La Couronne de Cuivre

A quelques dizaines de mètres de là, Albérich montait la garde aux côtés de Marthe.
Près d'eux, un petit feu crépitait, qu'ils alimentaient de temps à autre avec des roseaux coupés et des branchages glanés dans les marais par les éclaireurs. De temps à autre, aussi, ils échangeaient un regard, un sourire, un mot avec les patrouilleurs. Avec les instituteurs, surtout, qui faisaient la ronde dans leur secteur. Ceux-ci, évidemment, ne manquaient pas de récriminer à mi-voix contre le traitement inhumain qu'on leur infligeait, de soupirer après leurs lits douillets... C'était de l'esbroufe, cependant : ils étaient concentrés sur leur tâche et ne semblaient pas plus mécontents que cela de leur sort.
Giovanni n'avait pas menti : il y avait eu du café, à leur réveil. La juge n'avait pas menti, non plus : environ deux heures après qu'ils aient pris leurs fonctions, on leur apporta une tasse de thé brûlant et quelques biscuits.
Face à eux, les Landes étaient plongées dans les ténèbres. Hormis le clapotis de l'eau, le bruissement de la végétation caressée par le vent léger, aucun son n'en provenait.

Même si Hubert ne lui en avait plus fait la demande explicite, Albérich s'était habillé comme la veille. Il avait un peu l'impression d'être un épouvantail, et s'habituait difficilement au poids de la cotte de mailles, mais c'était somme toute une petite concession dont il pouvait s'acquitter sans dommages. De surcroît, Marthe n'était pas moqueuse, il était en bonne compagnie.
Il se souvenait qu'elle l'avait encouragé à bavarder pendant leur tour de garde, mais il ne se sentait pas particulièrement en verve. Il avait lu toute la matinée, joué toute l'après-midi, il avait l'impression d'être dans un univers parallèle — un autre plan — étrangement reposant, décalé de la réalité.
Si la juge avait envie de parler, il se montrerait affable, bien sûr, mais là, comme ça, discuter des libertés individuelles ou de la répartition des richesses ou de l'organisation de la justice, ne le tentait pas plus que ça.

Si Marthe souhaitait discuter, elle n'en montra rien, respectueuse sans doute de son silence. Elle fixait les ténèbres avec application, la mine concentrée. De temps à autre, lorsqu'il lui jetait un regard, il percevait comme une ombre sur son visage, comme le reflet discret d'une préoccupation. Cela ne durait guère, cependant, qu'elle se compose une expression plus neutre lorsqu'elle se rendait compte de son attention où que les doutes n'aient pas encore grande prise sur elle.
La nuit s'écoula sans que ne retentissent les sinistres roulements, sans que l'expédition ne soit victime d'une quelconque attaque.
Enfin, l'obscurité commença à s'atténuer, la noirceur à se faire progressivement grisaille. A l'est, l'aube s'annonçait et, lentement mais sûrement, la colonne s'anima : les hommes de l'intendance entraient en scène. Les palefreniers, aussi.

Albérich s'étira dans la grisaille et s'autorisa un bâillement.
" A présent... Petit déjeuner, puis coucher... Les instituteurs seront contents : je ne contraindrai personne à travailler aujourd'hui."
Il était un peu surpris de ne pas avoir vu Hubert de toute la nuit, mais peut-être celui-ci avait-il profité des ténèbres pour dormir. Vu ce qui l'attendait dans les jours à venir, c'était sans doute prudent.
" Je suis presque un peu déçu... J'aurais au moins aimé voir un feu follet..."

Marthe rit doucement.
-Ce n'est pas de chance pour vous, en effet... Mais ne désespérez pas : je suis sûre que si vous en faites la demande, vous pourrez rejoindre les guetteurs habituels, et que la nuit prochaine, ou la suivante, un feu-follet ou quelque autre horreur des marais s'offrira à voux. Bien sûr, cela ne sera rien en comparaison de la fureur que vous susciterez chez notre ami paladin, mais j'imagine que cette épreuve là constituera également une intéressante expérience...

" Oui, je crois que je vais éviter de suivre vos recommandations, dit-il avec le sourire. Pas pour ma sécurité personnelle, cependant."
Il se sentit soudain plus grave, mais résista à cette impulsion et chercha un moyen de relancer la conversation dans des eaux moins hasardeuses.
" J'ai surtout hâte de retrouver mes couvertures, je dois dire. J'ai l'impression que je suis du genre à développer des rhumatismes avant l'âge et toute cette humidité, ce n'est pas bon pour les os."
C'était assez pitoyable, mais Albérich n'avait jamais été très doué pour faire conversation, surtout après une presque nuit blanche.

-Bienvenue dans le club très fermé des vieillards cacochymes : je vais me sentir moins seule, à présent, répondit-elle, non sans espièglerie. Enfin, même si je doute que votre cas soit aussi désespéré que le mien... Mais nos couvertures nous attendent, oui, et bientôt, l'humidité se fera moins omniprésente : demain, nous aurons atteint le plateau sur lequel trône la mythique Clairétoile. D'après les éclaireurs, ce n'est pas un bourbier absolu, contrairement à ici...
Ils perçurent la voix d'Edgar, arrachant leur escorte au repos, et les répliques venimeuses de cette dernière. Encore quelques minutes, et ils pourraient regagner l'Académie.

" Espérons surtout qu'il y a de l'eau. Je ne rêve pas aux thermes mythiques de Giovanni, pas tout de suite en tout cas... Je parie qu'un monstre aquatique y aura élu domicile, une sorte de crocodile géant, prêt à nous dévorer... mais juste de l'eau... un ruisseau, un lac, une rivière, un endroit où se laver et un endroit où faire la lessive... Je sais qu'il y a eu ce petit étang glacial, il y a quelques jours mais... Ça me parait déjà remonter à une éternité."
Il secoua la tête.
" Je ne suis pas fait pour la route. Heureusement que la destination en vaut la peine, en l'occurrence. Mais je ne serai jamais un adepte du vagabondage. Après un an à errer, cela parait sans doute paradoxal mais... cela n'a fait que renforcer ma conviction que ce n'est pas pour moi."

-Cela ne me paraît nullement paradoxal : il y a des choses que l'on sait et que l'expérience confirme. Par ailleurs, rares sont les êtres a avoir l'âme vagabonde : la plupart sont foncièrement sédentaires. En ce qui me concerne, même si j'ai passé des années à chevaucher de village en village, j'avais un foyer où retourner après chaque tournée, et je goûtais d'autant plus ces moments qu'ils étaient relativement rares... J'espère que je retrouverai quelque chose d'approchant en cette cité. Et j'espère que vous vous y sentirez bien, même si ce n'est qu'une étape avant votre retour chez vous.
Elle sourit.
-Quant à l'eau... Vous en avez eu face à vous toute la nuit : ne me dites pas que vous ne l'avez pas remarquée... En plus, elle n'a pas l'air si horrible que cela... Plongez-y donc, je suis certaine que vous ferez des émules.

" Je risque d'avoir des ennuis avec les gardes. J'imagine que si nous avions la permission de nous y tremper, nous en aurions été avertis..."
Il se leva pour se pencher légèrement.
" En plus, il y a une couche de glace dessus. Je suis courageux mais pas complètement fou. J'imagine que ça veut dire que toutes les sales bestioles hibernent cela dit... Mais si je descendais me laver, je me crotterais irrémédiablement en remontant la pente. Non, ça avait l'apparence d'une bonne idée, mais je crois juste que vous voulez me tendre un piège. Je n'ai pas oublié quelle créature retorse vous pouvez vous révéler."

-Moi, retorse ? Moi, tendre des pièges ? Allons, Albérich... certes, j'ai pu jadis en arriver à de telles extrémités, mais c'était uniquement pour que le bien triomphe. Et j'étais alors fort jeune...
Elle crois ales bras.
-En revanche, vous, vous me prenez pour une idiote. Toutes ces grandes phrases laissant entendre que vous abhorrez la boue, les créatures grouillantes et rampantes... Cela ne vous a pas empêché, pourtant, de faire des galipettes avec une chasseuse de grenouilles au beau milieu d'un marécage ressemblant sans doute à celui-ci... Mais peut-être était-elle terriblement séduisante, au point de vous faire oublier tout le reste...

Il vira au pourpre.
" D'abord, le ciel était bleu, c'était un somptueux printemps, bien loin de cette... mouise brunâtre... et les marécages du delta de la Sereine n'ont rien à voir avec cette région sinistre ! Ensuite, elle était absolument retorse, elle aussi ! Elle m'a fait croire que je l'avais lésée, je me suis senti obligé de me racheter, et ses conditions étaient scandaleuses, voilà tout ! Agréables, mais scandaleuses !"
Il frissonna.
" Et je ne peux pas croire que je suis en train de me justifier alors que je n'ai même pas un verre de vin dans le ventre !"

-La fatigue semble vous délier la langue au moins aussi efficacement que l'alcool. Intéressant ! Rappelez-moi de vous priver de sommeil, à l'occasion... Quant à vos explications, elles rejoignent un poncif masculin bien connu : c'est toujours la faute des femmes, toujours elles qui font sortir les hommes du droit chemin... Vous avez conscience que de tels propos pourraient vous valoir l'ire de certaines dames de la Communauté ? Et les conditions "scandaleuses" de beaucoup d'autres, qui s'estimeront lésées par vos assertions ? Vous avez de la chance, cependant : je sais tenir ma langue. Enfin, tant que je suis reposée et sobre, cela s'entend.

" Et pourtant, c'est la stricte vérité ! s'offusqua le Luménien. Mais allez donc vous coucher, Marthe. Vous avez raison. Vous avez besoin de repos. Et rappelez-moi de vous priver de Castel Margelle, ce midi. Les membres du conseil doivent garder la tête sur les épaules, c'est mieux. Mais ne vous en faites pas, il ne sera pas perdu."
Il sourit, toujours embarrassé.
" Regardez, voilà l'officier poète qui vient nous relever... Nous allons pouvoir nous retirer... et à nouveau montrer l'exemple à nos jeunes collègues de l'Académie."

-Vous croyez que ce jeune poète pourrait faire quelque chose de cette piquante histoire de chasseuse de grenouilles ? musa-t-elle. Allez, ne faites pas cette tête : je vous taquine. Et pour clore plus sérieusement cette discussion, ne vous inquiétez pas, vous n'êtes pas le seul à soupirer après de l'eau. Agnès commence à s'inquiéter à propos des poux, des puces et autres vermines, et elle craint que ne vienne un moment où, pour nous en débarrasser, nous n'ayons d'autre choix que de brûler toutes nos affaires. N'en déplaise à Giovanni, qui adorerait cette solution puisqu'elle servirait ses desseins d'admirable manière, j'aimerais autant que nous n'en arrivions pas là. Ou, au moins, pas avant le printemps...

" Il doit y avoir moyen de tisser quelque chose avec les roseaux, non ? Enfin, je n'y connais rien. La survie dans ces milieux hostiles, ce n'est pas mon créneau. Cela dit, l'hiver doit limiter les parasites... sans doute pas la gale et les poux, mais les puces, généralement, résistent mal au froid. Enfin... J'imagine que l'herboristerie doit être bien achalandée, en la matière. Ce n'est pas exactement le tracas le plus imprévisible. Et il existe des sortilèges simples que protègent de la vermine, au pire. Pour en débarrasser quelqu'un de particulièrement atteint, c'est radical, en général."

-Encore faut-il en disposer. Quant aux puces, c'est justement parce qu'elles craignent le froid qu'elles se ruent sur le premier refuge venu, comme de douillets chariots, par exemple... Enfin, comme vous le disiez, si le pire doit advenir, nous mettrons en place un atelier de tissage. Dont nous vous confierons la responsabilité, évidemment.
Les soldats et les officiers apparaissaient un à un. Certains semblaient parfaitement réveillés, d'autres avaient encore le visage chiffonné, mais tous prenaient leur place bon gré, mal gré.
-Allez, les pipelettes, on rentre ! s'exclama Agathe en s'approchant d'eux. C'est fou, ça : muets comme des carpes dans le chariot, bavards comme des pies dans le marigot...
-Ça rime, c'est beau, lança joyeusement Rebecca.

" Vous formeriez un beau couple avec Edgar, Agathe, il n'y a pas à dire." railla le Luménien tout en abandonnant son poste de garde.
Le chariot, enfin ! Il n'avait qu'une envie, retirer cette pesante cotte de mailles, s'emmitoufler dans ses couvertures et dormir en se laissant bercer par le pas des chevaux. Bien sûr, ce n'était pas pour tout de suite, il y aurait encore le petit déjeuner, les préparatifs multiples, allers et venues, passages, bavardages, et autres joyeusetés, mais ce n'était qu'un court mauvais moment à passer avant la félicité.

Un mauvais moment à passer... qui passa fort vite. Ils n'avaient pas regagné leurs pénates depuis dix minutes que le petit déjeuner leur était servi. Ils mangèrent en bavardant, quoique de manière moins intense que de coutume : l'atmosphère était un peu celle qui suivait une nuit blanche festive, sans la gueule de bois qui va d'ordinaire avec. Bien sûr, faire le guet n'avait pas été exactement joyeux, mais ce que l'on redoutait le plus ne s'était pas produit, et la bonne humeur était donc de mise. Ainsi que les bâillements à s'en décrocher la mâchoire.

***

Deux heures avant l'aube, Hubert avait vu partir Frida et son escouade.
La nuit s'était ensuite poursuivie, terminée.
A présent, l'escorte prenait position, les palefreniers sellaient ou attelaient les chevaux, l'intendance vaquait prestement à ses occupations sous un ciel gris, uniforme.
Le départ était proche.

Hubert s'était offert le temps de prier, comme il l'avait prévu, et le soleil lui rapporta la confiance qui l'avait fui pendant la nuit. Rasséréné, il incanta ensuite pour lever la fatigue qui l'avait saisi après deux nuits sans sommeil. Ce n'était pas exactement aussi efficace qu'un bon lit, mais il se sentait un autre homme. Il n'avait pas mesuré combien l'épuisement et l'ombre avaient affecté son humeur. Bien sûr, il ne se sentait pas complètement tranquille, mais le défi qui s'élevait devant eux lui paraissait moins insurmontable. Il y aurait du sang, des larmes et des morts, en cela, Varamyr ne s'était pas trompé. Mais ils feraient le nécessaire pour triompher, quoi qu'il advienne.
Grand Vent avait reparu aussi soudainement qu'il avait disparu et Hubert le laissa devant le chariot de Ruth, pour que la gamine puisse s'en charger. De son côté, il respecterait les habitudes : petit déjeuner, Robert, en selle, et ce serait reparti.

Quand, une fois rassasié, il se mit en quête de Robert, il ne tarda pas à le découvrir à côté du véhicule où il avait dormi, en train de régler l'un des étriers de sa monture. Sa tâche promptement achevée, le chevalier se tourna vers lui. Il avait l'air plus fatigué que la veille. Plus vieux, aussi. Néanmoins, l'impression se dissipa quelque peu lorsqu'il sourit.
-Ah, Hubert ! Vous semblez en pleine forme, cela fait plaisir à voir ! dit-il. Paré pour notre ultime journée dans cette plaine bourbeuse ?

Hubert ne manqua pas de s'inquiéter de la mine de Robert, mais il n'en dit rien. Le chevalier nierait toute défaillance et le paladin ne voulait pas être à l'affut de ses faiblesses, même si les paroles de Varamyr le travaillaient immanquablement. Serait-il capable de déceler le moment où intervenir, s'il survenait ? Il n'en était pas certain. Il était tenu d'obéir avec loyauté à toute autorité légitime. Le conseil était éminemment légitime. N'était-il pas pieds et poings liés, quoi qu'il advienne ?
" Sans le moindre doute, dit le paladin avec le sourire. Je ne peux pas dire que je le regretterai beaucoup, ce marais puant. Bon. J'imagine que les choses n'ont pas changé depuis hier soir. Nous avons nos messagers, tenez-moi au courant des informations utiles que l'aigle de Frida vous ramène. De mon côté... J'ouvre la route."
Prendre le pouvoir contre le conseil équivaudrait à rompre ses voeux. Lathandre ne pourrait sans doute pas l'ignorer, cette fois. Il espérait que les choses n'en arriveraient jamais là.

-Très bien. Et sauf urgence, nous nous reparlerons à midi.
Robert le salua et enfourcha sa monture, tandis qu'Hubert rejoignait la sienne. Ruth venait de terminer de la seller. La fillette avait mauvaise mine et paraissais moins énergique qu'à l'accoutumée - mal dormi, sans doute. Toutefois, son travail était impeccable.
-Parait qu'il va y avoir du changement dans le paysage, dit-elle d'un ton faussement joyeux, après l'avoir accueilli d'un bonjour et d'un demi-sourire. Tant mieux, ça devenait rasoir, tout ce plat !

Hubert ne savait pas trop quoi lui dire pour lui remonter le moral, sinon des platitudes. Il lui semblait qu'en la matière, tout avait été évoqué. Et il n'avait pas d'énergie mentale à distribuer en la matière, malheureusement. Tout contact avec Alban risquait de lui miner un moral déjà fragile.
" Je ne peux qu'être d'accord, dit-il en rassemblant ses rênes pour monter en selle. Ruth, je te souhaite une bonne journée. Repose-toi, tu as l'air d'en avoir besoin, et la nuit prochaine sera probablement rude."

-A vos ordres, m'sire.
Elle le gratifia d'un petit salut avant de disparaître promptement dans son chariot.
Mons d'un quart d'heure plus tard, la colonne s'ébranlait.
Le climat n'avait pas changé : ciel bas et nuageux, chutes de neige intermittentes et modérées, vent glacial soufflant parfois en bourrasques.
Le paysage, lui aussi, était identique : les éminences mentionnées par Frida n'étaient pas encore visibles.
La matinée s'écoula, lente et monotone. Midi se rapprochait.
Puis le paladin perçut quelque chose dans l'air. Une senteur discrète, à peine perceptible, qu'il mit quelques minutes à identifier.
La bise charriait comme une infime odeur d'incendie.

Hubert arrêta immédiatement son cheval, aux aguets, et fit signe à l'homme le plus proche de lui, tout en scrutant l'attitude des soldats, cherchant à deviner si d'autres avaient perçu la même chose que lui.
" Vous sentez cette odeur de fumée ?"
En même temps, il tâcha d'estimer d'où venait le vent. Il n'était pas impossible qu'il ne s'agisse là que d'un simple feu de broussailles, dont les rôdeurs auraient déjà averti Robert.

Oui, le soldat avait senti. Et c'était le cas de beaucoup d'autres également, à voir comme ils reniflaient...
Le son d'un galop, derrière lui. Un messager de Robert remontant la colonne dans sa direction.
Les consignes étaient claires : continuer au même rythme. Varamyr s'efforçait de localiser l'origine de l'odeur et préviendrait le conseiller à la défense sitôt qu'il l'aurait trouvée. Dans l'immédiat, on ne pouvait s'en remettre qu'aux hypothèses, car nulle fumée ne se voyait à l'est, dans la direction d'où provenait le vent. Rien d'étonnant, cependant : la visibilité était loin d'être idéale.

La bonne nouvelle, c'était que le terrain était trop humide pour qu'un feu de steppe surgisse soudain à l'horizon et ne fonde sur eux, les contraignant à quitter la route et fuir, sous peine d'être carbonisés. Mais quelque chose avait brûlé là-bas, et ce n'était pas réjouissant. Varamyr lui avait dit qu'il n'existait nulle tribu bienveillante dans les environs immédiats, mais cela ne signifiait pas que les Paludiers cannibales n'avaient pas organisé un grand banquet à proximité. Le vent était trompeur, l'odeur ténue mais distribuée sur toute la colonne. Cela ne pouvait pas être un petit feu. Hubert fit transmettre les ordres de Robert mais redoubla de vigilance et demeura sur le flanc est. L'est. L'aube. Il fallait espérer que ce soit protecteur, mais il n'y croyait pas vraiment. Varamyr reviendrait, cependant, et ils seraient fixés.

Midi vint.
L'expédition fit halte comme de coutume, mais il sembla que les personnes chargées de distribuer les repas se pressaient davantage que la veille, ou l'avant-veille.
Les soldats, les moins expérimentés surtout, semblaient vaguement nerveux, et les murmures étaient plus nombreux qu'à l'ordinaire. Pas de panique, cependant.
Robert parut sur son cheval au trot. Il rejoignit Hubert et, sans un mot, lui tendit un morceau de papier froissé. On pouvait y lire, d'une écriture malhabile :

Ai localisé la source, à une dizaine de lieues à l'est.
Traces de bataille et vestiges d'un grand camp incendié. Devait abriter au moins deux cent habitants.
Sans doute des cannibales, comme ceux qui les ont anéantis.

Hubert prit connaissance du message, avant de le rendre à Robert.
" Voyons les choses sous un angle positif. S'ils ont attaqué ce camp, ils ont immanquablement subi des pertes. Et Varamyr devrait pouvoir déterminer la direction qu'ils ont empruntée ensuite, ainsi que le type d'armes dont ils ont fait usage. Quels sont ses ordres, à présent ? "

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée