La Couronne de Cuivre

-C'est Ruth qui est venue, et je crains que "réquisitionner" soit un mot légèrement trop doux pour décrire la manière dont les choses se sont déroulées.
Le vieillard se racla la gorge.
-Mais vous n'avez pas répondu à ma question : que se passe-t-il ? Si j'ai bien compris ce qu'elle a dit... ou plutôt vociféré... vous avez demandé à une équipe d'aller ramasser des roseaux. Puis-je en connaître la raison ?

" Nous allons devoir nous mettre à couvert dans un fort situé sur un éperon rocheux. Nous ne pourrons probablement pas en sortir avant un certain temps et nous avons besoin de combustible. Comme nous ne pouvons pas nous arrêter... J'ai demandé à Varamyr de constituer un groupe qui pourrait ramasser un maximum de joncs et de roseaux. Cela nous fera toujours quelques réserves pour affronter les nuits à venir."
Il haussa les épaules.
" Je ne m'attendais pas à ce que Ruth en profite pour venir tirer Alban de son isolement. Elle a sauté sur l'occasion, évidemment."

-Et sur Alban. Au sens propre. Et à bras raccourcis, même. C'était pour le moins... impressionnant. Pour parler franc, j'ai failli la remettre à sa place, mais je n'ai pas réussi parce que...
Il haussa les épaules.
-Parce que je me suis demandé si, au fond, ce n'était pas elle qui était dans le vrai. Si ce garçon n'avait pas besoin qu'on le secoue. Certes, elle aurait pu être un peu moins... sauvage. Mais...
Il secoua la tete.
-En tout cas, vu ce que vous me dites, il est certain qu'il sera plus utile là-bas qu'ici. Nous n'avions plus rien à trier ou à ranger.

Hubert soupira.
" Barthélémy, je m'en veux de vous mettre dans une situation pareille mais... Je n'ai pas le temps, aujourd'hui, avec ce qui nous tombe dessus, de veiller sur eux... Je devine que vous non plus, et cavaler dans la boue n'est pas de votre ressort mais... s'ils revenaient par ici... Essayez de garder Alban avec vous, voulez-vous ? Tant qu'ils sont dehors, Varamyr et ses hommes veillent, mais... Je n'ai plus la latitude de m'occuper de leurs querelles... Pas pour l'heure, en tout cas."

Le viel homme acquiesça.
-Je ne peux pas quitter mon poste : il faut toujours quelqu'un de permanence au dispensaire. Mais si le petit se montre, je l'empêcherai de repartir. Vous avez ma parole. Pour le reste...
Il sourit.
-Quand Agnès sera revenue, j'aurai un peu plus de latitude. Alors n'oubliez pas qu'aux heures sombres, un clerc, tout chenu qu'il soit, peut-être utile. Même contre des cannibales.

" Barthélémy, soyez bien certain que je ne vous oublie pas. Je crains que personne n'ait l'opportunité de se soustraire à la nécessité, dans les heures et les jours qui viennent..."
Il sourit.
" Aussi reposez-vous tant que possible... et organisez peut-être une réunion avec vos pairs avant de prier, demain... Le choix des sortilèges que vous connaîtrez pourrait être déterminant..."

Barthélemy croisa les bras.
-Croyez-vous qu'après avoir entendu les tambours, je me suis contenté de hausser les épaules en me disant "Allez, on me le dira bien, quand il faudra me préparer" ?
Il sourit à nouveau.
-Non, messire Hubert, je n'ai pas attendu, je me suis préparé, et je tiens en réserve quelques surprises pour ces cannibales, histoire de leur apprendre ce qu'il en coûte de ne pas être végétarien.
Son expression se fit plus grave.
-Bien sûr, je ne suis pas le seul à avoir anticipé ce qui allait se produire. Je crois que vous trouverez la plupart d'entre nous plus prêts et plus déterminés qu'on ne le penserait de prime abord. Nous savions les risques qu'il y avait à entreprendre cette expédition, et si nous nous y sommes joints malgré touts, c'est que nous étions décidés à les affronter, le cas échéant.

" Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous insulter ou suggérer que vous étiez naïf... Je me rends bien compte qu'in fine, je dois être l'un des seuls à ne pas être vraiment préparé, dit-il avec un pauvre sourire. A ma décharge, je n'ai rejoint l'expédition qu'il y a dix jours, ça ne fait pas beaucoup de temps pour m'habituer aux risques et aux enjeux..."
Il salua le prêtre.
" Je ne doute pas que vous, et bien d'autres, serez à la hauteur."
Finalement, peut-être que Varamyr avait complètement tort et que tous ces gens étaient parfaitement capables d'affronter le pire. Barthélémy avait raison : les dangers étaient connus de tous, et depuis longtemps.
Sans plus attendre, Hubert retourna vers Edgar, attendre les informations que Robert ne tarderait sûrement plus à leur apporter.

L'instructeur lui apprit que rien ne s'était produit depuis qu'il s'étaient séparés. Rien sinon que l'aigle de Frida était réapparu. Ce qui, pour le coup, constituait une bonne nouvelle.
Ils le virent reprendre son envol quelques minutes plus tard. Dans son sillage survint Robert, au grand galop.
-J'ai l'aval du Conseil pour envoyer une équipe au fort, et j'ai prévenu Frida qu'elle aurait bientôt de la compagnie, fit-il sans perdre de temps. A présent, nous devons décider de la composition... Je pense qu'il est nécessaire de joindre un clerc à l'expédition, puisqu'il n'est pas impossible que des morts-vivants hantent les ruines, et Gabriel me semble tout indiqué. Un rôdeur me paraît également indispensable : il veillera à ce que le groupe ne s'égare pas et suive bien la route. Enfin, nous comptons des maçons dans nos rangs : ils seraient à même d'identifier les parties de la structures particulièrement abîmées, donc celles qu'il faudra éviter ou défendre en priorité.

Le conseil avait tranché dans le bon sens, c'était une excellente nouvelle.
" Combien de maçons avons-nous ? Je pense que nous ne pouvons pas envoyer plus de dix ou douze personnes... Il faut que le groupe soit rapide. Vu l'heure, j'ajouterais au moins un non-humain, idéalement doté de bonnes compétences, peut-être le barde demi-elfe ? Et quatre combattants de bon niveau, je dirais. A qui pensiez-vous confier le commandement de l'escouade ? Matthias ? Un des chevaliers ? Il faudrait idéalement quelqu'un qui accepte aisément de se soumettre à l'autorité de Frida une fois sur place. Vous les connaissez mieux que moi."

-Si vous n'étiez pas indispensable à ce point ici, c'est vous que j'enverrai : au moins pourrais-je avoir l'esprit parfaitement tranquille quant à l'efficacité et à la survie du groupe. Mais puisque les choses sont ce qu'elles sont...
Robert jeta un regard à Edgar - qui recula aussitôt sur sa selle - et soupira.
-Mathias, alors. Il est moins... impétueux que d'autres. Il ira avec quatre de ses hommes, deux de nos maçons, Gabriel, le barde et l'un de nos rôdeurs. Sauf erreur de ma part, cela faix dix. J'aurais bien ajouté deux membres supplémentaires mais là, je ne vois pas qui.

" J'enverrais un charpentier, dit Hubert. Il nous faudra plus que certainement démantibuler un ou deux chariots pour recréer des portes. Un homme expérimenté, avec le regard sûr, une bonne maîtrise de son art, pourra passer à l'action dès que le premier véhicule arrivera. Pour le reste, nous pouvons en rester là... Frida fera jonction avec eux et ils nous attendront pendant que nous pressons le pas sur leurs traces."
Il opina du chef pour lui-même.
" Rassemblons cette équipe. Ils auront peut-être une idée à nous soumettre. Il leur faut des chevaux rapides. Du ravitaillement."
Il arrêta d'un geste un des messagers.
" Robert... Vous pouvez retourner à votre conseil. Je vais gérer cet aspect des choses pendant ce temps-là."

Robert grimaça.
-Voilà que vous m'éconduisez, à présent. Pour me renvoyer à une élaboration de discours, de surcroit, domaine pour lequel je n'ai absolument aucune compétences...
Il soupira, sourit.
-J'y retourne donc. Oh, et d'accord pour le charpentier : c'est une excellente idée.
Il lui dédia un geste de salut, fit volter sa monture et reparti comme il était venu - au galop.
Au-dessus de leurs têtes, le ciel s'assombrissait de plus en plus.
Le soir venait. Mais de tambours, point.
Les cannibales devaient toujours être en train de festoyer de chair humaine...

Hubert se mit aussitôt au travail. Il envoya un de ses messagers chercher Mathias et quatre de ses hommes, l'enjoignant de prévenir au passage les autres officiers de Robert qu'il faudrait désormais lui suppléer. Il envoya l'autre débaucher Gabriel. Ensuite, il repassa chez les palefreniers pour demander à l'un d'entre eux de venir aider à sélectionner les chevaux qui feraient partie de l'escapade, même si cela signifiait mettre des soldats à terre. Il conseilla cependant à Arnaud (car il avait évidemment été sélectionné par ses pairs) d'éviter les chevaliers et les mercenaires, autant que faire ce peut. Matthias et ses soldats auraient leurs propres bêtes, mais les autres étaient à pied, et il fallait leur trouver des montures.

Arnaud choisit rapidement les six chevaux - il avait l’œil, semblait-il - et six soldats se retrouvèrent bientôt piétons, décontenancés mais n'osant pas poser de questions. Quelques minutes encore, et les onze membres de l'escouade étaient réunis en bordure de colonne. Restait à leur expliquer ce qu'on attendait d'eux, car une bonne partie, sinon la totalité, en ignoraient encore tout. La seule chose qu'ils savaient, c'est que la situation sortait de l'ordinaire et qu'on allait les envoyer en avant pour quelque mystérieuse mission.

Hubert décida de les informer à la tête de la colonne, pendant qu'un des messagers se chargeait d'aller leur remplir des outres d'eau et des besaces de nourriture. Ils remontèrent donc le convoi au grand trot puis formèrent un petit groupe à quelques mètres des premiers soldats.
" Comme vous le présumez, vous êtes en selle pour partir au devant du convoi. Le conseil ne va pas tarder à en faire l'annonce officielle : une tribu de cannibales se trouve non loin, à l'est, et nos chances de passer inaperçus sont nulles. C'est un groupe imposant, dangereux, et nous ne pouvons pas les affronter en terrain découvert si nous voulons leur survivre. Nous devons trouver refuge dans un lieu protégé, où nous devrons soutenir un véritable siège. Votre mission est de former notre avant-garde. Plus loin sur la route, se dressent deux forts, perchés sur des éperons rocheux. Ils constituaient les premières défenses de la cité où nous nous rendons. Au moment où vous arriverez à leur hauteur, Frida devrait avoir choisi celui d'entre eux qui est le plus propice à nous accueillir. Nous allons devoir les sécuriser rapidement, d'où votre présence..."
Il s'était tourné vers les maçons et le charpentier.
" Il faudra combler les brèches, réimaginer les portes, sans doute, et le vider de ses éventuels occupants..."
Il regardait cette fois Gabriel et les militaires.
" Vous devez filer le plus vite possible. Nous sommes derrière vous, nous ne nous arrêterons pas cette nuit. Une fois rendus, Mathias, c'est Frida qui prendra le commandement officiel de votre groupe."

Sa déclaration fut accueillie par un profond silence, comme les colons rassemblés digéraient les informations que le paladin venait de leur délivrer. Il y eut quelques grimaces, quelques soupirs, mais pas de manifestation spectaculaire d'angoisse : ils avaient été prévenus avant de rejoindre la Communauté, ils avaient entendu les tambours... Bref, ils avaient dû s'y attendre. Et la promesse d'un bastion où se réfugier constituait un bon espoir auquel se raccrocher.
Les maçons et le charpentier acquiescèrent sans mot dire. Mathias les imita lorsque ce fut son tour. Gabriel, lui, fit la moue :
-Il y a une horde d'ignobles cannibales dans les parages et on m'éloigne d'eux ? Scandale ! finit-il par s'exclamer, sans qu'il soit possible de savoir s'il était réellement offensé où s'il plaisantait.
L'instant suivant, l'un de ses compagnons lui rappelait que le fort abritait peut-être des morts vivants, et il opina du chef.
-C'est mieux que rien... Mais je vous préviens, Hubert : si c'est de la publicité mensongère, je ferai une sortie à la première occasion pour que ces abominables anthropophages goûtent de ma lame... Bon, on y va ?
Le rôdeur et le bardent prirent la tête du groupe et, quand ils furent ravitaillés, quand ils en eurent reçu l'autorisation, ils s'élancèrent, disparaissant bientôt dans les ténèbres grandissantes.

Hubert aurait voulu leur adresser d'ultimes paroles d'encouragement, mais il n'était plus temps, et Gabriel semblait taillé pour surveiller le moral de la petite équipe. Le paladin regrettait à moitié de ne pas faire partie de cette escouade : c'était le genre de mission qui lui aurait convenu, qui lui aurait rappelé sa jeunesse, qui aurait, un moment, déchargé ses épaules. Mais c'était justement pour cela qu'il ne pouvait pas les accompagner. Toute la colonne restait derrière, les cinq cent membres de la communauté, et les tambours retentiraient bientôt. Il faudrait être là pour superviser cette longue nuit, intense et terrible, calmer les esprits, presser les chevaux, éventuellement repousser un premier assaut...
Un moment, il contempla la pénombre, seul en tête. Puis il ferma les yeux, laissa le vent froid lui frôler le visage.
Il était vivant. Il entendait bien le rester. Il entendait bien qu'ils le restent tous.
Il fit volter Grand Vent et repartit en arrière. Si le conseil ne prenait pas bientôt fin, il faudrait sans doute aller voir les assistants d'Ignace pour lancer le dîner, toujours sans s'arrêter. Dans leurs chariots obscurs, les colons devaient commencer à comprendre que la nuit serait particulière...

Le conseil avait pris fin, cependant : il le constata rapidement, car Robert vint à sa rencontre. Au galop, évidemment.
-Il sont partis, constata-t-il. J'aurais aimé... Bah, peu importe : je suis certain que vous avez fait tout ce qu'il fallait.
Le chevalier plissa les yeux : d'ici quelques minutes, allumer des torches deviendrait indispensable.
-Étienne et Marthe ont commencé à prévenir les colons ; sitôt qu'Ignace aura donné ses consignes pour le repas, il s’attellera à son tour à cette tâche, en compagnie d'Agnès, et je pense que nous devrions faire de même avec l'escorte. Mais d'abord... Edgar m'a dit que vous aviez discuté avec les palefreniers : c'était une excellente initiative. Et avez vous eu des nouvelles des ramasseurs de roseaux ?

" Je suis désolé d'avoir donné le signal du départ en votre absence, dit Hubert, confus. J'espère que je leur ai donné toutes les informations nécessaires. Ils étaient équipés, en selle, armés... Bon, les civils avaient l'air un peu défaits mais Gabriel débordait d'énergie..."
Il eut une grimace.
" Pour le reste, je ne sais pas où en sont les ramasseurs de roseaux... J'ai confié cette tâche à Varamyr... Bon, je sais que Ruth et Alban se sont accrochés, mais au-delà... Je dois avouer que je ne peux plus m'occuper sans cesse d'eux. Pas cette nuit. Varamyr les aura recadrés au besoin. Et à présent, vu la lumière, j'imagine qu'ils ont terminé ou qu'ils sont en train de se replier. On peut le vérifier aisément."

Le chevalier avait écarquillé les yeux.
-Pouvez-vous m'expliquer ce que Ruth et Alban viennent faire dans cette histoire ?
Il secoua la tête.
-Non, oubliez : je fais confiance à Varamyr et, de toute façon, nous avons des points autrement plus urgents à régler. A commencer par notre système défensif... D'une part, avec la tombée de la nuit, un certain nombre de nos éclaireurs vont devoir regagner la colonne ; d'autre part, il me parait nécessaire d'envoyer une partie de nos soldats se reposer, sans quoi ils seront moins efficaces si un combat venait à survenir avant notre arrivée au fort... Bref, je crains qu'il ne faille mobiliser des civils, en premier lieu ceux dotés de vision nocturns.

Hubert acquiesça.
" Ça me parait effectivement nécessaire. Si nous partons du principe que les Cannibales nous avertiront du début de la chasse, nous pourrions mettre le gros des troupes au repos, conserver des guetteurs et une équipe allégée, quitte à ramener tout le monde sur le pont au moment où les tambours cessent de retentir. Vous me direz que personne ne dormira quand débutera leur litanie, mais autant profiter du temps dont nous disposons maintenant pour organiser ce qui doit l'être, je suppose..."
Il fit signe à un homme qui passait à proximité et lui demanda d'aller prendre des nouvelles de l'opération de ramassage des roseaux. Même s'ils n'avaient plus le temps de s'en charger, il était nécessaire d'y mettre un terme. Robert n'avait pas besoin de soucis supplémentaires.

-Escorte minimale mais suffisante afin de repousser d'éventuelles bandes de morts-vivants, donc... reprit Robert quand il en eut terminé. Concernant les civils, je crois plus décent d'attendre qu'on leur ait expliqué la situation pour les mobiliser, ce qui veut dire que, dans l'immédiat, nous ne pouvons qu'alléger très modérément le dispositif qui les protège. En revanche, je peux dès à présent envoyer se reposer une bonne partie des soldats surveillant le train des bagages : ceux-ci sont important, certes, mais il faut bien faire des choix et, surtout, profiter de ce répit tant qu'il dure.

" D'accord, dit le paladin. Gardons cependant des hommes en faction dans la direction approximative d'où pourraient arriver les Paludiers. Je sais que s'ils décidaient de nous attaquer rapidement, ils prendraient probablement le temps de repérer nos points faibles, mais autant ne pas complètement nous dégarnir..."
Il pinça les lèvres.
" Cela me fait penser... Savez-vous si les Paludiers sont complètement humains ? Je veux dire... Sont-ils capables de voir dans le noir ?"

-On ne peut exclure la possibilité qu'il y ait quelques métis dans leurs rangs, mais il me semble qu'ils sont presque tous humains, et que le Sang des Landes ne leur confère pas la vision nocturne. Cependant, certains d'entre eux peuvent s'aider de leurs compagnons animaaux et tous ont des sens très aiguisés, sans compter que nos propres lumières luisent comme un phare dans la nuit... Bref, ils ne voient pas dans l'obscurité mais sont probablement moins démunis que nous face à celle-ci.
Il sourit.
-Enfin, que la plupart d'entre nous.

Hubert se sentit rougir. Etait-il possible que le gosse... ? Non, il lui avait demandé de ne rien en dire et Alban était loyal... mais peut-être considérait-il que Robert ne comptait pas vraiment comme une personne extérieure et se sentait-il tenu de tout lui dire...
" Je... heu... Hum, fit-il simplement. C'est vrai qu'on nous voit de loin... Mais j'imagine que dans le noir, le marais est traître aussi pour les Paludiers. Sauf s'ils ont des arrangements avec les feux follets et les zombies... Ce que j'ai du mal à imaginer, même venant de cannibales... après tout, ils sont concurrents. Et il n'a pas suffisamment gelé pour que les mares et les tourbières soient sans danger... Non, je veux croire que la nuit est un handicap."

-Je veux le croire aussi, même si je me dis qu'envisager le pire et essayer de le prévenir ne peut pas faire de mal. Mais ce n'est sans doute pas très bon pour le moral.
Il jeta un regard derrière lui, en direction des chariots renfermant le matériel.
-Bon, je vais envoyer une partie de mes braves au lit... Ah, une dernière chose... La distribution des objets magiques a débuté : nous avons préféré commencer par les armes et les armures, parce que la plupart des membres de l'équipe qui a pénétré dans le tumulus sont de bons combattants et parce qu'elles les rendront encore meilleurs... Je voulais cependant vous demander si vous aviez une préférence. Je sais qu'on est parfois très attaché à son propre équipement et que, par conséquent, on peut dans certains cas l'utiliser plus efficacement... ou avec plus de confiance... qu'on ne le ferait de nouveaux artefacts, fussent-ils enchantés. Nous n'avons donc pas encore statué sur votre dossier : je ne souhaitais commettre aucun impair en vous imposant quelque chose qui ne vous conviendrait pas.

" Oh, fit le paladin. Ça m'était presque sorti de la tête. Heu... Je ne sais pas exactement ce qui a été remonté, je dois dire que ce n'était pas mon souci principal, sur le moment..."
Il haussa les épaules.
" Vous avez raison de penser que j'ai un attachement sentimental à mon matériel... En même temps, je suis bien forcé de reconnaître que mon harnois n'est plus de première jeunesse, que mon bouclier est mourant et que mon épée n'est plus complètement aussi efficace qu'autrefois..."
Il la fit jouer dans son fourreau, doucement, presque religieusement.
" L'idée d'abandonner l'un ou l'autre sur le bord de la route me serait très difficile... "

-Rien ne vous obligerait à les laisser sur le bord de la route... Mais vu la situation, je n'ai aucune envie de vous causer le moindre déchirement d'aucune sorte. Une amulette ou un anneau de protection pourrait faire l'affaire, ne serait-ce que temporairement. De toute façon, le temps manque pour tergiverser...
Il rassembla ses rênes.
-Cette fois, j'y vais. Nous nous retrouverons quand j'aurai envoyé mes hommes se reposer : il y aura bien d'autres mesures à envisager, je pense... D'ici là, essayez de prévenir vos troupes de ce qui se passe.
Déjà, il faisait volter sa monture.

Hubert acquiesça puis envoya Grand Vent vers l'avant de la colonne pour prévenir ses hommes de la situation. Tout en caracolant d'un groupe à l'autre, il songeait à cette histoire d'équipement. Ce n'était pas facile de décider sans savoir exactement ce dont ils disposaient et il était habitué à ses vieilleries, la panoplie de Maleval, comme l'avait joyeusement baptisée son frère aîné, Arnaud. La panoplie de Maleval avait désormais plus de vingt ans et même si elle n'avait pas connu beaucoup de réelles batailles, elle accusait son temps. Mais le paladin aimait l'idée de parvenir à porter le même harnois que lorsqu'il était encore un sémillant jeune chevalier. Il était juste un peu plus serré aux épaules, signe qu'il avait gagné un rien en carrure, ce qui était plutôt bon signe, dans la profession. Et puis elle avait une allure particulière, la marque de fabrique de l'atelier de son père, un "côté exotique" disait Béranger de Solarcis.
Il ne put s'empêcher de sourire et revint dans l'instant présent. Il y avait toute une colonne à avertir des perspectives meurtrières des heures à venir.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une route oubliée