La Couronne de Cuivre

" Nous verrons, dit l'herboriste avec un sourire doux. Tout cela me semble si distant, si... intangible, pour l'instant."
Elle se leva.
" La sentimentalité n'est pas dans nos moeurs, murmura-t-elle. Elle n'est pas dans celle des elfes non plus, mais... je suis heureuse de savoir que Byron voyagera avec quelqu'un de ta qualité. Je me sens un peu moins inquiète de ce qu'il va traverser, car je sais que tu seras sensible à son déracinement. Reynald le sera aussi, s'il vous accompagne... Vous ferez de bons gardiens."

" Je ferai en sorte que ça soit le moins difficile possible, pour lui, répondit doucement Astrée. Reynald également, s'il vient, d'autant mieux qu'il le connaît depuis bien plus longtemps que moi. Et je sais que Neffen l'aidera à distance, lui aussi. Donc tout ira bien, ne t'en fais pas... "
Elle sourit, et se leva à son tour pour contrôler l'état de ses chausses, toujours humides... et glacées.
" On pourra se mettre en route dès que Prince nous aura rejoint. Ça évitera à Byron de devoir marcher à mon allure d'escargot... Enfin, d'humaine, quoi. Je vais essayer de le contacter pour voir s'il est encore loin."
Elle se concentra brièvement pour tenter d'évaluer à quelle distance il se trouvait. S'il était loin, elle aurait intérêt, peut-être, à s'allonger un moment au soleil pour reprendre quelques forces pendant que ses vêtements finissaient de sécher. Oh, bien sûr, elle aurait certainement mille choses plus utiles à faire, à commencer par réparer ses sandales mises à mal par la longue marche ou tenter de se bricoler un nouvel arc... mais décidément, toutes ces préoccupations bassement matérielles attendraient qu'elle ait repris des forces. Et retrouvé Reynald.

Prince n'était plus très loin de l'endroit où se trouvaient les centaures, mais devait encore franchir une gorge escarpée et un bois de sapins serrés avant de parvenir à bon port, ce qui laissait une petite heure à la rôdeuse avant son arrivée. Il serait cependant passablement fatigué, ce qui l'empêcherait de cheminer aussi rapidement qu'Astrée l'aurait sans doute espéré.
Dymphéa avait rejoint la bordure des arbres pendant qu'elle communiquait avec son compagnon et la centaure revint.
" Nous allons nous mettre en route pour la prairie aux sorcières. Je vais devoir te laisser."
Elle vint en face d'elle pour lui prendre les mains.
" Je sais que tu seras en sécurité auprès des tiens. Essaie de ne pas te charger d'angoisses inutiles. S'il se passe quoi que ce soit, Neffen en informera Byron. En l'absence de nouvelles, c'est que les choses se déroulent comme prévu. Faites ce que vous avez à faire. Sheldon a confiance en vous, et s'il a confiance en vous, nous aussi."

" La confiance de Sheldon m'honore, répondit Astrée avec émotion en serrant doucement les mains de la centaure. Et j'espère revenir très vite, avec de bonnes nouvelles. Dis à Byron que Prince sera là dans une heure, et que nous pourrons partir. Je vais m'allonger un moment au soleil pendant que mes chausses sèchent, mais il peut venir me tenir compagnie s'il veut, je ne compte pas dormir..."
Elle sourit.
" Prends soin de toi en attendant notre retour. Mais je ne me fais pas trop de souci pour vous. Je sais que la harde a retrouvé son chef et que vous avez un shaman formidable... Vous allez tenir le coup."

" Bien sûr." dit Dymphéa avec un sourire.
Elle étreignit Astrée.
" Passe mon bonjour à Isudë. Et à très bientôt."
Puis, en quelques bonds, elle avait quitté le couvert des arbres, et Astrée devina sa silhouette élancée galopant dans l'herbe rase, sans doute à la rencontre de Byron.

Astrée poussa un soupir. Elle n'était, au fond d'elle, pas aussi confiante qu'elle l'affichait. Elle n'avait pas la moindre idée de l'importance qui serait accordée à leur requête, et du délai qu'il faudrait pour qu'ils se bougent, là-bas, dans les hautes sphères de l'île. Il lui semblait, tout de même, qu'il y avait des lois interdisant l'esclavage, et ce qui se passait ici en était... Mais devant Dymphéa, Byron ou les autres centaures, elle se devait d'afficher une confiance aussi sereine que possible. Surtout devant Byron, qui était déjà bien assez angoissé par le voyage qui les attendait.

Elle s'allongea au soleil et ferma à demi les yeux, bien décidée, pour une fois, à cesser de se faire du souci pour ce qui allait se passer dans les jours à venir. A chaque jour suffisait sa peine, et les jours qui venaient de s'écouler avaient été bien assez riches en épreuves de tout genre. Elle voulait bien s'autoriser à songer à Reynald, qu'elle allait revoir dans quelques heures... mais à rien d'autre.

Le sommeil la surprit sans qu'elle en prenne conscience et ce n'est que lorsqu'un gros insecte bourdonnant se posa sur son nez qu'elle émergea de ses songes tranquilles. Elle ouvrit les yeux sur une abeille ventrue qui s'écarta pour se faire cheval en bordure de rivière. Prince but goulument de l'eau et mâchouilla les algues tandis qu'elle reprenait ses esprits. Byron attendait à quelques pas, équipé pour le voyage, pèlerine sur les épaules et sac sur le dos. Il lui décocha un sourire faussement tranquille.
" Il est temps d'y aller. Sheldon va s'inquiéter."

Astrée se redressa aussitôt avec une grimace, chassant de son esprit les dernières brumes du sommeil.
" Tu as raison... Je crois que je me suis endormie, excuse-moi, je ne voulais pas nous mettre en retard..."
Il ne lui fallut que quelques instants pour enfiler ses chausses encore humides, frissonnant au contact de l'étoffe glacée. Bah, elle se réchaufferait au contact de la chaleur animale de Prince.
Elle s'approcha de l'étalon et lui caressa doucement l'encolure, le félicitant mentalement pour avoir été si prompt à la rejoindre, lui transmettant, surtout, sa joie immense de le revoir. Sans nouvelles de lui, elle avait craint le pire...

La bonne nouvelle, pour le petit cheval, était que sa cavalière serait nettement plus légère qu'à l'ordinaire. Bien trop pour pouvoir voyager durablement, réalisa-t-elle en voyant Byron équipé de pied en cap. Il faudrait qu'elle se préoccupe rapidement de se trouver un sac, un manteau quelconque, et le minimum vital pour la route.
Elle but quelques gorgées d'eau, à son tour, avant de se hisser sur le dos de sa monture, lui enjoignant de suivre Byron.
" Allons-y...", fit-elle avec un large sourire. Elle devinait son stress, son angoisse. Mais faute de savoir le rassurer efficacement, mieux valait, tout simplement, afficher un optimisme tranquille.

Ils se mirent en route, Byron devant, Prince et Astrée derrière. Les chausses de la jeune femme prirent rapidement une température plus agréable. Malgré sa rare légèreté, la rôdeuse percevait la fatigue de son cheval qui avait sans doute galopé depuis l'aube. Il suivait bravement le centaure, lequel veillait à ne pas les distancer. Ils traversèrent le bois, suivirent le cours d'une rivière morte, gagnèrent un décor de rochers accidentés, sculptés par les grands vents, jusqu'au sommet d'une colline, puis s'engagèrent dans une plaine immense aux herbes hautes. Ils finirent par retrouver une pinède, qui se fit forêt somptueuse aux mille essences, avant de déboucher dans un bois de houx touffu. En l'absence des pouvoirs de Neffen, ils durent se frayer un chemin difficile dans les buissons épineux et Byron s'y reprit à plusieurs fois avant de dénicher la sente que les autres centaures avaient empruntée. En bout de course, ils débouchèrent dans un espace dégagé d'à peine quelques toises de rayon, contre la falaise. Les centaures que Sheldon avait rassemblés étaient à pied d'oeuvre, déblayant peu à peu une faille de taille modeste, pierre par pierre, roc par roc. Ils chargeaient les gravats dans de grands sacs de peau qu'ils charriaient à l'écart et travaillaient comme des nains, à la pioche, pour progresser dans la montagne.
Neffen était en retrait, à moitié dans la broussaille. Il les salua d'un geste en les voyant approcher, mais Byron partit vers Sheldon, laissant à Astrée le soin de décider de sa destination.

Astrée observa quelques instants le chantier, impressionnée par la force et l'efficacité des centaures. Elle se disait qu'il était surprenant que les humains aient abandonné la surveillance des failles. Peut-être était-ce illusoire, ou simplement un heureux hasard. Peut-être arriveraient-ils bientôt, armés de pied en cap, mais Neffen les préviendrait de leur arrivée, certainement, et ils pourraient fuir. Elle espérait toutefois qu'ils auraient le temps de passer la muraille avant...

Elle vit Byron s'éloigner en direction de Sheldon et hésita un moment, embarrassée. Elle sentait qu'il lui faudrait aller parler à Sheldon. Le saluer, le remercier, aussi, en espérant trouver les mots et l'attitude qui convienne. Mais là, tout de suite... et bien elle sentait sa timidité la paralyser. D'abord, ça ne se faisait peut-être pas, d'aborder sans permission le chef des centaures. Et elle avait peur de mal s'y prendre, de ne pas savoir doser ses regards. Et puis, il avait autre chose à faire, il supervisait le chantier, il faisait ses adieux à Byron. Et... bon, d'accord, elle avait simplement un trac terrible, et ne faisait que chercher des excuses pour repousser ce moment. Elle grimaça intérieurement. Elle pouvait peut-être, d'abord, rejoindre Neffen, pour quelques instants, pour le saluer puisqu'il était tout proche, avant d'affronter Sheldon. Après tout elle avait encore un peu de temps avant que la faille soit ouverte...
Elle se dirigea donc vers Neffen, avec un sourire un peu tendu, parfaitement consciente qu'en réalité elle n'avait rien de particulier à lui dire. Mais après tout, elle ne savait pas trop où était sensée être sa place. Elle ne voulait pas gêner le travail des centaures...

Neffen regarda Astrée approcher avec un sourire mutin.
" Bienvenue à la porte de sortie, dit-il. Votre visite nous a fait grand plaisir. Nous espérons que vous reviendrez nous voir avant peu."
Il leva les yeux sur la faille.
" Vous serez sortis à la tombée du jour, sans nul doute. Si tu désires t'aventurer aux alentours, je pense que tu peux le faire sans crainte. J'ai des yeux qui nous gardent et qui me préviendront de tout danger. Je pense néanmoins que les Montequins fourbissent leurs armes, après une succession d'échecs cuisants. Ils ne viendront pas aujourd'hui."

Astrée hocha la tête avec une légère grimace.
" Pas aujourd'hui, peut-être... Mais ils viendront sous peu, c'est certain. Et ils seront bien décidés à une victoire définitive..."
Elle mit pied à terre avec un soupir, sachant Prince trop fatigué pour vouloir la porter davantage. Elle n'avait pas vraiment envie de se promener dans les environs. L'espace était restreint, et franchir des buissons épineux juste pour le plaisir ne la tentait guère.
Puis elle sourit finalement au shaman.
" Nous ferons en sorte d'être de retour avant que la situation ne devienne intenable. Mais j'ai confiance. Je sais que tu prendras soin de la harde, Neffen, et que tu ne laisseras pas les humains vous trouver. Je me demande s'ils savent la chance qu'ils ont d'avoir un shaman aussi exceptionnel ! Moi, en tout cas, je sais tout ce que je te dois... et je suis heureuse d'avoir eu la chance de te connaître."

" Moi aussi, j'en suis heureux, dit-il doucement. Je ne pense pas être un shaman exceptionnel, cela dit. Je pense que ça vient avec le rôle. Les miens... ne le perçoivent pas, parce que c'est dans l'ordre des choses. Il faut un regard extérieur pour être sensible aux incongruités et aux mystères."
Il reporta son regard sur la faille qui se creusait peu à peu.
" Tu vas me manquer. Beaucoup plus que tu ne l'imagines, ajouta-t-il finalement. J'espère que tu reviendras, même si je sais que ce n'est pas obligatoire... Ta vie est ailleurs et peut-être te rattrapera-t-elle. La vie fait cela, souvent."

Astrée hocha la tête. Elle avait senti sa solitude, plusieurs fois déjà. Était-elle à ce point nécessaire, pour son rôle ? Ne pouvait-il pas, tout simplement, nouer un lien un peu plus amical avec les centaures de la harde ? C'était tellement difficile, d'être toujours à part, et tellement injuste aussi. Pourquoi l'excluait-on toujours, tout en le respectant pourtant ? Ne pouvait-il changer cela ? Il avait, peut-être, un lien privilégié avec Sheldon... et encore, rien n'était moins sûr.
" Je reviendrai, Neffen. Même si la vie m'éloigne d'ici, je trouverai le temps de vous rendre visite de temps en temps, à toi et aux autres. Enfin, j'essaierai..."
Elle pressentait que ça lui ferait du bien, sans doute, de ne pas être toujours seul sous sa tente, même si ça n'était que très ponctuel.
" Mais à une condition... ajouta-t-elle d'un ton plus léger avec un clin d'oeil. Que je puisse encore profiter de ton hospitalité la nuit ! Même si pour cela je dois accepter d'être cuisinée tous les soirs, et même aux champignons... J'aurai sûrement, encore, des dizaines de questions à te poser pour mieux vous connaître..."

" Je ne crains rien, dit le shaman avec un haussement désinvolte des épaules. Tant que tu n'amènes pas ton encombrant compagnon dans ma tente. Je ne parle pas de l'abeille. La toile des tentes n'est pas très épaisse et contrairement à mes congénères, je n'ai pas l'habitude de tous ces... bruits."
Il se fit soudainement plus grave.
" Cependant, je pense qu'il n'est pas forcément nécessaire que les choses que tu sais sur notre peuple se répandent. Notamment concernant ce que je t'ai dit sur l'Arbre de Vie. Je ne l'ai peut-être pas spécifié clairement mais... nous préférerions que les autres races oublient ce qui a pu se transmettre dans les légendes et les chansons."

Astrée se sentit rougir légèrement. Décidément, le shaman était toujours aussi direct. Comme si elle allait se permettre de... Mais non, voyons!
Le reste de ses paroles la ramena à un peu plus de sérieux.
" Je sais, Neffen. Ne t'en fais pas, je n'en parlerai à personne. Je sais, maintenant, les convoitises que ça peut engendrer et tout le mal qui peut en découler. Il vaut mieux, en effet, que ça reste considéré comme une légende sans fondement réel. Et si ça peut te rassurer... malgré toutes ses recherches, la guérisseuse qui m'avait envoyée par ici n'avait trouvé aucun indice vraiment précis me permettant de savoir ce que je devais chercher exactement, ni où. Aucune mention de centaures, non plus. J'ai eu la chance que le hasard mette Reynald, Tybert et Maedron sur mon chemin, et qu'ils acceptent de me faire suffisamment confiance pour m'encourager à suivre la route rouge, même s'ils n'ont absolument rien voulu me dire d'autre... Et vu tout ce qui s'est passé, je suis sûre qu'ils garderont d'autant mieux le secret, eux aussi."
Elle soupira.
" Par contre, tu n'as sans doute pas tort d'imaginer que, peut-être, Bertille en a entendu parler, ou d'autres humains de Montequine. Mais après tout, ils n'ont jamais eu la preuve qu'il existait vraiment, cet arbre de vie, ça reste une légende à laquelle personne ne croira en-dehors d'eux... et puis ils risquent de passer un certain temps en prison, enfin j'espère."
Il allait être difficile, pour les autorités, d'identifier des responsables à punir. Mais elle comptait bien les pousser à ne pas simplement chasser les montequins : s'ils pouvaient parvenir à identifier des coupables, ce serait certainement salutaire. D'un autre côté... les autres étaient coupables aussi, en un sens, d'avoir obéi, ou d'avoir laissé faire. La justice n'était décidément pas chose facile.

" Je n'imagine pas que toute mention de l'Arbre disparaîtra. Pas plus que je ne voudrais que les dépositaires des bribes de savoir qui demeurent soient traqués et éliminés."
Son regard se porta sur le ciel.
" L'existence... comme la nature comporte toujours une part de danger. C'est elle qui nous rend vigilants... et qui nous rend peut-être meilleurs. Ou moins désinvoltes. Compte tenu de la puissance de l'Arbre, je sais qu'il sera toujours quelque part, dans la mémoire d'Hélonna."
Il se tourna vers elle.
" Regarde, je t'en ai parlé, alors que j'aurais pu ne rien en faire. J'ai posé un acte qui fait qu'aujourd'hui, l'information s'est une nouvelle fois répandue. Tu n'en diras peut-être rien demain... après-demain... le jour d'après... et puis peut-être parleras-tu un jour dans ton sommeil, auprès d'un homme que tu ne connais pas encore... ou lors d'une soirée arrosée, à ton insu... Peut-être quelqu'un lira-t-il dans tes pensées... peut-être ressentiras-tu le besoin d'écrire tes mémoires... ou de te confesser auprès d'une bonne âme... Peut-être voudras-tu confier un secret précieux à quelqu'un, pour lui prouver ta confiance... Peut-être penseras-tu, un jour, dans dix, vingt ou cinquante ans, que tu es face à une cause qui mérite l'intervention de l'Arbre..."
Il sourit.
" Ne nie pas. Tout cela peut arriver. Nous croyons savoir qui nous sommes, ce que nous voulons, nous promettons, nous jurons, nous nous engageons... Mais cette constance, elle n'est pas synonyme de vie, elle est synonyme de pierre. Or ni les humains, ni les centaures, ni les oiseaux, les insectes, les chevaux magiques envoyés par les dieux, ne sont pierre."
Il haussa les épaules, se détourna.
" Mais j'ai pris le risque. Je ne crains pas le danger."

Astrée resta silencieuse un moment. Elle lui était reconnaissante de sa confiance, et en même temps, elle savait combien il avait raison. Elle avait promis à Dymphéa et Byron, par exemple, de ne rien faire qui puisse mettre en danger la harde d'une quelconque manière que ce soit... et elle avait rompu cette promesse au moins deux fois, la première en parlant trop à l'inconnu de la prison, ruinant ainsi probablement les chances de succès des orques, la seconde en prenant le risque d'amener Neffen auprès de Sheldon mourant, ce qui aurait bien pu le faire prendre. A posteriori, il s'avérait qu'elle avait bien fait d'agir ainsi, mais cela aurait pu, également, tourner au drame. Elle en était cruellement consciente.
" J'aimerais avoir ta sagesse, Neffen, finit-elle par murmurer. Même juste une parcelle."
Ça n'était pas une sagesse humaine, lui semblait-il. C'était, en tout cas, au-delà de ce qui lui était accessible. Elle se dit que ça ne devait pas être toujours très confortable, de posséder une telle sagesse et d'en être réduit à observer les errements des autres, de vouloir parfois, peut-être, les guider, un peu, sans pour autant leur ôter leur libre-arbitre. Difficile d'être shaman. Et pourtant, à côté de ça, il lui arrivait aussi de retrouver l'espièglerie de sa jeunesse.
Elle n'avait pas vraiment relevé la mention de cheval magique envoyé par les dieux, pourtant son regard s'était tourné, brièvement, vers sa monture. C'était quelque chose qui la mettait encore un peu mal à l'aise, une conscience qui peu à peu s'imposait en elle mais sur laquelle elle préférait ne pas s'attarder.
Elle reporta son attention sur la faille, cherchant du regard Byron et Sheldon. Il faudrait bien, tôt ou tard, qu'elle surmonte sa timidité. Mais... juste avant de partir serait largement suffisant.

Le shaman se redressa.
" Mon geai a trouvé votre escorte. Je vais m'en retourner auprès de la harde."
Il se pencha vers la jeune femme, sourit en devinant la direction de son regard.
" Laisse-le prendre l'initiative. Il viendra te parler de lui-même. Il sera probablement grondant et désagréable, mais il ne sait pas vraiment faire autrement."

" Ça, j'avais remarqué, marmonna Astrée avec une grimace. Mais je m'habitue, à force, ne t'en fais pas..."
Elle aurait voulu qu'il reste encore, jusqu'au bout. Mais puisqu'il avait décidé qu'il n'était plus utile ici, que sa place était maintenant auprès de la harde, elle n'allait pas le contredire. Et puis, Reynald serait bientôt là...
Elle lui sourit, largement, lui prenant spontanément les mains.
" Merci, en tout cas. Pour tout. On sera bientôt de retour, j'espère. Et en attendant, je compte sur toi pour nous donner des nouvelles... enfin, pour en donner à Byron.

" Je le soutiendrai, surtout, Astrée. Ses rêves ne sont qu'à lui... ce n'est pas une sorte de... canal de communication magique... Il n'aura probablement même pas conscience que je suis intervenu. Tant que rien d'anormal ne se produit, c'est que tout se déroule comme prévu. Il faudra que vous ayez confiance, comme nous avons confiance."
Il sourit puis l'étreignit spontanément.
" Prends soin de toi. Et à bientôt."
Puis, sur une légère inclination du buste, il repartit dans les bois, profitant de la gentillesse des branches qui s'écartaient sur son passage. Ni Sheldon, ni Byron ne lui prêtèrent la moindre attention.

Elle avait confiance. Il saurait faire ce qu'il fallait pour leur donner le temps de réussir. Elle avait bien davantage confiance en son efficacité qu'en celle des autorités, finalement. Elle se demanda simplement, un instant, comment ils pourraient bien se rendre compte que quelque chose d'anormal se produisait. Même Byron ne saurait pas interpréter ce qu'il ressentirait. Il fallait donc espérer que rien d'anormal n'ait lieu...
Elle jeta un coup d'oeil à Sheldon et Byron, s'interrogeant, une fois encore, sur le fait que tous les centaures semblaient toujours agir comme si Neffen était invisible, ou plutôt comme s'il ne fallait surtout pas le remarquer. Puis elle finit par s'asseoir, adossée à un arbre, observant l'avancée des travaux tandis que Prince vadrouillait à sa guise. Reynald serait bientôt là. Elle n'arrivait pas à y croire. Elle avait la sensation étrange, déstabilisante, de retrouver le cours de son existence humaine après une parenthèse presque hors du temps, hors du monde en tout cas. Il lui restait une mission d'une urgence vitale à accomplir, certes, mais dans un monde qu'elle connaissait mieux... enfin, en théorie. Ça allait lui faire tout drôle de ne plus être une simple petite humaine perdue parmi les centaures. Elle plaignait Byron, qui allait justement faire l'expérience inverse, et pour qui ça serait sans doute plus difficile que pour elle.

Sheldon prêta bientôt main forte aux autres centaures. Il était largement le plus grand d'entre eux et sa participation aux travaux d'excavation se marqua clairement. Byron, par contre, demeura à l'écart. Il resta debout un moment, à observer les autres à bonne distance, puis vit Astrée et lui sourit. Il se déplaça vers elle et vint se coucher dans l'herbe, à l'endroit qu'avait abandonné Neffen. La rôdeuse remarqua qu'aucun brin ne semblait avoir gardé l'empreinte du shaman. Il en serait sûrement autrement avec le centaure souris.
Il sourit à la jeune femme, hésitant, puis finit par pousser un bref soupir.
" J'espère que je ne me couvrirai pas trop de ridicule... une fois de l'autre côté." murmura-t-il.

Astrée lui sourit doucement, et lui prit machinalement la main.
- Ne crains rien, fit-elle d'un ton faussement sérieux. S'il y a un seul humain qui se permet de faire mine de se moquer de toi, je l’assomme avec mes gros bras musclés ! Oui, bon, d'accord, je sais, c'est moi qui serai ridicule...
Elle rit et croisa ses jambes en tailleur.
- Plus sérieusement... Les humains n'auront jamais vu de centaure de leur vie, tu sais, pour la plupart d'entre eux. Ils seront certainement très curieux de te voir, de te parler, et j'espère qu'ils ne se montreront pas trop maladroits dans ce qu'ils diront ou feront. C'est plus cela qui m'inquiète, tu vois... qu'ils puissent, involontairement, se comporter de façon incorrecte envers toi.
Elle imaginait parfaitement les gens de la Trouée, Goran en tête, se proposer de monter sur son dos, par exemple...
- Mais pour le reste... Et bien de toute façon, je serai avec toi, tu pourras me demander pour tout ce que tu hésites à faire ou à dire... Et même si tu fais une bourde, ça n'aura rien de dramatique venant de quelqu'un qui a d'autres coutumes. Je leur expliquerai. Moi aussi, j'ai dû faire des bourdes, en ne connaissant pas vos règles. En tout cas j'ai bien fait rire Dymphéa et Leanne avec mes questions idiotes !

" Je ne crois pas que je vais poser beaucoup de questions, dit-il doucement. Moins je me ferai remarquer, mieux je me porterai. J'ai une mission, je vais la remplir, puis vite rentrer chez moi. J'espère que Reynald pourra nous téléporter directement à Luménis ou presque. Un jour pour y aller, un autre sur place, un dernier pour rentrer, ça me conviendrait très bien."
Il eut un sourire.
" Bon, je sais que ça ne va pas se passer comme ça. Et je me rends compte que je dois jouer mon rôle d'ambassadeur... mais c'est une sacrée responsabilité sur mes épaules. Je serai le premier centaure que voient la plupart des gens, j'imagine. Il faut que j'assure."

" Reynald pourra sans doute nous téléporter jusqu'à Rohan, enfin si son beau-frère l'y autorise... il est sensé être à son service pour deux mois, en fait, mais je pense qu'il devrait obtenir au moins cette permission. Ensuite il reste quelques jours de trajet pour rejoindre Luménis. Peut-être qu'on essaiera de voyager discrètement, de bivouaquer dans la nature ou de se faire héberger dans des granges, si on trouve des hameaux accueillants. Enfin, c'est ce que je fais d'habitude quand je voyage, je n'aime pas trop la foule... Peut-être que Reynald descendra avec nous, j'aimerais bien, mais ça n'est pas certain.
Elle grimaça un sourire.
" Et tu sais, Byron... Moi je crois qu'il vont être fascinés. Ils ont entendu parler de ton peuple dans quelques chansons, quelques poèmes, et ils ne vont pas en croire leurs yeux quand il te verront. Je sais bien que tu préférerais passer inaperçu, je comprends ça, c'est quelque chose que je partage tout à fait... Mais ils vont te remarquer, c'est inévitable. Alors, dis-toi que les centaures sont... les princes de la forêt, je crois qu'on peut dire ça. Et ça n'est pas rien, tout de même ! Tu peux être fier de ton peuple, Byron, et fier de ce que tu es, toi, le messager de Sheldon et de ta harde. On ne pouvait rêver meilleur ambassadeur que toi pour ton peuple. Et même si parfois il y a des incompréhensions entre toi et les humains, ce qui arrivera certainement, ça ne sera pas si grave, ils oublieront vite. Je suis sûre qu'ils seront tous très fiers de raconter, plus tard, à leurs amis, leurs enfants ou petits-enfants, qu'ils ont vu un centaure, et qu'ils te présenteront sous ton meilleur jour."

Le centaure la regarda avec une grimace puis sourit.
" Tu as trop fréquenté Neffen, tu parles comme un shaman. Je ne suis pas certain que tout cela va beaucoup me rassurer."
Il haussa les épaules.
" De toute façon, ce n'est pas comme si j'avais le moindre choix. En cela, m'en inquiéter n'a aucun sens."
Devant eux, il y eut un grand éboulement et les centaures s'écartèrent vivement. Aucun ne parut plus secoué que cela, c'était sans doute plus ou moins contrôlé, et leur sourire satisfait indiquait qu'ils progressaient comme ils l'attendaient.

" C'est vrai, tu n'as pas tort..."
Enfin, pour le fait qu'il ne doive pas s'inquiéter. Quant à sa comparaison au shaman, elle était exagérée : elle ne lui arrivait pas à la cheville.

Elle observait avec une certaine impatience l'avancée des travaux. Les autres étaient-ils arrivés de l'autre côté ? Elle ignorait si le vieux mélèze était loin de la faille. Sans doute pas très loin, sinon Neffen aurait choisi un autre point de rencontre. Alors, peut-être étaient-ils en train de déblayer, eux aussi, de l'autre côté. Ils étaient certainement moins efficaces que les centaures, même s'ils avaient des chevaux... et de toute façon, il était peu probable que Reynald et Tybert aient des chevaux, à bien y réfléchir. A moins que Goran ne leur en ait prêtés ? Peut-être même qu'il leur avait fourni des renforts... ou qu'il les accompagnait lui-même. Elle grimaça à cette pensée. Pourvu que non, pourvu qu'il n'y ait que Reynald et Tybert, éventuellement Maedron...
Bah, il était peu probable qu'il y ait grand-monde : Reynald n'avait pas pu téléporter plus de quelques personnes. Et ils n'avaient pas eu suffisamment de temps pour venir par la route, du moins c'est ce qui lui semblait. Mais il est vrai qu'elle avait un peu perdu le compte des jours, et sa longue période d'inconscience ne l'aidait pas à estimer le temps écoulé. De toute façon, elle serait bientôt fixée. Elle avait hâte...

Elle reporta son attention sur le centaure gris.
" A Luménis, je te présenterai Isudë, une amie de ta mère. Une elfe. Elle sera certainement heureuse de te connaître. Elle n'a pas eu de nouvelles de Dymphéa depuis qu'elle a rejoint la harde."

" Cela me ferait grand plaisir, dit Byron avec un sourire calme. Peut-être pourra-t-elle m'héberger... Je crains que les auberges humaines ne soient pas exactement taillées pour me recevoir... et les stalles de leurs écuries... me rappelleront immanquablement les stalles de Montequine."
Son sourire s'élargit.
" Tu es impatiente de voir cette faille s'ouvrir et moi... moi j'espère qu'elle ne s'ouvrira jamais ! Nous voilà bien assortis."

" On va dire que ça fait un certain équilibre... Et puis, au fond, tu ne peux pas souhaiter complètement que cette faille ne s'ouvre jamais... Tu sais bien qu'il le faut."
Elle lui sourit avec douceur.
" Mais je ne sais pas où nous logerons en ville, effectivement...."
Ni où ils mangeraient... Dehors, sans doute, la plupart du temps.
" Isüde a une sorte de jardin caché, dans un grand parc. Si le temps le permet, ça pourrait être un endroit agréable pour y dormir. Sauf qu'il n'y a qu'elle qui sait y accéder... mais elle aura peut-être d'autres idées à nous proposer."
Elle reporta son regard sur la faille.
" Reynald va être heureux de te revoir, Byron. Et soulagé. Il a dû être très inquiet... pour tous les deux, en fait. Je me rappelle encore son ton horrifié quand je lui ai dit ce qui se passait ici. Mais quand tout ça sera fini, tu verras, il en fera une chanson. Et une autre, rien que pour toi, qui racontera les pérégrinations d'un centaure gris à travers Hélonna. D'ailleurs, ça me fait penser qu'il ne m'a jamais dit comment vous vous êtes connus... Mais tu pourras me raconter tout ça pour occuper nos longues veillées au coin du feu."

La Couronne de Cuivre

[Quête] Montequine