La Couronne de Cuivre

Mais rien ne vint. La nuit demeura froide et obscure, la neige recommença à tomber doucement, le vent s'était calmé. Astrée suivit Caleb et Kelvim, veillant sur leurs arrières, jusqu'à ce qu'ils atteignent le chaos rocheux où était dissimulée leur base. Il ne leur fallut que quelques minutes pour en atteindre les replis protégés. Caleb emmena Kelvim jusqu'à une des couches déroulées le long des murs de la pièce principale, puis rejoignit Astrée.
" Il ne nous sera pas d'une grande aide, remarqua-t-il. Si vous voulez vous reposer, n'hésitez pas. Vous avez une mine à faire peur. Vider la salle de réunion des objets problématiques ne me prendra qu'un instant."

Astrée eut une brève hésitation. Elle était réellement fatiguée, et il y avait de bonnes raisons à cela. La dernière fois qu'elle s'était endormie, après tout, c'était lorsqu'on l'avait assommée à l'issue de son évasion.
" Je ne sais pas... Je n'ose pas dormir et vous laisser tout le travail... Bon, en même temps, vous savez bien mieux que moi où ranger chaque chose."
Elle grimaça. Elle n'avait pas les idées très claires après tout ce stress.
" Bon, c'est d'accord, je me repose un moment. Mais si je m'endors, n'hésitez surtout pas à me réveiller au moindre souci. En particulier, avec les elfes noirs... L'un d'eux partageait ma cellule, peut-être qu'il aura un peu plus confiance en moi... et je sais qu'on peut négocier avec lui contre un peu de nourriture."
Au moins avait-elle pensé à transmettre cette maigre information.

« Reposez-vous, vous le méritez bien. » dit Caleb.
Et Astrée s’endormit aussitôt, du sommeil du juste.

« Astrée, Astrée réveille-toi. »
Il faisait sombre, elle perçut le rythme des respirations autour d’elle, signes que l’on dormait. Mathieu était penché sur elle, elle en devina la silhouette.
« Chhhh… Viens avec moi. Sans bruit. »
Il lui désigna la porte qui donnait vers la pièce voisine.

Astrée se réveilla en sursaut, inquiète, craignant une attaque. L'expédition dans les profondeurs avait pu mal se terminer, les illithids êtres venus en renfort... Mais le bruit des respirations la rassura : il ne se passait certainement rien de grave, sans quoi tout le monde serait sur le pied de guerre. Mais pourquoi la dérangeait-on en pleine nuit ? Nuit ou journée, d'ailleurs : il faisait trop sombre pour connaître l'heure.
Intriguée, elle se leva aussitôt. Elle avait dormi toute habillée, juste au cas où ses craintes se révèlent fondées. Elle suivit Mathieu sans bruit, renonçant à identifier les dormeurs dans l'obscurité.

Il l'entraîna jusqu'au semblant de forge qu'elle avait vu plus tôt, jusqu'à la lumière diffusée par les braises d'un foyer mourant.
" Astrée, je sais que tu es crevée... mais est-ce que tu pourrais m'emmener jusqu'à l'endroit dont tu es remontée ? Je ne te demande rien de plus, juste de me guider jusque là. Je te donnerai le mot de passe pour rentrer ici ensuite."
Elle nota qu'il était habillé de pied en cap, bottes et manteau.

Astrée fronça les sourcils, étonnée. Elle ne s'attendait pas à cette requête. Mathieu, malgré son don pour s'attirer des ennuis, ne lui semblait pas vraiment être du genre suicidaire. Or, se promener dans les ruines, et, pire, dans la voie d'accès au repaire des illithids, demeurait terriblement risqué tant que ceux-ci n'étaient pas vaincus.
" Bah... Moi, je veux bien, mais pourquoi est-ce que tu veux aller là-bas ? Tu as envie d'aller faire un tour en ombreterre ? Ou alors, il y a un souci avec l'expédition partie là-bas ?"

Il soupira.
" Je brûle d'aller en Outreterre, tu as tout compris... Mais plus prosaïquement, il n'y a pas de nouvelles de l'autre expédition, non. Ce qui prouve bien qu'il y a un souci. Il n'y avait que trois illithids à la surface, ce qui veut dire quoi ? Qu'ils étaient quatre ou cinq sous terre. Plus tous leurs asservis, quelle que soit leur race. Yseult tergiverse et je sais qu'elle ne descendra pas. Je ne la blâme qu'à moitié : nous sommes trois pelés, deux tondus, sans infravision dans les ténèbres, et elle a ses ordres. Mais je m'en fiche. Dis-moi par où passer."

Astrée était pleinement réveillée, désormais. Malheureusement, les mauvaises nouvelles confirmaient ses craintes. Elle était cependant étonnée que Mathieu joue ainsi les aventuriers solitaires, après lui avoir reproché de n'avoir pas obéi aux consignes en allant au secours d'Eyri.
" Tu n'y arriveras pas tout seul. Je vais t'accompagner. Le passage est compliqué, il y a un puits, il faut une corde pour y descendre, et prendre le bon tunnel ensuite. C'est trop compliqué pour simplement expliquer avec des mots... et ce n'est qu'en voyant les lieux que je reconnaitrai, c'est un vrai labyrinthe. Et j'espère qu'ils ont tué l'affreuse bestiole qui vit par là-bas. "
Elle fronça les sourcils.
" S'ils ont été capturés, on est de toute façon tous en danger. Ils savent tout de nous et peuvent connaître le moyen d'entrer ici..."
C'était en soi une raison suffisante pour agir, lui semblait-il. L'alternative étant la fuite.
" Mais à deux, on ne pourra pas grand-chose... "
L'idéal aurait été de convaincre les autres. Mais si ce n'était pas possible... à la réflexion elle se sentait plus en confiance seule : elle pouvait mieux se dissimuler, au besoin se transformer. Mais elle craignait de vexer Mathieu en le disant ainsi.

HRP : j'avais prévu qu'elle mémorise un nouveau sortilège la prochaine fois qu'elle se reposerait, s'il y avait de l'action prévisible (en l'occurrence "couteau de glace" à la place de détection de la magie...) mais s'est-elle reposée assez longtemps et est-ce trop tard ? Jamais rien compris au moment exact où elle doit le faire. Sinon, c'est pas grave !

HRP : fais comme tu veux

" Je ne pense pas que la situation soit désespérée..."
Il haussa les épaules.
" Peu importe, de toute façon. Viens si tu veux. Mais ne tardons pas."
Il lui désigna la sortie.

" Attends, je récupère mon manteau et mes armes... Et il faut que je prenne une corde pour le puits. Et est-ce qu'on ne devrait pas emmener des armes en plus à donner à des prisonniers si on arrive à en libérer certains ? Peut-être que tuer un illithid libère certains esclaves... je ne sais pas, en fait. Et si on avait un parchemin de protection contre la magie des illithids, ce serait rudement utile... Tu penses que Dame Alexine ne nous le donnerait pas ? Tu tiens vraiment à agir en cachette, tu penses que tes supérieurs nous en empêcheraient ? On pourrait aussi demander à Dimitri..."
Mathieu lui semblait vraiment pressé. Elle aurait préféré prendre quelques minutes pour préparer sérieusement leur expédition et un début de plan d'action.

Il parut furtivement excédé par la déferlante verbale de sa compagne.
" Ecoute, Astrée... Tu dors depuis un moment. J'ai déjà posé ces questions, j'ai déjà eu mes réponses. Est-ce que tu es d'accord de me montrer le tunnel ? Je ne te demande rien d'autre. Juste de ne pas me faire perdre encore du temps. S'il te plait."

Astrée leva les yeux au ciel et répondit d'un ton exagérément patient.
" Je t'ai déjà répondu. Oui, je suis d'accord pour te montrer, et je descends avec toi, il n'est pas question que tu y ailles seul. Tu m'excuseras de prendre le temps de réfléchir à ce dont on peut avoir besoin plutôt que foncer tête baissée... On n'est sûrement pas à cinq minutes près !"
Il la tirait du lit pour l'embarquer dans une mission semi-suicidaire, et il s'attendait à ce qu'elle se plie aussitôt à ses demandes sans réfléchir ? Puisqu'elle lui servait de guide, elle se considérait comme responsable de leur sécurité à tous les deux, et ne pouvait pas se précipiter là-bas sans se préparer un minimum.

Avec un haussement d'épaules un peu boudeur, elle alla chercher son manteau, un bâton, un arc et un carquois. Il devait lui rester une fiole d'huile inflammable également. Et il lui fallait impérativement dénicher une corde, des pitons et un marteau. D'autres armes auraient pu être utiles, mais elle n'osait pas se servir sans permission dans la réserve : elle espérait que son compagnon, qui assurait avoir pensé à tout, aurait pris le nécessaire.
Il lui resterait ensuite à réveiller Prince pour qu'il les emmène là-bas. Elle était inconsciente à son arrivée et n'avait qu'une idée très approximative de la direction où le tunnel se trouvait.

Prince n'aimait ni le froid, ni la nuit, mais il avait toujours bien aimé Mathieu et se montra au final moins réticent que n'aurait pu le craindre Astrée. Elle eut par contre plus de mal à trouver le matériel qu'elle cherchait : soit l'escouade avait emporté son nécessaire d'alpinisme, soit elle n'en avait tout simplement pas emporté. Elle trouva une corde et un marteau, mais prévu pour frapper le fer, lourd et massif, peu maniable. Aucun piton. Dénicher manteau, arc et bâton fut par contre plus simple. Mathieu trépignait près de la sortie et elle eut la certitude qu'il finirait par partir sans elle si elle ne se dépêchait pas d'en finir.

Elle en conclut que l'expédition avait dû emmener le matériel nécessaire : ils savaient qu'ils avaient un puits à descendre. Cela n'arrangeait pas leurs affaires. Il était peu probable qu'elle trouve un endroit où attacher la corde, et sans pitons, elle voyait mal comment s'en sortir. Elle chercha sans succès une solution alternative - mais à sa décharge, elle manquait de sommeil et n'était encore qu'à demi réveillée. Voyant Mathieu s'impatienter, elle renonça et se contenta de prendre la corde : il leur faudrait aviser sur place.
" Ils ont embarqué le matériel d'escalade, expliqua-t-elle en le rejoignant. Je ne sais pas comment tu vas réussir à passer. Mais allons-y, je t'emmène là-bas... Enfin, Prince nous y emmène, plutôt."
Mentalement, elle remercia chaleureusement son compagnon à poils.

HRP : sorry, je suis claquée, je vais essayer de garder le rythme

Mathieu ne sembla guère impressionné par l'absence de matériel et il la guida à travers la roche, jusqu'à l'extérieur. Il faisait toujours nuit noire et un fin crachin, assez désagréable, tombait. Il était cependant moins froid que ce qui les avait frappés ces derniers jours et le vent était tombé. Impossible de savoir si l'aube était proche. Mathieu prit la tête, les entraînant probablement dans la direction d'où Astrée était revenue plus tôt. Ils n'avaient pas marché cinq minutes cependant qu'il y eut du bruit derrière eux, puis du mouvement, et Dimitri sortit de l'ombre, habillé de pied en cap.
" Je viens avec vous." annonça-t-il simplement.

Astrée avait suivi Mathieu d'un pas machinal, tout en cherchant à faire taire la voix de la prudence qui lui répétait que se jeter ainsi dans la gueule du loup était de la folie : les illithids devaient s'attendre à voir arriver des renforts, lui semblait-il. Ils risquaient de se faire prendre... et elle se promettait de fuir ou mourir plutôt que retomber entre leurs mains. Mais elle s'efforçait de conserver un peu d'optimisme : elle saurait se faire discrète, et ils trouveraient peut-être une idée, sur place...

L'apparition de Dimitri lui ôta subitement une grande part de ses appréhensions. Il était plus expérimenté qu'eux : elle avait la conviction qu'avec lui, ils avaient une chance de réussir. Une petite chance, certes... Mais une chance. Elle lui sourit avec soulagement.
" Merci. C'est gentil à vous."
Elle se demandait ce qui le poussait à agir ainsi, alors qu'il n'avait rien voulu tenter quelques jours plus tôt. Peut-être son côté paladin, comme le disait Mathieu. Ou peut-être croyait-il davantage à leurs chances. Mais elle ne posa aucune question.

HRP : suis ko aussi, rentrée oblige... tu fais comme tu peux !

Mathieu montra moins de retenue.
" Pourquoi ?" demanda-t-il, soupçonneux.
Le mercenaire eut un haussement d'épaules un peu faux. Il ne trouvait manifestement pas ça aussi anodin qu'il espérait le faire croire.
" Mais encore ?
— Il est des noirceurs dont on ne peut se détourner sans répercussions."
La réponse parut satisfaire Mathieu, qui opina du chef, puis reprit sa progression dans la neige. Dimitri ferma la marche, la main sur le pommeau de son épée, scrutant la pénombre piquetée de globes luminescents autour d'eux.

Astrée songea que Mathieu allait ainsi pouvoir observer de près le mercenaire en action, comme il le souhaitait, et peut-être en savoir plus sur ses fameux secrets. Dimitri avait bien du mérite de s'exposer ainsi. Peut-être était-il paladin, ou peut-être qu'il l'avait été... Ou pas : elle-même n'était pas paladine, après tout, et pourtant elle ferait ce quelle pourrait pour porter secours aux prisonniers.
Elle était plus surprise de la décision de Mathieu, en revanche : il risquait de se faire reprocher de n'avoir pas obéi aux ordres. Ou espérait-il devenir un héros ? Puisqu'il avait posé la question à Dimitri, elle décida de faire de même.
" Et toi, Mathieu, pourquoi ? Tes supérieurs vont être furieux, non ?"

" Sans doute. Ça m'est égal." répondit-il laconiquement.
Il hâta le pas, mettant ainsi fin à la discussion. Dimitri haussa à nouveau les épaules, cette fois de manière plus convaincante. Ils avaient atteint l'extrémité des ruines, à l'est, et Mathieu les entraîna dans une zone particulièrement accidentée, jusqu'à une sorte de tumulus où des rochers noirs veinés de blanc s'étaient écroulés les uns sur les autres comme un château de cartes. L'amas était particulièrement glissant, non seulement à cause du gel mais aussi parce que la pierre était polie, et ils durent cheminer en s'aidant des mains, presque à quatre pattes, grimpant plus qu'ils ne marchaient. Aucun des trois compagnons ne parut cependant en réelle difficulté. Dimitri était plus lourd, parce qu'en armure, mais il était prudent. Mathieu les mena jusqu'à un endroit où une sorte de trou se creusait entre trois anciennes pierres dressées et il se laissa glisser en se retenant par les mains. Pour autant qu'Astrée put en juger, il faisait un noir d'encre dans le fond, mais la lueur d'une torche lui parvint bientôt, et lorsqu'elle rejoignit le jeune homme, elle découvrit une galerie étroite.

L'endroit n'était pas très praticable, et Astrée songea qu'ils avaient dû avoir quelques difficultés à la ramener, inconsciente, jusqu'au refuge. Pour sa part, elle se souvenait juste d'une galerie interminable avec de la lumière tout au bout, qu'elle n'avait pas atteinte.
Elle observa la torche d'un air dubitatif.
" Les illithids doivent s'attendre à notre arrivée. Même s'ils ont "interrogé" leurs prisonniers, et que ceux-ci pensent que personne ne donnera l'ordre de les sauver, ils savent qu'on est un certain nombre en surface, et qu'on peut tenter quelque chose. Et qu'on arrivera par là. Ils vont faire le guet... et la lumière se voit de loin."
Elle réfléchir, cherchant à se remémorer son trajet.
" Après.... A mon avis, ils guetteront plutôt plus près de leur repaire. Il faudra surtout se méfier après avoir passé le puits, je pense. Mais je ne peux pas avoir de certitude."

" Ils pourraient aussi avoir changé de plan, remarqua Dimitri. Nous en avons tué trois. S'ils ont vraiment pris ceux qui sont descendus, ils n'ont certainement plus besoin de s'attarder."
Mathieu s'arrêta brusquement et vint se planter devant le mercenaire, furieux.
" Oui, et bien, c'est exactement de ce genre de considérations hautement encourageantes que nous n'avons pas besoin en ce moment !"
Dimitri leva les mains en geste de défense.
" Se voiler la face n'est pas utile.
— Sauf quand cela permet de conserver son énergie." rétorqua le jeune homme.
Puis il fit à nouveau volte-face et reprit sa marche dans le tunnel.

Astrée haussa les épaules, un peu interdite, en échangeant un regard avec Dimitri. Ils savaient tous que cette possibilité ne pouvait pas être exclue. Elle-même refusait de l'envisager, sans quoi leur expédition était absurde, mais tout de même : Mathieu lui semblait vraiment à bout de nerfs.
Elle se mit en route à son tour, et répondit, calmement, espérant ramener un peu de confiance dans le coeur de Mathieu.
" Ils ne vont pas disparaître en un claquement de doigts. ils doivent s'organiser, rassembler leurs affaires, et les esclaves. Et ils ne savent pas combien on est là-haut, ils voudront d'abord interroger leurs nouveaux prisonniers. Bref... Il ne faut pas traîner, c'est sûr, mais il est plus prudent de partir du principe qu'ils seront encore là, et sur leurs gardes."

" C'est sûr." répondit-il sèchement avant de reprendre sa marche forcée.
Dimitri croisa le regard d'Astrée et indiqua ses propres yeux de deux doigts avant de les pointer vers le dos de Mathieu. Le message était clair : il fallait surveiller leur leader improvisé, et avec vigilance.

Elle acquiesça, tout en ayant conscience qu'ils ne pourraient pas faire grand-chose. Mathieu était sur les nerfs, il risquait de manquer de prudence, de se faire repérer, et de les faire repérer par la même occasion. Elle se demandait ce qui le poussait à agir ainsi. Bien sûr, il fallait faire vite, mais il ne lui avait pas paru particulièrement casse-cou jusque-là, du moins pas à ce point. Elle l'aurait plutôt imaginé vouloir se mettre en sécurité loin des ruines, et lui reprocher, à elle, de vouloir agir.
Elle renonça à comprendre : il était capable de n'importe quoi sur un coup de tête, en particulier de se mettre dans des situations impossibles.

Elle laissa Mathieu en tête, avec une courte longueur d'avance, et s'efforça pour sa part de marcher aussi silencieusement que possible, attentive aux bruits et aux sensations inhabituelles : s'il se faisait prendre bêtement, elle voulait avoir une chance de s'en tirer, et peut-être d'agir. Elle se souvenait qu'il y aurait des bifurcations, et qu'il devrait de toute façon ralentir pour la consulter.

Ils étaient encore en surface et le chemin ne commença à s'incurver vers les profondeurs que de longues minutes plus tard. Il apparut alors à Astrée que sa présence en tant que guide serait sans doute superflue : on distinguait clairement les traces du passage de leurs prédécesseurs qui, n'ayant aucune raison de craindre d'éventuels poursuivants, n'avaient pas cherché à se dissimuler. Mais Mathieu n'était pas expert dans ce genre de piste, et son état émotionnel ne le rendait sans doute pas très réceptif aux signes qu'Astrée devinait sans forcer.
" Combien de temps ? fit-il brusquement en se retournant. Pour descendre ? Ça t'a pris combien de temps ?"

Elle haussa les épaules.
" Aucune idée. C'est difficile d'évaluer le temps qui passe, sous terre. J'étais épuisée et cela m'a paru interminable. J'ai mis plusieurs heures, je pense. Mais j'ai fait une partie du trajet sous forme d'araignée, donc plus lentement que si j'avais été sur mes deux jambes."
Elle se remémora le trajet, sans parvenir à appréhender le nombre d'heures.
" Désolée de ne pas pouvoir être plus précise... Tout ce que je peux dire c'est qu'on va devoir descendre dans un gouffre, et juste avant, on aura un long escalier. Avec un monstre dans la pièce qui précède l'escalier, une sorte d'insecte géant. J'espère qu'ils l'ont tué. Mais on en est encore loin."
La présence de traces était un vrai soulagement : n'ayant pas vraiment pris le temps de regarder en arrière lors de sa fuite, elle aurait pu avoir quelques difficultés à reconnaître le chemin en sens inverse.

Mathieu acquiesça et poursuivit sa route. Ils croisèrent plusieurs embranchements, dont Astrée n'avait pas de souvenirs, mais la piste de leurs prédécesseurs leur permit aisément de se repérer. Même si ces derniers s'étaient perdus, c'était de toute façon eux qu'ils cherchaient, pas forcément les illithids. Mais peu après, ils atteignirent l'escalier dont Astrée avait parlé. Dans le sens inverse, vers les profondeurs, il lui parut moins raide, moins interminable, et une odeur pestilentielle les frappa bien avant qu'ils n'en atteignent le fond. Mathieu tenait toujours sa torche, illuminant les ténèbres, qui se faisaient pesantes tout autour d'eux.
" Je vais passer devant, proposa Dimitri. Si cette chose est toujours là, je m'en chargerai."
Mathieu parut sur le point de protester, mais se ravisa, et s'immobilisa entre deux marches, bras croisés.

Astrée songea que vu l'odeur, la bête devait être morte. Sauf, bien sûr, s'il s'agissait de l'odeur de son garde-manger...
Elle acquiesça à la proposition de Dimitri, qui semblait sans conteste le mieux équipé pour faire face à la créature.
" Je vous suis avec mon arc, même si c'est peu pratique dans ces tunnels. Si elle est toujours là, elle se déplace très rapidement, et elle couvre les murs et le sol d'une substance visqueuse et probablement empoisonnée. Enfin... nous, on a des bottes, ça ne doit pas poser de problème."
Elle veillait à parler à voix basse, se souvenant que la créature avait perçu sa présence très facilement, peut-être par les vibrations ou le son de ses pas.
Elle prit son arc en main, une flèche encochée. Juste au cas où.

Elle descendit, mais rapidement, l'absence de la torche de Mathieu la plongea dans le noir et elle ne vit plus rien. Dimitri, devant elle, ne semblait pas avoir ce type de problème et elle le perdit rapidement de vue, bien qu'elle puisse encore percevoir le frottement léger de ses pas.
" La voie est libre !" annonça-t-il peu après, à mi-voix.
Il n'était pas très loin devant mais Astrée dut attendre que Mathieu se rapproche pour se remettre en route sans danger. Ils arrivèrent dans l'élargissement du tunnel, à l'endroit où la créature avait fait son nid. Elle était morte, indéniablement, roulée en boule dans une flaque de liquide putride. D'autres petits insectes et même quelques rats avaient déjà commencé à en faire leur festin. L'odeur était à la limite du soutenable.
" Par où, maintenant ?" demanda Mathieu.

" C'est par là..."
Astrée désigna le tunnel qui l'avait amenée ici la veille. Elle reconnaissait suffisamment les lieux pour être certaine de l'itinéraire.
Elle jeta un dernier coup d'oeil à la créature, mais ne chercha pas à s'en approcher : l'odeur était insupportable et elle avait hâte d'avancer.
" Peut-être qu'il vaut mieux laisser Dimitri en éclaireur?" hasarda-t-elle, circonspecte.
C'était une évidence : il voyait clair dans l'obscurité -elle continuait à se demander quelle ascendance lui valait un tel don- et leur éviterait de se trahir par la lumière de leur torche. Restait à espérer que Mathieu l'accepte...

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Rocheuses du Dragon