La Couronne de Cuivre

Le barde se trouva pris de court : il avait imaginé s'entraîner avec Martin sitôt le repas terminé... Et voilà que le courtisan partait pour une sieste.
Restait donc à se trouver une occupation... Et comme faire ébouler des rochers était hors de question - cela l'aurait réveillé -, il se tourna vers les gamins.
-Que préférez-vous ? Poursuivre vos recherches et me présenter vos découvertes en une fois ou, déjà, me montrer vos premières trouvailles ?

" C'est comme tu veux. On a juste entendu des endroits qui sonnent plus creux, quand on tape dessus."
" Alors on a mis une croix."
" Mais on sait pas, y'a peut-être juste un trou derrière."
" Ou alors c'est pas la même sorte de caillou, on n'y connait rien."
" On a fait plus ou moins la moitié de la caverne."
" Mais on est un peu limités par notre hauteur. Même si on se fait la courte-échelle, tout ça."
" Moi je crois qu'on va essayer de creuser l'un ou l'autre, histoire de voir ce qu'il y a derrière."

-Je ne sais pas si vous y arriverez. Vous êtes doués en bricolage, c'est certain ; mais comme je le disais tout à l'heure, je ne pense pas que nous ayons les outils nécessaires pour abattre une paroi. Sauf si elle est très fine, évidemment... Dans tous les cas, essayez de terminer vos recherches : vous nous aidez vraiment beaucoup.
Il était sincère : si les gamins parvenaient à leur dénicher une sortie, ils leur devraient une fière chandelle.
Toutefois, se posait toujours le problème de se trouver une occupation... A la réflexion, aller examiner les endroits marqués d'une croix ne servirait à rien : vu son peu d'accointances avec la pierre, il serait incapable de déduire si, oui ou non, un espace vide se cachait derrière.
-De mon côté, je vais filer un coup de main à Griselda, dit-il enfin.
C'était mieux que rien.

Mais le besoin presque maladif que Taliesin avait à se trouver occupé ne fut pas longtemps satisfait par les maigres nécessités de la vaisselle. Même en séchant à fond chaque millimètre des assiettes et couverts que Griselda terminait de laver, il en eut pour moins de dix minutes. La jeune femme le regarda avec une certaine inquiétude, apparemment sensible à son humeur, mais se garda bien de dire quoi que ce soit.
Martin ne tarda cependant pas à se relever et venir à sa rencontre, manifestement peu convaincu.

L'elfe l'accueillit d'un sourire : il ne s'était pas attendu à le voir si tôt levé.
-Tu te reposes vite, dis-moi... commença-t-il. A moins, bien sûr, que tu aies perdu le sommeil à cause de ce petit entraînement... Auquel cas, mieux vaut nous y mettre tout de suite, afin que tu te rendes compte que ce n'est pas bien méchant. A ce propos, tu as une idée de l'arme qui te conviendrait le mieux ? Épée longue ou courte ? Sabre ? Bâton ?

" A mon avis, je serais plus efficace au corps à corps. Ou à la dague. Mais tu me diras que face au cimeterre d'un pirate, je ne ferai pas long feu. Je ne ferai de toute façon pas long feu. Bref. J'aimerais... me rendre ?"
Il rit.
" Ne fais pas cette tête, je plaisante. Hum. Je n'en sais rien. Je ne suis pas très costaud, donc tout ce qui nécessite de la force est exclus. Je ne me suis jamais posé la question."

-Une dague peut toujours servir, tu sais. On doit avoir ça en réserve. Mais c'est vrai qu'il te faudra quelque chose d'autre... Hum, oublions donc le bâton ou l'épée longue : c'est plus gros, plus massif, ça te donne plus de puissance, mais... C'est plus difficile à manier, et plus lent. Optons donc pour quelque chose de fin, de léger et de rapide.
Et de l'entraîner vers le lieu où étaient entreposées les armes.

Martin suivit Taliesin jusqu'aux armes et les regarda, les mains dans le dos, sans savoir vraiment qu'en faire.
" Je ne me suis jamais servi d'une arme, tu sais." finit-il par dire. " Et je n'ai pour ainsi dire jamais assisté à leur usage non plus. Avant il y a quelques jours. C'est à toi de me guider. Je n'ai aucune idée de ce dont j'ai besoin. De ce qui serait le moins pire."

-Le souci, comme j'ai déjà pu le dire, c'est que je ne suis pas maître d'armes. Ni même bretteur... Enfin, je vais essayer de te dénicher quelque chose qui pourra t'aller. Et j'essaierai de te montrer comment je me sers de mon arme...
Il fouilla parmi l'entassement de lames diverses, finit par en extraire une épée courte d'assez bonne facture. Peu encombrante, relativement aisée à prendre en main grâce à sa légèreté, relativement maniable, aussi, pour la même raison, elle ferait peut-être l'affaire.
Après l'avoir donnée à Martin, il reprit ses recherches, qui aboutirent à la découverte d'une dague effilée de sinistre allure. Une arme drow, encore une fois.
-Te voilà équipé ! conclut-il.
Puis il l'entraina vers la partie de la caverne où il s'était entraîné avec Griselda. La séance allait pouvoir commencer.

Martin regarda les armes avec une mine plutôt horrifiée. Ses mains tremblaient. Mais il ne s'en défit pas. Il rejoignit Taliesin avant de déposer la dague sur le côté.
" C'est le genre de trucs qui s'enfoncent plutôt entre les côtes à l'improviste, non ?" fit-il d'un ton faussement léger, avant de reprendre place devant l'elfe. " Bon. Hum. Allons-y, alors. Je m'excuse déjà pour les espoirs déçus."

-Tu ne dois pas t'inquiéter : mon but, c'est juste que tu saches tenir cette épée, et en donner quelques coups. Histoire de pouvoir opposer une résistance, même brève, aux pirates. Dans certaines situations, quelques secondes peuvent tout changer, donner le temps à tes alliés de prendre l'avantage, de lancer des sorts, de faire une action qui sauve tout le groupe...
Il lui sourit à nouveau, puis se mit en devoir de lui apprendre les rudiments de l'escrime : comment empoigner l'arme, comment se mettre en garde, comment attaquer, parer... Il essaya de le faire avec lenteur, progressivement, et le fait qu'il ne soit pas un maître en la matière, les précautions qu'il devait prendre pour ne pas dire ou montrer de bêtises, lui semblaient presque constituer un avantage, en la circonstance. En tout cas, il n'allait pas trop vite en besogne.

Il apparut rapidement à Taliesin que si Martin était un maître de l'esquive, il ne serait jamais un bretteur efficace. Ou en tout cas pas aussi rapidement. Il parvenait à éviter la plupart des attaques, mais ne prenait jamais l'initiative, sauf quand il y était acculé. L'exercice paraissait lui causer un important désagrément, mais il ne se plaignit pas et continua à ferrailler aussi longtemps que le barde l'estimât nécessaire.

Celui-ci mit un terme à l'entraînement après une heure environ : c'était bien assez.
-Ma foi, je suis rassuré, et même très admiratif : tu seras dur à éteindre ! s'exclama-t-il en rengainant sa propre lame. Il faudra juste que, le cas échéant, tu n'hésites pas à plonger ton épée ou ta dague entre les côtes de ton adversaire. Mais je suis certain que tu le feras, si nécessaire.
Il lui avait en tout cas appris autant qu'il le pouvait. Au mieux, à présent, il pourrait répéter l'entrainement, afin que Martin ne perde pas la main, qu'il conserve les bonnes habitudes quant à la tenue de sa garde, aux parades...

" Le sport en chambre, quand il est pratiqué avec assiduité, n'est pas un exercice sans retombées." fit le courtisan avec un vague sourire.
Il parut cependant ravi de se débarrasser de son arme et s'éloigna rapidement du théâtre de leur entraînement. Griselda, qui les avait observés, gratifia Taliesin d'un geste de satisfaction silencieux, puis lui emboîta le pas : un petit thé, à moins qu'il ne s'agisse d'un remontant, semblait à l'ordre du jour.
Il y eut alors un grand craquement, puis un nuage de poussière envahit la caverne, provenant d'une des parois à son autre extrémité. Martin et Griselda se figèrent.
" Oups." fit la voix de Jehan.
" AÏEUH ! BOUSE !" répondit Victor, beaucoup plus fort.
La poussière les rendait invisibles l'un comme l'autre.

Bon, s'il a crié, c'est qu'il n'est ni assommé, ni mort... songea l'elfe pour se rassurer.
Espérant que la poussière ne tarderait pas à se dissiper, regrettant déjà de ne pas avoir interdit aux gamins de tenter de creuser les parois, il prit la direction d'où étaient provenus le vacarme et les exclamations.

La poussière se dissipa comme les adultes s'approchaient du théâtre des opérations. Jehan se tenait debout devant la paroi de la grotte, à mi-chemin entre le dernier lit et le défunt bassin d'argile. A hauteur de son front, il y avait à présent un énorme trou, large comme la roue d'un chariot, qui plongeait dans les ténèbres. De Victor, nulle trace. Il était manifestement passé de l'autre côté.

Une fois la situation jaugée, Taliesin ne perdit pas de temps en vains atermoiements ou en douloureuses inquiétudes. Il s'approcha du trou, se pencha, passa la tête à l'intérieur, espérant y repérer le disparu.
-Victor, ça va ? s'enquit-il.

Victor était assis sur un tas de gravats, de l'autre côté de la paroi, et la lumière provenant de la caverne magique suffisait à l'acuité elfique de Taliesin. Le gamin leva un regard furieux sur le barde.
" Oui, ça va !" grommela-t-il. " J'ai juste mal partout !"
Il se remit debout en époussetant ses vêtements et jura, réalisant apparemment qu'il avait quelques méchants bleus.
" Pas les outils nécessaires pour abattre une paroi ! Tout ça, c'est de ta faute ! Si tu ne m'avais pas raconté ça, je n'aurais pas tapé comme une brute ! Je ne serais pas passé à travers !"

La colère du petit garçon ne suffit pas à entamer l'aplomb d'un Taliesin bel et bien rassuré.
-Hé, mon grand, j'avais précisé "sauf si elle est très fine". Mais peut-être, effectivement, aurais-je dû ajouter "ou très peu solide".
Il sourit.
-Tu préfères que je t'aide à remonter ici ou que je vienne te rejoindre pour que nous explorions un peu ? Dans les deux cas, si tu en as besoin, je crois être en mesure de te retaper.

" J'ai pas besoin d'être retapé ! Je suis pas en verre, non plus, hein !" s'exclama Victor en se redressant pour le regarder.
Il était suffisamment grand pour atteindre le trou et y glissa les doigts pour se hisser.
" Mais je ne suis pas contre un coup de main, ceci dit."
Martin et Griselda les avaient rejoints.
" Tout de suite, je me sens moins claustrophobe." fit la jeune femme, souriante.

-N'est-ce pas ? fit joyeusement Taliesin qui ne s'était pas formalisé de la nouvelle rebuffade de Victor. Reste à savoir si c'est un passage et non pas une simple grotte, s'il va loin, mène vers d'autres galeries... Il n'est pas impossible que les garçons aient décroché le gros lot !
Il se pencha à l'intérieur du trou, espérant que la pénombre lui permettrait de se faire une idée de l'endroit fraichement découvert. Sinon, il ne lui faudrait guère de temps pour récupérer une chandelle.

De ce qu'il pouvait en voir, le conduit découvert par les garçons était prometteur : assez large, il continuait droit devant sur une vingtaine de mètres, avant de se subdiviser, apparemment, en deux autres tunnels. A première vue, son apparence ne rappelait rien à l'elfe : ce n'était pas simplement l'un des embranchements connus qui se serait déplacé. Des éboulis et quelques fissures décoraient les abords les plus proches du corridor, signe qu'il avait souffert, lui aussi, des tremblements de terre répétés qui avaient ébranlé Mersant. Cependant, il semblait praticable. Difficile d'en dire davantage à ce stade.

Le barde se tourna vers ses compagnons, leur fit un rapide compte-rendu de ses observations.
-Êtes-vous d'avis de commencer sans plus tarder l'exploration, ou préférez-vous que l'on remette ça à demain ? demanda-t-il.
Lui-même n'était pas contre un premier repérage. Néanmoins, il ne voulait pas l'imposer : les autres pouvaient avoir envie de se reposer encore un peu. D'autant qu'il ne s'étaient pas ménagés les heures précédentes.

" Je ne fais jamais du repérage couvert de sueur, personnellement." fit Martin en croisant les bras. " Je vais me laver et me changer. Boire ma tasse de thé. Et garder le fort."
" Je vais rester avec lui, je crois." dit Victor en se massant les reins, l'air de rien.
" Moi je viens !" s'exclama Jehan, excité comme une puce.
" Moi aussi." fit Griselda, qui s'était déjà mise en quête de l'une des lanternes.

-Soit, vous pouvez rester, dit-il en souriant. Mais de bain, point question, Martin : tu attendras notre retour. As-tu oublié ta noyade prochaine ?
La manège de Victor ne lui avait pas échappé, et il était bien tenté de lui lancer un sort de soin sans son accord ; toutefois, comme il ne voulait pas le vexer, il ne mit pas son plan à exécution, et se contenta d'attendre tranquillement que Griselda revienne.

La jeune femme fut rapidement de retour. Elle attendit que Taliesin ait franchi le trou pour aider Jehan à se hisser jusque là, puis rejoignit les deux garçons dans l'ombre. Elle décocha un sourire ravi à l'elfe.
" Quel est le plan ?" chuchota-t-elle.
Jehan examinait déjà les alentours en levant la lanterne qu'elle lui avait confié.

-Juste de faire un petit repérage, histoire de savoir si ça nous mènera à des éobulements, ou s'il s'agit d'un réseau relativement préservé par les secousses. Nous allons commencer par aller au premier embranchement, puis nous prendrons l'un des tunnels... Ah, il faudra aussi regarder le plafond, les parois : si ça paraît trop fragile, on rebrousse chemin sans tarder.
Déjà, il se mettait en route.

Le tunnel avait manifestement souffert des séismes mais il était difficile de savoir à quel point : les éboulements étaient nombreux, piles de rocs plus ou moins gros en tas difformes sur le sol, qu'il fallait parfois escalader, et des crevasses de petite taille s'ouvraient régulièrement dans le sol et les murs. Certaines n'étaient que des fissures, d'autres semblaient s'engouffrer jusqu'au coeur de Toril. Derrière Taliesin, Griselda et Jehan s'engagèrent en bavardant à mi-voix. Mais les parois de pierre amplifiaient chaque son, le répercutant dans toutes les directions.
L'embranchement ne permettait pas d'en savoir davantage. Un conduit semblait monter vers la gauche, un autre serpenter vers la droite. Derrière eux, le trou qui leur avait permis de sortir de la caverne n'était déjà plus qu'un rond de lumière ténue.

Taliesin hésita un instant, puis opta pour le tunnel de droite : leur progression n'était pas facilitée par les séquelles des tremblements de terre. Autant ne pas y rajouter, d'emblée, un dénivelé qui pouvait s'avérer des plus raides, au bout d'un certain temps.
Toutefois, avant de repartir, il prit soin de faire un petit tas de cailloux près de l'entrée du passage qu'ils avaient emprunté. Si la caverne était à nouveau plongée dans les ténèbres, ils n'en seraient pas pour autant perdus.

Le chemin sombre se profila quelques temps dans les ténèbres, mais finit par se subdiviser à nouveau, et à nouveau encore. Il semblait progresser au même niveau que leur caverne, mais c'était difficile à dire. Ils durent faire demi-tour une première fois, puis une seconde, devant des éboulements infranchissables, mais il y avait tant de possibilités qu'ils n'eurent pas à revenir à la case départ. Ils durent escalader des obstacles, marchèrent un long moment dans l'eau, mais ils étaient de retour dans Mersant la profonde.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Mersant

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