La Couronne de Cuivre

" Comment ça avance, tes recherches ? J'ai l'impression que... pas beaucoup, dit-il avec une grimace, avant de siffler pour ramener un porc vagabond dans le gros de la troupe. C'est la poisse, tout ce qui se passe, pour l'instant. Comme si Beshaba avait décidé de s'installer sur le coin... Diable, franchement, le printemps est pourri cette année."

-Oui...
Il y avait quasiment de quoi retrouver sa vieille conviction selon laquelle la malchance le suivait partout où le menaient ses pas.
-Pour mon amie, rien de nouveau, et tant qu'il n'y en aura pas, du nouveau, on en restera au point mort. Pour les ruines... J'ai peur que si je m'y rends, des gens se demande ce que je peux bien ficher dans ce bois et n'aillent y jeter un coup d’œil, ce que j'aime autant éviter.
Il haussa les épaules.
-J'espère pouvoir retourner là-bas mais même si ça n'est pas le cas, j'ai déjà fait pas mal d'observations. Et puis, honnêtement, je m'estimerais déjà heureux si la situation ici s'améliore avant mon départ et si je parviens à retrouver Cordélia saine et sauve.

" Mieux vaut pas s'en mêler, de toute cette affaire d'elfes et de centaures, si tu veux mon avis. C'était gentil de rendre service à Démétrius, mais maintenant, ce sont les autorités qui doivent gérer... Le mieux, ce serait même de laisser les elfes s'en charger, mais apparemment, on peut pas."
Il soupira.
" Pourquoi c'est arrivé juste près d'ici, j'en sais rien... Les gens sont un peu à cran, du coup, fatalement..."

-D'autant plus que d'ordinaire, la vallée est paisible...
Soupir.
-Enfin, nul doute que les autorités finissent par éclaircir ces mystères. Et je compte d'autant moins m'en mêler que j'ai proposé mon aide mais qu'on ne l'a pas jugée nécessaire : du coup, j'ai l'esprit plutôt tranquille, à ce niveau.
Il esquissa un sourire.
-Bon, si ça ce met, à l'occasion, que dirais-tu de venir avec nous aux ruines ? Il y a ces fameux phénomènes que tu as manqués la dernière fois et auxquels tu devrais quand même assister : tu es le découvreur, après tout.
Et peut-être cela lui changerait-il les idées.

" Oh... je n'ai de prétention sur rien... J'ai juste... prévenu de l'existence de quelques cailloux."
Il haussa les épaules.
" Ça pourrait me tenter de venir voir, cela dit... mais avec les cochons, c'est compliqué... Ils deviennent nerveux quand on les sort pas, surtout à cette période de l'année... Je devrais réfléchir... les emmener glaner par là... c'est pas vraiment mon secteur mais c'est pas interdit non plus, sinon j'aurais jamais découvert le coin."

-Alors c'est entendu, on s'organise ça dès que possible, dit-il avec entrain. En plus, amener ton troupeau nous fournira une excellente couverture.
Certes, ils devraient passer non loin du camp des centaures mais s'ils restaient sur le chemin, il ne devrait y avoir aucun souci.

A la maison, Victor était déjà rentré et avait, chose formidable, mis la table. Mona et Baptiste étaient en cuisine et la bouteille de vin ramenée de Champsdor trônait en bonne place entre les assiettes. Yann la prit et compulsa l'étiquette avec une moue appréciative.
" Un crû des coteaux de Viveverte 1381, ce n'est pas n'importe quoi. Espérons que nous mangeons du boeuf."
Mona apparut et lui apprit que Baptiste avait effectivement été négocier de belles entrecôtes chez l'un de leurs voisins. Le fumet délicieux de la viande rôtie embaumait déjà la pièce. Le porcher proposa au barde de déboucher la bouteille tandis qu'il allait rapidement se changer. Titus, quant à lui, s'installa à sa place devenue habituelle.

L'elfe déboucha la bouteille sans tarder, ce qui laisserait le temps au vin de s'aérer.
Mine de rien, aussi agitée la vallée soit-elle, ils profitaient ici d'un refuge chaleureux, paisible, où il était possible de se reposer, de s'apaiser... C'était une chance, il en avait conscience et il ne s'en sentait que plus redevable vis-à-vis de leurs hôtes.
Baptiste avait vraiment eu une bonne idée de se procurer cette bouteille...

Le repas se déroula dans une ambiance tranquille. Baptiste interrogea Titus sur sa journée, ce qui donna lieu à un échange de gestes, de mots épars et de bruitages, qui finit par faire rire le reste de l'assemblée. Le faune ne le prit nullement mal. Victor bâillait, la faute disait-il à ce lever aux aurores absolument scandaleux. Baptiste demanda et obtint le droit de goûter le vin, qu'il trouva absolument répugnant et il s'excusa auprès de Mona qui, souriante, lui expliqua que les adultes trouvaient ça délicieux.

-J'ai aussi trouvé ça horrible la première fois que j'en ai bu, intervint-il. Et puis, au fil du temps, j'ai appris à aimer, à distinguer les différentes saveurs... Apprécier le vin, c'est tout un apprentissage.
Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il appréciait ce cru-là.

Baptiste n'était pas convaincu, non. Il pensait plutôt que les papilles gustatives des adultes devaient avoir subi une sorte de destruction précoce. Il en vint à s'interroger sur la nécessité de tant s'esquinter en cuisine s'ils ne goûtaient pas les choses de la même manière. Mona le rassura sur la qualité de ses préparations, mais il demeura songeur. Yann se proposa pour la vaisselle, manifestement amusé par leurs échanges. Titus l'accompagna. Victor, de son côté, fut le premier à monter tandis que Baptiste grappillait encore quelques minutes de lecture.

Le repli extraordinairement précoce de Victor ne manqua pas de le surprendre, si bien qu'il lui emboîta presque aussitôt le pas. Certes, ils s'étaient levés tôt, mais le gosse avait fait une sieste assez longue alors qu'ils rentraient de Champsdor : il trouvait étrange, dès lors, qu'il soit à ce point fatigué, lui d'ordinaire si débordant d'énergie. Et puis, même la veille, il avait eu particulièrement du mal à sortir de son lit. Bref : il voulait lui poser quelques questions, s'assurer qu'il ne couvait pas quelque chose... ou qu'il ne sortait pas en douce la nuit. Car tout était possible, avec lui !

Victor accueillit ses inquiétudes avec stupéfaction.
" Hé ! J'ai pas passé l'après-midi à bouquiner ou me promener, moi, hein ! s'exclama-t-il en riant. J'ai affronté des dragons, traqué le gnoll et combattu des hordes de goules ! Je peux te dire que si tu avais eu une journée aussi chargée que la mienne, tu serais aussi fatigué ! En plus... tu penses bien que j'ai pas vraiment dormi dans le chariot... Comment veux-tu dormir quand la roue bute sur un caillou tous les trois battements de coeur ?"

-Oh, en ce qui me concerne, quand je suis crevé, je suis capable de dormir n'importe où, dans n'importe quelles conditions.
Il sourit.
-Et je sais bien que tu t'es beaucoup dépensé, cet après-midi. Simplement, tu te dépenses beaucoup tous les jours et je te vois rarement si épuisé. D'où mon inquiétude.
Si le gosse disait vrai, celui-ci ne pourrait jamais mettre en œuvre sa vengeance consistant à venir le réveiller tôt chaque matin. Et ce n'était pas plus mal.

Mais Victor eut un petit sourire retors.
" Et puis si je veux exercer ma vengeance, il faut que je modifie un rien mon rythme..."
Titus parut. Il avait l'air fatigué lui aussi, mais ne leur prêta aucune attention et alla se réfugier sous son monceau de couvertures.

-Ta vengeance ? Bonhomme, rends-toi à l'évidence : une marmotte telle que toi est tout simplement incapable d'exercer pareilles représailles !
Il jeta un regard en direction de Titus.
-Bon, mais vous êtes deux à avoir l'air vannés, alors je me demande si une histoire est bien indiquée...

Titus repointa la tête de sous ses couvertures.
" Histoire ! s'exclama-t-il. Gérard de Berge !"
Victor sourit.
" Tu ne vas pas t'en tirer comme ça."

-Oh, mais moi, je disais ça pour vous... On a à peine fini de manger et vous tenez à peine debout, alors je ne voudrais pas vous priver de sommeil... lança-t-il, espiègle.
Mais donc, sitôt que serait arrivé le troisième membre de la bande, il narrerait l'histoire du soir.

Titus se releva pour aller chercher Baptiste, qui ne semblait pas pressé de les rejoindre. Celui-ci monta, ronchonnant, et argua que puisqu'il était le plus âgé, il avait le droit d'aller se coucher plus tard que les autres. De surcroît, sans vouloir manquer de respect à Taliesin, il avait un peu passé l'âge qu'on lui raconte des histoires. Il eut droit à une salve d'invectives de la part des deux autres, finit par se mettre en pyjama en bougonnant, et le barde put entamer son récit du jour.

Bon, et bien, il faudrait qu'il discute avec Baptiste le lendemain. S'il préférait lire de son côté plutôt que d'écouter des histoire, ce qui était tout à fait compréhensible, il lui ménagerait cette possibilité.
Néanmoins, dans l'immédiat, il narra son récit puis, souhaitant la bonne nuit aux enfants, gagna sa propre chambre pour y travailler quelques heures. Il commencerait par rélire les observations qu'il avait faites aux ruines puis rechercherait les symboles relevés dans les ouvrages qu'on lui avait envoyés d'Erhedun.
Mine de rien, ils savaient désormais que chaque alcôve était liée à un élément, qu'elle réagissait quand un élémentaire de l'élément correspondant s'y trouvait et que celle qui réagissait de la manière la plus spectaculaire était celle de l'eau. C'était un progrès certain... Resterait juste à savoir ce que cela donnerait avec un élémentaire en même temps dans chacune des alcôves.

Il travailla plusieurs heures dans la tranquillité de sa chambre, reportant ses observations sur du parchemin, cherchant à identifier les symboles. Une chose était certaine : il n'existait pas de recouvrement direct entre les inscriptions découvertes dans la ruine et ce qui figurait dans son livre de références. Certaines analogies étaient possibles, mais à certains moments, il semblait presque qu'il avait affaire à deux systèmes complètement différents. La fatigue finit par le rattraper, traitreusement, entre deux notes. La maison était endormie, silencieuse, et au dehors, la pluie tombait, comme chaque nuit.

Il persista cependant quelques minutes, le temps de noter, à part, ses réflexions et les vagues rapprochements auxquels il était parvenus. Puis il souffla sa bougie et se coucha, ne doutant pas qu'il s'endormirait rapidement.
Que ferait-il le lendemain ? Il n'en avait encore aucune idée. Mais cela ne le préoccupait guère : il improviserait !

Il s'endormit sans difficultés, épuisé par ses réflexions subtiles. Il s'éveilla plus tard.
Contrairement à la veille, il faisait complètement noir. Il lui fallut quelques secondes pour émerger, réaliser qu'il y avait une main sur son bras, qui le secouait doucement.
" Taliesin... Victor est plus là." souffla Baptiste.

-Quoi ? souffla-t-il d'une voix ensommeillée.
Il se redressa, essaya de mettre de l'ordre dans ses pensées brumeuses.
-Il m'a complètement mené en bateau... maugréa-t-il bientôt. Je me doutais qu'il y avait anguille sous roche mais... il m'a quand même berné.
Et ça n'allait pas se passer comme ça. Oh non.
-Il doit sortir toutes les nuits, expliqua-t-il. C'est pour ça qu'il est de plus en plus fatigué.

" Je crois pas qu'il est sorti avant ce soir, dit Baptiste. J'ai le sommeil léger, je me réveille plusieurs fois par nuit et... je l'ai toujours vu là."
Il frissonna, replia sa couverture sur ses épaules.
" Mais là, je ne sais pas depuis combien de temps il est parti... J'ai pensé qu'il était aux latrines... mais ça fait drôlement longtemps..."

Que ce soit la première fois n'y changeait pas grand chose, au fond : ça allait sacrément barder pour le matricule de Victor. A moins bien sûr qu'il n'ait eu un problème en allant aux latrines. Mais il n'y croyait pas.
-Merci de m'avoir prévenu, dit-il d'un ton apaisant. Je vais me lancer à sa recherche : s'il a plu au moins un peu, ses traces ne devraient pas être très difficiles à suivre. De ton côté, tu peux aller te recoucher sans inquiétude : je vais le ramener.
Déjà, il entreprenait de s'habiller.

Baptiste parut hésitant.
" Tu es certain que tu ne veux pas que je vienne avec toi ? J'ai déjà bien dormi et je peux m'habiller en quelques minutes... Ce serait peut-être plus prudent... et plus efficace, non ?"

S'il y avait eu un problème, amener un deuxième gosse dehors serait tout sauf prudent. Et puisque ledit gosse n'y voyait rien dans le noir, on repasserait pour l'efficacité. En revanche, il se doutait que Baptiste serait trop inquiet pour dormir et comprenait que l'idée de rester en arrière ne lui plaise pas du tout.
-D'accord, va te préparer.
Pour sa part, une fois habillé, il prendrait ses armes et le pipeau - on ne savait jamais - et griffonnerait quelques lignes pour Mona qu'il laisserait sur la table de la salle à manger. Il pensait être revenu avant l'aube mais au cas où, il ne voulait pas qu'elle ou Titus se fassent du souci.

Baptiste repartit comme une souris empressée vers sa chambre tandis que Taliesin se préparait. Ils se retrouvèrent dans la salle à manger et Taliesin put y laisser son messager. Quelques secondes plus tard, ils sortaient dans la nuit. Il avait plu — il pleuvait d'ailleurs toujours, mais les abords de la maison étaient de pierre et les bottes de Victor n'y avaient laissé aucune trace. Il leur fallut donc sortir plus loin dans la rue. La bourgade dormait : on n'y voyait plus la moindre lumière, tous les rideaux, tous les volets étaient fermés, toutes les bougies éteintes. Baptiste frissonna sous son manteau.
" On cherche par où, à ton avis ?"

-Je n'en ai aucune idée...
Réfléchir, réfléchir...
-On ne sait pas où il est allé mais on sait d'où il est parti : la maison. Alors observons tous les endroits à proximité où il aurait pu laisser des traces. On finira bien par trouver quelque chose.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] La Vallée Fertile