La Couronne de Cuivre

" Mais donc, vous avez sur vous des objets dangereux et vous ne les avez pas déclaré à l'entrée. Il est possible que le garde n'ait pas pensé à demander... faute d'habitude... Mais si c'est vous qui avez fait une fausse déclaration c'est plus ennuyeux."
Elle soupira.
" Et qu'espérez- vous exactement de la garnison à une heure pareille?"

Gabriel réalisa que la commandante était extrêmement formaliste, mais peu entreprenante.
« J’espérais que la garde inspecte chez le marchand suspecté avant l’aube…avant le départ des bateaux. Mais peut-être qu’une inspection pourrait se faire au moment de l’embarquement des marins et des passagers … ? »

"Vous suspectez donc un marchand... celui qui est spécialisé dans les objets magiques je suppose... d'être en possession des objets disparus. Et vous soupçonnez que ces objets vont être vendus à quelqu'un du navire marchand qui fait route vers le sud. Cela fait beaucoup de suspicions floues et pas forcément fondées..., commenta la commandante.
Elle poussa un soupir.
" Si vous craignez que ces objets partent par voie maritime sur ce navire, il est relativement simple d'ordonner une perquisition juste avant le départ. Car vous ne savez pas s'ils ne s'y trouvent pas déjà. Vous avez une idée du moment où on vous les a dérobés?
- Pas précisément, avoua Anita. En fin d'après-midi ou pendant le repas...
Ils ont donc eu le temps d'être revendus... Tout dépend s'ils ont été dérobés par un simple voleur opportuniste ou par quelqu'un qui les convoitait précisément comme ces Ithilliens dont vous parlez. En perquisitionnant demain matin le navire marchand, on les empêche de disparaître par cette voie... mais on ne pourra pas fouiller toutes les barques de pêche par contre..."

Gabriel fut soulagé de la tournure de l’échange, il était enfin entendu.
« En effet, c’est bien ce marchand que je soupçonne. Mais, vous avez raison…les objets ont dû être vendu ou déjà cachés… Demain matin-matin à l’aube, je louerai mes services en tant que docker…pour ma part, je serai vigilant sur ce que je remarquerai de suspect du côté des petits pêcheurs. »

"Faisons comme cela alors... Et si cela ne donne rien, alors je ferai une petite visite à la boutique. Mais vous devez être conscient que ces deux objets sont peut-être déjà hors les murs".
Elle haussa les épaules.
"Vous verrez certainement mes hommes sur le quai demain. La marée sera montante avant l'aube. Nous y serons une heure avant pour pouvoir perquisitionner sans retarder le navire. En attendant, je vous suggère une bonne nuit de sommeil..."

« J’espère les retrouver…Mais je vous remercie pour votre implication, ma commandante. »
Gabriel salua l’officier, puis s’éloigna et s’adressa à Anita.
« Ouf ! J’ai cru que j’allais passer ma nuit au trou… Suivons son conseil…allons nous coucher, je me lèverai tôt demain. »

Ils retraversèrent la ville à demi endormie en sens inverse et regagnèrent l'auberge. La salle s'était vidée, la plupart des convives étant des marins ou autres membres d'équipage tenus de se lever de bonne heure. Il n'y avait ni concert, ni animation d'aucune sorte ce soir-là.
Ils rejoignirent leurs chambres respectives sans y découvrir d'autres mauvaises surprises. Et malgré leur déconvenue, Gabriel trouva sans peine le sommeil.

Il se réveilla avant l'aube, alors que l'auberge bruissait déjà d'activité. Les hommes de la mer avalaient un solide petit déjeuner et il fit de même. Anita dormait encore quand la salle principale commença à se vider. L'embarquement sur les divers bateaux ne tarderait guère...

Gabriel décida de laisser Anita dormir et s’adressa à l’aubergiste.
« Bonjour ! Pourriez-vous dire à mon amie que je suis allé directement au quai d’embarquement ? Je vous en remercie. »

L'aubergiste promit de s'en charger et Gabriel put rejoindre les quais sans se préoccuper davantage de son amie.
Malgré l'heure matinale, les lieux étaient animés : quelques caisses et tonneaux supplémentaires étaient acheminées à bord du navire marchand, tandis qu'à l'autre extrémité du port, deux chalutiers revenaient de haute mer et que trois ou quatre s'apprêtaient à lever l'ancre. La marée haute leur permettrait de prendre la mer d'ici très peu de temps, et les marins s'affairaient à bord.
Reportant son attention vers le navire marchand, Gabriel put constater que la commandante avait tenu parole: une petite escouade de soldats était présente et un officier parlementait avec un homme de haute stature qui devait être le responsable du navire.

Gabriel se dirigea vers l’embarcadère où les petits bateaux de pêcheurs se trouvaient. Peut-être rencontrerait-t-il Luc et Sam ?

Luc et Sam n'étaient pas présents., et nul ne lui prêta attention.
Deux chalutiers, de retour d'une expédition nocturne, déchargeaient des barils d'eau saumâtre où se bousculaient des dizaines de poissons, ainsi que des caisses contenant d'autres prises, découpées en filets enrobées de sel.
Quatre ou cinq chalutiers se préparaient à partir, chargeant des barils de sel, des filets de rechange, de l'eau et des provisions. Les plus petits étaient dirigés par deux hommes, les deux plus grands embarquaient jusqu'à six hommes d'équipage.
Ils avaient très peu de préparatifs à faire avant le départ, et Gabriel devina qu'ils lèveraient l'ancre très vite, bien avant le navire marchand.
Il eut beau regarder de tous ses yeux, il ne vit pas trace de l'épée et du luth. Le seul moyen de les amener à bord discrètement, compte tenu de leur taille, aurait été de les cacher dans un baril de sel. Mais il pouvait difficilement demander à vérifier leur contenu...

La barge de Luc était amarrée un peu à l'écart, plus en amont, et le batelier fit son apparition, accompagné de son petit-fils, au bout d'une vingtaine de minutes.

Les espoirs de retrouver les objets magiques s’envolèrent. Il restait la perquisition par la commandante, mais Gabriel douta d’une fouille fructueuse.
Il fit une dernière fois le tour de l’embarcadère avec son regard et vit Luc et Sam. Il leur sourit et se dirigea vers eux pour les saluer et aussi pour leur demander s’ils ne remarqueraient rien d’anormal dans l’activité des chalutiers.

Luc n'avait rien remarqué de particulier. Il y avait toujours quelques chalutiers qui pêchaient de nuit et rentraient au petit matin, et d'autres, plus nombreux, qui partaient à la journée, voire pour deux jours. L'activité de ce matin lui semblait totalement ordinaire. Du reste, elle était similaire sur chacun des bateaux, qui ne tardèrent guère à larguer les amarres.

Comme il le craignait, la perquisition ne donna pas davantage de résultat. Elle dura près de deux heures, au grand dam du capitaine, et Luc avait levé l'ancre depuis longtemps lorsque la petite escouade débarqua, bredouille. L'officier qui dirigeait la fouille se dirigea aussitôt vers Gabriel, et celui-ci reconnut le capitaine qui avait recueilli sa déposition le matin même.
"Nous n'avons rien trouvé. Et pourtant nous avons fouillé l'ensemble des cabines et des marchandises... Il y avait des épées quelconques et deux ou trois instruments de musique mais pas de luth. Je suis désolé, croyez- moi. Mais ma supérieure m'a chargé de poursuivre l'enquête. Avez-vous d'autres soupçons en particulier?"

Gabriel salua le capitaine et lui répondit.
« Bonjour capitaine, je n’ai pas de preuves précises mais j’ai quelques soupçons au sujet du marchand à qui nous avons demandé une identification… Comme votre commandante, je crois aussi que ces objets ne sont plus au Comptoir… »

"Ma commandante ne croit rien de particulier, à ma connaissance, répliqua le le capitaine. Elle m'a juste dit d'envisager toutes les possibilités. Et elle m'a effectivement parlé de ce marchand."
Le capitaine s'interrompit pour acquiescer d'un signe de tête à la question du responsable de la cargaison.
L'instant d'après, deux hommes dénouaient les amarres, avec une synchronisation parfaite, et la passerelle était hissée à bord. Le navire se détacha lentement du quai.
"Qui à part ce marchand avait connaissance de l'existence de ces objets? En avez-vous parlé, les avez-vous montrés?"

Gabriel pensa qu’Anita avait été discrète en allant chez le marchand ; elle avait fait attention de ne rien montrer des objets magiques sur le chemin. Ils en avaient parlé uniquement dans l’auberge quand elle était déserte.
« Seulement le marchand a vu les objets… Nous avons été très discrets à l’auberge. »

"Nous allons donc interroger ce marchand, dans ce cas... Mais méfions-nous des conclusions hâtives. Il n'a peut-être rien à voir avec le vol, du moins directement."
Le capitaine semblait réfléchir à voix haute.
"Il a pu tout simplement en parler à quelqu'un de malhonnête... Mais nous en sauront bientôt davantage. La boutique ouvre dans quelques minutes. Voulez-vous nous y accompagner? Ou peut-être préférez-vous rejoindre votre compagne?

Malgré son impatience Gabriel pensa à Anita.
« Je vais rejoindre mon amie à l’auberge, puis nous vous rejoindrons à la capitainerie. »

"Rejoignez-moi plutôt à la boutique d'objets magiques. Disons dans une demi-heure., suggéra le capitaine. Au cas où il y ait un luth ou une épée suspects que j'aie besoin de vous faire identifier..."
Sur un léger signe de tête, il s'éloigna en direction de ses hommes groupés sur le quai. De la petite escouade de quatre hommes, il n'en garda qu'un avec lui et se dirigea vers la rue principale à grandes enjambées, tandis que le reste du groupe s éloignait vers d'autres occupations.

Gabriel le suivit à quelque distance, et obliqua rapidement dans la petite ruelle où se trouvait l'auberge. Le patron, désœuvré à cette heure, l'accueillit d'un sourire étonné.
"Vous voilà déjà de retour? Et votre amie n'est pas avec vous? Je croyais qu'elle devait vous rejoindre..."

Gabriel fut surpris de ne pas voir Anita dans la salle en train de déjeuner. Elle ne ratait aucun repas.
« En effet,…mais elle n’était pas présente à l’embarcadère… L’avez-vous vu prendre son déjeuner ? Depuis quand est-elle partie ? »

L'aubergiste hocha vigoureusement la tête.
"Elle a déjeuné, oui. Il n'y a pas très longtemps qu'elle est sortie... une petite demi-heure tout de même je pense, le temps passe vite. Elle ne m'a pas précisé où elle allait, mais comme elle avait demandé où vous étiez, j'en ai déduit qu'elle comptait sans doute vous rejoindre. Mais j'ai sans doute mal interprété, je ne peux être sûr de rien. Elle est partie à gauche, en direction de la grande rue, c'est tout ce que je peux dire. Peut-être qu'elle avait une course à faire et qu'elle va revenir... C'est sûrement ça. "

« Bon… Je vais essayer de la retrouver à l’embarcadère, mais si elle n’y est pas et qu’elle revient à l’auberge, dites-lui que je serai chez le marchand avec le capitaine de la garde …. De toutes les façons je reviendrai ici. Merci pour votre disponibilité. »
Gabriel partit en courant vers le port.

L'aubergiste ouvrit des yeux ébahis mais ne dit rien. Sans doute ne comprenait-il pas vraiment à quoi Gabriel faisait allusion.

Gabriel s'en revint donc sur les quais de la Sombre, qu'il trouva particulièrement déserts. Les dernières embarcations avaient pris la mer avec la marée montante et nulle autre n'était apparue : il lui faudrait probablement attendre la marée de l'après-midi pour voir de nouveaux navires.
Anita n'était de toute évidence pas là, et le garde de faction au petit local de la capitainerie du port lui assura n'avoir vu personne correspondant à sa description. Gabriel s'en revint donc bredouille vers la rue principale menant à la place centrale de la petite cité. Il ne la croisa pas davantage en route, et ne l'aperçut pas dans l'une ou l'autre boutique.
Il trouva sans difficulté le commerce des objets magiques : une enseigne lumineuse, certainement imbibée de magie, en indiquait l'emplacement. A l'intérieur, le capitaine de la garde était en grande discussion avec un demi-elfe aux cheveux noirs, un peu grisonnants, relevés en un chignon assez inhabituel.

Gabriel ne sut pas s’il devait s’inquiéter de l’absence d’Anita, mais il décida de la chercher sérieusement après la perquisition chez le marchand.
Entré dans la boutique Gabriel assista à un échange tendu entre le capitaine et le marchand. Il remarqua la coiffure étrange du demi-elfe qui était un chignon volumineux sur le dessus de la tête à la manière d'un casque. Le jeune jeune n’intervint pas, mais écouta attentivement.

Il ne put pas se contenter d'écouter discrètement. Le marchand et le capitaine se tournèrent vers lui dès son entrée, le premier affichant un sourire avenant, anticipant sans doute un client potentiel.
" Je suis à vous dans un instant...
- Voici justement le jeune homme qui est venu rapporter le vol, expliqua le capitaine.
- Oh... Comme je le disais à l'instant, je revois très bien la jeune fille qui m'a apporté le luth et les deux armes. Elle est d'un type humanoïde qu'on n'oublie pas, bien sûr... Et le luth me semblait particulièrement intéressant, bien que moins facile à revendre qu'une arme. Un instrument de musique magique, c'est toujours intriguant. Malheureusement, je ne peux rien vous apprendre à son sujet. Je ne l'ai pas revu, ni entendu parler du moindre instrument de musique depuis... et je n'en ai aucun en réserve, votre collègue pourra le confirmer quand il aura fini d'examiner mes stocks, ajouta-t-il en se tournant vers le capitaine. En revanche, on m'a proposé une épée à la vente, hier en fin d'après-midi, qui ressemblait diablement à celle que vous recherchez... "

Les allusions au sujet des origines de son amie et les manières obséquieuses du marchand déplurent à Gabriel.
Le jeune homme lui répondit vivement. « Et…vous n’avez pas pensé un instant que cette épée pouvait être volée ? Connaissez-vous l’homme qui vous l’a proposée à la vente ? »

Le marchand croisa les bras, fronçant les sourcils.
" Au contraire... J'ai pensé qu'elle était peut-être volée dès l'instant où j'ai vu votre comparse entrer dans le magasin ! La personne qui me l'a proposée hier ne m'a pas semblée plus suspecte. Mais ce n'est pas inhabituel, dans mon métier...
- D'acheter des objets volés ?
- Exactement ! Et ne faites pas cette tête... On n'a aucune preuve que la personne qui nous les vend en soit propriétaire. C'est même plutôt rare qu'un propriétaire d'objet magique cherche à s'en débarrasser. En général, le vendeur me dit qu'il l'a trouvé dans une ruine, un souterrain, un vieux coffre... chose que je n'ai bien évidemment aucun moyen de vérifier ! Mais dans tous les cas, il n'en est pas le propriétaire d'origine..."
Tout en parlant, il se dirigeait vers le rayon "armes" de son magasin. Il en revint avec une épée dans un fourreau, dont la poignée était semblable à celle que Gabriel avait récupérée dans les marais.
" C'est celle qu'on m'a apportée hier. Elle ressemble effectivement à la vôtre... excepté que la vôtre n'avait pas de fourreau."

Les premières paroles du marchand confirmèrent son étroit et déshonnête esprit. Quand il vit la poignée de l’épée, il sentit une attirance. C'était peut-être celle qu'il cherchait, mais il eut la certitude qu'elle avait été forgée par la même main. Il s’adressa au marchand.
« Puis-je la manier et tester sa magie ? »

Le marchand haussa les épaules et lui tendit l'épée.
" Testez donc... mais si c'est la vôtre, pourquoi me la vendiez-vous sans son fourreau ?"
Gabriel, dès qu'il posa la main sur la poignée de l'épée, eut la certitude qu'il s'agissait bien de la même arme. L'épée resta cependant totalement silencieuse lorsqu'il la sortit de son fourreau. Sans doute n'avait-elle rien à dire puisqu'il ne combattait pas. Pourtant, c'était bien la même arme, avec ses runes gravées discrètement sur sa lame.

Gabriel fit quelques mouvements circulaires avec l’épée. Sa maniabilité était parfaite, il n’eut aucun doute, c’était la sienne.
« Parce qu’elle n’avait de fourreau quand je l’ai trouvée... C’est bien mon épée, je reconnais ses runes. Connaissez-vous la personne qui vous l’a vendue ? Ou... pouvez-vous nous la décrire ? »

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Le Comptoir sur la Sombre