La Couronne de Cuivre

Chandara ne chercha pas à le presser, sentant bien qu'il ne souhaitait pas en confier davantage sur le sujet. Au lieu de cela, elle rendit son sourire à Quentin avant de changer totalement de sujet :

- Est-ce que tu as déjà décidé où tu te rendrais après Bordeleaux ?

-Les Sunites sont décidément très, très curieux, répondit-il d'un ton amusé. Mais oui, c'est globalement déjà décidé : je vais continuer à suivre la route côtière, qui continuera à me mener vers le sud quelques jours avant de bifurquer vers l'est. Et à moins que je n'entende parler de foires, de marchés ou d'autres événements intéressants dans la région, il est probable que je rallie Evendum puis que je longe les Falaises du Sud jusqu'à Lunaros.

Evendum. Lunaros. Pour le moment, ces noms n'étaient pour Chandara que des noms aperçus sur une carte. La paladine se rendait compte à quel point sa nouvelle nation lui était étrangère et ses pensées dérivèrent un instant sur le plaisir des découvertes qui l'attendaient tant qu'elle restait sur les routes elle aussi. Evidemment, ce n'était pas tout à fait ainsi qu'elle les avaient d'abord envisagées : ses rêveries, reflets de ses espoirs lui voyait pour guide un jeune et enthousiaste Luménien. Consciente de son long silence, Chandara esquissa une moue un peu navrée avant de reprendre la parole avec une emphase exagérée et amusée :

- Sunie utilise de nombreux moyens pour nous dispenser ses sages conseils. Ne pas être curieux est donc un sacrilège car ce serait se fermer aux indices dont elle nous gratifie !

-Je vous crois sur parole.
Il sourit.
-Et puis, comme on dit, il n'y a pas de questions indiscrètes : seules les réponses peuvent l'être.
Son expression se fit pensive.
-Par contre, vous n'avez pas choisi la région la plus évidente pour vos recherches. La Vallée du Nirvana ou les Landes des Sirènes, par exemple, sont plus réputées pour leurs mystères...

Chandara lui rendit son sourire et répliqua à sa remarque d'un ton ingénu :

- Tu as raison mais toutes les régions sont susceptibles d'abriter les cadeaux de Sunie et c'est par ici que mon commandant m'a envoyé pour mener des recherches. Par ailleurs, les régions réputées sont certainement quadrillées par des chercheurs expérimentés alors qu'ici, je pourrais bien être la seule : il serait dommage de passer à côté d'une découverte sur la simple foi des réputations.

Il opina du chef.
-De toute façon, pour peu qu'on fouille, on peut trouver des choses intéressantes de partout. Mais ça dépend aussi de ce que l'on cherche...
Son expression se fit songeuse.
-Il y a deux ou trois endroits intéressants, tout près de Bordeleaux. Au sud, il y a une crique où, selon la rumeur, on pourrait trouver des perles, lesquelles porteraient chance : beaucoup de jeunes gens de la ville vont donc y plonger mais, pour autant que je sache, ils n'ont rien déniché depuis des lustres. Sinon, un peu plus loin dans la même direction, on m'a parlé d'une grotte dont l'entrée est à demi immergée : on prétend que des pirates y auraient enfoui leur trésor mais que personne n'a encore réussi à mettre la main dessus. Ceci dit, elle vaudrait surtout le détour pour sa beauté.

Chandara était reconnaissante envers le musicien : ce dernier n'avait pas menti en affirmant pouvoir lui fournir des pistes et il faisait manifestement des efforts pour l'aider. La paladine envisagea les deux hypothèses qui lui étaient soumises avant de répondre d'un ton songeur :

- Cette grotte a l'air prometteuse, même si ce n'est pas pour le trésor. Saurais-tu m'y conduire ? Et accepterais-tu de m'y accompagner quand tu quitteras la ville ? Je te dédommagerai pour le manque à gagner et tu partagerais justement la postérité d'une éventuelle découverte.

Comme souvent, Quentin prit le temps de la réflexion avant de répondre.
-Si vous voulez. Mais il ne sera pas nécessaire de me dédommager : c'est à moins d'une heure d'ici, si j'ai bien compris. Et si d'aventure je ne pouvais pas revenir en ville pour midi, heure à laquelle je donne souvent une représentation, parce que les travailleurs rentrent chez eux pour le repas... Eh bien, ça n'est pas bien méchant : il me suffira de rester un jour de plus pour compenser.

L'enthousiasme et l'abnégation du garçon faisait plaisir à voir ! Au-delà du service qu'il lui rendait et des sacrifices que cela lui imposait, Chandara pensait ressentir chez Quentin un réel intérêt pour la découverte de merveilles. Très satisfaite d'être parvenue à le convaincre de l'accompagner, la paladine dédia à son interlocuteur un grand sourire avant d'affirmer avec conviction :

- Même si ce n'est pas nécessaire, nous reparlerons plus tard d'une récompense appropriée pour ton aide.

La jeune femme avait déjà une idée en tête et ne comptait de toute façon pas en démordre, discussion ou non.

-A votre guise. Toutefois, je le répète, je n'attends rien en retour : ce n'est tout de même pas grand chose de servir de guide sur une si courte distance.
Il fit la moue.
-En plus, cette grotte paraîtra peut-être tout à fait ordinaire à quelqu'un comme vous, qui a déjà beaucoup voyagé. Personnellement, je ne peux pas juger, je ne l'ai pas encore vue.

Quentin craignait sans doute de la décevoir et la paladine trouvait cela touchant. Dès lors, elle fit de son mieux pour le rassureren répondant avec un certain détachement :

- Nous le découvrirons ensemble demain et nous verrons où cela nous mènera : ne te mets pas martel en tête surtout ! Cela me fera déjà bien plaisir d'avoir de la compagnie après ces jours passée seule sur les routes.

Le repas se poursuivit tranquillement, et ce fut pour Chandara l'occasion de noter que Quentin avait plutôt de bonnes manières, signe d'une éducation peut-être interrompue trop tôt mais néanmoins tout sauf négligée. Pour le reste, le jeune musicien se fit un devoir de lui transmettre les informations dont il disposait sur la région : la plupart correspondaient à ce qu'Albert lui avait déjà dit, mais elle récolta néanmoins quelques pistes supplémentaire potentiellement prometteuses.

Chandara écoutait avec attention et tâchait d'enregistrer les détails tout en posant de temps à autre des questions pour demander telle ou telle précision ou se contentait d'intervenir pour encourager le jeune voyageur. Le repas était simple amis de qualité et la paladine prenait plaisir à voir Quentin le manger apparemment avec plaisir. Mais elle ne pouvait pas totalement chasser un sentiment de mélancolie à l'idée de savoir un si jeune garçon passer l'essentiel de son temps seul.

Le repas finit par toucher à son terme : sans atteindre des sommets gastronomiques, il s'était révélé tout à fait honnête.
-Eh bien, je crois vous avoir dit à peu près tout ce que je savais, fit Quentin.
Sans doute s'apprêtait-il à prendre congé, à présent que sa mission était accomplie.

Chandara lui adressa un nouveau sourire, de remerciement cette fois, avant de demander :

- Est-ce que tu seras disponible demain matin, pour explorer cette grotte dont tu m'as parlé ? Je peux attendre, bien sûr, si tu avais d'autres projets.

Si Quentin avait ensuite l'intention de payer sa part du dîner, elle tenterait de l'en dissuader: aprèstout c'était elle qui en avait eu l'idée et elle comptait bien l'inviter.

II devait l'avoir compris car, s'il fit bien mine de payer sa part, il n'insista pas quand Chandara l'en dissuada. Sans doute cela l'arrangeait-il, d'un point de vue financier, à moins simplement qu'il ne veuille pas la vexer.
Pour le reste, il se déclara disponible : il avait déjà passé du temps en ville, n'avait donc plus grand chose à y découvrir et, de surcroit, ne travaillait pas le matin. Il l'attendrait donc devant l'auberge à l'heure de son choix.

La paladine lui donna rendez-vous deux heures après l'aube - ce qui lui laisserait le temps de déjeuner et de procéder à ses dévotions matinales - puis lui souhaita la bonne nuit. Elle ne préférait pas demander où il avait prévu de loger pour la nuit pour ne pas risquer de le vexer. Elle le raccompagna tout de même jusqu'à la sortie avant de retourner dans la salle commune pour y écouter les conversations pendant une heure ou deux.

Les sujets abordés étaient globalement les mêmes que dans les établissements où elle s'était arrêtée au fil des jours précédents. Mais il y avait deux différences notables : d'abord, compte tenu de la taille de la ville, l'actualité locale était plus riche ; ensuite, puisqu'il existait ici une certaine activité commerciale et puisque des navires de haute mer mouillaient au port, on pouvait également y entendre des nouvelles venant de beaucoup plus loin.
Pour le reste, les gens du cru étaient aussi accueillants et ouverts qu'ailleurs, si bien que Chandara put discuter avec nombre d'interlocuteurs différents. Cela ne lui révéla pas grand chose, rien en tout cas que ne lui ait déjà appris le petit musicien, si ce n'est l'emplacement de lieux particulièrement beaux ou pittoresques, mais ce fut des plus agréables. D'autant que le barde à demeure, sans être un virtuose, connaissait son métier.

La jeune femme se laissa quelque peu absorbée par la musique et les conversations si bien qu'elle alla se coucher un peu plus tard qu'elle ne l'avait prévu. Toutefois, elle parvint à se montrer relativement raisonnable pour se retirer à une heure encore décente : la journée du lendemain promettait une belle exploration et il lui fallait être en forme pour en profiter. C'est ce qui lui permit finalement de s'arracher à la salle commune pour rejoindre sa petite chambre et y chercher un repos bien mérité.

A l'issue d'une nuit paisible, des dévotions conformes au rite et un petit déjeuner quelconque mais nourrissant, Chandara sortit de la taverne et découvrit que le jeune musicien, ponctuel, l'attendait comme convenu. Il avait enfilé une tenue plus ordinaire - mais tout aussi usée, sinon plus - que celle qu'il arborait lors de sa représentation et semblait parfaitement d'attaque pour leur excursion.

Chandara avait opté pour une tenue d'exploration : une tunique et des chausses simples et solides mais tout de même taillés sur mesure. La jeune femme porta un regard à la tenue de son guide ce qui confirma ce qu'elle avait prévu en matièrede dédommagement le concernant : Quentin prenait soin de ses affaires et tâchait d'en faire de même de son apparence mais la précarité de sa situation le contraignait à certains sacrifices.

Muette sur ces pensées, la paladine s'approcha pour saluer le musicien et l'invita à la suivre vers l'écurie :

- Tu m'as dit hier soir que la grotte était proche mais j'ai une amie qui ne me pardonnerait pas de la laisser à l'écart, même pour une courte aventure. Viens, je vais te la présenter !

Quentin fronça légèrement les sourcils, peut-être surpris que la paladine parle ainsi de sa monture. Mais lorsqu'il répondit, ce fut sans moquerie.
-Si vous voulez. Mais je l'ai déjà vue : très belle jument, si je puis me permettre.
En pénétrant dans l'écurie, Chandara nota un détail auquel elle n'avait pas prêté attention la veille : l'une des stalles était occupée par un âne. L'autre compagnon de route du musicien, pour sûr.

Voilà qui expliquait comment le musicien avait déjà aperçu Lune de Miel. La paladine laissa le jeune garçon apprêter son âne - si telle était son intention – tandis qu’elle-même pressait déjà le pas vers sa jument pour lui offrir une gourmandise. Son destrier était, comme de coutume, très content de la revoir et lui donna un coup de tête contre l’épaule en guise de salutations, cherchant déjà le sucre et la pomme que Chandara dissimulait derrière son dos.

Alors qu’elle sortait sa jument de sa stalle pour la seller, cette dernière piaffait déjà d’impatience de se mettre en route mais elle tourna un regard curieux et intelligent vers le petit Quentin, se demandant sans doute qui il était pour sa partenaire.

L'intéressé, s'il était bien allé caresser le cnanfrain de son âne, ne l'avait nullement sorti de sa stalle : sans doute s'agissait-il davantage d'un animal de bât que d'une monture. Il était plutôt revenu seul vers Chandara et attendait patiemment, à quelques pas, qu'elle ait terminé de préparer son destrier. Destrier qu'il observait avec curiosité, sans crainte apparente.

Chandara était ravie que le garçon n'ait pas peur des chevaux - décidément, ce garçon avait du cran et du mérite - et elle l'invita à s'approcher :

- Elle se nomme Lune de Miel. Est-ce que tu veux la caresser ?

La paladine murmura quelques mots dans une langue mélodieuse et la jument dressa ses oreilles avant de baisser sa grosse tête vers le garçon pour qu'il puisse l'atteindre s'il le désirait.

-Salut ! fit le gosse en la caressant sans hésitation.
Sans suspendre son geste, il se tourna vers Chandara.
-Lune de Miel, c'est sympa, comme nom. Sympa et très sunite, si je puis me permettre.
Air pensif.
-Vous ne craignez pas qu'elle s'ennuie pendant que vous explorerez la grotte ?

Lune de miel dressa à nouveau les oreilles et présenta le haut de sa tête pour permettre au garçon de la caresser plus à son aise ce qui fit sourire sa maîtresse. Celle-ci répondit avec conviction à la question de Quentin :

- Je lui ai posé la question et elle a envie de voir la plage pour se dégourdir un peu les jambes. Dans tous les cas, elle s’ennuiera moins dehors que dans sa stalle. Et, si notre exploration devait durer plus longtemps que prévu, elle rentrerait dans son plan d’origine en attendant.

-Oh, eh bien, dans ces conditions...
Il haussa les épaules. Peut-être ignorait-il l'étendue des particularités d'un destrier de paladin mais si c'était le cas, il en aurait fallu plus pour le déstabiliser.
-Sinon, nous partirons dès que vous le souhaiterez, dit-il en manière d'information, mais sans paraître la presser le moins du monde.

Quentin avait dû être confronté à bien des mystères et des phénomènes étonnants étant donné son mode de vie et Chandara se réjouissait qu’il ait malgré tout gardé de la curiosité et qu’il ne s’effraie pas devant l’idée de nouvelles découvertes. La paladine ayant fini d’apprêter son destrier, elle répondit au jeune garçon qu’elle était prête à se mettre en chemin immédiatement. Mais, une fois dehors de l’étable, elle se tourna vers le garçon plutôt que de monter aussitôt :

- Est-ce que tu veux monter ? Lune de Miel est bien assez forte pour nous porter tous les deux.

Quentin parut embarrassé.
-Je n'en doute pas un seul instant. Cependant...
Il s'interrompit, cherchant visiblement ses mots avec soin.
-Cependant, aussi splendide soit la monture et flamboyant le cavalier, monter en croupe n'est point très avantageux du point de vue de l'image. Or, vous comprendrez qu'il me faille la soigner, vis-à-vis de mon public...

La Couronne de Cuivre

[Quête] Ce que les vagues ne sauraient effacer