La Couronne de Cuivre

-Même chose s'ils ne découvrent pas nos manœuvres mais décident d'explorer également la tanière : tout serait fichu. Seuls Baptiste et Victor doivent s'y engager.
Il se frotta le menton, pensif.
-Le mieux est de ne rien dire aux petits Merlus : même s'ils promettent de garder le secret, je crains que celui-ci ne finisse par être dévoilé. Ça va nous compliquer la tâche mais je ne vois pas trop comment faire autrement. Par contre, sans doute serait-il intéressant de mettre Guilhem dans la confidence. Il pourrait nous aider... Par exemple en interdisant à ses enfants de sortir de la maison une semaine durant.

Galathée rit de plus belle et un des jumeaux gémit, ce qui la mena à étouffer son rire dans ses paumes.
" Tu racontes vraiment n'importe quoi, Taliesin, dit-elle à mi-voix. Mais on peut peut-être... imaginer que Guillhem les emmène à l'autre bout du domaine. Il faut que l'aventure se règle rapidement... et je n'avais jamais imaginé — grands dieux ! — en parler aux gamins Merlu. Ce serait une catastrophe."

-Je ne sais pas si ça pourra être mené rapidement. Si ça se trouve, l'antre est assez grand... Et puis, il y aura toute une mise en scène à mettre en place, que le blaireau leur vole quelque chose de précieux ou fasse mine de les inciter à le suivre...
Il sourit.
-Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Déjà, repérer les lieux. Ensuite, voir si nous avons un trésor à cacher ou si les garçons ont des objets qu'ils feraient tout pour récupérer.

-Tu sais que tu aurais fait une excellente barde ? répondit-il joyeusement.
De fait, elle avait beaucoup, beaucoup plus d'imagination qu'elle ne voulait bien le reconnaître.
-Je trouve que c'est une très bonne idée. Il suffira que nous nous éloignions pour uee raison crédible qui expliquera également que nous ne répondions pas immédiatement à leurs appels éventuels et le tour sera joué.

" Bon, la chose est réglée, alors."
Elle remonta la couverture jusqu'à son menton : les nuits devenaient plus froides.
" Je m'occupe du terrier et tu t'occupes de tout le reste. J'ai épuisé tout mon talent de barde pour les six mois à venir."

-Que tu dis ! Moi, je suis convaincu que tu en as encore à revendre !
Il étouffa un bâillement.
-On mettra ça en place après mon expédition à Luménis. Tiens, d'ailleurs, Victor m'a demandé combien de temps ça durerait et il a été soulagé d'apprendre que ce serait juste pour une journée.
Cela le soulageait lui aussi. Et il avait vraiment hâte que ce douloureux épisode soit derrière lui.

Galathée grommela dans un demi-sommeil.
" C'est un chouette gosse, qu'imaginais-tu ? Que ça lui était égal ? Bien sûr qu'il est heureux que tu ne restes pas longtemps loin. Il est comme moi, tu sais ? Il ne veut plus de séparations avant un long moment. Ce sera dur, pour lui, ce procès... Pour nous tous. Et pour un enfant... C'est difficile de se fier aux promesses des adultes. Il supposera que nous lui mentons, même si nous lui jurons mille fois le contraire."

-Je ne suis pas très différent. Mon avocat aura beau me répéter inlassablement que l'issue du procès sera heureuse, je n'arriverai pas à en être totalement convaincu avant d'avoir entendu le verdict.
Il soupira, esquissa un sourire.
-Mais bientôt, ce verdict résonnera, je verrai que mes craintes étaient infondées et nous pourrons tous repartir de l'avant.
Vœu pieu ? Peut-être, mais c'était avec ce genre d'idées réconfortantes qu'il avait envie de s'endormir.

L'escorte qui l'attendait à la sortie du domaine ressemblait à celle qui l'avait conduite jusque là. On lui ouvrit la portière du véhicule et il retrouva Henri de l'Atalante, qui l'accueillit avec une tasse de thé chaud et une couverture. L'avocat semblait à moitié endormi sous la lumière diffuse d'une lampe à huile.
" Bon... bon je ne sais quoi, mon ami. Installez-vous. Vous avez le choix : on dort d'abord, on cause ensuite, ou le contraire. Pour moi, c'est kif."

-Bonjour, messire, répondit-il avec, aux lèvres, une ombre de sourire. Pour être franc, je n'arriverai pas à dormir que ce soit avant ou après notre discussion. Je dirais bien qu'apprendre les nouvelles tout de suite me permettrait de les digérer durant le trajet mais me connaissant, j'arriverai à m'inquiéter encore davantage même si elles sont bonnes. Alors... Faites à votre guise, vraiment. D'autant que je suis désolé de vous avoir contraint à un réveil si matinal.

" Oh, je n'ai pas si mal dormi, vous savez. J'ai profité de l'hospitalité d'une sympathique petite auberge, à Pré aux Clercs, qui gagnerait à se trouver dans les bons guides du voyageur. Bon, en même temps, je suppose qu'elle perdrait du coup son côté familial. Plus de monde, aussi. Bref, je vais me la garder. Mais je vous en ai déjà parlé, donc... C'est foutu. Mais bon, vous avez un toit proche, ça ne vaudrait pas le coup. Par contre, pour la table..."
Il sourit.
" Honnêtement, dans mon métier, on ne dirait pas mais... on a souvent des horaires assez chaotiques."
Le chariot s'était ébranlé, ses roues cliquetant sur la route.

S'il s'efforça de n'en rien montré, l'elfe n'en était pas moins aussi surpris que décontenancé. L'avocat avait dormi à l'auberge, alors que Lumenis n'était qu'à une heure de distance ? Peut-être avait-il voulu pouvoir se lever plus tard ou, peut-être, ne vivait-il tout simplement pas dans la cité... De toute façon, ce n'était pas cela qui le déroutait le plus. Non, ce qui le détourait le plus, c'est qu'il ne parvenait pas à déterminer si son interlocuteur tentait de le mettre à l'aise, s'il essayait de noyer le poisson ou s'il avait tendance à badiner quand il n'était qu'à demi-réveillé.
-Je peux l'imaginer... répondit-il, sincère.
Certains dossier devaient l'amener à se déplacer fort loin, à se lever fort tard...

Dire qu'il s'était imaginé que l'audience aurait lieu dès son arrivée au Palais de Justice... Mais cela avait été idiot de sa part : une journée entière n'aurait pas été nécessaire, s'il avait dû en être ainsi... Enfin, il fallait voir le bon côté des choses : ce séjour dans une cellule, aussi confortable soit-elle, serait une manière d'acclimatation avant la prison...
-Je suis toujours d'accord, répondit-il simplement.

-C'est réconfortant à entendre. S'il n'y avait que moi, peu m'importerait que des rumeurs voire des informations filtrent : une fois ma peine purgée, il me suffirait de quitter Helonna. Mais voilà : je ne suis pas seul et une telle échappatoire est inenvisageable, puisque je vois mal ma famille ou mes amis quitter leur terre natale... ou d'adoption. Il faut donc tout mettre en œuvre pour qu'on ne puisse pas les relier d'une manière ou d'une autre au Monstre, sans quoi ils pourraient en pâtir.
Et il refusait qu'il en aille ainsi.

" C'est bien l'idée, dit l'avocat avec un léger sourire. Evidemment, vous êtes drôlement... voyant, et de nombreux Luméniens vous connaissent de vue. Vous serez toujours associé à cette sinistre histoire, quoi que nous fassions. Pas la partie Kanter, bien sûr. Bien sûr, il reste le problème des Kanters eux-mêmes... Mais je ne pense pas qu'ils se déplaceront pour témoigner à votre procès !"

-Je ne pense pas non plus, parce que le frère serait aussitôt inculpé d'enlèvement et d'esclavagisme, tandis que la soeur pourrait fort bien être jugée complice...
Ce n'était pas très rassurant de penser que ces deux-là étaient libres - libres de leur nuire encore, notamment. Mais s'ils étaient pris, il faudrait sans doute dire adieu à tout espoir de secret.
-Pour le reste, nous verrons bien après le procès. Si m'être associé s'avère trop problématique pour ma famille, nous pourrons toujours aller nous installer ailleurs sur Helonna. L'île est vaste et il doit bien y avoir des endroits où imon nom est moins connu.

" C'est certain, dit l'avocat avec un calme sourire. Et nous devons envisager que vous puissiez être banni de Luménis. Je ne pense pas que le risque soit très élevé : c'est une peine qu'on ne prononce plus très souvent et ce serait vous reconnaître coupable de quelque chose, ce que nous ne voulons pas. Par contre, il est extrêmement probable que vous écopiez d'une interdiction de faire de la politique à vie. J'espère que vous n'aviez pas l'intention de vous présenter aux prochaines élections..."

Il ne put s'empêcher de rire.
-Messire, à chaque fois que j'ai exercé des responsabilités, ça a toujours viré à la catastrophe. Alors croyez moi, on ne m'y reprendra plus jamais. J'espère simplement reprendre mon métier de barde dans le cadre duquel, au moins, je n'ai jamais causé de drames. Mais si ma... notoriété m'empêche de l'exercer en cette ville et si ma famille ne souhaite pas déménager, qu'importe, je trouverai un travail purement alimentaire.
Dans l'absolu, être banni ne l'aurait pas le moins du monde dérangé, dans la mesure où Luménis n'était rien pour lui, sinon un amas de souvenirs extraordinairement douloureux. Mais comme Victor et Baptiste étaient luméniens, il valait mieux que ce verdict ne soit pas prononcé.

Il acquiesça.
-Honnêtement... Tout ce qui m'importe, c'est qu'après le procès, je puisse continuer a vivre avec les miens et contribuer à nos finances. Après, les restrictions, les contraintes... Ce ne sont que des détails, en comparaison.
Il était sincère même si, il le savait, l'envie serait forte de quitter la ville et ses abords pour prendre véritablement un nouveau départ.

" Bien. Gardez à l'esprit que dans une certaine mesure, votre peine pourrait se négocier. Il faudra voir ce que vous proposez d'amener sur la table en échange de votre acquittement. Ce n'est pas du tout ou rien. Mais il est beaucoup trop tôt pour en parler. Si ça se trouve, les choses iront tellement vite en notre faveur que nous n'aurons à nous inquiéter de rien."
Il se carra dans son siège.
" J'ai cependant des questions à vous poser sur vos complices de l'époque. Leurs noms, leur signalement... Il est certain que l'accusation va en citer une partie à la barre. Mais nous pouvons en citer aussi, si vous pensez que certains pourraient attester de votre folie."

" Taliesin, dans bien des cas, les criminels peuvent obtenir une réduction de peine s'ils balancent leurs complices, dit l'avocat avec une grimace. D'autant plus dans votre cas : vous êtes hyper charismatique, vous avez levé une révolution à Mélandis, guidé un peuple au travers du désert, on vous appelait le Prophète, certains voyaient en vous un envoyé des dieux... N'importe quel esprit simple pourrait sans aucune difficulté convaincre une cour que vous l'avez manipulé, intimidé, charmé, forcé à son corps défendant à devenir votre exécutant. Et l'accusation en a sûrement dans ses tiroirs. Mais ceux qui pourraient vous soutenir bénéficieront de la même clémence."

-Ils s'en tireront encore mieux si personne, jamais, ne sait ce qu'ils ont dû accomplir. Or, si je les ai entraînés dans ma descente vers la plus ignobles des folies, il ne sera pas dit qu'ils seront jugés à cause de moi, pour ce que je les ai contraints à faire.
Il soupira.
[color=#FFFFF66]-Mais peu importe, au fond car, sachez-le, aucun d'entre eux ne témoignerait en ma faveur. Le dernier que j'ai croisé... C'est lui qui m'a dénoncé aux Kanter et c'est donc grâce à lui qu'ils ont pu nous capturer tous les trois, ma compagne, notre garçon et moi. Même après qu'en manière de remerciement, ils l'aient expédié en ma compagnie, yeux crevés, aux mines de Gargouille, sa haine légitime à mon égard n'a en rien diminué.[/color]