La Couronne de Cuivre

Les émotions que lui renvoyaient Reynald était pour le moins confuses.
" Tenez bon. Nous allons arriver."
Astrée entendit alors un cri aigu venir de l'extérieur. Prince essaya de se frayer un passage dans son esprit mais le sortilège de Reynald était plus fort, aussi la rôdeuse ne put-elle entrer en contact avec son familier. Il se passait aussi quelque chose dans l'écurie. Un certain mouvement.

" Vite ! Situation critique...", lança-t-elle à Reynald, avec subitement un léger relent de panique dans la voix.
Elle était arrivée au bout de ses tentes mots. Lui, non, il lui semblait, mais elle ne savait pas comment lever le sortilège elle-même. Il le ferait sûrement, et elle pourrait contacter Prince...
Elle se précipita hors de la stalle, son arc à la main, encochant immédiatement une flèche. Elle était prête à tirer si l'un des centaures s'avisait de s'en prendre à Sheldon, ou si on les attaquait par le toit.
Il faudrait qu'elle prévienne Sheldon que les renforts arrivaient... dès qu'elle aurait compris ce qui se passait.

Elle sentit son urgence se répercuter dans l'esprit de son interlocuteur comme il s'effaçait dans le néant. Prince le remplaça aussitôt : il semblait relativement effrayé et lui apprit qu'il y avait un centaure mort devant l'écurie. Apparemment tué par les Montequins en guise de représailles pour le siège. Quand elle déboucha dans la travée centrale, arc en main et esprit dégagé de toute interférence propre à lui troubler les sens, elle découvrit Sheldon encerclé par les six autres centaures. Six car le septième gisait devant ses sabots. Le chef de la harde avait son épieu à la main et lorgnait ses adversaires avec une fureur froide, le regard passant de l'un à l'autre. Il ne paraissait pas particulièrement effrayé.

Astrée tenta d'évaluer la situation. Un centaure avait tenté de se révolter, Sheldon l'avait tué. Et les six autres ? Le chef des centaures semblait furieux, mais pour l'heure personne ne l'attaquait.
Son arc à la main, une flèche encochée, elle s'obligea au calme. Le bander et tirer ne lui prendrait que quelques instants. Elle se souvenait des paroles des Montequins, du fait qu'il était excessivement difficile de tuer un centaure d'une flèche, mais elle n'aurait pas le choix s'ils attaquaient Sheldon. Pour le moment, il avait peut-être encore la situation en main, donc elle ne devait pas intervenir. Pas encore. Juste se tenir prête.

Il attaqua simplement le premier. Pivotant sur ses postérieurs, il asséna un coup d'épieu droit dans la gorge d'un grand brun qui se trouvait sur sa gauche, la transperçant de part en part. Tout en arrachant son arme dans un flot écarlate, il prit appui sur les antérieurs pour décocher une ruade d'une violence extrême dans le poitrail du centaure qui se trouvait derrière lui. Il y eut un bruit d'os brisés et de chairs malmenées, alors que la créature tombait sur les genoux avec un cri étouffé. Deux des centaures battirent aussitôt en retraite, se ruant vers la palissade de la porte, avec l'intention manifeste de la détruire. Les deux autres demeurèrent autour de Sheldon, l'un armé d'une simple planche, l'autre d'un fouet qu'il avait dû récupérer dans le matériel d'équitation. Face à l'épieu du chef de harde, ils ne feraient probablement pas le poids.

Astrée avait bandé son arc, commencé à viser. Sa première impulsion était d'attaquer l'un des agresseurs de Sheldon, ce qui n'était pas évident dans le feu du combat : ils étaient trop proches. Puis, voyant deux d'entre eux se précipiter vers la porte, elle comprit qu'il était de taille à se défendre face aux deux qui restaient autour de lui, et que le danger allait venir du dehors. Changeant de cible, elle visa l'un des deux centaures qui couraient , et tira aussitôt, espérant l'atteindre au torse. Elle devait les empêcher d'ouvrir la porte. Elle encocha immédiatement une deuxième flèche.

HRP : tirer dans le dos d'un centaure même pas agressif ?! Misère, Astrée est en train de virer sérieusement

La flèche fit mouche, touchant le centaure à hauteur de l'omoplate gauche. Il trébucha, se pencha une seconde en avant, vacillant, puis fit volte-face et vint droit sur elle, au grand galop. Il n'était pas armé, mais la jeune femme connaissait la force de ces créatures, ainsi que le danger que représentaient leurs sabots. A la vitesse à laquelle il arrivait, et vu la taille de l'écurie, elle avait sans doute le temps de tirer une seconde flèche, mais ce serait quasiment à bout portant...

hrp : Le feu de l'action, la nécessité de soutenir Sheldon... Pis elle avait aucune chance de le tuer de toute façon, elle gagne juste du temps pour la porte

Astrée renonça aussitôt à tirer, et se précipita, de toute la vitesse de ses jambes, vers le petit échafaudage qu'elle avait fabriqué. Elle avait laissé son espèce de trépied juste à côté, et elle se souvenait avoir déposé la lanière de cuir au sol. Il fallait qu'elle grimpe sur la planche, si possible après avoir attrapé la lanière pour pouvoir s'en servir et se hisser sur la poutre. Vite, très vite, avant qu'il soit sur elle. C'était sa seule chance de survie. Là-haut, ils ne pourraient plus l'atteindre...

HRP : reste que... o

Le centaure était presque sur elle quand elle parvint à se hisser sur la planche. Il envoya valdinguer le trépied dans son mouvement imparfait pour freiner, puis cabra et atteignit aisément le refuge de la jeune femme. C'était un peu trop haut pour qu'il puisse voir clairement ce qu'il faisait, mais il tenta de lui faucher les jambes. Elle dut se déplacer rapidement, ce qui rendit sa tentative d'attraper la poutre à l'aide de sa lanière pour le moins difficile. Elle finit par y parvenir, juste au moment où le centaure pesait sur la planche, la disloquant de ses quelques clous, et l'envoyant au sol. Elle se retrouva donc à califourchon dans les hauteurs, un centaure fulminant en dessous d'elle.

Bon... La bonne nouvelle, c'est qu'elle était saine et sauve.... Coincée sur une poutre dans les hauteurs, sans aucune possibilité de rejoindre le sol, mais saine et sauve. Et en sécurité, loin des possibilités d'atteinte du centaure.
Il lui restait à espérer que Sheldon s'en sorte, qu'il vienne à bout de ses quatre adversaires... Et qu'il daigne ensuite l'aider à redescendre. La première partie du programme lui paraissait relativement accessible, de ce qu'elle en avait vu. La seconde, peut-être beaucoup moins. Ça lui apprendrait à tirer sans réfléchir.
Elle assura sa prise sur la poutre, serrant les jambes, et se pencha légèrement en avant pour observer ce qui se passait au-dessous.

Le centaure qu'Astrée avait blessé était en train de reculer vers les portes, tout en essayant d'arracher le trait qu'il avait dans le dos. Le premier avait déjà retiré plusieurs planches des grandes portes et persévérait. Sheldon ne semblait plus s'en soucier. Il reculait vers la stalle de Neffen, circonspect, tenant ses adversaires à distance sans tenter de les attaquer. Il ne se souciait absolument pas de la petite humaine perchée sur sa poutre. Vu comme les choses progressaient, il était probable que les humains puissent pénétrer dans la grange assez rapidement...

Bon sang, mais pourquoi est-ce qu'il se contentait de reculer ? Les humains allaient venir, et les prendre tous les deux, lui et Neffen... Qu'est-ce qui lui prenait d'agir ainsi ? Jugeait-il la situation trop désespérée ? Ça ne lui semblait pas son genre, pourtant...
" Sheldon, empêche-les d'ouvrir la porte, il faut tenir, des renforts arrivent ! Reynald vient de me contacter, ils sont sur le point de franchir la muraille ! Il faut tenir, absolument ! Empêche-les d'ouvrir !"
Pourquoi est-ce qu'il se dirigeait vers Neffen ? Il protégerait son shaman coûte que coûte, c'était certain... mais comment ? Que comptait-il faire ?

Mais Sheldon ne lui prêtait pas la moindre attention. Il surveillait les deux centaures qui le suivaient, tandis que les deux derniers continuaient à démanteler la palissade en s'adressant aux humains à l'extérieur. Prince confirma à Astrée que les humains s'étaient portés aux deux entrées, mais surtout aux grandes portes. Le chef de la harde se campa finalement dans l'entrée de la stalle de Neffen, où il s'immobilisa, et fit tournoyer l'épieu dans ses mains. Il observa ses adversaires puis les attaqua avec une vivacité surhumaine, frappant le premier en pleine poitrine avant d'envoyer un sabot dans le visage du second. Les centaures domestiques ne virent absolument rien venir et s'écroulèrent, ce qui n'était sans doute pas étonnant vu leur manque d'expérience dans un registre pour lequel Sheldon avait pratiquement été conçu. Ce dernier trotta ensuite vers Neffen et le souleva tant bien que mal, comme un berger prend un agneau. C'était pour le moins incertain : le shaman était assurément plus lourd sous forme centaure que sous forme humaine, et son torse humain, flasque, gênait manifestement le grand roux, qui le balança imparfaitement sur son épaule, avant de reculer au fond de la stalle.

Astrée ne comprenait pas où il voulait en venir. Charger au milieu des humains, avec Neffen dans les bras ? Un acte aussi désespéré n'avait aucune chance d'aboutir...
Elle continuait à tenter désespérément de le faire réagir, criant sans discontinuer depuis son perchoir tandis qu'il reculait au fond de la stalle.
" Sheldon, je t'en prie, arrête-les, vite ! Ils ne doivent pas te tuer, ils ne doivent pas prendre Neffen. Il faut que tu vives et qu'on libère les centaures, c'est la seule chance de sauver la harde, la seule ! Si on échoue ils sont condamnés. Arrêtes-les, empêche-les d'ouvrir ! Reynald va arriver et il pourra vous téléporter tous les deux à l'abri, il suffit de tenir quelques heures ! C'est la survie de toute la harde qui en dépend ! S'ils entrent, vous êtes fichus tous les deux, et la harde est condamnée ! Je t'en supplie, écoute-moi, empêche-les d'ouvrir ! Tu dois sauver la harde !"
Si les humains entraient, ils étaient fichus... Sheldon allait charger, mais ils étaient nombreux, armés, il n'avait aucune chance. Il allaient certainement le tuer... et Neffen allait tomber entre leurs mains, et la harde serait fichue. Elle regarda les centaures près de la porte. Il fallait les arrêter, à tout prix....
A tout prix ?
Elle finit par prendre son arc en main, serrant les dents. Elle pouvait peut-être encore agir. C'était la seule solution. La seule... Elle n'avait quasiment aucune chance de réussir, en équilibre instable. Mais tant pis, elle devait tenter. Si Sheldon ne réagissait pas... alors c'était à elle d'agir.
" Sheldon, arrête-les avant qu'il soit trop tard !" cria-t-elle une dernière fois en encochant sa flèche, espérant de tout coeur qu'il réagisse enfin. Et prête à tirer, en désespoir de cause, s'il ne faisait rien. A tenter de les tuer. Il n'y avait aucune autre solution...

hrp : misère, t'as raison, elle vire carrément...

Sheldon ne donna aucun signe de l'avoir entendue. Il était à présent tendu, aux aguets, il avait lâché son épieu, et un fracas retentit à l'avant de l'écurie comme une partie de la palissade s'effondrait. Le chef de la harde jeta alors un coup d'oeil à la rôdeuse, un fragment de seconde.
" Sauve ta vie." lui glissa-t-il.
Puis, sans attendre, il décocha une ruade violente dans la paroi de l'écurie derrière lui. Le premier coup fit craquer les planches, en miroir de ce qui se déroulait près des grandes portes. La seconde ruade fit voler des éclats de bois. Astrée vit un rai de jour se dessiner à l'entrée de l'écurie. A la troisième ruade, le mur céda et Sheldon le franchit en se penchant, disparaissant aussitôt de la vue de la jeune femme. Les deux centaures à l'entrée du bâtiment s'arc-boutaient pour aider les humains à franchir des portes encore coincées. Si la jeune femme ne prenait pas rapidement la poudre d'escampette, elle risquait de se retrouver coincée dans une situation très peu enviable...

Astrée serra les dents. C'était de la folie, il allait se faire tuer. Et elle ne pouvait rien pour l'empêcher, rien pour l'aider... Et elle pourrait encore moins si elle se faisait prendre. Elle vit les portes commencer à céder. Elle devait fuir.
Prince, essaie de suivre Sheldon, de voir où il se réfugie, vite ! Il part par ce côté, vas-y, suis-le ! Accroche-toi à lui ou Neffen si tu peux !
Quant à elle... Il ne lui restait que la fenêtre. Elle ne perdit pas un instant de plus pour jeter son arc sur son dos, ranger la lanière dans sa besace, et s'agripper au rebord de la fenêtre. Pas question de perdre une minute, pas question de tomber non plus. Elle devait se hisser sur le toit. Et suivre Sheldon, où qu'il aille.

Astrée disparut in extremis par la fenêtre et se plaqua aussitôt sur le toit. Sa position était dramatiquement exposée, mais elle ne vit personne la guettant. Elle vit par contre Sheldon fuser à pleine vitesse dans une rue transversale, prenant manifestement tous les humains qui les avaient assiégés au dépourvu : aucun ne paraissait avoir imaginé que la créature puisse se frayer un passage au travers des murs de l'écurie et, sentant la victoire proche, tous les Montequins s'étaient rassemblés aux issues du bâtiment. Le temps qu'ils réalisent ce qu'avait tenté le grand roux, celui-ci avait déjà pris une bonne avance. Astrée le perdit presque tout de suite de vue... mais sans doute tentait-il d'atteindre les portes qui, comme chaque jour, étaient grandes ouvertes sur la campagne. De son côté, elle ne pouvait pas rester en contact avec Prince sans perdre une partie de sa concentration... Or, vu sa position précaire, sur le toit d'un bâtiment surveillé, désormais investi par les villageois, elle ne pouvait pas se permettre de se relâcher...

Il lui restait à espérer que Prince ait pu, au vol, s'accrocher aux deux centaures. Elle ne chercha pas à maintenir le contact : elle devait fuir, avant tout. Il leur faudrait quelques minutes pour réaliser qu'elle n'était pas avec Sheldon, qu'elle n'était pas non plus dans l'écurie, et ils songeraient forcément au toit en voyant la fenêtre ouverte. Elle devait filer au plus vite. Il fallait descendre par le côté opposé à celui choisi par Sheldon, c'était le plus sûr. Si personne ne s'y trouvait... Ou alors sauter sur le toit voisin, s'il n'était pas trop loin pour le faire sans risque. Mais mieux valait tenter de descendre, puis s'engouffrer dans des rues étroites, sans prendre la direction des remparts où allaient converger les humains. Juste partir transversalement. Elle rejoindrait les remparts plus tard, en faisant un large détour, si elle trouvait des zones assez peu fréquentées pour pouvoir avancer ; et surtout, elle prendrait contact avec Prince dès qu'elle trouverait une cachette moins exposée. Pourvu que Sheldon réussisse, malgré les gardes sur les remparts et ceux au-dehors...

La descente promettait d'être complexe, les parois de l'écurie n'offrant que peu de prises, et la rôdeuse recourut à une corniche qui lâcha à mi-chemin dans un grincement de mauvaises augures. Mais les cris, comme elle l'avait espéré, provenaient de l'autre côté du bâtiment et de l'intérieur, et son atterrissage forcé n'attira personne. Elle sentit cependant une douleur aiguë dans sa cheville gauche, résultat d'un saut approximatif d'une hauteur excessive. Elle fila cependant entre deux bâtiments voisins et réalisa rapidement qu'elle se retrouvait dans une zone de hangars et de granges, où il y avait très peu d'habitations. Elle entendit cependant des clameurs résonner et devina que sa disparition avait été remarquée. Devant elle se dressait l'extrême ouest des remparts, mais elle devinait des silhouettes sur le chemin de ronde.

Astrée n'avait pas l'intention de quitter le village sans avoir la certitude que Sheldon était parvenu à fuir. Et elle avait beau prier de toutes ses forces pour qu'il réussisse, cela lui paraissait malheureusement assez peu probable. Et puis, de toute façon, tenter une fuite en plein jour par les remparts n'était certainement pas une bonne idée maintenant que tout le monde était en alerte.
Elle se réfugia dans un hangar tout proche, choisissant un bâtiment depuis lequel elle verrait les remparts, et se concentra pour joindre Prince. Elle avait conscience que s'il était parvenu à s'accrocher, sous forme d'abeille, à l'un des centaures, il aurait besoin de toute sa concentration pour se maintenir. Elle voulait juste établir un très bref contact pour savoir s'il était avec les centaures... et dans ce cas, essayer de ressentir s'ils étaient encore en train de courir, et si possible s'ils étaient sortis du village. En même temps, vu la vitesse de course de Sheldon, s'il n'était pas déjà loin, ça signifiait probablement qu'il était acculé et sur le point d'être repris. Ou tué. Elle serra les poings, consciente de son impuissance.

Malheureusement, l'esprit de Prince était beaucoup plus proche d'elle que ne l'avait espéré Astrée. Une abeille volait nettement moins vite qu'un centaure lancé au grand galop et, comme Astrée, il avait été pris au dépourvu par la subite sortie de Sheldon. La seule manière possible pour le rattraper aurait été de se muer en cheval, et c'était chose peu discrète. Il revenait donc dans la direction inverse, tentant de rejoindre sa maîtresse.
Le hangar servait à entreposer des troncs d'arbre de tailles diverses et une partie comprenait des instruments pour les débiter en bûches ou en planches. C'était un endroit qui regorgeait de cachettes mais il serait certainement fouillé tôt ou tard.

Astrée poussa un soupir. Ca aurait été trop beau. Mais pourtant, il fallait qu'elle sache, absolument, s'ils étaient parvenu à fuir ou pas. Ils se dirigeaient vers les portes, de toute façon : Prince pourrait voir ce qui s'y passait, si la porte était encore ouverte et si des humains se ruaient à l'extérieur. Si ça n'était pas le cas, c'est qu'ils avaient échoué.
Prince... Tu voles jusqu'à la porte ouest, là-bas, tu me dis si elle est ouverte, s'il y a du monde en train de courir dehors. Si tu vois une foule d'humains armés à un endroit, tu t'approches. Si Sheldon est acculé dans un coin, tu t'accroches à Neffen.
Certes, la porte ouest pouvait aussi ne pas avoir été ouverte ce matin, et dans ce cas il chercherait à rejoindre l'autre. Mais il n'avait aucune chance d'y parvenir.

En attendant qu'il puisse l'informer sur ce point, il lui restait à se préoccuper de sa propre sécurité : il lui fallait une cachette dans un hangar ou une grange avec au moins deux ou trois issues donnant sur des rues différentes. Et un endroit dont on ne se servait pas tous les jours, même s'il était quasi certain qu'on fouillerait tout le village. Elle explora un peu mieux celui où elle était entrée, cherchant toutes les issues possibles. Puis elle réalisa qu'il valait peut-être mieux envisager de s'éloigner des remparts, là où allaient se concentrer les fouilles, et se rapprocher, au contraire, de la muraille par laquelle Reynald et ses compagnons allaient arriver. Elle se souvenait avoir autrefois dormi dans une grange pas trop loin. Elle hésita. Il était dangereux de rester dans ce secteur, même s'il rengorgeait de cachettes, d'autant qu'elle ne comptait pas franchir les remparts dans l'immédiat. En même temps, se déplacer en plein jour était risqué... quoique ce quartier semblait sûr. Elle décida d'attendre de savoir ce qui se passait aux portes avant de prendre sa décision.

Il y avait un capharnaüm terrible dans les rues, des centaures montés au grand galop, des humains courant en tous sens, des archers, des fermiers, Montequine fourmillait littéralement, et Prince abandonna sa forme d'abeille pour se faire écureuil, nettement plus rapide. Les portes ouest étaient ouvertes et un groupe de cavaliers était en train de le franchir. Astrée sentit que son compagnon s'arrimait à la selle de l'un d'entre eux pour partir dans la campagne.
Elle perçut ensuite le grand galop dans la prairie, le vent, la vitesse... Sheldon avait manifestement réussi à sortir, même si elle ne pouvait en avoir la certitude. Il y avait en tout cas du mouvement à l'extérieur. Mais le lien qu'elle avait avec la créature s'effilocha comme il filait dans la prairie, et elle perdit tout contact avec lui.

Sheldon avait fui. C'était fantastique, merveilleux, inespéré ! Bon, il fallait espérer que les humains ne le rattrapent pas. Mais il était rapide, il les avait pris par surprise, et il connaissait la forêt mieux qu'eux... Il allait réussir !
Juste avant de perdre le contact avec son familier, elle lui demanda de rester encore un peu avec les humains, pour vérifier qu'ils ne le rattrapent pas. Qu'il revienne quand il aurait la certitude que Sheldon ait réussi à leur échapper...
Il reviendrait avec eux, certainement, quand ils renonceraient à la poursuite. Quoique... renonceraient-ils ? Maintenant qu'ils avaient conscience d'un danger flou et improbable que seul Sheldon pouvait donner l'ordre d'arrêter, ne chercheraient-ils pas à le traquer loin dans la forêt ? Non, sans doute pas comme ça, pas de façon aussi désorganisée. Ils reviendraient s'équiper mieux, et organiseraient une véritable battue pour exterminer la harde.
Quoiqu'il en soit, il s'agissait de choses sur lesquelles elle ne pouvait pour le moment pas agir. Elle serra les poings, dépitée. Ça en était fini de leur tentative de révolte des esclaves au village. Il ne restait plus que les orques, désormais. Et ils arriveraient peut-être trop tard...

Elle se surprit à marcher de long en large dans le hangar, réfléchissant toujours, refusant de s'avouer vaincue. Avec Reynald et les autres par ici, peut-être y avait-il encore de l'espoir de trouver d'autres solutions. Oui, leur présence ouvrait de nouvelles possibilités... auxquelles elle n'avait pas vraiment le temps de réfléchir pour le moment. Ils allaient la rechercher, la traquer dans le village. Elle devait songer à sa sécurité.
Résolument, elle se dirigea vers la porte du hangar, jetant un coup d'oeil au-dehors. Le désordre et la panique régnant alentours lui donnaient peut-être une chance de gagner au plus vite le sud du village et la muraille par laquelle allaient arriver ses amis. On ne la chercherait pas par là-bas, pas tout de suite en tout cas, et il fallait qu'elle soit là quand ils arriveraient.

Il y avait du bruit et du mouvement un peu partout autour d'elle, aussi dut-elle se faufiler dans l'ombre, de ruelle en appentis, pour ne pas prendre de risques. La retrouver dans le village s'apparentait à chercher une aiguille dans une botte de foin, et peut-être n'était-ce pas exactement la priorité des Montequins, mais ils étaient nombreux et pouvaient surgir d'un peu partout.Traverser les grandes artères, en particulier, touchait à l'impossible, et Astrée dut demeurer en périphérie, longeant les remparts en profitant de l'abri offert par les avant-toits et les corniches. Elle finit par atteindre la falaise et entreprit de la longer. Comme elle l'avait espéré, la zone était nettement moins bruyante, nettement moins peuplée, il régnait même un silence presque étrange dans les ruelles. Elle finit par distinguer la petite place sur laquelle débouchait la porte dans la roche, entourée de ses quelques bâtiments. Les commerces semblaient fermés, en ce compris l'armurerie.

Tout le monde était là-bas. Enfin... tous ceux sachant se servir d'une arme étaient probablement près des remparts, et les autres avaient dû avoir pour consigne de se calfeutrer chez eux. Ce qui était, pour l'heure, une bonne chose.
Restait à savoir où en étaient ses amis. Les événements s'étaient enchaîné tellement rapidement qu'ils n'avaient sans doute pas déjà franchi la muraille. D'autant qu'ils devaient d'abord, probablement, trouver un moyen de franchir les remparts de l'autre côté, ensuite trouver la bonne maison... et enfin parvenir à ouvrir la porte. Elle vérifia que la place était déserte, espérant pouvoir s'approcher de la porte et tenter de l'ouvrir. Elle était certainement fermée, bien sûr, mais elle pouvait guetter, un instant, et vérifier si elle entendait du bruit de l'autre côté. Elle leur avait transmis l'urgence de la situation, ils allaient faire au plus vite. Cela dit, elle se demandait bien comment ils pourraient ouvrir cette porte...

Astrée surveilla la place, ne vit rien d'étrange, puis se dirigea vers l'entrée du tunnel, toujours aux aguets. Elle percevait un brouhaha distant, mais elle n'avait aucun moyen de savoir à quoi il correspondait, si Sheldon s'était enfui, s'il avait été rattrapé ou tué. Prince était trop loin, il fallait qu'elle s'arme de patience. Elle tenta donc d'ouvrir la porte. A sa grande surprise, celle-ci le fit sans difficultés. Elle sentit cependant un picotement dans sa paume et subitement... il fit noir. Elle n'y voyait plus rien du tout.
" Trop facile, dit une voix derrière elle.
— Je vous conseille de vous rendre bien gentiment, Astrée."
Il devait y avoir une protection magique sur la porte... et elle n'avait pu l'anticiper.

Sûrement pas, songea-t-elle tandis qu'une bouffée de colère l'envahissait. Saleté de sortilège.
Sans perdre un instant, elle acheva aussitôt de pousser la porte et se précipita en avant, dans le noir complet, les mains tendues en avant pour parer les chocs, cherchant à se souvenir de la configuration des lieux. Une grotte, une porte, un couloir... quelque chose comme ça... Toujours tout droit, il lui semblait. Il fallait fuir. Reynald était là-bas, tout proche...

Elle ne fit pas trois pas qu'ils étaient sur elle. Elle se sentit trébucher, tomber en avant, heurter le sol de pierre. Ses mains la protégèrent d'un choc trop brutal mais elle sentit une poigne se refermer sur son épaule et la relever sans ménagement.
" Méfie-toi, dit la voix de l'herboriste. C'est un chat sauvage.
— Plus pour longtemps." dit l'homme.
Astrée entendit des pas résonner dans le conduit, venant dans leur direction, mais il n'y eut aucun mouvement de panique, aucun mot échangé. L'étranger qui la tenait lui tordit un bras dans le dos.

"A l'aide !" hurla-t-elle dans un réflexe de panique.
Sauf que ce n'était probablement pas Reynald qui venait en face. Et même si c'était lui, il allait avoir du mal à lui venir en aide, et peut-être qu'il aurait mieux valu ne pas laisser voir qu'elle espérait des renforts.
De toutes ses forces, elle donna au hasard un coup de pied vers l'arrière, espérant l'atteindre suffisamment fort aux jambes pour le déséquilibrer. L’entrejambe n'était pas facile à atteindre dans cette position, mais elle pouvait aussi lui écraser le pied, tenter de le faire tomber. Frapper, encore, lui faire mal par tous les moyens, mordre peut-être, essayer de se dégager, se battre avec l'énergie du désespoir. Elle était bien décidée à vendre chèrement sa peau.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Montequine