La Couronne de Cuivre

" J'ai pas signé, sur l'acte de mariage, j'ai fait un craboutcha."
Il sourit.
" Ici, j'ai fait ça bien. Tu m'avais prévenu. Engagé sur l'honneur, tout ça, en vertu des lois, blablabla. Et oui, j'ai tout lu ! C'était bien ce que j'avais dit... même si franchement... me souvenais plus que j'avais parlé AUTANT ! Mais c'est pas une surprise, faut l'admettre."

-Ca c'est sûr !
Il sourit.
-Mais c'est bien d'avoir fait ça sérieusement : c'était important. A présent, encore un peu de patience et nous pourrons rentrer à Vauxgrisants.

Baptiste revint peu après et ce fut le tour de Taliesin. On l'emmena dans la petite pièce voisine, il put relire sa déposition à son aise, et il n'y trouva rien de contraire à ce qu'il se souvenait avoir déclaré. Une fois qu'il eut signé, le sergent Bluetower reprit les documents et les rangea.
" Avant de vous laisser partir, j'aurais voulu vous poser d'autres questions. Cela ne prendra pas longtemps. Elles concernent votre compagnon, Phelan Dravon. Avez-vous quelques minutes à me consacrer ?"

Bigre, Phelan se serait-il finalement enfui, comme il l'avait fortement envisagé ?
-Bien sûr, répondit-il.
Il n'avait de toute façon pas vraiment le choix.

" Merci. Je vais aller droit au but. Est-ce que je peux savoir dans quelles circonstances vous l'avez rencontré, et ce qui vous a amené à voyager avec lui ?" dit le sergent, en sortant une feuille de parchemin qu'il posa sur la table.

Le barde lui répondit d'autant plus volontiers que rien de ce qu'il pouvait dire n'était susceptible de nuire au jeune homme.
-Je l'ai rencontré alors que j'enquêtais sur la disparition de l'amie que j'ai mentionnée dans ma déposition. Un marchand m'ayant informé qu'il avait vu Phelan discuter avec elle dans sa boutique, je suis allé le trouver dans l'espoir qu'il puisse m'en dire davantage sur ce fameux travail au cours duquel elle s'est volatilisée. Il n'a pas été en mesure de le faire mais il a accepté de m'aider à la chercher, ce qui a été fort bienvenu à l'heure où personne d'autre ne semblait prêt à me soutenir dans mes démarches. Ayant lui-même consulté les petites annonces de la Guilde des Marchands, il a pu me dire celles qui avaient été retirées du tableau, ce qui nous a offert trois pistes à suivre. Celle menant au garde-chasse s'est finalement avérée être la bonne.

Le sergent prit note des informations que Taliesin lui fournissait, hochant la tête au fur et à mesure de son récit.
" Vous a-t-il expliqué ce qu'il faisait dans la Vallée ? Comment il y était arrivé, pourquoi, et ce qu'il comptait y faire ?"

-Je sais qu'il est originaire de Solarcis et je pense qu'on peut le définir comme un aventurier. Il ne m'a pas dit ce qui l'a conduit dans la Vallée mais ce qui est sûr, c'est qu'il y cherche du travail. Vainement, d'ailleurs : il semble que ce soit assez difficile d'en obtenir un, pour un étranger... Bref, il aimerait se rendre dans un lieu où ce soit plus aisé mais cela lui est impossible : il n'a pas de cheval, pas de quoi se payer une place dans un coche et il tient à éponger son ardoise auprès de l'aubergiste qui le loge. Pour être franc, je songeais d'ailleurs à lui donner un coup de main : sa situation semble inextricable et comme son aide m'a vraiment été précieuse...

A nouveau, le sergent consigna tout ce que Taliesin lui disait sur son parchemin. Il releva ensuite les yeux et lui sourit, avant de se lever.
" Ce sera tout. Merci pour votre collaboration."
Il ouvrit la porte qui menait dans la pièce voisine, où se trouvaient toujours Victor et Baptiste, bavardant sur leur banc.

-Un instant, s'il vous plait...
Il chercha ses mots.
-Phelan est-il venu signer sa déposition ? S'il ne l'a pas encore fait, voulez-vous que je passe à son auberge et que je vous l'envoie ? Je sais que tout cela l'inquiétait : il avait peur d'être soupçonné uniquement parce qu'il est étranger et craignait, de surcroit, qu'être mêlé à cette histoire le prive définitivement de tout espoir de trouver du travail. Bref, s'il a besoin d'un petit encouragement pour accomplir cette démarche, je suis tout prêt à le lui donner. Après tout, je suis également un étranger, ici, et je peux témoigner du fait que ce n'est pas pour autant qu'on m'a causé des ennuis...

" Vous êtes gentil de proposer votre aide, mais ce n'est pas votre rôle, et ce n'est pas nécessaire. Nous savons très bien où se trouve messire Dravon. Je voulais juste plus d'informations le concernant, c'est tout."
Il s'inclina.
" Je vous souhaite une bonne fin de journée."

La réponse le laissa perplexe. Il avait juste proposé d'encourager Phelan a se présenter ici, en aucun cas de se mêler à l'enquête.
-Bonne journée à vous aussi, répondit-il néanmoins, souriant.
Puis il fit signe aux garçons de se lever.
C'était fou comme il en fallait peu pour que s'insinue en lui un sentiment de malaise, dans cette vallée...

Les deux garçons l'accompagnèrent dans les couloirs et ils regagnèrent la rue. L'heure du midi approchait.
" Est-ce qu'on peut manger dans une auberge, ici ? demanda Baptiste, dont c'était la première visite. Il doit y avoir une gastronomie intéressante... et puis on pourrait essayer de trouver quelque chose à ramener pour Mona... Une bonne bouteille, je ne sais pas... Après tout, elle nous héberge... Ça me semblerait gentil."

-Bonne idée !
Il aurait bien proposé d'aller à l'auberge de Phelan mais... vu son échange avec l'officier, il craignait de nuire au jeune homme s'il allait aussitôt lui rendre visite.
-Est-ce que ça te va, Victor ? Sachant que si tu le souhaites, tu pourras retourner tout seul à Vauxgrisants après le repas, pour retrouver tes amis ?

" Hum, oui, ça va." dit le gamin.
Baptiste eut un sourire réjoui et prit la tête de leur équipée, furetant dans les rues, jusqu'à trouver un troquet dont s'échappaient de délicieuses odeurs. Il leur réserva une table en terrasse, puis se mit à inspecter la carte en connaisseur. Victor, de son côté, bâilla aux corneilles.
" Oh la la... Je ferais bien une sieste, moi. Au retour, tu prendras le cheval, et je roupillerai dans le chariot."

Tiens, il renonçai à son idée de revenir au village avant eux ? Il fallait vraiment qu'il soit crevé...
-Ta nuit n'a pourtant pas été si courte que ça, vu que tu t'es couché tôt... commenta-t-il. Mais si tu veux dormir dans le chariot, pas de souci.
Sauf qu'ils attacheraient Minuit à l'arrière : il ne pensait pas que Baptiste ait très envie de conduire seul le véhicule.

Ils mangèrent de bon appétit, une cuisine rustique mais non dénuée de surprises, Baptiste, évidemment, réussit à se faire inviter en cuisine. Il en ressortit avec deux petites bouteilles d'huile et une de vin, puis déclara leur expédition terminée pour le jour. Il avait néanmoins envie de revenir et de passer quelques jours à Champsdor, ce dont il fit part à Taliesin, tandis qu'ils reprenaient la route de Vauxgrisants.

-Quelques jours, cela fera peut-être un peu beaucoup. Mais on prendra le temps de revenir et de bien visiter, promis.
Sans doute en profiterait-il pour envoyer une nouvelle lettre à Galathée. Vu comme les choses étaient parties, ils demeureraient ici davantage que la veille initialement envisagée. Alors certes, ils pourraient opter pour un prompt retour mais mais leur absence ne s'en prolongerait pas moins quelque peu.

Baptiste se contenta de ce que Taliesin avait à offrir et reprit sa contemplation de la campagne, tandis que Victor, fidèle à ses intentions, s'allongeait pour faire la sieste. Après des nuits passées dans les grottes de Mersant, dans la cale de la Liberté, dans la neige autour des Rocheuses du Dragon, il n'eut aucun mal à s'endormir en plein soleil, sur sa veste déployée. Son frère en fut très impressionné.
" Je voudrais avoir ça, cette insouciance... la sensation que rien de fâcheux ne se produira... c'est de l'inconscience, je le comprends bien, mais dans le même temps... c'est reposant."

C'était malheureusement un peu plus compliqué que ça...
-Je vois ce que tu veux dire, répondit-il néanmoins. D'autant que je ne suis pas sans parfois lui envier cette forme d'insouciance. D'un autre côté, être davantage soucieux permet de voir venir les ennuis, de les éviter ou, au moins, de mieux les affronter. Et puis... Il n'est pas impossible de se rasséréner : si l'on songe aux situations apparemment désespérées dont nous avons pourtant réussi à nous tirer, plus rien ne paraît vraiment insurmontable.

" Oh, mais je ne parlais pas dans l'absolu. Je parlais de cette tendance... moi j'aurais peur de me prendre une fiente d'oiseau... et chaque cahot de la route me réveillerait... lui, rien, ça entre probablement juste dans son rêve... et même s'il reçoit un paquet puant du ciel, il se contentera de jurer en brandissant le poing vers les nuages, puis il se rendormira..."
Il sourit.
" Mais je sais que c'est un équilibre à trouver. Et il a raison de te faire confiance : tu ne vas pas envoyer le chariot dans le fossé."

-Je pourrais essayer, tiens, juste pour voir sa réaction...
Il retrouva vite son sérieux.
-Mais tu sais, tu es également en train de le trouver, cet équilibre. Peut-être ne seras-tu jamais aussi insouciant et confiant que Victor mais... Tu dors beaucoup mieux qu'avant, je te sens plus à l'aise, plus sûr de toi et bien que notre voyage ait été émaillé de sacrées péripéties, tu fais front sans jamais demander qu'on rentre à la maison.

" C'est un fond de curiosité qui me reste. Et un fond de courage. Je ne sais plus qui disait qu'on ne peut pas être courageux si on n'a pas peur."
Il sourit.
" Après, je suis là pour veiller sur Victor, voilà tout ! Il faut bien qu'un de nous deux prenne ce rôle. C'est comme ça qu'on fait les bonnes équipes."

-C'est vrai.
Et moi, je veille sur vous deux.
-Mais sinon... Cet après-midi, si Titus reste avec Yann, si Victor va jouer avec ses copains et à moins bien sûr que tu n'aies envie de l'accompagner, il ne restera que nous deux. Donc, si tu souhaites que nous fassions quelque chose de particulier, n'hésite pas à me le dire.

" Je suis content de bouquiner, moi. Tu peux vaquer à tes propres occupations, je n'ai pas besoin qu'on me chaperonne."
Il lui fit un clin d'oeil et désigna son carnet.
" J'ai des recettes à retranscrire, et puis je voulais interroger Mona sur les histoires de la région... des choses comme ça."

-D'accord. Mais, tu sais, je ne voulais pas te chaperonner : je tenais juste à ce que tu ne t'ennuies pas. Et comme je vois que tu as de quoi t'occuper, tout est parfait.
Bon et bien, il allait se retrouver tout seul, au final. Sans doute irait-il se promener : par une journée si magnifique, il ne se voyait pas s'enfermer dans sa chambre pour lire. Il ferait plutôt ça le soir venu.

Dès qu'ils atteignirent Vauxgrisants, comme muni d'un détecteur magique, Victor sortit de son sommeil et sauta du chariot. Il souhaita une belle fin de journée à ses compagnons et détala entre les maisons, à la recherche de ses comparses. Baptiste accompagna Taliesin jusqu'à la maison de Mona, mais n'offrit pas de l'aider à dételer les chevaux : c'était trop lui demander. Il se rabattit plutôt à l'intérieur, sans doute pour chercher leur hôtesse et lui remettre ce qu'ils avaient rapporté de Champsdor. Une fois qu'il aurait réglé le problème du harnachement des deux animaux, le barde serait libre d'aller se promener...

Et c'est donc ce qu'il fit. Il n'avait pas d'objectif particulier, souhaitait simplement profiter des paysages riants de la vallée et s'imprégner de leur quiétude. Bon marcheur, il n'hésiterait pas à s'éloigner, veillant simplement à rebrousser chemin assez tôt pour être de retour à la maison un peu avant l'heure du repas.

La fin de journée n'apporta rien de particulier. Taliesin croisa le troupeau de porcs, accompagné de Titus et Yann, sur la route du retour et se joignit à eux pour rentrer. Le faune paraissait de bonne humeur, tout comme le porcher.
" C'est incroyable : il peut demander aux puces de laisser mes bêtes tranquilles. Je n'aurais jamais cru une telle chose possible... Bon, je sais qu'on n'a pas beaucoup d'insectes nuisibles dans la Vallée, grâce à Chauntéa, mais les protections se relâchent en bordure de forêt... Mais grâce à ce gosse... C'était beaucoup plus calme que d'habitude."

L'elfe sourit, heureux de constater que l'humeur du jeune homme s'améliorait.
-Ravi qu'il ait pu t'aider et que vous ayez passé une bonne journée.
Il n'avait pas manqué de noter l'évolution du terme employé pour désigner Titus : du faune, il était devenu "le gosse". Cela aussi, c'était bon signe.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile