hors contrat. Je veux que nous soyons tous les deux d'accord."
Le paladin acquiesça.
" Es-tu d'accord ?
— Oui. Jusqu'à un certain point, j'imagine. Mais nous devrons en reparler régulièrement.
— Faisons comme ça.
— Parfait. Bonne journée alors. Nous nous croiserons, vu que nous restons ici tous les deux.
— Albérich, à ce sujet... Je sais que l'intendance, ce n'est pas exactement ton registre favori... Tu devrais t'en ouvrir.
— Chaque chose en son temps. Il n'y a personne pour le faire et je suis le plus qualifié. Ne t'inquiète pas pour moi. Trouve-toi un dessinateur de plans. Comme Giovanni, par exemple.
— Misère."
Sur un sourire, chacun partit vaquer à ses occupations.

Hubert dénicha Giovanni dans la salle commune. Ce dernier accepta aussitôt de l'aider et, le temps de récupérer du parchemin et un nécessaire d'écriture, ils étaient partis.
Le paladin comprit très vite que le château était constitué d'ajouts successifs. Au centre se dressait l'équivalent antique d'un donjon, bâti dans le même style que le fort où ils avaient vécu près d'une veille. Puis, sans doute au fur et à mesure que Clairétoile prospérait, on lui avait accolé des ailes successives, plus élégantes. L'ensemble formait un vaste quadrilatère, possédait deux étages en plus du rez-de chaussée ainsi que deux grandes cours intérieures, l'une à l'est, l'autre à l'ouest : elles étaient entourées de galeries à colonnades sur lesquelles débouchaient différentes pièces. Enfin, si l'endroit paraissait de prime abord labyrinthique, on constatait rapidement qu'il était bâti selon les principes de la symétrie : une fois qu'on avait saisi la chose, s'y repérer était un jeu d'enfant.

***

La première tâche d'Albérich fut rondement menée. Il rassembla les hommes de l'intendance, apprit qu'en matière de nourriture et de fourrage, l'inventaire avait été tenu à jour, et ne manqua pas de volontaires pour le mener à bien dans des domaines tels que les outils, l'armement, les vêtements et les couvertures, les matériaux divers... Si, pour l'heure, personne ne semblait prêt à reprendre le rôle d'Ignace, au moins pouvait-il compter sur la bonne volonté de ses anciens subordonnés.

A partir des listes qu'il récupéra, Albérich tenta d'estimer combien de temps ils pouvaient encore se nourrir et se chauffer. Il essaya aussi de faire la liste des choses qui leur manquaient, vêtements, couvertures, mobilier, tout en sachant qu'il leur reviendrait encore du matériel des forts et de la plaine. Il constata que des âmes pleines d'initiatives avaient déjà ajouté les provisions des cannibales aux leurs. Il rappela à ceux qui géraient les vivres périssables que les clercs pouvaient purifier la nourriture avariée très facilement et en quantités notables, et qu'il ne fallait donc pas jeter ce qui semblait pourri. Il envoya ensuite plusieurs équipes fouiller l'intégralité de la forteresse, à la recherche de tout le matériel qu'ils pourraient trouver, rideaux, chaises, gobelets, n'importe quoi. Après tout, pourquoi les statues auraient-elles été les seules à survivre à l'épreuve du temps ?
Pendant que tous ces aspects suivaient leur cours, il se rendit dans les couloirs où on avait enfermé les jeunes cannibales, histoire de venir aux nouvelles.

Gabriel était lui aussi de retour sur les lieux. Sans doute y était-il revenu sitôt son petit-déjeuner avalé.
-Les petits ont beaucoup pleuré, beaucoup réclamé Ruth et surtout Alban, mais ils étaient si épuisés qu'ils ont dormi malgré tout. Les moyens n'en mènent pas large, eux non plus ; toutefois, ils donnent mieux le change. Quant aux grands... Ils sont difficiles, et les plus... atteints ont tendance à se venger sur les autres ; néanmoins, nous avons pu à chaque fois intervenir à temps et éviter les blessures sérieuses. Sinon, l'enfermement commence à peser à tout le monde, ça s'agite de plus en plus.

" On va organiser une grande récréation, je ne vois que ça. Peut-être par groupes, à nouveau... ou si la cour est assez grande, on les sort tous en même temps, et on les garde plus ou moins à l'écart les uns des autres. Pour le reste... Nous avons songé à des familles d'accueil. Je pense qu'il va falloir les approcher une à une, voir s'il y a des gens qui se sentent de prendre en charge un enfant. Sinon, j'ai mémorisé un sortilège de don des langues, je peux m'entretenir avec eux dans leur dialecte, mais il ne tiendra que deux heures... Je dois choisir le moment opportun. Ah... Il va vraiment falloir que je me constitue une équipe d'une dizaine de personnes, dont l'activité unique sera de les gérer. Je devrais revenir à mon recensement. J'ai la liste des familles, la liste des activités... Peut-être que parmi ceux dont la profession est actuellement inutile, comme les fermiers, certains se sentiraient des velléités de gardes d'enfants..."

-Hum, il faudrait qu'ils soient très motivés, très patients et surtout très prudents, car nous avons quand même affaire à des apprentis tueurs. D'accord, peut-être pas les plus jeunes : ils ont, par certains côtés, l'air d'enfants ordinaires et j'en déduis qu'ils n'ont pas encore débuté leur formation, même si je peux me tromper... Par contre, les autres, c'est à dire la majorité... Ça se voit rien qu'à leur carrure, à leurs gestes et à leur attitude, qu'ils ont subi un entraînement intensif et... difficile, pour le moins. Enfin, peut-être parviendras-tu à les mettre dans de bonnes... dans de moins mauvaises dispositions.

" Je ne pensais qu'aux plus jeunes, pour les familles. Pour les autres... Je n'en sais rien, Gabriel, en vérité. J'ai l'impression que du temps et de la douceur seraient nécessaires, mais je suis conscient qu'ils sont incroyablement nombreux. Il faudrait sans doute que nous structurions leurs journées, avec des activités et un semblant de discipline, comme pour les novices d'un temple, en somme, et puis petit à petit, nous laisser le temps de les apprivoiser. Je suis d'accord avec toi que lâcher des petites brutes dans l'enceinte de la forteresse n'est pas envisageable."
Il soupira.
" Bon. Faisons déjà sortir les plus petits. Il faudra une équipe pour nettoyer leur chambre pendant qu'ils se dérouillent les jambes... et sans doute devrons-nous songer à les escorter jusqu'aux thermes. Ils ne sont que dix, ce sera gérable."

-Les thermes, ce serait une bonne idée, pour eux et pour les autres : malgré leurs ablutions d'hier matin, ils ne sont pas très propres, sans parler des parasites. Mais bon, chaque chose en son temps : déjà, la cour.
Gabriel alla s'entretenir avec l'équipe des surveillants. Deux d'entre se portèrent volontaires pour seconder les clercs et, ensemble, ils firent sortir les dix gamins de leur cellule et les conduisirent à l'extérieur. Les petits barbares n'en menaient pas large, mais ils parurent vaguement réconfortés en apercevant Albérich et l'un ou l'autre prononça les noms des écuyers. Une fois dans la cour, ils demeurèrent immobiles, ne sachant trop ce qu'on attendait d'eux.

" J'imagine que nous n'avons pas de ballon, ou quelque chose du genre... mais tu es expert dans les activités pour la jeunesse, non, Gabriel ?" dit Albérich avec humour.
Il avança de quelques pas dans la cour.
" Dieux, est-ce que ces enfants savent seulement jouer ?"
Il s'approcha du groupe et leur sourit maladroitement. Il posa la main sur sa poitrine.
" Moi, c'est Albérich."
Il chercha le petit Ingmar des yeux puis le désigna.
" Et toi Ingmar."
Il se tourna vers une petite fille.
" Et toi, ma grande, c'est quoi ton nom ?"

-Je suis peut-être expert dans les activités pour la jeunesse mais, d'habitude, les enfants que l'on me confie me comprennent et n'ont pas peur que je les dévore ou que je les écorche vifs. Pour le reste, peut-être avons-nous des ballons, si, il faudrait demander aux gosses de la Communauté. Mais honnêtement, je ne suis pas certain que ceux-là connaissent le sens du mot jouer. J'imagine que ce n'est pas une chose à laquelle on les a vraiment habitués...
S'il était une chose à laquelle ils étaient habitués, en revanche, c'était au nom d'Albérich, qu'Alban avait dû souvent leur répéter. Et bientôt, le clerc connut les leurs, qu'ils lui livrèrent avec timidité.

HRP : Argh ! Giovanni a pris possession du corps de Gabriel !

Retenir le nom de dix enfants, ce n'était pas très compliqué. Mais Albérich craignait que Gabriel n'ait raison : sans doute ces enfants n'avaient-ils que rarement joué. En même temps, le clerc était persuadé que le jeu était presque un instinct, chez les gosses de leur âge. Après tout, même les petits animaux s'adonnaient à ce genre d'activités. Il n'y avait donc nulle raison que ceux-là en soient incapables. Il fallait juste veiller à ce que leurs élans ne virent pas au pugilat. Après quelques hésitations, il décida de passer à la vitesse supérieure. Après tout, rien ne l'empêchait de faire ensuite le tour des autres chambres.

Albérich -> Don des Langues -> Lui-même

Ensuite, il s'approcha du groupe.
" Bonjour à tous. Je sais que les choses sont un peu étranges pour vous, que votre... cadre de vie a changé. Vous ne devez pas avoir peur de nous. Nous n'allons pas vous faire de mal."
Que dire, vraiment ?
" Cet espace est pour vous... pour que vous vous... défouliez un peu. Nous allons vous apporter à manger. Ensuite nous vous emmènerons vous laver."

Son sortilège et ce qui s'ensuivit ne passèrent évidemment pas inaperçus : il vit de la peur dans les regards, entendit murmurer le mot "shaman". Mais comme nul magie néfaste ne les frappait, les enfants se détendirent un peu. Un tout petit peu.
-Se défouler ? On doit se bagarrer ? fit un garçonnet.
-Pourquoi se laver ? On l'a déjà fait hier. Normalement, c'est tous les mois... lâcha un autre.
-Vous nous voulez quoi, si c'est pas du mal ? fit une fillette.

Albérich soupira doucement.
" Non, vous ne devez pas vous bagarrer... Vous pouvez jouer à courir, sauter, vous poursuivre, mais vous ne devez pas vous faire mal."
Il se tourna vers la petite fille.
" Nous aimerions que vous deveniez... nos amis... peut-être nos enfants... que vous viviez avec nous... et comme nous. Ce que vous avez connu avant... C'est terminé, désormais. Il n'y aura plus de tentes, plus de froid, plus de cris et de gens qu'on mange. On ne mange les autres. Ce n'est pas bien."

Cette fois, il vit de l'incompréhension et de l'incrédulité sur les visages.
-Tout le monde mange les autres. C'est connu.
-Sauf nous, parce qu'on est pas encore assez grands. Et sauf les barbares qu'ont oublié la Tradition ou qui l'ont jamais connue.
-Et vous, si vous voulez pas nous manger, c'est que vous voulez manger notre tribu.

" Non. On ne mangera pas votre tribu, vous ne mangerez jamais personne, et la Tradition... et bien la Tradition était mauvaise, inspirée par des esprits méchants, et vous allez vivre selon d'autres règles désormais. Je sais que ça ne sera pas facile, mais c'est comme ça. Ici, vous pourrez manger, boire, dormir, avoir chaud et jouer, et personne ne va vous frapper, ou vous... vous faire ce que demande la Tradition. Plus jamais."
Il se tourna vers la petite fille.
" Nous n'avons pas mangé votre tribu mais tu as raison sur un point : votre tribu n'existe plus. Les gens ne voulaient pas être mangés, parce qu'être mangé, ce n'est pas agréable. Et les gens voulaient vivre, parce que la vie, c'est la chose la plus précieuse que nous avons. Alors nous avons dû... combattre la Tradition, et votre tribu, pour pouvoir continuer à vivre. Mais vous... vous avez la possibilité de faire la même chose que nous."

-Mais donc c'est ce que je disais : vous voulez manger notre tribu.
-Il sait pas ce que c'est, "manger la tribu", parce que c'est un barbare du dehors.
-Manger la tribu, c'est quand on a tué tous les guerriers et que dans ceux qui restent, il y en a qu'on se dit que peut-être, vraiment peut-être, s'ils survivent aux épreuves, ils pourront devenir des guerriers à nous, plus tard.
-Y a des tribus qui font ça. Mais pas la nôtre. La nôtre, personne qui est pas de la tribu est assez bien pour en faire partie.

" Alors oui, nous voulons manger votre tribu." dit Albérich en pinçant les lèvres.
Le choix de vocabulaire était plutôt malheureux, mais c'était un tout, bien sûr.
" Mais il n'y a pas vraiment d'épreuves. Ou plutôt si, il y a une grande épreuve : oublier la Tradition et accepter notre tradition à nous. Nous pensons que vous êtes assez bien pour faire partie de notre tribu."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue