La Couronne de Cuivre

Marius sourit.
" Ce serait bien si tu m'apprenais à jouer, aussi." dit-il.
Victor était couché dans la paille, désormais.
" A la Frivole. A la Rouste... Enfin ça, on n'a jamais le droit..."
Lola avait remorqué Baptiste jusqu'aux côtés de Taliesin.
" Combien tu as d'enfants ?"

-Quatre, dont Baptiste et Victor, ici présents, répondit-il. Concernant Titus, j'ai pris l'engagement de lui trouver une famille où il se sentira bien. Quant à Marius, eh bien... Disons que les circonstances nous ont ammenés à voyager de concert.
Il se demanda si la question de Lola était pure curiosité où si elle avait une idée derrière la tête.

" Ah. C'est pas assez, dit la petite fille en secouant la tête. Tout le monde sait qu'il en faut sept."
Elle avait dit ça avec le plus grand sérieux, mais adoucit son commentaire d'un sourire et d'un haussement d'épaules.
" Après, ça pourrait être pire, tu pourrais en avoir deux... ou un seul. Ça c'est le pire, un seul. Il ne survit jamais. Il part toujours à l'aventure et ça ne lui réussit pas. Trois non plus, c'est pas idéal. Sauf pour le cadet, il s'en sort mieux que les autres. Mais sept, c'est mieux. Tu dois y réfléchir."

-Très bien, j'y réfléchirai. Merci du conseil, Lola, répondit-il, très sérieux lui aussi.
Une chose était certaine : elle semblait très désireuse de les aider.
Mais qu'était-elle, exactement ?
Une jeune fée ? C'était possible... Probable, même.

Lola lui répondit d'un sourire et se blottit contre l'épaule de Baptiste, qui jeta un regard furieux à Taliesin. Sans doute n'appréciait-il qu'à demi que le barde soit si amical avec cette créature sangsuesque. Titus avait sorti la carafe et s'était servi un verre de liquide vert, qu'il but avec félicité. Marius rangeait soigneusement son sac. Victor s'était désormais enseveli sous la paille et circulait sous la surface comme une sorte de taupe géante. Il émergea devant l'elfe.
" Alors ? On sort ? On va rencontrer les vouivres, les farfadets et les dames blanches ?"

-Bien sûr qu'on va ressortir. Mais je préfère attendre que la maîtresse des lieux nous ait apporté le cataplasme pour Marius, et que nos amis amateurs de confiture soient venus nous rendre visite : comme ça, on pourra s'acheter de quoi manger. Oh, et j'aimerais trouver une solution pour Titus : il n'est pas du tout à l'aise, dans les allées bondées du festival. Mais peut-être existe-t-il un endroit sûr qu'il prendrait plaisir à explorer...
Quant à Lola, il s'efforcerait de discuter avec elle en privé : ce serait tout de même mieux si elle laissait un peu d'espace à Baptiste.

Ce qui ne serait pas chose facile : la gamine avait l'air d'avoir l'intention de ne plus jamais se décrocher de l'élu de son coeur. Titus était venu s'asseoir près d'eux.
" C'est quand même un comble, c'est une créature d'ici, lui, et il a peur ! s'exclama Victor.
— Toi, ils t'ont pas attrapé ! protesta le faune.
— Mais ils sont partis ! La Dame Mahaut leur a dit que t'étais pas son chamois et ils sont partis ! Maintenant, tu te fonds dans la masse !
— Tu n'en sais rien !
— C'est prodigieux comme ton commun s'est amélioré, lâcha alors Baptiste.
— C'est parce que tout le monde parle la même langue, ici, intervint Lola. C'est le festival."

-C'est sûr que ça facilite les choses...
Il se tourna vers Victor.
-Titus n'est pas plus d'ici que toi ou moi. Il y a toujours eu des faunes, des fées, et beaucoup d'êtres différents sur Toril : simplement, aujourd'hui, ils se sont retirés dans les régions les plus sauvages... ou sont venus ici. Mais même s'il était originaire de Féérie... C'est dans notre monde qu'il est né et qu'il a grandi : dès lors, pas étonnant qu'il soit aussi déconcertés que nous-mêmes...
Enfin, il s'adressa à l'intéressé.
-Mais donc, qu'as-tu envie de faire ?

" Je ne peux pas rester ici ? demanda le faune.
— Poule mouillée !
— Tu sais, Victor a raison, intervint Baptiste. Maintenant que la chasse brume est partie... Tu vas passer inaperçu dans la foule. J'ai vu des centaures, des satyres...
— Je suis pas un centaure ou un satyre ! protesta le faune.
— Mais ça veut quand même dire que tu peux te promener sans que tout le monde te regarde. C'est pas souvent, quand même.
— Et puis je te protégerai !" intervint Marius.
Titus regarda son compagnon avec une moue incertaine, puis haussa les épaules.
" Bon, d'accord. Ça m'est égal."

-En fait, la situation est inversée, par rapport à d'habitude : ici, ce sont les humains que l'on n'a pas coutume de voir... Ceci dit, dans tous les cas, on prendra des points de repère, afin de te permettre de revenir ici facilement si tu en as assez. Mais j'espère bien que nous découvrirons des choses qui t'intéresseront.
Ce serait dommage qu'il ne puisse pas en profiter, lui aussi.

" J'aime mieux la forêt quand elle n'est pas pleine de gens, lâcha le faune. Même s'ils ont des cornes, des queues, des ailes ou de la fumée qui leur sort des oreilles."
Lola pouffa. A ce moment-là, il y eut un petit toussotement dans la direction de l'ouverture de l'alcôve. Un petit homme en vêtements rouges, barbichu et doté de pieds gigantesques attendait, portant un plateau sur lequel reposait une petite bouteille scellée ainsi qu'un petit paquet de feuilles.
" Le cataplasme de Messire, annonça-t-il d'une voix très cérémonieuse.
— Il ne peut entrer que si tu l'y invites rituellement, chuchota Lola. N'importe quelle parole de bienvenue suffit, mais il faut que tu y mettes le style. Et que tu t'en souviennes pour la fois suivante."

Un conseil qu'il entendait suivre à la lettre !
-Je vous en prie, Messire, entrez. Et grand merci de nous l'avoir apporté, répondit-il donc, tout aussi cérémonieux.
C'était une chance, vraiment, d'avoir Lola avec eux. Il fallait juste trouver une solution pour que le pauvre Baptiste n'en pâtisse pas trop.

Le petit être franchit le seuil et s'inclina, ne gardant que son plateau en l'air. Lola donna un coup de coude à Taliesin qui comprit que son visiteur ne se redresserait que lorsqu'il l'aurait délesté de son présent. Ce qu'il fit ensuite.
" Dame Mandarine me fait vous dire que cet onguent ne convient que pour les demoiselles humaines qui ne sont point encore affectées par la lune. Il serait peu sage de votre part d'en user sur toute autre anatomie."
Puis, sur un salut, il s'en fut, sautant de l'alcôve sans faire de manière.
" J'ai pas mal ! brailla Marius.
— Ça veut dire quoi, affectée par la lune ? T'es une louve-garoute ?" demanda Victor.
Marius le fusilla du regard.

-Tu demanderas à ta mère : elle se fera un plaisir de te l'expliquer ! éluda-t-il éhontément - quoique ce soit surtout pour ne pas embarrasser Marius.
Puis il sourit à ce dernier - enfin, cette dernière.
-Je sais que tu n'as pas mal ! Mais Baptiste et Victor peuvent en témoigner : je suis du genre soucieux. Alors, si tu acceptais de te servir de ce cataplasme, cela me tranquilliserait. En gros... Tu me rendrais service.

Marius le regarda avec mauvaise humeur puis soupira.
" D'accord. Mais seulement... seulement si tu nous racontes une histoire de Gérard de Berge ce soir. Et une bonne."
Il entreprit ensuite de retirer sa botte, ce qui le fit grimacer, puis son bas. Son pied était d'un violet peu réjouissant. Cela faisait sûrement plus qu'un peu mal.

-Ça marche !
Il se mit alors en devoir de préparer le cataplasme. Ensuite, il l'appliquerait. Sauf si, bien sûr, Marius protestait : auquel cas, il le laisserait faire, le gratifiant simplement de conseils si cela s'avérait nécessaire.
Avec un peu de chanche, le remède s'avérerait d'une grande efficacité. On était en Féérie, après tout !

Taliesin avait vu juste, Marius ne le laissa pas faire et le délesta rapidement du matériel pour s'occuper de son pied tout seul. Il lui décocha de surcroît un regard lui enjoignant de se mêler de ses affaires. Titus l'observa, lui, manifestement curieux de quelque chose, mais qui ne franchit pas ses lèvres.
" J'ai rien compris à cette histoire de lune, disait, par ailleurs, Victor.
— Moi aussi j'aime la lune, murmura Lola, rêveuse. Et Baptiste. Mais je ne sais pas lequel plus que l'autre.
— Oh misère. Pourquoi moi ? souffla le malheureux gamin. Victor est beaucoup plus... beau et grand et fort et courageux !
— Ah merci ! Tu as oublié drôle et intelligent, cela dit, dit son frère, ravi.
— Parce que je t'ai vu dans un rêve. Même si tu avais été le plus laid de tous les korrigans, ça n'aurait rien changé."

Il fallait espérer que son rêve n'ait pas impliqué que Baptiste demeure en Féérie. Sinon, la pauvre Lola risquait d'en être pour ses frais.
-Et si tu nous en disais plus sur toi ? s'enquit-il d'un ton badin. Qui tu es, d'où tu viens, ce que tu fais ici... Je suis curieux, voix-tu !
Peut-être, s'il parvenait à mieux la cerner, serait-il en mesure de lui expliquer sans risquer de heurt que ce serait mieux si elle laissait davantage Baptiste respirer.

" Oh." dit la petite fille.
Elle eut un sourire embarrassé.
" C'est une question bizarre. Des questions bizarres. Je suis Lola, je suis une chauve-souris, j'habite ici. Enfin, pas ici dans cet endroit précis, d'ailleurs merci, c'est gentil de m'avoir invitée, mais j'habite dans la forêt. J'aime bien le festival ! Y'a plein de gens à rencontrer et on s'amuse trop !"

-Et tu es venue ici toute seule ?
Sous-entendu : où sont tes proches ?
Mais il préférait ne pas aborder trop frontalement la question, par peur de commettre un impair.

" Ben oui. Avec qui tu aurais voulu que je vienne ? " demanda-t-elle, interloquée.
Elle eut ensuite un très large sourire.
" Ah ! Je vois ce que tu veux dire ! Mais c'est pas comme ça, pour moi ! J'ai pas une famille, avec un papa et une maman."
Elle rit gaiement.
" C'est drôle ! Je suis pas perdue ou orpheline, ou quoi. Je ne suis pas sûre que je sois née. Je n'en sais rien. Je suis comme ça depuis toujours."

-D'accord.
Il lui sourit.
-Navré si mes questions te paraissent bizarres. Simplement, c'est mon premier vrai séjour en Féérie et je n'avais encore jamais rencontré de personne comme toi. Alors voilà, je t'interroge, parce que je suis curieux, parce que j'aime apprendre... Après, la réciproque est valable : si tu as des questions sur les elfes et les humains, n'hésite pas. J'imagine cependant que tu en as déjà côtoyés.

" Il en vient parfois, dit Lola. Mais... aucun n'était comme Baptiste."
Ce dernier leva les yeux au ciel. Elle gloussa.
" Il y a tellement de créatures dans ce monde, tu n'imagines pas ! Alors les humains et les elfes... Je sais qu'il faut se méfier des premiers... quand on est dans leur plan. Mais ici, ils sont plutôt très très inoffensifs, par rapport à ce qui existe. C'est le monde à l'envers, comme tu disais !"
Il y eut un concert de minuscules toussotements en provenance de l'entrée : les lutins étaient de retour.

-Rebonjour ! Entrez, je vous en prie ! leur dit amicalement l'elfe.
Ne restait plus qu'à procéder à l'échange et... ils seraient un peu moins démunis qu'auparavant.
Une chance, finalement, que Marius ait "emprunté" quelques menues choses à l'abbaye.

L'échange eut lieu comme prévu : le pot de confiture orange fut embarqué par la multitude en échange de six piécettes rouillées dans une petite bourse de cuir (elles tachaient les doigts), de deux os jaunes, légèrement courbés et très légers, longs chacun d'un pied, de six poils noirs, drus et mouillés, retenus par un lien vert qui semblait végétal, et de deux fioles contenant un liquide translucide qui faisait lentement des bulles (très corrosif, prévint le lutin qui les transportait). Lola supervisa l'échange, l'estima correct et les lutins repartirent.
" On n'est pas forcés de tout emmener avec nous. Personne sait rentrer dans l'alcôve sans ton autorisation et ce serait comme transporter un trésor ! Enfin, sauf si tu as l'intention de t'acheter un truc très cher, comme un coeur de dragon ou bien un griffon. Ils aiment pas ça, je te préviens."

-J'imagine, oui... Mais je ne pense pas en acheter. En fait, pour cette première journée, le mieux et de se promener, de voir ce qu'il y a, de repérer éventuellement des souvenirs que nous aimerions rapporter chez nous... Je vais donc prendre juste de quoi nous payer à manger et, éventuellement, certaines activités qui vous tenteraient. Dans cette optique, que dois-je prendre, à ton avis ?

" Les piastres, c'est bien. Si c'est trop, les gens te rendront la différence. Ce sera assez pour voir des choses et en goûter d'autres."
Elle s'était approchée de la sortie, Baptiste à ses côtés. Elle lui décocha un sourire qu'il lui rendit poliment.
" Je ne vois pas ce qu'elle lui trouve." dit Victor malicieusement, en passant devant le barde.
Marius avait remis sa botte et gambada, comme neuf, à leur poursuite. Titus suivit, réticent, mais sans rechigner.
Ils eurent bientôt rejoint le sol de la grande salle. Au moment où ils se dirigeaient vers l'entrée, la fée orange surgit à nouveau et fit signe au barde de la rejoindre.

-Attendez-moi, dit-il aux enfants.
Et de rejoindre rapidement la fée.
-Madame ?
Il se demandait bien ce qu'elle pouvait lui vouloir.

Elle sourit doucement.
" Mon ami, je crains que votre présence en nos murs n'ait été éventée. Nous avons reçu une invitation vous concernant. Elle émane... d'une des personnalités de la région."
Elle lui tendit un pli.
" Je voulais vous dire que... refuser de vous présenter en cet endroit serait très malvenu de votre part. La courtoisie et les usages de ces lieux l'exigent. En revanche, vous avez tout le loisir de refuser ce qui vous sera demandé, et ce sans risques, ni pour vous, ni pour vos enfants. Ce sont les lois du festival et tous sont tenus de les respecter."

Taliesin n'en revenait pas.
Comment quelqu'un avait-il pu le remarquer, dans pareille foule ? Comment quelqu'un pouvait-il le connaître, en pareil endroit ?
-Merci beaucoup pour ces informations : c'est bon à savoir. Et je me rendrais donc à cette invitation sans tarder.
Mais il allait d'abord lire le pris. Et se renseigner sur l'itinéraire à suivre, si nécessaire.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Escapade en Féérie