La Couronne de Cuivre

" Bon, nous en revenons à l'idée qu'il faut neutraliser les illithids en priorité. A la tête. Au feu au besoin, dit Caleb.
— Est-ce qu'on ne ferait pas mieux de rester groupés, histoire de les liquider un par un, ensemble, plutôt que de se disperser et se retrouver face à plus forte partie ? demanda Kelvim.
— Le risque c'est que l'un ou l'autre atteigne la cachette de Dimitri avant que nous ne les ayons tous neutralisés...
— Ou distraits, à tout le moins…
— Oui. On ne peut pas être sûrs que libérés de l'emprise de leurs maîtres, les drows se révèlent moins agressifs."

" Effectivement, ils auront tendance à chercher à tuer tout ceux qu'ils croiseront. Leur philosophie m'a semblé se limiter à tuer ou être tué... Mais ils sont affaiblis. Et affamés. Ils sont nettement moins dangereux que les illithids."
Elle n'avait pas vraiment d'idée de stratégie concernant ces derniers. Son instinct de survie avait une certaine tendance à lui suggérer de fuir face à des monstres aussi dangereux. Mais en l'occurrence, il n'était pas question d'y céder.
" A défaut de rester groupés, on peut peut-être fonctionner en binômes ? Pas en étant collés l'un à l'autre, ce serait contreproductif si on veut couvrir le maximum de terrain et ne pas les laisser se faufiler à notre insu. Mais on pourrait rester en vue l'un de l'autre, et intervenir si le binôme se trouve en difficulté ? Idéalement, il faudrait qu'on se voie tous, mais ça sera compliqué..."

HRP : je ne sais pas si tu as vu que Vel a repris depuis quelques jours dans Ambre...

HRP : j'ai vu, j'ai vu, je vais poster...

" Ça me semble une excellente idée, dit Caleb. Je pense que vous et moi sommes les meilleurs tireurs, et nous avons l'avantage d'un compagnon animal qui peut servir d'appoint. Donc... je dirais que vous allez avec Glenn, et moi avec Kelvim ? Glenn pourra intervenir au corps à corps si les choses dégénèrent."
Le petit homme chauve sourit à Astrée.
" Moi ça me va."

Astrée acquiesça. Elle n'avait absolument aucune préférence en ce domaine, et était incapable de juger si elle était meilleure tireuse que Kelvim. Et elle espérait que Glenn n'aurait pas à recourir au corps à corps : c'était prendre le risque de subir les pouvoirs mentaux des Illithids.
" C'est bon pour moi. Par contre, ne comptez pas trop sur mon compagnon animal, il ne pourra pas grand-chose à part chercher de l'aide, et encore..."

" C'est sûr qu'un ours ou une panthèse nous aurait été bien utile..." dit Kelvim, un peu chagrin.
Caleb sourit.
" On ne cherche pas de combattants... Avec leur cervelle de linotte, ils font des proies bien trop aisées pour les flagelleurs... Mais ils peuvent nous servir d'espions, oui. Cela dit, les écureuils sont plutôt diurnes... J'espère que le vôtre y verra quelque chose, sans quoi, il vaut mieux le garder en sécurité."

Astrée haussa les épaules.
" Il y verra aussi mal que moi et il déteste le froid, c'est bien pour ça que je vous avertis de ne pas compter sur lui... Tel que je le connais, il va probablement juste se réfugier dans ma poche en me reprochant d'aller me geler les os à une heure pareille. J'espère d'ailleurs qu'on ne sortira pas trop tard, pour qu'il puisse nous rejoindre avant d'avoir trop froid."
Elle ne comptait pas l'exposer au froid à moins d'y être obligée, comme il l'avait fait lorsqu'elle avait été capturée. Elle supposait qu'il s'était trouvé un abri en l'attendant, même si le paysage trop minéral n'offrait guère de cachette douillette.

Kelvim et Glenn s'entreregardèrent avec un léger haussement de sourcils, mais Caleb lui adressa un sourire chaleureux.
" Avec ou sans son aide, nous nous débrouillerons."
Il se tourna vers les autres.
" Vérifiez que vous avez assez de projectiles, quels qu'ils soient, passez par les latrines, ne lésinez pas sur les couches — il va geler à pierre fendre, cette nuit — et munissez-vous aussi de quoi grignoter. Des fruits secs, de la viande séchée ou du fromage. Au choix. On se retrouve à l'armurerie pour la distribution des potions et la bénédiction, puis on sort."

Astrée acquiesça et obéit aussitôt, rassemblant quelques provisions. Elle n'avait pas faim mais la nuit serait peut-être longue, et même si elle pouvait toujours utiliser un sortilège pour se nourrir, ça aurait été un gaspillage d'énergie divine. Et elle savait le bien-fondé de la recommandation concernant les vêtements chauds, d'autant qu'ils seraient sans doute immobiles durant une partie de la nuit. Elle s'équipa donc soigneusement, piochant dans le matériel de l'escouade pour compenser tout ce qu'elle avait perdu lors de sa capture.

Elle ne ressentait ni anxiété, ni excitation devant le combat qui approchait, juste une calme détermination. Ils feraient ce qui serait nécessaire pour libérer les esclaves, et elle ferait tout ce qu'elle pourrait pour aider. Elle évacua soigneusement toute pensée concernant Kalju et son triste sort, de crainte de se laisser envahir par des idées noires et incapable de se battre efficacement. Elle préféra songer à des choses plus triviales, à Dimitri et ce fameux secret qu'il cachait, et se demanda s'il réussirait à échapper à la curiosité et à la perspicacité des luméniens. En dépit de sa propre curiosité, elle l'espérait pour lui.
Elle rejoignit le reste du groupe avec, finalement, une seule petite appréhension : la peur de ne pas être à la hauteur. Elle n'avait pas l'habitude des combats en groupe et ne voulait pas être responsable d'un échec.

Elle retrouva ses trois compagnons à l'endroit dit. La prêtresse, Dame Alexine, s'y trouvait également, engoncée dans une cotte de mailles qui lui descendait jusqu'aux genoux. Il n'y avait toujours aucun symbole apparent de la divinité qu'elle servait. Elle attendit qu'ils soient tous rassemblés pour prendre la parole.
" Je vais vous doter d'une bénédiction générale, qui vous sera favorable dans le combat. Mais vous protéger de l'esprit des flagelleurs, maintenant, serait du gaspillage : nous ne savons pas quand ils vont arriver. Je vais donc confier un parchemin à Caleb et Dame Astrée. Au moment où ils s'approchent, lancez-le, et cela vous protégera, vous et votre compagnon de lutte. Attention, ce n'est en rien une garantie de protection : une telle chose est au-delà de mes possibilités. Mais vous augmenterez sensiblement vos chances de leur résister."
Elle tendit un rouleau à Caleb, un autre à Astrée. L'encre était encore fraîche, sans doute venait-elle de terminer d'en tracer les incantations.

Astrée ouvrit des yeux surpris mais se ressaisit et prit le parchemin qu'on lui tendait. Certes, elle n'avait jamais eu l'occasion de lancer un sort à partir d'un parchemin, mais elle saurait certainement le faire.
Son esprit revint très vite à des considérations pratiques.
" Comment saura-t-on qu'ils arrivent ? Est-ce qu'il va rester un guetteur en place ?"

Alexine eut un sourire en coin.
" Non. C'est vous les guetteurs. Vous serez les derniers à l'extérieur. A vous d'estimer quand le moment est venu."

Astrée remuait mollement le parchemin, pour accélérer le séchage de l'encre, tout en écoutant la prêtresse.
" On va se débrouiller, répondit-elle. On n'est même pas certains que les Illithids vont arriver par le même chemin que leur taupe... Mais puisqu'on sera plus ou moins à l'extrémité du site, on sait dans quelle direction guetter. Est-ce qu'on doit vous prévenir lorsqu'on verra arriver les elfes noirs, s'ils arrivent avant les illithids ? On doit pouvoir envoyer un de nos familiers avec un message, si on sait où vous êtes..."

" Ce ne sera pas nécessaire. J'ai placé des glyphes dans l'accès direct à la cachette. Nous serons de toute façon en position quand ils arriveront."
Elle les dévisagea les uns après les autres.
" Autant que possible... Souciez-vous de votre objectif et pas du nôtre. Chacun a ses ordres et sa mission."

" C'est compris", répondit Astrée en hochant la tête, se demandant vaguement où s'arrêtait ce "autant que possible". Il n'était certainement pas interdit d'aller donner un coup de main à quelqu'un de l'autre équipe qui se trouverait en difficulté.
Elle roula précautionneusement le parchemin dont l'encre avait séché, et le glissa dans une poche intérieure, prête à sortir.

Alexine se mit ensuite à incanter et les couvrit d'une énergie rose et chaleureuse. Quand l'incantation prit fin, Astrée se sentait curieusement plus forte, investie d'une énergie vibrante, prête à escalader... et renverser les montagnes. La prêtresse leur souhaita sobrement bonne chance, puis s'éloigna vers son propre groupe, dont il ne restait en réalité plus que Mathieu dans la salle. Dès qu'elle arriva à sa hauteur, il l'accompagna et ils sortirent.
" Bon, ça va être notre tour." dit Caleb.
Il tendit deux fioles à Astrée.
" Faites attention, c'est gras et ça pue."

Elle prit les fioles, vérifia qu'elles étaient solidement bouchées et les glissa dans son sac. Elle doutait d'avoir à s'en servir, mais il valait mieux disposer de toutes les armes potentiellement utiles.
" Allons-y... en se débrouillant pour passer très à l'écart des prisonniers évadés."
Il leur fallait éviter soigneusement que leur présence soit détectée, et donc probablement faire un détour.

HRP : erreur de ma part, Dimitri ne peut pas être resté en arrière, donc je modifie mon post précédent.

Tout le monde était prêt et ils suivirent un couloir étroit dans la roche avant de déboucher à l'extérieur. Le vent glacé les saisit aussitôt, secouant leurs cheveux et cherchant à s'immiscer dans leurs vêtements — col, manches, n'importe où — mais ils étaient tous bien équipés et parés pour le gel. Caleb leur désigna une direction approximative et ils se mirent en route. Il ne faisait pas encore complètement noir, mais les nuages masquaient le soleil couchant et les montagnes étaient déjà sombres, leur ombre avalant les ruines. Les globes magiques disséminés sur le site diffusaient cependant leur lumière vert-jaune dans la grisaille et Astrée comprit qu'elle y verrait. Pas parfaitement, mais suffisamment. Elle avait les sens suffisamment aiguisés pour cela. Elle n'avait franchi que quelques mètres lorsqu'elle entendit un petit couinement et Prince se précipita sur elle, se faufilant dans son capuchon, jusqu'à reposer en travers de sa nuque. Il était de mauvaise humeur mais rassuré et cessa de grommeler pour sombrer presqu'aussitôt dans une torpeur emplie de félicité.

HRP : j'avais trouvé ça bizarre, mais après tout, les autres pouvaient avoir décidé d'être en position, bien cachés, avant qu'il arrive...

Astrée le caressa doucement, en s'excusant mentalement de l'avoir tant fait attendre, et le laissa se reposer. Ainsi positionné, il n'avait pas froid et il était pour elle la meilleure des écharpes.
Elle suivit le reste du groupe dans le plus grand silence, attentive à tout ce qui l'entourait. Ses yeux allaient s'habituer à l'obscurité qui tombait peu à peu, et elle s'efforçait de prendre des repères, pour pouvoir estimer la direction probable d'apparition de leurs adversaires, la distance avec le refuge de Dimitri, la position des glyphes, les différents passages possibles... Tout ce qu'ils avaient déjà repéré plus tôt dans la journée.

Il ne lui fut pas difficile de retrouver ses repères, malgré une nouvelle couche de neige — raisonnable compte tenu des jours précédents. Caleb leur fit signe de monter rapidement sur les rochers, histoire de ne pas laisser d'empreintes au sol, qu'ils seraient incapables de dissimuler. Ce n'était pas la progression la plus simple mais leurs bottes étaient adaptées et ils parvinrent à cheminer relativement aisément. Astrée devina, au sol, le coyote du rôdeur qui glissait comme une ombre, les précédant de quelques toises. Il leur fallut une bonne demi-heure pour atteindre le site approximatif où ils espéraient croiser la trajectoire de leurs adversaires. Astrée détecta, plus bas, les traces du passage de plusieurs personnes, sans doute Dimitri et le fugitif.

Elle observa les traces de pas avec attention, cherchant à déterminer si Dimitri était seul avec un voire deux fugitifs, ou si les drows étaient déjà passé par là. Ou, plus problématique, les illithids. Après tout, leur stratégie reposait sur l'idée que les drows ne suivrait pas le ou les fugitifs de trop près, et que les illithids viendraient seulement après. Ils pouvaient très bien avoir adopté une autre stratégie, et être déjà sur place. Mais s'ils s'inquiétaient du fait de ne plus la détecter, il était logique qu'ils envoient d'abord des prisonniers en éclaireur, pour le cas où il se passe quelque chose d'anormal en surface...
Si les empreintes ne révélaient rien d'anormal, il ne leur restait qu'à gagner leurs postes de guet. Il leur faudrait probablement jeter leurs sortilèges de protection une fois que les drows seraient passés...

HRP : je suis en Italie pour 3-4 semaines : connexion aléatoire...

Elle ne détecta rien d'anormal : Dimitri était passé avec une personne, peut-être deux, mais il n'y avait pas davantage de traces et si elle voulait vraiment s'assurer de leur nombre, il lui faudrait descendre et ajouter ses empreintes aux leurs, au risque de se trahir. Cela semblait peu opportun et somme toute peu important. Elle suivit donc le reste du groupe dans sa progression dans les hauteurs. Ils ne pouvaient prévenir les chutes de neige, de temps en temps, lorsqu'ils délogeaient une plaque du sommet d'un rocher, mais elles se perdaient dans le reste du tapis blanc et il aurait fallu être très observateur pour réaliser qu'il y avait là l'indice d'un passage. Ils arrivèrent finalement à l'endroit où ils devaient se séparer. Kelvim et Caleb partirent d'un côté, Glenn et elle de l'autre. Il s'était remis à neiger, doucement, de petits flocons légers, pas trop froids, et le vent était heureusement tombé. A la lumière des globes magiques, le décor était presque enchanteur. Seule la lumière verdâtre, pulsant au loin, sur l'île, avait un petit côté maladif.

Il ne leur restait plus qu'à se positionner de façon à guetter l'arrivée des illithids par tous les points d'accès possibles. Mais Astrée avait encore une hésitation concernant le parchemin de protection contre la domination mentale des illithids, et elle se rapprocha de Glenn pour lui demander à voix très basse.
" Est-ce qu'on lance le sortilège de protection dès qu'on aura vu passer les drows ?"

Le petit homme pinça les lèvres.
" Je suppose que c'est le plus sûr... Les illithids et les drows devraient être pratiquement ensemble, si nos propres elfes noirs ont vu juste... Les drows servent juste de combattants au contact. Donc en fait... dès qu'on les voit, on devrait se protéger. Le souci, c'est qu'ils risquent de nous entendre... et en même temps, si on attend trop, on risque de se retrouver tous coincés au sol..."

" Quand on les voit, on se met un peu en retrait, et j'incante une fois qu'on est un peu à distance, à voix basse... et on fait signe aux autres aussi, si on peut, pour les prévenir. La neige étouffe les sons ; si je murmure, ils ne nous entendront pas..."
Il fallait qu'ils restent plus ou moins en vue de leurs compagnons pour pouvoir s'avertir les uns les autres, et elle jeta un coup d'oeil dans la direction qu'ils avaient prise, pour vérifier qu'elle pouvait approximativement les situer.

Elle n'eut pas de difficultés à les localiser, un peu plus loin qu'eux vers le nord. Caleb leur adressa d'ailleurs un signe de la main, visible sur le ciel bleu sombre. La direction approximative d'où ils espéraient voir arriver les assaillants était sur leur gauche, le repère factice de Dimitri sur leur droite, à environ cinquante mètres. S'en écarter davantage rendrait toute trajectoire trop imprévisible : là où ils étaient, il ne restait que deux ou trois chemins possibles entre les rochers, ils ne pourraient pas rater un promeneur nocturne. Mais à présent, il fallait s'armer de patience, affronter la nuit et surtout le froid. En espérant que les nuages ne se mettent pas à cracher davantage, sans quoi la neige les recouvrirait avant même qu'il ne fasse complètement noir.

Astrée s'installa le plus confortablement possible au point de guet qu'ils avaient repéré plus tôt dans la journée. Il leur fallait se plaquer autant que possible contre les rocs, à la fois pour se protéger du vent et de la neige, et pour s'abriter d'éventuels regards qui s'égareraient vers les hauteurs. Elle s'accroupit, s’emmitoufla dans son manteau et se fit aussi discrète que possible, son regard parcourant les voies d'accès possibles, à gauche. Elle jetait régulièrement un coup d'oeil à Glenn, non loin, et à Caleb, plus éloigné.
Elle s'obligea à rester concentrée sur leur mission, évitant de s'interroger sur ce que faisait Dimitri, ou les autres, ou sur ce qui pouvait se passer sous terre. Elle écoutait de toute ses oreilles, observait de tous ses yeux, cherchant à percer l'obscurité et le faible rideau de neige.

La nuit tomba peu à peu, profonde et silencieuse. Les globes lumineux disséminés dans les ruines diffusaient leur lueur un peu maladive, en halos irréguliers, révélant des formes et des ombres fantasmagoriques dans l'univers minéral abandonné. Astrée s'en imprégna progressivement, de manière à pouvoir détecter toute modification du décor. Comme il n'y avait pas de lune, il n'y avait pas de mouvement sur la roche : tout était figé et le vent timide n'ébranlait que les flocons légers, les balayant parfois dans une direction aléatoire, avant de les abandonner à leur chute. Perchés en hauteur, les quatre guetteurs étaient légèrement moins soumis à ses caprices, mais le froid était pénétrant et l'immobilité forcée les engourdissait immanquablement, quoi qu'ils fassent. Glenn bougeait de temps en temps, Caleb plus rarement, Kelvim était invisible de là où se trouvait Astrée mais elle devinait sa position à la manière dont était tourné le rôdeur. Prince était réveillé dans son cou, aux aguets, comme s'il pouvait guetter quoi que ce soit depuis sa cachette. Peut-être simplement l'approche des ténèbres.

Elle s'efforça d'alerter Prince sur ce qui allait se produire : une embuscade, qui aboutirait à l'attaque des illithids. Rien qui ne le mette en danger. Il pouvait être serein. Elle sentait le froid lui engourdir les muscles, et elle aussi bougeait de temps à autre, juste pour éviter les crampes et rester alerte pour le moment opportun. Elle espérait que leurs adversaire n'attendraient pas des heures et des heures. Mais il leur fallait sans doute patienter jusqu'au milieu de la nuit. Et prendre leur mal en patience... Elle songea que Dimitri était finalement le plus confortablement installé.

Il était difficile de conserver une quelconque notion du temps dans un environnement aussi morne et figé. Par moments, Astrée avait la sensation qu'elle était assise au milieu d'un décor, devant une peinture gigantesque, ou des lieux qu'un sortilège malfaisant aurait arrachés au temps. Il n'y avait nulle faune, pas de rongeurs velus, pas de félins en maraude, pas le moindre oiseau de nuit pour fendre les cieux à la recherche d'une pitance. Seule la respiration laiteuse de ses compagnons, Glenn au premier chef, rompait la parfaite immobilité du site. La neige, aussi, mais elle tombait, monotone, jusqu'à hypnotiser les yeux. Fixer le vide devint bientôt insuffisant pour rester éveillé. Prince demeurait fébrile, comme désireux de participer à l'assaut, mais Astrée se sentait dériver vers d'autres pensées, des souvenirs, des inquiétudes, des espoirs pour le futur, sans pouvoir réellement s'en empêcher, malgré ses efforts de rester dans l'instant.
L'attente durerait peut-être encore des heures... si elle trouvait seulement une conclusion.

L'atmosphère ne se prêtait pas à des pensées joyeuses, et les pensées d'Astrée se firent moroses, malgré sa volonté de rester concentrée sur l'instant présent. En-dessous, leurs camarades devaient progresser dans les tunnels qu'elle avait suivis, et s'approcher peu à peu de leur destination. Ils attendraient le signal de la prêtresse pour donner l'assaut en même temps qu'eux, puis ils agiraient. Elle espérait qu'ils réussiraient à libérer les prisonniers. Max. Et Kalju.
Son coeur se serra en évoquant le génasi, et la culpabilité la submergea. C'était sa faute s'il avait été capturé. Elle avait sous-estimé le danger et n'avait pas veillé sur lui. Et désormais, il portait probablement en lui le germe d'un illithid... Et il allait mourir. Par sa faute à elle. Elle avait beau se dire qu'elle n'aurait sans doute rien pu empêcher en étant auprès de lui, elle ne pouvait échapper à ce terrible sentiment de culpabilité.

Elle s'efforça de faire dévier le fil de ses pensées vers une analyse froide de la situation, se demandant, en tant que druide, si elle devait trouver "normal" de le tuer afin d'empêcher la naissance de l'illithid. N'aurait-elle pas dû accepter l'existence de cette race, malgré ses moeurs qui la révoltaient? Non, elle ne l'acceptait pas. Mais son jugement était fatalement altéré par sa mésaventure. Elle jugeait, peut-être à tort, que leur existence n'avait rien de naturel. Peut-être que vouloir les détruire faisait d'elle une mauvaise druidesse ? La seule issue acceptable était faire en sorte qu'ils ne remettent jamais les pieds ici. Mais au fond d'elle, elle les aurait volontiers tous éliminés... enfin, dans l'absolu. Par contre, elle aurait voulu que Kalju vive... Et puis, peut-être donnerait-il naissance à un illithid bon? Est-ce que ça pouvait exister ?

Elle revint au présent, et se concentra de son mieux sur ce qui l'entourait. Puis ses pensées divaguèrent vers Dimitri et elle se demanda s'il allait filer discrètement à la fin de l'opération pour échapper à l'enquête des luméniens. Vu les pouvoirs dont ceux-ci disposaient, il n'avait guère de chance de parvenir à ses fins. Mais peut-être n'y songeait-il même pas, et avait-il choisi de coopérer.

Elle bailla puis secoua la tête pour faire tomber la neige de sa capuche, étira ses épaules, remua un peu les pieds pour se réchauffer. Il lui semblait que le milieu de la nuit devait être passé. Quand donc ces diables d'elfes noirs allaient-ils se décider ?

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon