La Couronne de Cuivre

Mathieu partageait manifestement son émotion, et Astrée, aussi précautionneuse soit-elle, ne fit pas illusion. Raevan et Minzeiros la dévisagèrent comme elle reparaissait et elle lut, sur le visage de l'un et de l'autre, qu'ils la perçaient à jour. Raevan parut légèrement effrayé et elle lut quelque chose sur ses traits, comme un message d'avertissement. Le seigneur fée, de son côté, n'en sourit que plus largement.
" Les humains sont des créatures fascinantes. Ils détruisent le monde, massacrent les autres races jusqu'à les forcer à l'allégeance, s'offrent les services de chevaux, de chiens, de faucons, exploitent vaches, moutons et poules, sans compter des millions d'arbres, et invités dans le foyer d'un autre, ils s'offusquent de sa propre domesticité."
Il secoua la tête.
" A n'y rien comprendre."

Il attendait visiblement une réponse, et Astrée répliqua du tac au tac, froidement, en s'efforçant de ne pas mettre d'agressivité dans son ton.
" A titre personnel, je ne fais rien de tout ça. Je ne réduis aucune créature à la domesticité, qu'il s'agisse d'un être intelligent ou d'un animal ou... quoi que ce soit d'autre. C'est... contraire à mes principes."
Elle jugea sa voix trop enrouée, trop tendue. Elle relâcha son souffle, inspira calmement.
" Mais d'autres humains font d'autres choix. Chaque humain est différent dans ses choix, ses valeurs... comme chaque être féérique, j'imagine. Je respecte cette liberté de choix."
Elle mit dans cette phrase toute la fermeté qu'elle parvint à trouver en elle.

" Tant mieux, dit l'être fée. C'est toujours agréable d'être respecté dans ses choix, ses valeurs et ses coutumes. Les humains n'ont pas tous votre largesse d'esprit."
Mathieu la dévisagea avec une expression incrédule. Raevan avait gardé la main sur son bras. Minzeiros se tourna vers la créature et lui adressa quelques mots en sylvestre, qu'Astrée ne put comprendre, et le musicien reprit son récital avec plus d'ardeur... mais pas davantage de talent.

Elle pinça les lèvres. En réalité, le seul choix qu'elle n'acceptait pas, jamais, venant de personne, c'était l'esclavagisme. Mais Mathieu ne s'attendait tout de même pas à ce qu'elle provoque ouvertement la colère du seigneur des lieux ? Elle n'avait aucune envie de les voir devenir tous du gibier pour chasseur en manque de distraction. Elle n'oubliait pas que leur hôte, même s'il n'appartenait pas à la Chasse Sauvage, s'adonnait à ce passe-temps, et il n'était pas exclu qu'il chasse autre chose que des bêtes sauvages.
Elle adressa un regard désolé à Mathieu, et essaya, de son mieux, de se relaxer... ce qui lui était totalement impossible dans ces circonstances. Il fallait qu'elle libère cet esclave... et... les autres aussi ? Combien étaient-ils ? Elle ouvrit la bouche pour poser la question, et la referma aussitôt, s'obligeant au silence. Elle allait se trahir.
Elle chercha à relativiser, sans vraiment y parvenir : oui, la plupart des humains réduisaient des animaux en esclavage, et cela, elle l'acceptait plus ou moins, sans grand enthousiasme. Et finalement, les différences entre bêtes et êtres intelligents étaient minimes, non, aux yeux du druidisme ? Mais c'était peine perdue : elle haïssait l'esclavagisme...

Elle songea que ce devait être cela, sa distraction du jour : les voir se désoler de ne rien pouvoir faire, de peur qu'il lance la Chasse Sauvage à leurs trousses ?
Elle se reprochait sa lâcheté. Mais ils étaient coincés.

" Je pense que nous sommes tous fatigués, dit finalement Minzeiros, sans la quitter des yeux. Je vous propose d'aller vous reposer. La tempête ne va pas se lever de sitôt et votre amie n'a manifestement pas encore trouvé ce qu'elle cherchait dans ma bibliothèque."
Il fit signe au petit musicien, qui cessa de jouer.
" J'ai des chambres, évidemment, pour accueillir les chasseurs. Je suis certain que vous les trouverez à votre convenance.
— Nous ne pouvons pas nous attarder, intervint Raevan.
— Je sais. Mais souvenez-vous que le temps n'a pas le même sens ici... et à quoi bon sortir sous l'averse ? Vous êtes plus en sécurité ici."

Ils ne devaient pas s'attarder, c'était certain. Chaque minute augmenterait leur révolte et la tentation de tenter quelque chose de dangereux... Malheureusement, Astrée se vit contrainte d'aller dans le sens du seigneur fée.
" Dame Ginaste dit qu'il lui faut un peu temps pour étudier les deux ouvrages elfiques qu'elle a sélectionnés, les informa-t-elle. Peut-être quelques heures... J'espère qu'elle y trouvera quelque chose d'utile bien avant. Mais dans l'intervalle, nous vous sommes reconnaissant de votre proposition."
Les mots lui arrachaient les lèvres. Elle voulait quitter cet endroit, de tout son coeur.
Ou tenter quelque chose... Mais ils ne pourraient rien faire.

Mathieu se renfrogna. L'être fée claqua dans les mains et deux serviteurs s'approchèrent.
" Est-ce que vous ne...
— Non, trancha Raevan. Nous allons aller nous reposer."
Les deux hommes s'affrontèrent du regard un instant, sous les yeux intéressés, amusés même, de Minzeiros. Mathieu céda dans un grognement. Raevan se leva. Il ne leur restait plus qu'à suivre les serviteurs vers les chambres dont avait parlé le seigneur fée. Celui-ci ne se leva pas tandis qu'ils étaient escortés tous les quatre (Astrée avait pu relever Kalju) vers un escalier voisin.

Astrée se demanda pourquoi Mathieu désirait tant rester dans ce salon. Espérait-il vraiment parvenir à obtenir gain de cause auprès du seigneur des lieux ? Il était évident que tout débat était peine perdue.
Elle poussa doucement Kalju devant elle dans l'escalier, se raccrochant à ce contact physique pour ne pas laisser ses pensées vagabonder dans des directions trop dangereuses. L'idée de devenir petite souris la traversa. Elle pourrait libérer le musicien... Sûrement... Mais pour tous les autres ? Non, libérer tout le monde était une idée mille fois trop dangereuse. Elle la repoussa et se concentra sur ce qui l'entourait, observant les lieux avec toute son attention, par curiosité... et pour envisager un plan, peut-être. Mais serait-il sage de tenter de libérer le musicien ? Leur hôte n'attendait que ce prétexte...

On les mena tous à la même chambre, située en début de couloir, au premier étage. C'était une pièce vaste, avec un âtre allumé, et plusieurs lits simples mais robustes, prévus pour accueillir des êtres autrement plus grands et massifs qu'eux. Les serviteurs s'éclipsèrent aussitôt, refermant la porte derrière eux et les laissant seuls.
" Vous êtes célèbres, l'un et l'autre, pour faire n'importe quoi, leur dit aussitôt Raevan. Vous allez donc prendre sur vous et ne rien faire. Aussi révoltante vous semble la situation de cette créature, nous ne pouvons pas nous en mêler. Nous sommes des intrus en terre étrangère. Les règles qui régissent ces lieux ne nous regardent pas."

Astrée ne pouvait que reconnaître la sagesse et le bien-fondé de ces paroles. La situation la révoltait, mais elle entendait encore Dimitri qui l'enjoignait à faire preuve de sagesse...
Elle poussa un soupir, et acquiesça d'un léger signe de tête, avant de se tourner vers Mathieu.
"Il est possible... qu'il n'attende que ça. Il s'ennuie et serait probablement ravi de trouver un prétexte à une partie de chasse... Si tu vois ce que je veux dire..."
Puis elle désigna du doigt les murs, et ses oreilles. On pouvait les écouter.

Mathieu s'en souciait comme d'une guigne.
" Il peut bien nous entendre, ça m'est complètement égal ! Je suis bien conscient qu'il joue avec nous. Depuis le début. Mais soyez honnêtes, vous n'avez aucune idée de comment nous allons pouvoir échapper à ses griffes. Il pleut dehors... pour combien de temps encore ? Dix ans ? Et dix ans ici, c'est combien d'années dans notre Plan ? Cent ? Il va bien falloir le mécontenter à un moment ou un autre. Et faire les petits gentils sages et polis, à quoi ça nous sert ? Il se fiche de nous, et nous le savons, et il sait que nous le savons, et pourtant nous continuons à nous soumettre à son manège."
Raevan s'assit sur un lit.
" Alors que proposes-tu ?
— De lui donner quelque chose. De conclure un marché. S'il veut nous chasser, pourquoi ne pas le lui proposer ? Avec des règles établies. C'est un être fée, soit, mais nous ne sommes pas sans ressources."

Misère...
Astrée avait pâli. L'idée de devenir gibier ne lui inspirait rien qui vaille.
" Je ne suis pas sûre que tu aies bien réfléchi à ce que tu dis... Crois-tu vraiment qu'on ait une chance contre lui et ses chiens ?"
A la réflexion... Elle-même aurait une chance. Elle pourrait se transformer, tromper leur flair...
Elle lâcha un soupir.
" Et que crois-tu qu'il fera de nous ensuite, s'il nous rattrape ? D'autres esclaves."
Elle aurait plutôt envisagé de libérer l'être fée en cachette, sans qu'on puisse les soupçonner. En utilisant un rongeur, ou en se transformant elle-même -option plus risquée. Mais bien sûr, on les soupçonnerait.

" Comme il pourrait très bien décider de le faire maintenant, dit Mathieu, remonté. Vous pensez vraiment qu'en étant sages, on va obtenir qu'il nous laisse partir ?
— Je n'en sais rien. Mais Séléna a raison : il est sur son terrain, s'il nous rattrape, nous risquons gros.
— Tu ne m'as même pas laissé demander ce qu'il veut !
— Je peux te le dire : ton âme, dix ans de ta vie, ton premier né ?
— Mon premier né ? Je le lui laisse volontiers, il n'y en aura jamais !
— Ce n'est pas la question, Mathieu, tu le sais bien. Il va te demander quelque chose que tu trouveras ridicule, qui ne te coûtera pas grand chose aujourd'hui, et qui, en réalité, est énorme. Une fois que tu te seras engagé, tu ne pourras plus te dédire. Et pourquoi ? Pour une petite fée anonyme qui, pour autant que tu le saches, n'a pas plus de jugeote qu'un chat domestique."

La dernière phrase lui valut un regard noir d'Astrée.
Mais elle continuait à réfléchir, intensément. Est-ce que le fait de n'avoir pas donné son véritable la protégeait contre ce genre d'exigence ? Est-ce que l'être fée ne pourrait pas la retrouver... ou l'obliger à payer sa dette ? Elle n'en savait rien. Ce n'était peut-être pas suffisant. Il devait avoir d'autres moyens à sa disposition.
" Donc... Il nous demanderait quelque chose qu'on serait libres de refuser. Mais si on accepte, alors on n'a absolument aucun moyen d'y échapper, c'est ça, même si on se rend compte qu'on a été bernés ? Ils ont une magie si puissante que ça ?"
Il était évident qu'il voulait les piéger, et que l'être fée était un appât... Mais Mathieu avait raison : sans connaître le prix demandé, comment trancher ?

" Je n'en sais rien ! s'exclama Raevan, agacé. Mais c'est ce que disent les légendes, je suppose ! Faire un pacte, que ce soit avec un être fée ou un fiélon, ça n'a pas beaucoup de différence ! Mais pourquoi irait-il faire un pacte anodin avec l'un d'entre vous ? Il n'a sûrement pas envie de vous donner son petit musicien, sans quoi il l'aurait fait gracieusement."

" Non, bien sûr. Il n'en a aucune envie. Je crois que c'est plutôt un appât. Il attend qu'on fasse quelque chose qu'on n'aurait pas le droit, comme tenter de le libérer, pour pouvoir ensuite... je ne sais pas... nous avoir comme esclaves à notre tour, ou nous donner la chasse et nous massacrer. Je ne crois pas que quoi que ce soit d'autre, en nous, puisse avoir une quelconque valeur pour lui. On est juste là pour le distraire."
Astrée, tout en parlant, guida Kalju jusqu'à un lit, et s'assit sur un autre. Elle observait attentivement le pièce, à la recherche d'un maigre signe d'espoir : y avait-il des rongeurs dans les parages ?

Elle ne vit rien qui ne le laisse penser, mais cela ne voulait pas dire qu'il n'y en avait pas. Les serviteurs du seigneur fée étaient probablement passés nettoyer la pièce de fond en comble avant leur arriver.
" Reposez-vous, attendons la fin de la pluie et le retour de Ginaste, puis nous partirons.
— Tu n'as pas de coeur, grommela Mathieu.
— Oui, je sais."
Mathieu se coucha sur un des lits, sans enlever ses bottes, jambes repliées et bras derrière la tête. Sa mauvaise humeur était presque palpable.
" Il faut savoir réserver ses combats, ajouta Raevan.
— Ne me fais pas la morale, je me repose, merci."

Astrée songea que le seigneur fée avait peut-être délibérément éloigné Lae -Ginaste-, la plus à même de les éclairer sur ce qui était possible ou non, ou sur la façon de négocier éventuellement. Ou peut-être que ce n'était pas une volonté délibérée... Mais le résultat était le même. Peut-être devrait-elle descendre à la bibliothèque pour lui en parler ? Mais lui dire quoi ? Elle réagirait par la même interdiction formelle que Raevan...

La mauvaise humeur de Mathieu lui faisait de la peine, d'autant qu'elle partageait pleinement sa révolte. Elle ferma les yeux, revit le petit être fée prisonnier, et souhaita, de tout son coeur, pouvoir faire quelque chose. Mais la seule option qui lui semblait sans risque -ou du moins celle qui comportait le moins de risque- était compromise si elle ne trouvait pas un rongeur pour l'y aider. Si elle s'y rendait elle-même, elle craignait que le seigneur fée ne la découvre. Elle ignorait l'étendue de ses pouvoirs. Et elle ne voulait pas prendre le risque d'attirer son ire sur ses compagnons. Ni sur elle-même, d'ailleurs : elle n'avait pas la certitude de pouvoir lui échapper.

Elle s'allongea à son tour, l'humeur sombre. Et continua, en désespoir de cause, à rechercher la présence d'un rongeur.

Il n'était pas impossible qu'il y ait des souris : plusieurs coins de la pièce recelaient des trous suffisamment grands pour qu'un rongeur puisse s'y faufiler. Mais s'il y en avait, elles n'avaient aucune intention de se montrer alors que la chambre était occupée. Si Mathieu était trop furieux pour se soucier de ce qu'Astrée faisait, ce n'était pas le cas de Raevan. Il ne disait rien, mais il la surveillait, elle sentait son regard posé sur elle, inquisiteur.

Elle croisa le regard de Raevan, calmement, vaguement interrogative. Si elle parvenait à libérer le petit être fée sans qu'il soit possible de faire le lien avec eux, où était le problème ? Leur hôte ne savait pas qu'elle était druidesse, qu'elle pouvait communiquer avec les animaux. Il pourrait avoir des soupçons, mais pas la moindre preuve, lui semblait-il. Elle pourrait nier...
Certes, il semblait avoir une certaine capacité à lire dans les âmes. Et puis, elle n'était pas certaine qu'un rongeur parvienne à bout de la chaîne retenant le petit être-fée. Mais au moins, elle aurait tenté quelque chose... Finalement, n'était-ce pas juste sa bonne conscience qu'elle tentait ainsi d'apaiser ?

Elle ne pouvait pas aborder franchement le sujet, bien sûr. Elle craignait toujours autant qu'on écoute leur conversation. Et puis... elle songea soudain qu'il valait peut-être mieux que Raevan ne sache rien de ses projets. Pour sa propre sécurité. Elle haussa les épaules, et cessa ouvertement de guetter les rongeurs. Dans un petit moment, ou même un long moment, elle descendrait voir Lae. Elle aurait plus de chance dans les couloirs déserts. Si on ne la surveillait pas.

Au moment où elle fit mine de gagner la porte, ses deux compagnons l'apostrophèrent.
" Où allez-vous ? demanda Raevan.
— Je viens avec !" ajouta Mathieu.
L'elfe secoua la tête, mécontent.
" Je n'ai pas l'impression que l'option balade dans les couloirs était comprise dans la proposition de notre hôte !
— Je dois aller aux toilettes. Désolé."

" Moi, je voulais juste prendre des nouvelles de... Ginaste. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient."
Elle avait failli laisser échapper son véritable nom.
" Elle sait davantage de choses que nous sur ce monde. Elle pourrait être de bon conseil, ajouta-t-elle. Même si je ne me fais guère d'illusion..."
C'était bien son intention première, même si elle s'attendait à voir la drow refuser fermement tout projet de nature à mécontenter le seigneur fée. Cela ne l'empêcherait pas de tenter quelque chose ensuite, éventuellement, sur le chemin du retour... si la drow ne l'en dissuadait pas.
Mais elle n'était pas certaine que la présence de Mathieu soit une bonne idée.

" Elle ne sait rien de plus sur ce monde que vous ou moi, Séléna, dit Raevan avec humeur. Mais peut-être une seconde voix raisonnable sera-t-elle utile..."
Il soupira.
" D'autant qu'il serait utile de savoir où elle en est."
Il se tourna vers Mathieu.
" Quant à toi...
— Toilettes !" répéta Mathieu.
Sans attendre, il se glissa dans le couloir.

Astrée leva les yeux au ciel.
" Je vais essayer de faire en sorte... qu'il ne fasse pas n'importe quoi," ajouta-t-elle, un peu penaude, à l'adresse de Raevan.
C'était bien évidemment en totale contradiction avec son propre désir d'agir. Mais elle comptait ne rien tenter d'inconsidéré, pour sa part. Elle n'agirait que si elle avait suffisamment de certitude quant à ses chances de s'en tirer sans être soupçonnée.
Certitude plus que douteuse, en l'occurrence.

Elle s'engouffra dans le couloir, toujours hésitante, en s'efforçant de se remémorer qu'elle devait accepter chaque civilisation avec ses propres règles. Sans juger. Enfin... pas trop. Et qu'elle était ici une invitée en territoire inconnu. Qu'elle devait respecter leurs règles. Que tenter de faire évader le petit être féé était une grosse bêtise. Qu'il valait mieux... ne rien faire. Que Dimitri lui avait demandé de suivre la voix de la sagesse...
Et surtout ne pas laisser Mathieu tenter n'importe quoi.
Mais elle allait commencer par aller voir Lae.

Mathieu l'attendait juste de l'autre côté de la porte. Il n'y avait heureusement aucune trace d'un serviteur embusqué.
" Bon, quel est le plan ? demanda-t-il, plein d'énergie. Faut qu'on se dépêche. Il va se rendre compte d'ici une seconde, max, qu'il n'aurait pas dû nous laisser sortir. C'est traître de profiter de la larve qu'il a dans le crâne, mais on n'a pas le choix."

" Je n'ai pas de plan, répliqua froidement Astrée. Je vais juste discuter avec Ginaste... de ce qu'elle sait éventuellement des êtres féériques."
Elle ne comptait pas lui évoquer son idée. D'abord parce qu'elle n'avait rien décidé encore, ensuite parce qu'elle doutait de ses chances de succès, enfin parce qu'elle ne voulait pas les mettre tous en danger. Si personne ne savait qu'elle envisageait de tenter peut-être quelque chose, il lui semblait courir moins de risque. Et elle n'était pas certaine de vouloir tenter quoi que ce soit. La balance bénéfices-risques lui semblait un peu trop déséquilibrée...
" On est des invités, ici. On ne peut pas prendre le risque de mécontenter notre hôte", ajouta-t-elle, au cas où on les écoute.

Mathieu lui retourna un regard peu convaincu.
" Oh, bien sûr, notre hôte. Ne pas le mécontenter. Tu as raison."
Il jeta un coup d'oeil vers le bout du couloir puis haussa les épaules.
" Je suis sûr que les toilettes sont près de la bibliothèque. Et puis j'aime bien les livres. Et Dame Ginaste est charmante. Nous avons bien discuté, tous les deux, tu sais, pendant que vous faisiez du porte-à-porte..."
Déjà, il la précédait dans les escaliers.

Astrée ne releva pas l'ironie et descendit l'escalier, perdue dans ses pensées. Elle se posait mille questions, depuis plus d'une heure, sur ce qu'elle allait faire -ou pas. Les risques étaient énormes : il y avait là un piège évident. Si elle tentait quoi que ce soit, elle devait être sûre de ne mettre personne en danger. Peut-être devait-elle agir juste avant leur départ. Sans rien dire à personne. A condition de trouver un rongeur au dernier moment, bien sûr. Et si ça n'était pas possible... mieux valait renoncer. Et tant pis si ça lui coûtait terriblement...

Elle se dirigea droit vers la bibliothèque, espérant que Mathieu ne profite pas de la situation pour aller jeter un coup d'oeil au salon où risquait de se trouver leur hôte.

Ils étaient obligés de traverser le salon pour atteindre la bibliothèque. Contrairement à ce qu'Astrée avait craint, leur hôte ne s'y trouvait plus. Le feu était mourant, la table avait été débarrassée, il n'y avait plus trace de leur passage. Le petit être fée était toujours sur le manteau de la cheminée, cependant. On devinait sa silhouette, assise, immobile. Il ne fit aucun signe dans leur direction lorsqu'ils entrèrent. Mathieu, lui, s'arrêta.
" Va voir Ginaste. Je vais juste bavarder. C'est pas interdit, de bavarder, si ?"

Astrée laissa son regard filer vers le manteau de la cheminée, bien malgré elle, et resta figée, tout comme Mathieu. Elle se sentait pleine de compassion pour ce pauvre esclave. Elle aurait voulu si fort lui venir en aide... Et elle se sentait si lâche de ne pas oser le faire.
C'est un piège... un appât...
Elle secoua la tête en réponse à la question de Mathieu.
" A mon avis, si, c'est interdit. Je suis prête à parier que ça lui est interdit, à lui. Et c'est lui qui le paiera, si tu le pousses à désobéir à ce genre de consigne, l'avertit-elle. Tu ferais mieux de venir avec moi..."

La Couronne de Cuivre

[Féérie] Sur la piste de Kaljivahu...