La Couronne de Cuivre

Ses sensations étaient beaucoup moins nettes que dans la clairière, où la magie omniprésente changeait décidément beaucoup de choses. Il sentait, également, que son pouvoir était plus limité qu'il ne l'avait été pendant cette journée de rituel un peu spéciale où la magie divine lui avait paru inépuisable. Tout était revenu à un niveau normal.
Mais ses perceptions physiques étaient toujours là : il voyait dans les draps humides les traces d'une fièvre passée, dont il n'y avait plus de trace. Il lui semblait que Sylvia était plus pâle qu'à l'ordinaire, les yeux cernés, les traits tirés, signe de fatigue. Son organisme avait dû lutter contre la maladie.
" C'est gentil de t'inquiéter, vraiment. Mais ça va un peu mieux. Martha dit que j'ai peut-être avalé quelque chose que mon organisme n'a pas supporté, qu'il a perçu comme un poison, ou qui était néfaste pour le bébé. J'ai eu des contractions... et très mal au ventre, expliqua Sylvia. Et le bébé n'a plus bougé pendant un moment, mais je l'ai senti à nouveau tout à l'heure, donc je suis rassurée. Enfin, un peu. Il bouge quand même moins qu'avant, il me semble. Ça a dû le secouer lui aussi."

Cette histoire l’inquiéta tout de même assez pour qu’il recherche instinctivement à détecter la présence de leur enfant et cherche aussi à se rassurer dans la foulée en lançant l’un des sortilèges simples qu’il avait en mémoire : le sort lui était nouveau mais il connaissait d’instinct les paroles et les gestes appropriés :

Kasumi -> Détection du poison -> Sylvia

Il y avait des résidus de poison dans l'organisme de sa fiancée, le sort l'en informa instantanément. Il était heureusement présent en quantité faible, sans doute déjà éliminé en grande partie, peut-être via les soins de Martha qui semblait s'y connaître en herbes.
Quant à l'enfant, il était bien présent, mais immobile. Ce qui n'était pas forcément inquiétant en soi : il ne passait tout de même pas son temps à bouger.
" Ne t'inquiète pas, il a bougé tout à l'heure", tenta de le rassurer Sylvia, masquant mal sa propre inquiétude.
Elle ne sembla guère s'inquiéter du sortilège qu'il lança : après tout, il était plus expérimenté qu'elle, peut-être connaissait-il davantage de sorts ?

Kasumi fronça les sourcils mais perçut l’inquiétude de Sylvia et adoucit aussitôt son expression :

- Tu as effectivement été victime d’un empoisonnement : je détecte encore quelques traces dans ton organisme. Mais je crois que vous ne courrez plus de danger. Tu as une idée de ce que tu aurais pu consommer juste avant ton malaise ?

" Non, pas vraiment... Martha disait que ça pouvait être dans les champignons de midi, peut-être qu'on a confondu deux variétés proches. Il y en avait quelques-uns que je ne connaissais pas mais qu'elle connaissait, elle semble s'y connaître... Elle dit aussi que ça peut être le bébé qui a une intolérance à quelque chose et que le corps réagit dans ces cas-là un peu comme pour un empoisonnement. Normalement notre organisme le protège, et ce qui est mauvais pour lui ne l'atteint pas, mais il se peut qu'il tolère mal certains aliments anodins. Bref... elle n'en sait rien, elle n'est pas clerc. Il a été secoué, c'est sûr, il bougeait comme s'il se crispait... je suppose qu'il avait mal lui aussi. Et ça l'a épuisé."
Elle grimaça.
" Ça m'inquiète, et quand je suis inquiète, c'est pas bon pour lui : Martha dit que ça empoisonne les humeurs. C'est un cercle vicieux."

Kasumi passa un bras autour des épaules de Sylvia, un peu inquiet lui aussi, malgré les sensations rassurantes que lui avait communiquées Mielikki. Il ne savait pas trop comment aborder le sujet et le moment n'était pas forcément idéal mais il se lança malgré tout :

- Sylvia, Mielikki m'a accordé un don pour avoir veillé sur le bosquet et pour que je sois en mesure de continuer à le faire... Ce poison, je pense que je peux utiliser une parcelle de son énergie pour vous aider à vous remettre, toi et notre enfant.

Il pressentait qu'un simple sortilège de soins superficiels pourrait aider l'enfant comme sa mère sans pour autant risquer de saturer leurs organismes fragiles. Il ne savait pas d'où lui venait cette connaissance mais il en avait la certitude.

Sylvia eût une lueur d'étonnement dans son regard. A peine. Elle était trop vaseuse ou trop inquiète pour chercher à en savoir davantage, et n'avait retenu que l'essentiel : il pouvait faire quelque chose.
" Oh... fais-le, alors, si tu penses que tu peux aider ! Tu as de la chance d'avoir la faveur de la Dame des Bois... Bon, il faut dire que tu n'as pas ménagé tes efforts pour prendre soin du bosquet, tu mérites bien une récompense ! Mais si tu peux me soigner... et lui surtout... vas-y !"

Le demi-elfe approcha doucement sa main du ventre de sa compagne pour l'y poser délicatement, recherchant par la même occasion l'étincelle de vie signalant la présence de leur enfant puis il se concentra un moment sur le bosquet, la vie qu'il avait contribué à faire proliférer puis le contact avec sa déesse. Un peu incertain car c'était la première fois qu'il employait ce type de sortilège et que les enjeux lui étaient tous personnels, il murmura une courte litanie et sentit une parcelle d'énergie positive envahir ses doigts et se propager via son contact avec la peau de Sylvia :

Kasumi -> Soin superficiel -> Sylvia et l'enfant

Il sentit l'énergie divine se propager dans le corps de sa compagne et dans celui de leur enfant, et la vit sourire.
" Il a bougé..."
Il avait lui aussi senti le mouvement.
" C'est merveilleux, tu l'as soigné!"
Il ne pouvait être certain de l'avoir guéri, mais il avait indubitablement eut une action positive sur les deux organismes. Peut-être, simplement, en redonnant un peu d'énergie, de vie, de confiance. Sylvia, en tout cas, semblait infiniment soulagée.

Kasumi ne s'attendait pas à un tel résultat et il soupira lui aussi de soulagement sans chercher à s'en cacher. Il embrassa spontanément la jeune femme sur les lèvres sans retirer la main de son ventre avant de déclarer d'un ton plus rassuré :

- Je contrôlerai à nouveau tout à l'heure si le poison s'est vraiment dissipé. Et je préparerai le sort pour le chasser définitivement si ce n'est pas le cas. Mais je crois que je ferais bien de vous laisser vous reposer tous les deux pour le moment.

Il n'avait en tous cas pas l'intention de s'en aller avant d'être fixé et il avait de toute façon du temps avant de se remettre en route vers le bosquet.

" Si tu peux préparer le sort demain matin, c'est plus sûr, effectivement. Ça me rassurerait tout à fait... Même si je pense qu'il ne sera pas nécessaire."
Elle sourit, et étouffa un bâillement.
" J'aimerais bien pouvoir lancer tous ces sortilèges, moi aussi. Peut-être dans quelques années... Mais tu as raison, je ferais mieux de dormir pour le moment."
Se blottissant contre lui, elle ajouta.
" Je suis contente de t'avoir près de moi cette nuit... "

Le tout nouveau clerc qu'il était grimaça en songeant qu'il n'avait pas pu tout dire à Sylvia et que ce n'était de toute façon pas le moment de le faire, même s'il voulait se montrer honnête avec elle. Après qu'elle se soit mise à son aise, il murmura simplement dans le noir, d'un ton un peu penaud :

- Je vais devoir repartir avant l'aube pour accueillir la dryade : elle est née et va à nouveau émerger de son chêne à ce moment là. Mais je reviendrai ensuite et nous pourrons parler davantage de tout ça...

" Oh... Tu repars déjà ?"
Sa déception était nette. Elle poussa un soupir.
" Je croyais qu'une fois la dryade née, tu reviendrais... Tu crois que tu vas encore devoir être là-bas très souvent ? Chaque fois qu'elle apparaîtra ? J'aimerais bien t'avoir un peu à moi de temps en temps, quand même !"

Il détestait devoir décevoir Sylvia, surtout pendant cette période difficile où elle n'était pas maîtresse de ses propres choix. Il ne put donc retenir un soupir désolé avant de tenter une nouvelle fois de s'expliquer. Sur l'avenir et sur ses intentions :

- Moi aussi je voudrais être là plus souvent... Le plus dur est fait mais la dryade ne sera pleinement autonome qu'après la nouvelle lune si j'ai bien compris. Je ne devrai plus demeurer au bosquet aussi souvent mais je me suis engagé à m'en occuper.

Ce n'était certainement pas ce qu'elle voulait entendre mais Kasumi refusait de se montrer malhonnête ou trop optimiste après toutes les promesses qu'il avait déjà du repousser.

Bref soupir.
" Je comprends... et je sais que c'est important. Mais c'est vrai que je pensais... enfin, bref. Ce n'est pas si grave. Fais ce que tu as à faire. Tu reviendras quand tu pourras... j'espère juste que ce sera vite, je m'ennuie de toi..."
Sa voix s'était légèrement altérée, et elle baissa les yeux en soupirant, la gorge un peu serrée.

Kasumi ressentit la vague de tristesse que contenait avec courage la jeune femme et se sentit un instant submergé par l'émotion. Alors, dans un geste plein de tendresse, il l'enlaça à nouveau et déposa un baiser au creux de son cou avant d'ajouter d'un ton rassurant :

- Je me suis engagé aussi auprès de toi. Et je compte bien tenir toutes mes promesses et bien plus encore ! Cela aussi, j'espère que tu le sais...

Elle se blottit contre lui avec un pâle sourire.
" Oui, je le sais, ne t'inquiète pas. J'ai confiance. Et puis, je ne peux pas te demander de te consacrer à moi à deux cent pourcents... Tu as d'autres choses à faire, d'autres tâches, d'autres missions. Heureusement, en un sens, puisque ça te rend heureux. Tu as un sourire lumineux ce soir..."
Un bâillement l'interrompit.
" Mais on devrait dormir un peu... Si tu veux être en forme pour rejoindre ta dryade.... Il doit te rester trois ou quatre heures à dormir..."

Sylvia se montrait une nouvelle fois parfaitement compréhensive et il mesura un peu plus la chance qu'il avait de l'avoir à ses côtés. C'était peut-être la raison de son sourire ou alors la rôdeuse percevait en lui le don que Mielikki lui avait accordé.

Ce n'était cependant pas le bon moment pour en discuter mais plutôt celui de la laisser se reposer. Lui aussi se risqua à fermer les yeux, assuré qu'il était de savoir quand se réveiller pour se remettre en route.

Il sombra aussitôt, épuisé après deux jours et une nuit de veille ininterrompue, et plongea dans un sommeil sans rêve -rien dont il se souvienne en tout cas.
Il dormait profondément lorsqu'une main lui secoua doucement l'épaule. Émerger fut difficile : son corps réclamait du repos, du sommeil. Il avait peut-être présumé de ses forces ces derniers temps. Il avait désespérément besoin de dormir...
" Tu devrais te mettre en route si tu veux arriver à l'aube, lui souffla Sylvia à l'oreille. Je sais que tu dors bien, qu'il fait nuit noire... Mais la clairière est loin, et la Lune est déjà couchée. On doit être à moins de deux heures de l'aube...."

Emerger fut très difficile mais il s'y efforça néanmoins sans écouter les besoins de son corps épuisé. Malgré ce que cela lui coûtait, il sourit de savoir que Sylvia avait décidé de le réveiller plutôt que de profiter simplement de sa présence : elle avait compris l'importance qu'il accordait à son engagement envers le bosquet et cela lui redonna un peu d'énergie pour se réveiller tout à fait et lui murmurer des remerciements. Il l'embrassa puis se leva péniblement pour renfiler ses bottes :

- Je reviendrai dans la journée je pense. Et je ferai en sorte de préparer un sort contre le poison. Par simple précaution.

En attendant, il n'allait pas pouvoir se permettre de lambiner en route s'il voulait arriver dans les temps...

" Merci... J'espère que tu reviendras vite. Maintenant que tu l'as annoncé, je vais passer ma journée à attendre... Et envoyer Vif-Argent en surveillance, je pense ! Enfin, si ça ne te vexe pas..."
Elle bailla. Ses yeux étaient cernés, et elle était encore pâlichonne.
" Mais file vite...," conclut-elle avec un nouveau bâillement. Elle se rendormirait certainement très vite.
Martha, malgré sa réprobation, avait laissé du pain, du fromage et des fruits en évidence pour qu'il puisse se restaurer. Par la fenêtre, il constata effectivement que la lune n'était plus visible, signe que la fin de nuit était proche.

Kasumi empocha les victuailles dans sa besace avec l'intention d'en manger une partie en chemin. En sortant de la maison, il observa le ciel en s'émerveillant du silence de la nuit et de la beauté des étoiles puis c'est au pas de course qu'il quitta le village, prit la direction de la forêt en suivant le sentier désormais bien connu puis s'enfonça au cœur des bois. Il dut ralentir l'allure moins d'une heure plus tard pour reprendre son souffle et continuer à un rythme plus raisonnable mais il pensait pouvoir arriver avant l'aube si toutefois il parvenait à éviter toute mauvaise rencontre.

La forêt, une fois franchies quelques centaines de toises, était sombre et humide, la brume omniprésente. Il y avait des morts-vivants en maraude, probablement, par endroits. Mais le hasard fit qu'il ne les croisa pas, cette fois-ci. Il crut entendre des cliquetis, des grognements, quelque part à mi-chemin entre l'orée des bois et la clairière. Mais il n'avait pas vraiment le temps de chercher à en savoir plus, et leur élimination devrait attendre.
L'horizon s'éclaircissait à l'est, et les premiers chants des oiseaux se faisaient entendre. La brume semblait moins présente, comme chassée par l'approche de l'aube -ou l'approche de la clairière. Le ciel vira au gris, puis au bleu-gris, voilé de quelques nuages. L'horizon était une ligne rose lorsqu'il parvint enfin à la clairière.

Arrivant bien plus tôt que d'habitude, il trouva le village dans l'effervescence de la fin de journée : en cette saison, on rentrait les foins, on cueillait les fruits et les légumes, on binait le jardin, on arrosait les semis les plus fragiles. Le travail ne manquait pas et tout le village semblait à l'ouvrage, profitant de la relative fraîcheur du début de soirée. Martha était dans son jardin, active, et il vit, de loin, Sylvia à demi allongée sur la terrasse, sur son fauteuil à bascule, un tricot à la main. Il devina son sourire lorsqu'elle le vit apparaître, et elle se leva, un peu pesamment, pour venir à sa rencontre.

Avant de quitter la forêt, le nouveau clerc s'était fait la réflexion qu'il lui faudrait revenir à cet ancien cercle malarite pour déterminer s'il pouvait le purifier de sa souillure. Mais pour l'heure il avait bien autre chose en tête : à chaque jour suffisait sa peine !

En arrivant au village, il fut satisfait de constater qu'il était parvenu à tenir sa promesse de rentrer plus tôt et soulagé de voir Sylvia assez en forme pour venir à sa rencontre. Il répondit à son sourire tout en pressant le pas pour lui éviter de parcourir une trop grande distance. Sans un mot, il la serra dans ses bras sans vraiment se soucier du public...

- J'ai beaucoup de choses à te raconter, annonça-t-il avec entrain.

Elle se blottit contre lui, le serra fort, l'embrassa passionnément.
" C'est si bon que tu aies pu rentrer... Non pas que je doutais, mais... bon, quand même un peu. En, tout cas, tu as l'air enthousiaste, fit-elle remarquer. Raconte, vas-y ! Tu as vu la dryade ?"
Martha, le saluant d'un signe de la main, se dirigea vers l'intérieur de la maison, probablement pour préparer le repas. Sylvia, tout en parlant, l'entraînait vers le banc de bois qui ornait la terrasse, sur lequel elle s'assit sans lui lâcher la main, l'attirant à ses côtés.

Kasumi accueillit l'étreinte avec tendresse et prit plaisir à se laisser entraîner à la suite de Sylvia vers le banc. Il lui adressa un sourire et la regarda un long moment avant de répondre à sa question, décidant de lui faire confiance pour accepter la nouvelle qu'il tenait à partager avec elle.

- Oui, la dryade a pu renaître ce matin et m'a confié de nouvelles tâches pour que je m'occupe du bosquet et des arbres environnants. Puis elle est retournée dans son chêne et reviendra définitivement au monde lors de la prochaine pleine lune.

Il marqua une pause, un peu hésitant sur la façon d'aborder la chose puis décida de se lancer :

- Mais ce n'est pas tout. Mielikki m'a chargé de veiller sur le bosquet. En échange, elle m'a fait un don que je ne pouvais pas refuser : j'ai accepté de devenir l'un de ses clercs...

" Oh..."
Sylvia garda un instant le silence, l'air un peu abasourdie.
" Il fallait un clerc ou un druide pour veiller sur le bosquet, c'est vrai, nous le savions... Mais je n'avais pas pensé que ce serait toi..."
Elle se tut un instant encore, assimilant la nouvelle, pesant sans doute ses conséquences.
" En même temps... C'est vrai que tu avais un regain de religiosité ces derniers temps.... ça ne devrait pas me surprendre autant... Mais..."
Elle secoua la tête.
" Ça me fait tout drôle de songer à toi en prêtre."

Au fond de lui, Kasumi s'était attendu à ce genre de réaction. Mais dans l'ensemble, Sylvia semblait plus surprise qu'inquiète de sa décision. Le demi-elfe avait retenu son souffle et se sentit infiniment soulagé qu'elle prenne bien la chose. Et c'est d'un ton plus léger que grave qu'il reprit la parole :

- A moi aussi, ça me fait tout drôle. Mais au fond, cela ne change pas vraiment que je suis. J'ai même l'impression que c'était le prolongement naturel de ce que j'ai appris avant. Le plus perturbant sera de porter une aube pour les cérémonies ! La dryade a affirmé que c'était nécessaire mais tu imagines ?

" Heu... Non, non, je n'imagine pas..."
Elle le fixait d'un drôle d'air, peinant à assimiler sa nouvelle vocation.
" Mais... Bon, tu dis que ça ne change rien... Mais quand même... Un clerc... Ça veut dire que Mielikki passe avant tout pour toi, désormais..."
Ce qui ne semblait guère susciter son enthousiasme.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Peyregorde