La Couronne de Cuivre

" Oh, et bien... j'ai joué avec les autres enfants du village... Les fils du fromager... et puis ceux du meunier... et aussi du gars qui s'occupe des pommes... Les enfants de celui qui gère les salades voulaient venir, mais apparemment, c'est pas la bonne saison pour le temps libre."
Il haussa les épaules.
" Après... on a vécu des aventures, voilà tout."

-J'imagine bien, répondit-il, souriant.
Il imaginait d'autant mieux qu'il en avait eu un aperçu le matin même...
-Demain, il faudra qu'on aille à Champsdor pour les différentes démarches administratives que tu sais. Mais comme on aura la charrette, on sera de retour au plus tard en début d'après-midi.
Il regrettait que Baptiste n'aille pas, lui aussi, jouer avec les enfants du village. D'un autre côté, s'il le faisait, Titus se retrouverait sans camarade...

Victor grimaça.
" Ah zut, j'avais oublié. Je suis vraiment obligé de venir ? Je veux dire... J'suis un gosse. Je suis sûr que mon témoignage, ils s'en foutent un peu, non ? Tu pourrais leur dire que je suis malade, quelque chose comme ça."
Baptiste ne put s'empêcher de glousser.
" Vous devez signer quelque chose ?" intervint Yann, comme s'il redescendait sur terre.

L'elfe acquiesça
-Oui, nos déposition concernant la mort d'un garde-chasse dans les bois de l'ouest. C'est lui qui avait engagé Cordélia afin qu'elle élimine un énorme sanglier... Ce qu'elle a fait avant d'être enlevée. Quant au garde-chasse, qui était parti à sa recherche, nous l'avons découvert grièvement blessé... Nous n'avons malheureusement pas été en mesure de le sauver.
Il préférait ne pas entrer davantage dans les détails, pour ne pas trop l'inquiéter : il avait déjà assez de soucis comme cela.

Yann parut cependant surpris de cette révélation et se tourna vers sa mère. Celle-ci eut une petite grimace et haussa les épaules : elle ne lui avait manifestement rien dit.
" C'est pas de chance... Un sanglier, vous dites ? Il aurait dû chercher par ici. Les cochons ça me connait. Même les sauvages."

Il acquiesça.
-Je ne doute pas que tu serais venu à bout de celui-là, aussi énorme soit-il. Mais honnêtement... je ne souhaite à personne de remettre les pieds dans ces bois. Ils sont particulièrement dangereux.
Et le resteraient jusqu'à ce que les autorités décident d'enquêter sérieusement sur cette fameuse source néfaste...

" Tous les bois sauvages sont dangereux. Pendant des années, il y a eu des trolls dans la partie nord-est de notre frontière avec la Lorien.
— Trop cool !"
Yann ne put s'empêcher de sourire.
" Ils sortaient la nuit pour venir voler des vaches. En général, ils les dépeçaient sur place, on retrouvait des horreurs le matin... On a dû négocier avec les elfes de la tribu voisine pour qu'ils les tuent pour nous. Ils n'en voyaient pas l'intérêt : les trolls ne chassaient pas leur gibier, évidemment. Mais ça s'est réglé...
— Tu avais trois ou quatre ans, à l'époque, intervint Mona.
— Je me souviens quand même de l'énorme cadavre de celui que les gars des ruchers avaient piégé."

-C'est le genre de chose dont on se souvient, effectivement...
Il craignait cependant que le problème actuel soit pire que des trolls : si le garde-chasse avait vu juste, s'il y avait vraiment une source capable de métamorphoser la faune en êtres monstrueux, cela augurait d'heures bien sombres. Il ne le verbalisa pas, toutefois : la discussion avait dévié, ça n'était pas plus mal.

Mais Yann n'avait pas assez d'énergie pour maintenir la conversation, et on en revint à la question que Victor avait posée avant l'intervention du porcher.
" Est-ce que je dois venir à Champsdor, alors ? Tu es mon tuteur légal, tu dois pouvoir régler ça sans moi !"

Il secoua la tête.
-Si je leur dit ça, ils vont me demander les justificatifs. Je devrais alors écrire à Galathée pour qu'elle me les envoie et... on en aurait pour deux veilles, au bas mot. Je suis donc désolé, il faudra que tu viennes. Mais comme je le disais, ça sera l'affaire d'une matinée.
Avec le risque que les documents ne soient pas encore prêts...

" Ah pffff..." grommela-t-il.
Il resta songeur un instant.
" Est-ce que je peux y aller seul devant sur Minuit, alors ? Je signe, je repars, et vous, vous faites à votre aise avec le chariot ?"

Il faillit lever les yeux au ciel.
-On ira tous ensemble, Victor. Signer une déposition, ça n'est pas anodin : il faut prendre le temps de la relire, de vérifier que ce que tu as dit a été fidèlement retranscrit... Mais rassure-toi : je n'ai pas envie de perdre toute la journée avec ce genre de chose, alors nous partirons très tôt. Et si tu es sage, je te laisserai peut-être, au retour, prendre les devants avec Minuit.

Il pinça les lèvres, hésitant manifestement à continuer cette discussion.
" Bon, mais alors... est-ce que je peux sortir prévenir mes copains que les plans ont changé, après le dîner ? Sinon ils vont m'attendre... et je serai sûrement parti avant qu'ils se lèvent... "

Au moins avait-il le souci de l'organisation et du respect de la parole donnée !
-Si Mona pense que cela ne dérangera pas que tu ailles toquer si tard à la porte de leurs parents, pourquoi pas. Mais il faudra que tu te dépêches : tu dois encore te laver et nous nous coucherons tôt, vu l'heure à laquelle nous nous lèverons demain.

" Je pense que ça ne posera pas de problèmes, dit la veuve. S'il y a de la lumière à l'intérieur, tu peux frapper. Mais les gens ne se couchent pas forcément tôt en cette saison."
Victor acquiesça avec un sourire puis avala son repas le plus vite possible, manifestement pressé d'aller colporter son message. Baptiste l'observait, un peu interdit, mais se garda bien de faire le moindre commentaire. Quand le blondinet eut terminé son assiette, il prit rapidement congé, puis retourna dans la rue.

Croisant les doigts pour que son fils fasse vite et ne l'oblige donc pas à aller le chercher, Taliesin prit pour sa part le temps de finir tranquillement de manger. Les démarches du lendemain ne l'inquiétaient guère et il se demandait simplement ce qu'il ferait ensuite. Une option serait de recommencer à travailler sur les textes concernant les ruines : après tout, ils avaient déjà découvert beaucoup d'éléments susceptibles de donner lieu à d'intéressantes comparaison. Et puis, c'était le genre d'activité qu'il pouvait coupler avec une excursion : les lieux agréables où s'arrêter ne faisaient pas défaut.

Victor revint assez rapidement et évita la vaisselle en allant se laver. Baptiste, qui avait déjà bien contribué au repas, s'installa près du feu avec l'un de ses nombreux carnets, dans lequel il commença à griffonner, alternant textes et croquis. Yann et Titus se chargeaient de la vaisselle, une équipe improbable, mais la tâche ne nécessitait pas de grandes capacités de communication. Mona fit de l'infusion puis sortit des travaux d'aiguille. La soirée promettait d'être tranquille, à nouveau.

Tranquille et brève, car qui disait lever matinal disait prompt coucher. Bref, sitôt que Victor serait revenu, il mettrait la marmaille au lit, lui narrerait une aventure de Gérard de Berge, comme de bien entendu, puis irait lui-même se coucher. Ainsi serait-il relativement frais à l'aube, quand viendrait le moment de partir pour Champsdor...

L'aube vint et les enfants se levèrent sans trop de difficultés. Yann les aida à préparer le chariot, Mona et Baptiste se chargèrent du ravitaillement, Victor de Minuit. Titus s'approcha de Taliesin.
" Je dois venir avec vous, moi ? Ou bien je reste ici ?"

Dans un lieu plus cosmopolite, la question ne se serait même pas posée. Mais ici, elle le faisait constamment.
-Rien ne t'oblige à venir et dans l'absolu, je pense que ce serait plus simple si tu demeurais avec Mona ce matin. Après, si tu as vraiment envie de nous accompagner, on t'embarque.
Et si quelqu'un trouvait quelque chose à redire à sa présence, il trouverait à qui parler.

" Je vais aller avec Yann et les cochons, dit Titus. Peut-être je reviendrai à midi, ou alors je reste avec Yann toute la journée, d'accord ?"
Le porcher avait entendu son nom et il s'approcha.
" On parle de moi.
— Je viens toi." déclara Titus.
Le jeune homme sourit.
" Pas de soucis."

Le barde sourit à son tour. Il ne s'était pas attendu à ce que Titus prenne pareille initiative mais c'était une bonne chose qu'il se sente à l'aise avec Yann. Et si celui-ci ne voyait aucun inconvénient à cette association, pourquoi s'y opposer ? Cela lui changerait peut-être même les idées...
-Très bien. Je vous souhaite une excellente journée à tous les deux et je vous dis à plus tard.
Ils pouvaient désormais partir pour ces fameuses démarches qui, l'espérait-il, seraient vite expédiées.

Ils atteignirent Champsdor en milieu de matinée, Victor en tête sur son destrier couleur nuit, Taliesin et Baptiste derrière, comme deux voyageurs tranquilles portés par le pas de leur mulet. Le gamin s'était installé à côté du barde et avait profité du trajet pour lui poser des questions sur l'elfique et le sylvestre, prenant des notes au fur et à mesure dans son carnet. Tout ce qu'il écrivait semblait très organisé, il s'était même bricolé des signets divers pour retrouver rapidement la page contenant l'information qu'il cherchait.
Une fois qu'ils eurent atteint le bourg, cependant, il leur restait à tracer un itinéraire...

Il décida de mettre en premier lieu le cap sur le comptoir de l'abbaye, là où Magnus avait dit qu'on lui remettrait le document concernant Titus. Ensuite, il se rendraient à la mairie - et il émit un vœu silencieux pour que leurs dépositions soient prêtes, ce qui leur permettrait de classer au moins ce dossier-là. Le reste dépendrait du temps que prendrait cette seconde démarche.

Ils gagnèrent donc le comptoir en priorité. La journée était belle, il y avait de nombreuses personnes dans les rues, dans une version miniature des grandes villes qu'ils connaissaient bien, les gens vaquaient à leurs occupations, se saluaient, s'arrêtaient un moment pour bavarder, avant de repartir. Ils dépassèrent une halle aux tissus, une école, un lavoir, des boutiques diverses, la devanture magnifique d'un fleuriste, celle plus appétissante d'un pâtissier, avant d'atteindre leur objectif.
Les lieux étaient toujours animés, les villageois et les clercs traitant leurs multiples affaires, mais Taliesin trouva aisément quelqu'un pour lui renseigner la direction à emprunter. Au fond de la grande salle, il remonta ainsi un couloir et frappa à une porte. On l'invita à entrer et il découvrit un bureau encombré dans lequel se trouvait un jeune clerc déjà presque chauve, à l'air complètement dépassé.
" Je peux vous aider ?" demanda-t-il.

Il acquiesça, souriant.
-Oui, répondit-il après les salutations d'usage. Je me nomme Taliesin et messire Magnus m'a demandé de venir récupérer un document dans vos locaux...
Restait à savoir si le clerc verrait de quoi il s'agissait et s'il parviendrait à remettre la main dessus.

" Ah oui. Pour le faune hybride."
Baptiste, qui l'avait suivi, lui retourna une grimace incrédule.
" Le faune hybride ?" demanda-t-il au barde.
Le jeune clerc fouillait désormais dans les tiroirs de la commode qui jouxtait sa table encombrée.
" Voilà."
Il extirpa le parchemin de sa cachette.
" Bon, comme toujours, ça passera dans la Vallée... et normalement ailleurs... mais méfiez-vous des endroits où ils sont très tatillons sur les relations entre races..."

S'il avait osé, il aurait très ironiquement remercié le clerc pour sa délicatesse. Certes, celui-ci ne pouvait pas savoir que la chose n'était pas connue de tous mais, tout de même...
-Merci beaucoup, dit-il cependant, toujours amical.
Et à moins que l'homme n'ait quelque chose à ajouter, il prendrait congé.

Mais le clerc lui sourit, sans arrière pensée, et se replongea dans son travail. Victor était resté dans la salle principale, à musarder entre les étals. Baptiste, lui, n'était évidemment pas près à lâcher le morceau.
" Qu'est-ce qu'il a voulu dire par faune hybride ? Titus n'est pas complètement un faune ?"

Il soupira.
-Non, il est à moitié elfe et, par conséquent, il y a peu de chances pour qu'un groupe de faunes l'accepte en son sein. Le clerc qui est venu nous voir m'a dit qu'il existait, à Anarion, un orphelinat recueillant les enfants dans le cas de Titus mais... je n'aime guère cette solution. Je préfère de loin l'autre, qui consiste à lui trouver une vraie famille... Mais bref, tu comprends à présent pourquoi j'étais soucieux, avant-hier.
Il secoua la tête.
-N'en parle ni à Victor, ni à Titus, d'accord ? Je dois réfléchir à la manière... d'informer ce dernier.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile