La Couronne de Cuivre

-Très bien, pour autant que je puisse juger ! fit-il en rangeant sa lame au fourreau. Des bretteurs tatillons te tanceraient peut-être pour ton style peu académique, mais force est de constater qu'il est efficace ! Et je suis admiratif de voir qu'à peine remise, tu es déjà capable d'une telle débauche d'énergie, sur une telle durée... Pour ma part, je suis complètement moulu. Enfin, c'est bien connu : les elfes sont des petites natures.

La jeune femme se fendit d'un rire enjoué.
" Allons, je n'ai fait que dormir pendant des jours et des jours ! Bien sûr que j'ai de l'énergie à dépenser !"
Elle se tourna vers le trou de lave, près duquel s'affairait Martin.
" Merci pour ces compliments ! Mais tu devrais l'entraîner lui. Trois lames ne seraient pas de trop, si nous croisons des pirates."

-Comme je l'ai dit, je ne suis pas un grand combattant, et encore moins un maître d'armes. Mais si Martin y consent, je veux bien lui donner les quelques conseils dont je suis capable... Et puis, dans tout l'assortiment dont nous disposons, il doit bien y avoir quelque chose susceptible de lui convenir.
Le courtisan les avait sans doute possible entendus. Il doutait cependant qu'il accueille la proposition avec enthousiasme...

Griselda ne laissa pas le temps à Martin, s'il avait suivi leur conversation, d'y intervenir, et continua à voix basse.
" Il n'a pas forcément à y consentir. C'est un homme adulte, il est rapide, résistant, nous avons besoin de lui. Tu es le chef. Tu décides. Si tu lui demandes de s'entraîner, il ne pourra pas se défiler. Et je ne pense pas qu'il le fera. Mais tu dois lui présenter les choses sans lui laisser la possibilité de refuser. Il faut un capitaine sur le bateau. Et sur celui-ci, c'est toi qui tiens la barre."

Il esquissa une grimace. Il n'avait pas demandé à être capitaine, et se sentait bien indigne d'une telle charge. Ses initiatives individuelles étaient généralement des fiascos, et les rares fois où il avait commandé à des hommes, cela s'était terminé en bain de sang. Il n'avait donc aucune envie de remettre le couvert : son rôle de chef du groupe - dont il se serait bien passé -, il l'avait d'abord partagé avec Guéric, avant d'y renoncer dans des circonstances auxquelles il préférait ne pas repenser. Et voilà qu'on le considérait à nouveau comme tel. Certes, ils étaient moins nombreux, mais ça ne changeait pas grand chose, au final.
Enfin, il semblait ne pas avoir la possibilité de se défiler.
-Soit... répondit-il simplement.

Griselda lui tapota l'épaule avec un large sourire puis se leva pour rejoindre la table, déjà dressée. Martin lui décocha un regard soupçonneux mais ne dit rien. Les deux gamins arrivèrent en bondissant, armés d'une sorte de petit marteau qu'ils semblaient avoir bricolé avec un caillou et le manche d'une cuiller en bois.
" On a trouvé au moins trois endroits où ça sonne un peu creux !" s'exclama Victor, à l'attention de Taliesin.
" Et on a encore fait que la moitié !" renchérit Jehan avec enthousiasme.

Taliesin les gratifia d'un sourire chaleureux.
-Bravo, les gars ! Qui sait si vous n'avez pas découvert le passage dont nous avons besoin ? En tout cas, dors et déjà, vous avez bien mérité votre pitance.
Leur entrain le réjouissait à plus d'un titre. D'abord, il était simplement heureux qu'ils aient trouvé une activité à leur convenance. Ensuite, le fait même que cette activité - par ailleurs utile - les absorbe complètement avait un énorme avantage : ils n'avaient prêté aucune attention à son entraînement martial avec Griselda, ne prêteraient pas davantage attention à celui qu'il mènerait avec Martin. Cela évitait donc des demandes embarrassantes auxquelles il n'aurait su que répondre.

La pitance en question ne dépareillait pas avec leur ordinaire, même si Martin semblait avoir fouiné au plus profond de leur réserve pour dénicher des bocaux encore non testés. Le résultat était acceptable à défaut d'être merveilleux. Les deux enfants dévorèrent avec leur habituel appétit d'ogres miniatures, tandis que le courtisan servait un vin rouge foncé aux adultes.
" Une matinée productive ?" demanda-t-il finalement, circonspect.

Le barde hocha la tête.
-Très. Je sais ce dont est capable le bâton, et il n'est pas impossible que j'arrive à lancer quelques-uns de ses sortilèges. Mais comme je ne suis pas mage, le processus reste aléatoire, je ne suis pas sûr d'y parvenir à tous les coups. Ensuite, et bien... Je peux attester que Griselda se débrouille très bien en matière d'escrime. Je n'aimerais pas être un pirate tombé face à sa lame.

Griselda sourit à la flatterie du barde, puis lui jeta un regard incisif. Martin opina du chef avec une moue appréciative.
" Nous serons bientôt près à abandonner ces pénates si confortables... Il faudra me prévenir de l'imminence du départ, que je profite une dernière fois d'un bon lit, d'un bon bain... avant le noir et le froid." dit-il avec le sourire.

-Bah, on ne va pas partir aujourd'hui, quand bien même découvririons-nous un tunnel totalement libre... Tu pourras donc encore profiter de tout cela quelques heures, sinon quelques jours. Car si nous devons creuser, cela prendra du temps... Quoi qu'il en soit, l'après-midi qui vient sera relativement libre... Du coup, je pense que nous le mettrons à profit pour faire de toi un parfait bretteur. Ainsi, tu auras une bonne raison de de délasser, de te reposer, ce soir...
La nouvelle était lâchée. Il n'avait pas osé la placer jusqu'ici, songeait à la repousser... Maintenant, au moins, c'était fait.

Martin le dévisagea, incrédule.
" Moi, un bretteur, tu plaisantes ?" fit-il. " Je n'ai aucune aptitude martiale. Je n'en ai jamais eue. Je ne saurais pas manier une arme même si ma vie en dépendait."
" Mais ta vie va en dépendre, justement. Il n'est jamais trop tard pour apprendre."
" Les couloirs sont étroits. Même si nous croisions des pirates, vous serez assez de deux pour les repousser."

-Mais si l'un de nous deux tombe, il faudra que tu viennes le remplacer, afin de continuer à bloquer le passage, dit tranquillement l'elfe. Je suis sûr que nous arriverons à te trouver une arme avec laquelle tu pourras te débrouiller. Ce n'est pas la variété qui manque dans notre réserve...

Le courtisan grimaça.
" Soit. Je ne peux pas dire que ça m'enchante follement. J'espérais toujours que nos intentions étaient... de rester cachés. Mais s'il faut aller au devant de nos adversaires... et bien... Très bien. Je vous aurai prévenus."
" Moi je veux bien aussi prendre des cours d'escrime." intervint Victor.
" Et moi aussi ! Moi aussi !" s'exclama Jehan.

Ah, misère...
Taliesin s'efforça de garder une mine impassible et détendue.
-Vous avez plus urgent à faire, vous savez... Si vos fouilles nous permettent de découvrir un passage caché, un tunnel dont nous ne serions séparés que par une mince paroi de roche, nous vous serions aussi redevables que si vous aviez terrassé dix pirates chacun.
Espérant qu'ils se contenteraient de cette réponse, il refit face à Martin.
-Notre objectif n'est pas d'aller au devant de nos ennemis. Pas du tout. Simplement, il n'est pas impossible que nous en croisions, dans les tunnels, et que nous ne puissions nous esquiver sans être vus. Si cela arrive... Il faudra que nous soyons en mesure de défendre nos vies.

Taliesin sous-estimait les enfants.
" Mais Martin, il a pas envie de se battre, tandis que nous, oui." reprit Victor. " On pourrait le protéger !"
" Oui, moi je prendrais une hache ! Je serai Jehan le Barbare !"
" Ah non, c'est moi le barbare !"
" Il n'est absolument pas question que je dépende de vous pour ma sécurité." fit alors le courtisan, d'un ton sec. " Je sais me défendre."
" T'es pas drôle !"
" Ce n'était pas mon intention !"

Le barde sourit, voyant là une occasion de convaincre définitivement le courtisan.
-Tu as le choix, Martin. Soit tu acceptes de t'entraîner avec moi, soit je te donne Victor et Jehan pour gardes du corps.
Il se tourna vers les garçons.
-Je ne doute pas de votre envie de vous battre. Mais... Comme l'a dit Martin, les tunnels sont étroits, nous ne pourrons pas ferrailler tous à la fois. Et si nous faisons une mauvaise rencontre, croyez-bien que je vous demanderai de vous dissimuler. es pirates ne font pas de quartiers. Pas mêmes aux enfants. Surtout s'ils sont armés.

" Je n'ai pas peur des pirates." fit Victor, sombre.
Il sembla sur le point d'ajouter quelque chose, mais se ravisa et croisa les bras, l'air renfrogné. Il prit cependant sur lui de détourner le sujet.
" On a mis de grandes croix là où le mur était moins épais !" s'exclama-t-il. " Et on a fabriqué des outils !"
" J'ai vu, dignes d'une tribu gobeline, à n'en pas douter." fit Martin, à nouveau détendu.
" Gobeline ! Injure ! Tu vas voir si nos outils sont dignes d'un gobelin !"
" Ce sont des outils, pas des armes, si ?" demanda Griselda.

Fourchettes et couteaux de table ne sont pas des armes non plus, à la base. Mais avec eux... songea-t-il, sans rien en dire.
Puis il se fendit d'un sourire, profitant de l'atmosphère à nouveau légère.
-Gardez donc vos outils pour le reste de vos fouilles : ils ont prouvé leur efficacité en la matière, ce serait bête de les gâcher. Quant à Martin... Vous pourrez vous venger de lui lorsqu'il voudra se baigner tranquillement. Vous avez ma bénédiction.

Le courtisan se tourna vers les enfants et leur décocha un regard mauvais.
" Sa bénédiction ne vous protégera en rien. Je suis redoutable au corps à corps." lâcha-t-il, avant de faire craquer l'articulation de sa nuque.
Les gamins poussèrent des cris dégoutés et Martin leur sourit, carnassier.
" Couler un elfe, c'est une chose, mais je me défends pour...."
" On ne veut rien savoir !" s'exclama Griselda.
" Oh si, moi si !" rugit soudain Rumoc, s'extirpant de sa léthargie.

-Oh, je pense qu'il voulait simplement dire "Pour couler deux gamins", intervint le barde qui pensait que Martin n'aurait pas abordé un autre thème en présence des enfants.
Il croisa les bras.
-Mais je peux leur donner un coup de main en plus de ma bénédiction. La Sainte Alliance des Elfes et des Gobelins. De quoi faire une chanson de geste formidable !

" Hum." fit le courtisan. " Ça marche. Rendez-vous est pris. Quand les pierres deviennent rouges. Je vous attendrai. Tous les trois."
Il les dévisagea, les yeux plissés. Griselda éclata de rire.
" N'allez pas vous faire vraiment mal."
" Je peux faire équipe avec toi, Martin ?" demanda Rumoc.
" Je pensais que tu ne voulais pas être mouillé." intervint Jehan.
" Ah. Mouillé. J'avais loupé ce détail."

-Ne te plains pas, Rum : si nous disposions encore d'un bassin plein d'argile, c'est là qu'aurait probablement eu lieu ce terrible affrontement. Malheureusement, comme il est vide, il nous faudra nous contenter de celui rempli d'eau chaude... Autant en profiter, d'ailleurs, puisque nous ne pourrons plus jouir d'un tel luxe après notre départ.
Il vida ce qu'il lui restait de vin.
-Mais donc, oui, nous nous affronterons. Prépare-toi à reconnaître ta défaite, Martin. elle sera cuisante. Et les bardes la chanteront longtemps, longtemps... Enfin, les bardes... Moi, en tout cas. Cela fait longtemps que je n'ai rien composé, ça me manque...

" Je suis certaine que tu trouveras de quoi nous composer une balade dans tout ce qui s'est déjà produit." intervint Griselda. " La noyade de Martin me semble bien moins épique, en comparaison."
" Les chansons les plus célèbres sont souvent des ritournelles grivoises qui ne racontent pas grand chose... Si tu veux, j'en composerai une moi-même. Elle s'intitulera : un petit elfe au bord de l'eau. Il est si beau qu'il tombe dans l'eau, plouf !"
Les enfants rirent.
" On verra bien qui peut chanter quoi !"

-M'est avis que Martin sera tout au plus capable de tousser et de cracher ! renchérit Taliesin.
Puis, à Griselda.
-Si l'occasion m'en est donnée, je ferai en sorte que le souvenir de ceux qui ont combattu sur Mersant ne se perde pas. Mais, tu sais, il n'est pas besoin d'événements intrinsèquement tragiques ou épiques pour faire une bonne chanson. Tout dépend de la manière dont tu dépeins les choses. Ainsi, si je me contente de raconter les faits bruts, à savoir que deux garçons, un elfe et un homme jouent à se noyer dans un petit bassin, ça sera au mieux amusant... En revanche, si je narre le terrible combat à mort que livrent, dans les flots déchaînés de l'océan en furie, deux jeunes princes et leur précepteur, un puissant mage elfe, contre le plus grand dragon marin que les abysses aient connu, il y a du potentiel !

" Deux jeunes princes. On aura tout entendu. Deux petits têtards, oui. Sur le point d'être dévorés par un brochet !"
" Dragon des mers ! Tu es bien généreux avec lui ! Méduse géante, plutôt."
" Visqueuse à souhait !"
" Vous me flattez, les gars !"
" On va d'abord voir qui gagne, avant d'en tirer une chanson, je propose..." fit Griselda, hilare.

Taliesin fit mine de s'offusquer.
-Tu doutes vraiment du vainqueur ? Cela me chagrine profondément ! En ce qui me concerne, je suis prêt à mettre ma main au feu : Martin sera terrassé !
Il déposa ses couverts dans son assiette désormais vide.
-Néanmoins, avant que ne se déroule ce titanesque affrontement dont on parlera encore dans dix mille ans, nous avons du pain sur la planche : Victor et Jehan vont nous découvrir un chemin vers la liberté, tandis que je ferai de Martin un combattant d'élite. Et si nous avons le temps, nous tenterons de dégager un ou deux gros rochers, dans ce passage. Mais rassurez-vous : c'est le golem qui fera le plus gros du travail !

" Tu veux qu'on dégage combien de sorties, au juste ? Une pour chacun ?" demanda Martin, incrédule.
" Si tu veux, on échange... Martin prend une de nos pioches et nous on s'entraîne..." reprit Jehan.
" Je ne manie pas un objet gobelin. J'ai mon amour propre."
" C'est sûr qu'une arme demi-orque, c'est plus raffiné." grommela Victor.
" Mangez à la place de raconter n'importe quoi. Ça refroidit." les interrompit Griselda.
Ce qu'ils firent.
" Il était temps qu'une femme vienne reprendre ce groupe en main." commenta Rumoc.

-Merci, Rumoc ! s'exclama joyeusement Taliesin. Tu viens de balayer d'un coup d'un seul tous les racontars malintentionnés sur le caractère prétendument efféminé des elfes ! S'ils étaient fondés, notre groupe aurait été bien pris en main depuis le début. Mais, évidemment, ça n'a pas été le cas, et, oui, il a fallu attendre le réveil de Griselda. Une leçon que devraient méditer tous les barbares musculeux du monde !
Il ponctua ses paroles en se servant un dernier verre de vin.
-Martin, pour les sorties... J'essaie juste de tenir compte de tes remarques, de ne pas tout miser sur le pipeau. Nous savons que nous ne pouvons plus avancer sans courir de danger dans le tunnel aux gravas ; et si Victor et Jéhan découvrent bel et bien un passage, il n'est pas dit, pour l'ouvrir, que nous aurons les outils adéquats. La seule chose que nous pouvons donc faire sans recourir à l'instrument, c'est voir s'il est possible de dégager le boyau bloqué par les énormes rochers... Après, nous pourrons vraiment dire que nous avons tout tenté, et faire appel, l'âme légère, à nos chères amies les Damoiselles d'Eauprofonde.

" C'est toi le chef !" fit le courtisan en haussant les épaules. " Je ne critiquerai pas ta volonté de courir plusieurs lièvres, compte tenu des circonstances."
Il repoussa son assiette.
" Mais je vais arrêter de manger et aller faire une petite sieste... Sinon tu ne m'apprendras rien cet après-midi. Rien de rien du tout."
Il se leva et s'étira, puis s'esquiva vers son lit. Griselda rassembla les assiettes et les couverts, puis se leva à son tour pour les emmener près de l'eau. Demeurèrent les enfants, l'elfe et la ceinture magique.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant

Re : [Lieu] Mersant