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Posté : mar. 15 avr. 2014, 19:12
par Taliesin
Les nouvelles dont il était porteur ne surprirent guère les membres de l'escorte. Si les civils avaient pu penser qu'on mettait juste un peu plus de temps que prévu à gagner le lieu du bivouac, eux avaient vu leurs supérieurs galoper en tous sens et prendre des mesures exceptionnelles. Bref, ils s'étaient doutés que le péril était grand, même s'ils n'en avaient pas forcément mesuré toute l'ampleur. Les réactions furent donc modérées : la nervosité était palpable, l'inquiétude pointait le bout de son nez, mais l'objectif que constituait le fort, le souvenir de la victoire contre l'armée de morts-vivants et, tout simplement, l'aura de leur commandant en second atténuaient sensiblement ces sentiments délétères. Le paladin nota même beaucoup de détermination, voire, chez certain, de l'enthousiasme. Louis argua qu'il avait hâte de montrer la valeur de la maison d'Argencourt, Guillermo assura que sa compagnie serait à la hauteur, et les hommes de celle-ci plaisantèrent en disant que cela leur rappellerait les orcs des Montagnes de Fer.
Entre deux séances d'explications, Hubert fut rejoint par son messager, qui lui apprit que les ramasseurs, après avoir accompli leur mission, avaient regagné leurs pénates.
Posté : mar. 15 avr. 2014, 19:24
par Hubert de Maleval
C'était le début d'une longue nuit et, une fois ses hommes avertis, Hubert regagna une position intermédiaire le long du flanc exposé de la colonne. Il espérait que Varamyr ne s'était pas trompé, que les cannibales prendraient le temps de les effrayer avant de les attaquer. Au milieu de nulle part, en pleine nuit, empêcher une troupe d'hommes déments de causer des ravages dans leurs rangs serait pratiquement impossible. Il fallait armer et défendre chaque chariot, pour bien faire, afin que chaque noyau ait les moyens de protéger les siens. Il songea que c'était peut-être une chose à suggérer à Robert : distribuer les soldats, de manière à ce qu'il y ait des combattants partout. Dès que le repas serait terminé, il faudrait consigner les gens dans leur abri et minimiser le nombre d'hommes au sol. Restait la question éventuelle d'un remplacement de certains chevaux. Cela dépendrait sans doute du moment où retentissaient les tambours. Une fois la traque en route, ils ne pourraient plus s'arrêter.
Tout en scrutant la nuit, il prêta oreille à ce qui se déroulait derrière lui, aux murmures qui s'échappaient des chariots. Comment les gens, les civils, les enfants, les familles, réagissaient-elles à cette terrible nouvelle ? Il se demanda comment l'Académie le prendrait. Ils donneraient le change, bien sûr. Mais dans le fond du fond, que penseraient-ils ? Tout bien considéré, il n'était pas certain de vouloir le savoir.
Posté : mar. 15 avr. 2014, 19:40
par Taliesin
C'est à peu près à ce moment-là que Marthe fit son entrée dans l'Académie.
Si l'on excepte le fait que le matin ait été consacré à dormir et non à travailler, la journée avait beaucoup ressemblé aux précédentes. Du moins jusqu'à ce que la juge soit appelée pour une réunion du Conseil et que le soir ne tombe sans que le chariot ne fasse mine de s'immobiliser. Ses occupants avaient alors discuté des raisons de ces événements, évoquant à voix haute des explications rassurantes - il fallait juste du temps pour rallier le prochain site de campement -, gardant peut-être pour eux celles qui risquaient de peser sur l'atmosphère.
-Vous allez devoir héberger une dizaine d'enfants cette nuit, dit la conseillère, très sérieuse, lorsqu'elle les eut rejoints. Il a été décidé que vous deviez reprendre en charge dès à présent ceux ayant le plus de difficultés à l'école... J'espère que ça ne vous gêne pas trop.
Les instituteurs mais aussi Giovanni restèrent bouche bée.
Posté : mar. 15 avr. 2014, 19:47
par Galathée
" Dix ? fit Albérich, incrédule. Ça fait quand même beaucoup pour un chariot de cette taille... Mais je peux peut-être déménager pour que vous ayez toute la place."
Un léger sourire apparut sur ses lèvres. Marthe se fichait d'eux. Mais elle se fichait d'eux parce que la réelle nouvelle qu'elle avait à leur annoncer était pire que cette petite boutade, et elle ne savait pas bien comment la leur apprendre. Elle pensait peut-être que la perspective d'héberger des enfants était pire que celle d'affronter des cannibales, pour certains d'entre eux. Il ne pouvait pas croire que c'était le cas, malgré les hauts cris des instituteurs. Non, c'était une plaisanterie douce-amère, qui leur permettrait de digérer la réalité moins frontalement. Peut-être.
Il se rembrunit. Ils étaient donc poursuivis, désormais. Ce n'était pas une surprise, mais c'était quand même un choc. Il chercha l'angoisse au fond de lui mais ne trouva que le vide, comme s'il n'avait plus d'espace en lui pour la peur.
Posté : mar. 15 avr. 2014, 20:07
par Taliesin
Comme les Académiciens - Albérich excepté - ne semblaient pas s'en remettre, Marthe se hâta d'ajouter :
-Vous pouvez respirer, c'était une blague.
Ce fut un concert de soupirs de soulagement.
-J'ai failli avoir une attaque...
-Vous avez bu, durant cette réunion ?
-Uniquement du thé.
-Après ça, tout ce que vous pourrez nous annoncer paraîtra formidable...
-Formidable, n'exagérons rien.
La juge s'assit à sa place habituelle.
-Nous en avons appris davantage sur les joueurs de tambour. Leur tribu se trouve pour l'heure à des lieues d'ici, occupée à célébrer certains rites.
-A manger leurs victimes, vous voulez dire ?
-Effectivement.
-J'espère qu'il y en a beaucoup, de victimes : ça les retiendra un moment.
-Nous pensons qu'ils en ont encore pour quelques heures. Ensuite, leurs tambours retentiront à nouveau, cette fois pour nous annoncer que nous sommes leur nouvelle cible. Et lorsqu'ils cesseront, il leur faudra encore un bon moment pour nous rejoindre. Si la confrontation paraît inévitable, il y a néanmoins une bonne nouvelle : Frida et ses éclaireurs ont repéré deux forts se dressant de part et d'autre de la route, à l'endroit où celle-ci escalade le flanc du plateau de Clairétoile. Une équipe est déjà en route pour sécuriser l'un d'entre eux, afin que nous nous y installions. Nous l'atteindrons avant l'aube
-Et avant que les cannibales ne nous tombent dessus ?
-Selon toute probabilité. Mais dans le cas contraire, ils seront bien reçus.
Posté : mar. 15 avr. 2014, 20:21
par Galathée
Le groupe devait être important pour que la solution choisie par le conseil consiste à aller se réfugier dans un fort en ruines. Albérich se garda bien d'en faire la remarque à voix haute. Avant l'aube, avait dit Marthe. En cette saison, cela voulait dire plus d'une dizaine d'heures de route encore, plus que probablement. Des cannibales. Il pouvait à peine se le représenter, c'était tellement... absurde, d'imaginer qu'on puisse adopter un tel mode de vie. C'était une culture, bien sûr, dans laquelle des individus naissaient, vivaient, mourraient, sans jamais percevoir l'horreur de leurs pratiques, probablement persuadés que leurs proies étaient des êtres fondamentalement différents, inférieurs, indignes de toute considération. Le comprendre ne le rendait pas plus tolérable. Et Albérich devait bien rendre aux Sharites ce qui leur était dû : il était définitivement décillé quant à l'ignominie possible au creux d'un coeur humain. Il ne fallait pas songer à l'adversaire, il fallait songer à soi. Aux autres colons. Se battre et survivre. C'était la seule chose qui comptait.
" Marthe... Vous devez peut-être encore avertir d'autres personnes mais... sera-t-il possible de vous poser d'autres questions, ensuite ?"
Il jeta un regard circulaire à ses voisins de chariot.
" Je sais que nous évitons le sujet comme s'il était toxique depuis que nous avons entendu les tambours, mais... pour ma part, j'aimerais que nous puissions en parler. Je voudrais savoir à quoi m'en tenir."
Posté : mar. 15 avr. 2014, 20:29
par Taliesin
-Ne vous inquiétez pas : les autres conseillers sont également à l’œuvre. Et comme je trouvais plus approprié de venir vous parler seule, Étienne, mon binôme, a rallié un chariot où se trouvent plusieurs de ses connaissances... Bref, j'ai le temps de répondre à toutes les questions que vous souhaiterez me poser.
-On n'évitait pas le sujet... souffla Agathe. Simplement, on a eu au moins deux conférences sur les cannibales avant de partir...
-Mais Albérich n'y a pas assisté. Nous aurions pu... dû y penser.
Posté : mar. 15 avr. 2014, 20:38
par Galathée
" Je n'ai pas réellement de questions sur les cannibales, en réalité, dit le Luménien. J'ai des questions sur nos perspectives. Si nous nous réfugions dans un fort..."
Tant pis, ces gens n'étaient ni stupides, ni impressionnables.
" C'est qu'ils sont trop nombreux pour que nous pensions pouvoir les vaincre aisément en plaine. Nous allons donc nous retrouver assiégés, je suppose, à moins qu'ils soient le genre à estimer qu'une construction en pierre est impossible à prendre... Mais c'est une ruine, immanquablement, abandonnée depuis des siècles, ils auront donc la conviction de parvenir à la prendre..."
Il pensait à voix haute, mais peu importait.
" Combien de jours de nourriture avons-nous encore dans nos chariots ?"
Posté : mar. 15 avr. 2014, 20:45
par Taliesin
-Vous ne devez pas vous en faire à ce sujet, car c'est en semaines que se comptent nos réserves. Comme nous ne savions pas combin de temps il nous faudrait avant de pouvoir établir une liaison régulière entre la cité et Grand-Estuaire, nous avons prévu large, et la plupart des chariots du train de bagages contiennent de la nourriture. De plus... Il y aura moyen de s'en procurer magiquement.
-Et si vraiment le siège venait à s'éterniser, il resterait les chevaux, non ?
-J'espère que nous n'en arriverons pas là, mais effectivement, il resterait les chevaux.
Posté : mar. 15 avr. 2014, 20:54
par Galathée
Albérich avait du mal à imaginer qu'on puisse transporter, dans une cinquantaine de chariots, de quoi nourrir cinq cent personnes pendant plusieurs semaines, mais il n'y connaissait pas grand chose en intendance, aussi laissa-t-il le bénéfice du doute à Marthe. Il avait le souvenir d'un autre siège, l'hiver précédent, à Combeloup, d'un autre donjon, en meilleur état certainement, et d'une menace rôdant à l'extérieur. Même si les cannibales n'étaient certainement pas aussi tendres que les esprits de la nature, le Luménien était prêt à parier que le danger se trouverait aussi entre leurs murs. Et il croisait les doigts pour que la résolution de leurs problèmes ne passe pas par une randonnée en pleine nuit dans le blizzard. Dans le domaine, il avait déjà donné.
Mais si la nourriture était pléthorique, c'était déjà une chose, une cause de tensions éliminée.
" Je ne m'inquiète pas, je suis juste curieux." dit finalement le Luménien.
Peut-être qu'à défaut de Clairétoile-ville, ils devraient se contenter de Fort l'Etoile. Mais si c'était assez grand, ma foi...
" Pouvons-nous faire quoi que ce soit pour accélérer le train ?"
Posté : mar. 15 avr. 2014, 21:01
par Taliesin
-On pourrait vider ce qu'il reste de Castel Margelle, non ? Et quelques flasques en sus ?
-Gardez ça pour la célébration de la victoire. D'autant qu'on aura sans doute besoin de vous pour rejoindre l'escorte, Giovanni : vos prouesses à l'arbalète ne sont pas passées inaperçues.
Tandis que le barde grommelait, la juge refit face à Albérich.
-Tout ce que les civils comme vous et moi pouvons faire, c'est ne pas quitter les chariots. S'il vient un moment où il devient nécessaire de descendre... ou de se débarrasser de certaines choses, nous ferons passer le message.
Posté : mar. 15 avr. 2014, 21:10
par Galathée
Piètre réconfort, voilà qu'il était à nouveau consigné à l'intérieur comme un gamin. Il sentit une brusque bouffée de colère l'envahir, qui retomba tout aussitôt. Il ne supportait plus cette situation, et cet écueil allait encore retarder le moment où il pourrait se trouver quelque chose d'utile à faire. Calé dans un maudit fort, à regarder de maudits soldats tenir le siège, formidable ! Mais il se contint et sourit à la juge.
" Bien sûr."
Les cannibales, il s'en souciait peu. Mais cette oisiveté crasse allait le tuer.
Posté : mar. 15 avr. 2014, 21:19
par Taliesin
Marthe dut percevoir sa colère car elle le dévisagea un instant, lui adressa un sourire apaisant et lui serra brièvement le bras.
-Je dois vous laisser pour l'instant, annonça-t-elle. Mais je reviendrai sitôt ma tournée terminée.
Et elle s'éclipsa, les laissant dans un profond silence.
Un silence qui ne dura pas.
-Vous savez que, pour prouver que la mort ne les effraie en rien, certains de ces barbares combattent nus comme des vers ?
-Bonne nouvelle, ils seront donc plus faciles à tuer.
-Sans doute. Mais le moment venu, je prendrai mes pinceaux en plus de mon arbalète...
-Tant que tu protèges la bibliothèque...
-La bibliothèque ?
-Oui, la bibliothèque. C'est l'une des premières choses qu'ils abandonneront, s'il faut se hâter. Or, je ne laisserai pas ces sauvages nous priver de nos livres. Plutôt mourir en les défendant !
-Tu vas les défendre comment ?
-J'ai suivi un entraînement intensif ! Comme vous tous !
Posté : mar. 15 avr. 2014, 21:27
par Galathée
Effectivement, la bibliothèque était pesante. Il avait beau aimer les livres, il les abandonnerait sans regrets si c'était nécessaire à la survie de la communauté, n'en déplaise à Agathe. Sans doute leurs joutes verbales, sarcastiques, enlevées, étaient-elles le seul remède à ce qu'on venait de leur annoncer. Cela lui semblait déplacé et à mille lieues de ses inclinaisons naturelles. Pourtant, il avait élu domicile parmi eux, il fallait qu'il se plie à leurs usages.
" Vois les choses du bon côté, Agathe. Si tu abandonnes les livres dans notre fuite, il y a une chance qu'ils n'intéressent pas les Cannibales et que le gel les protège. Tu pourras venir les rechercher une fois le danger écarté. Alternativement, peut-être les Cannibales y trouveront-ils les racines d'une civilisation moins belliqueuse et, transfigurés par leurs découvertes littéraires, ils décideront de devenir végétariens ou piscivores, que sais-je. Maintenant, soyons sérieux un instant. Si les livres arrivent jusqu'à ce fort, nous devrons tôt ou tard les brûler pour nous chauffer. L'un dans l'autre, peut-être faudrait-il nous délester de la bibliothèque au plus vite, au contraire, si tu veux la préserver."
Posté : mar. 15 avr. 2014, 21:36
par Taliesin
Agathe lui jeta un regard venimeux.
-Tu voudrais me saper le moral que tu ne t'y serais pas mieux pris... Les livres, c'est le savoir. Brûler les livres, c'est sombrer dans l'obscurantisme. En plus, il y a beaucoup de choses moins utiles à brûler avant !
-Giovanni, n'ouvre même pas la bouche, nous savons ce que tu vas dire.
-Mais...
-Oui, nous savons.
-Plutôt que d'abandonner la bibliothèque, pourquoi ne pas songer à abandonner les enfants ? Les cannibales s'arrêteraient à coup sûr pour les dévorer, et nous aurions probablement le temps de gagner la cité elle-même !
-Probablement. Sauf que sans les enfants, nous ne servons à rien. Nos conseillers le savent et, s'ils les abandonnent, ils nous abandonnerons aussi.
-Hum, d'accord, oubliez mon idée. Au pire, plutôt que de manger nos chevaux, nous mangerons nos élèves. Ils doivent avoir meilleur goût.
Posté : mar. 15 avr. 2014, 21:42
par Galathée
" D'accord... Défions-nous des cannibales en mangeant les enfants. C'est une solution originale. Je crois que vous ne devrez pas chercher très loin si quelqu'un ouvre la porte pendant la nuit. Après tout, qui se ressemble, s'assemble."
Il soupira et s'étira.
" Bon. Vu que nos perspectives pour la soirée consistent à... ne rien faire, je crois que je vais me permettre de faire un somme. Vous ne devez pas me réveiller : les tambours s'en chargeront pour vous. Et surtout, ne vous privez pas de bavarder. Ça ne m'empêche ni de travailler, ni de dormir."
Posté : mar. 15 avr. 2014, 21:48
par Taliesin
-Dis tout de suite qu'on te fatigue !
-Vous y êtes peut-être allés un peu fort niveau humour noir...
-Ne t'en fais pas, Albérich : je crois qu'on n'arrivera pas à s'empêcher de parler. Le silence serait un peu trop pesant.
-Mais on essaiera de ne pas faire trop de bruit.
-Rassure-moi : la fumée ne t'empêche pas de dormir, n'est-ce pas ?
-Dans tes rêves, Giovanni : tu dois être en mesure de bien tirer à l'arbalète.
-Je n'en tirerai que mieux.
-Hors de question, tu dois être responsable.
-Diantre, quels rabats-joie...
Posté : mar. 15 avr. 2014, 22:01
par Galathée
Le Luménien s'emmitoufla dans sa couverture en ne prêtant plus qu'une attention distraite aux élucubrations habituelles de ses compagnons de route. Un moment, il songea à la jouer rebelle et à descendre du chariot. Il n'avait jamais été un suiveur, un sage petit clerc qui obéit à ses supérieurs et attend leur bénédiction pour agir. Non. Il n'était pas révolutionnaire mais il n'était pas pour autant passif. Il se fichait, finalement, de ce que les autres pouvaient penser, s'il suivait ses certitudes. Mais il n'y avait plus de certitudes, et le cadre était loin de ressembler à un temple.
Pour la première fois depuis l'affaire du tumulus, il en voulut à Hubert, violemment, physiquement, comme une boule de tension pure se matérialisant dans son ventre avant de se dissiper.
Il fallait dormir, c'était le seul remède aux émotions grises qui l'avaient envahi. Il eut à nouveau envie de sortir. Et cette fois, il agit sur son impulsion, comme autrefois, quand il était sûr de lui et libre.
Une fois hors du chariot, il ne traîna pas, remonta vivement jusqu'à la tête, attrapa le bord du siège de cocher et se hissa dessus.
" Bonsoir, annonça-t-il tranquillement au conducteur, qu'il ne connaissait pas vraiment alors que ce brave homme les guidait depuis des jours entiers. Puis-je vous tenir compagnie ? Ou même vous remplacer ? J'ai un peu d'expérience en la matière... Je crois."
Il avait après tout guidé les chevaux d'Herbert, sur la route entre Luménis et Rohan, à des allures nettement plus folles.
Posté : mar. 15 avr. 2014, 22:11
par Taliesin
Son départ avait tellement pris les Académiciens au dépourvu qu'ils n'avaient même pas songé à le rappeler. Quant au cocher, un homme d'une trentaine d'années bien entamée à la barbe et aux cheveux châtains, il avait sursauté et même porté la main au fouet accroché à sa ceinture lorsqu'il s'était hissé sans crier gare à côté de lui.
-Pardon, je vous avais pris pour un cannibale...s'excusa-t-il. Même si c'est idiot, en y repensant. Hum...
Il eut une moue embarrassée.
-C'est très gentil à vous de me proposer ça, mais je crois que vous feriez mieux de retourner dans le chariot. C'est ma consigne : renvoyer à l'intérieur les civils qui n'ont pas à être à l'extérieur. Sauf votre respect, bien sûr. Bon, mais même si je le fais pas, j'ai peur que le premier officier à passer dans le secteur vous tombe sur le râble sitôt qu'il vous verra...
Posté : mar. 15 avr. 2014, 22:18
par Galathée
" Et bien qu'il me tombe sur le râble ! Et s'il vous dit quoi que ce soit, je dirai que j'ai refusé de descendre. Ce qui est vrai. Je refuse de descendre. Je ne vois pas en quoi ma présence est un problème. Je vous tiens compagnie, je prends l'air, je regarde la nuit et la campagne. Je suis même toujours à bord de mon chariot, de quoi se plaint le peuple ?"
Il sourit.
" De surcroît, j'étais sérieux. Vous conduisez depuis l'aube. Bon, Ignace a sûrement prévu un roulement, ne me le dites pas, je le sais. Tout est toujours prévu. Mais peu importe. Je reste. Si vous voulez que je descende, il faudra me pousser. Je risque ensuite de passer sous une roue du chariot, ce qui pourrait le ralentir dramatiquement, sans parler des dix suivants qui me passeront sur le corps. Croyez-moi, c'est moins dangereux comme ça."
Posté : mar. 15 avr. 2014, 22:24
par Taliesin
L'homme soupira.
-Moi qui commençais à croire que ça ne m'arriverait jamais. Les autres cochers, ils ont sans arrêt des passagers qui sous un prétexte ou un autre veulent s'assoir à côté d'eux. Ou tenir les rênes. Ou grimper sur la toile pour admirer le paysage. Ou... Bref. Comme l'Académie ne comprend ni gamin, ni jeune, mais que des gens de lettres raisonnables... sous certains aspects du moins... tout le monde me traitait de veinard. Ah !
Il secoua la tête.
-A nouveau, je vous sais gré de votre proposition, mais tant que je n'ai pas reçu l'autorisation de quitter mon poste, je dois y rester. Vous pourrez toujours adresser vos doléances au premier officier qui passera... C'est pas que je ne vous comprends pas, hein : j'ose pas imaginer comme c'est pénible d'être trimballé depuis des jours sous une bâche. Malgré les coussins et le reste. Mais voilà : les ordres, c'est les ordres.
Posté : mer. 16 avr. 2014, 07:49
par Galathée
Albérich pinça les lèvres et regarda un moment la nuit, la longue colonne, l’éclat des torches, les soldats, les cavaliers.
« Je comprends. » dit-il avec lassitude.
Il ne comprenait pas, en réalité, pourquoi il ne pouvait pas remplacer le cocher. Mais il savait qu’il aurait des ennuis, que ce pauvre homme en aurait peut-être aussi, et malgré son désir de faire changer sa situation, il ne pouvait pas, au moment où des cannibales leur filaient le train, créer des remous.
Adressant un ultime sourire à l’inconnu, il sauta à terre, laissa le chariot le dépasser et remonta à l’intérieur.
« Besoin pressant. » se justifia-t-il, une fois sous les yeux de ses compagnons.
Il rattrapa rapidement sa couverture, s’emmitoufla à nouveau, ferma les paupières et se tourna à l’intérieur de lui-même. C’était chose facile, une compétence nécessaire quand on vivait dans un temple animé, parvenir à être seul au milieu de la multitude.
Il avait besoin de se souvenir que, quelques veilles plus tôt, il avait été utile. Il avait été tellement utile que les marchands de Solarcis l’avaient décrédibilisé et que le seigneur l’avait chassé, de peur d’être renversé. Il avait réussi mille choses en peu de temps. Avec de la détermination, de l’envie, du culot parfois, avec le soutien des uns et la colère des autres. Il y avait désormais un système de purification d’eau sur la rivière, des dispensaires et des temples plus accessibles, une justice réformée, des finances publiques plus saines, bientôt une nouvelle école. Il voulait croire que Béranger avait continué dans sa voie, que Gaspard d’Alun siégeait toujours au conseil, que les chantiers qu’il avait mis en branle étaient sur le point d’aboutir, que ce qu’il avait bouleversé le resterait. Et il n’y avait pas de réelle raison d’en douter, tout bien considéré. Ne pouvait-il pas s’en satisfaire ? N’était-ce pas suffisant pour toute une vie, finalement, n’avait-il pas l’âge d’une retraite bien méritée ?
Non.
Mais là où Hubert se fourvoyait, c’était à croire qu’il pouvait trouver sa place dans cet endroit. Albérich aimait résoudre des problèmes. Or cette communauté n’en avait aucun. Et tant qu’elle n’aurait pas de problèmes, il n’aurait pas de place. Jouer les secrétaires de Marthe ne le satisferait jamais, il n’y avait aucun défi là-dedans. Comme le cocher venait encore de le prouver, le seul élément parfois rebelle dans leur système étaient les enfants. Le Luménien avait enseigné, il aimait ça, dans une certaine mesure, échanger avec les novices, leur proposer de bousculer leurs certitudes, débattre, définir, révéler. Mais là encore, la communauté n’avait nul besoin. Elle n’avait même pas besoin d’Hubert, tout bien réfléchi, mais avec son aura, son sourire, il arrivait à s’intégrer n’importe où.
Bien sûr, il n’ignorait pas que le groupe finirait par connaître des tensions, des dissensions, des conflits. Mais il ne pensait pas qu’il aurait la force de les attendre. Il ne leur souhaitait pas, d’ailleurs. Même s’il n’y croyait pas, il ne pouvait qu’espérer qu’ils resteraient un joyeux groupe d’idéalistes vivant en harmonie. Ce n’était simplement pas sa place. Il n’aspirait pas à cette vie tranquille et merveilleuse, comme ce qu’on lui avait promis dans les neiges de Combeloup. Il n’était plus clerc mais sa mission n’avait pas changé : il devait soulager. Et penser qu’on pouvait s’y soustraire, quand on avait ça dans le sang et dans l’âme, était un leurre. Il s’asséchait peu à peu, il en était conscient.
Tu peux bien tenir quelques veilles, encore.
Il le faudrait bien.
Sauf si les cannibales mettent fin à toute cette insatisfaction, ce serait peut-être le mieux.
Pensée furtive, un peu provocante. Non, il n'avait pas vraiment envie de mourir. Pas forcément. Mais il n'avait pas peur, chaque chose vient quand elle le doit.
Il regagna les rues de Solarcis et la lumière rousse de l’automne, les quelques veilles bénies de sa gouvernance, les journées où il avait travaillé de l’aube à la nuit, avec cette certitude formidable que les choses progressaient dans le bon sens, les entraînements épiques du petit matin, les virées à la taverne, les réunions avec les uns, les autres, l’énergie formidable de Pernille, le regard avisé d’Aloysius, la langue acerbe de Gaspard, le soutien constant d’Hubert.
Hubert qui avait bien changé, lui aussi. Sans doute son éclat était-il par moment plus vigoureux, mais il était aussi souvent plus ténu. Il oscillait entre exaltation et désespoir, sans doute en partie à cause de la pression qu’il s’était mise sur les épaules, par rapport à la communauté, à lui-même. Cela correspondait sûrement à son désir de retrouver sa vocation de paladin, mais Albérich devinait que c’était beaucoup plus douloureux qu’il ne l’avait anticipé. Peut-être finirait-il par embrasser ce nouveau départ. Pour l’instant, le Luménien percevait les regrets avec trop d’acuité.
Il revint à sa nostalgie et retourna dans ses souvenirs, pour s’y chauffer. Ce passé était révolu, bien sûr, mais avec un peu d’aveuglement, on pouvait faire semblant qu’il n’était pas si loin, et profiter de son soleil.
Posté : mer. 16 avr. 2014, 08:14
par Taliesin
Au dehors, le gris crépuscule n'était plus qu'un lointain souvenir et, au-delà des petits cercles de lumière projetés par les torches, les ténèbres étaient absolues.
Hormis pour Hubert, bien sûr.
Le vent était tombé ; la neige, elle, avait presque cessé de le faire. Et, dans la froide atmosphère désormais quasiment immobile, des bancs de brume dérivaient paresseusement.
Robert repart peu après que le paladin ait terminé d'expliquer la situation aux hommes placés sous sa responsabilité.
-Le repas ne tardera plus trop à être prêt, lui annonça-t-il.
Posté : mer. 16 avr. 2014, 08:19
par Hubert de Maleval
Hubert lui sourit en acquiesçant. Il n'avait pas particulièrement faim mais il faudrait bien qu'il se nourrisse.
" Que pensez-vous de la possibilité d'échanger certaines paires de chevaux ? Les destriers des chevaliers paraissent les bêtes les plus solides, mais les palefreniers s'inquiétaient de la collaboration de leurs cavaliers. En ce qui me concerne, je considère que les ordres sont les ordres et que la structure hiérarchique de la communauté ne permet pas au sire de machin-chose de se dérober à la nécessité, mais vous n'êtes peut-être pas de cet avis."
Posté : mer. 16 avr. 2014, 08:30
par Taliesin
-Hum, disons que nous n'avons pas adopté le principe de la communauté des biens, que chacun d'entre nous reste le propriétaire de ce qui lui appartient et demeure donc libre d'en user comme il l'entend. Évidemment, vu la situation, vu qu'il s'agit d'un cas de force majeur, cela pourrait justifier des mesures exceptionnelles... Je crois préférable de négocier, cependant, de ne pas imposer. Transformer un destrier en animal de trait, c'est assez contraire à certaines traditions... Enfin, je pense que nous serons en mesure de les convaincre, surtout si nous donnons l'exemple.
Il eut un petit sourire en coin.
-Méfiez-vous, néanmoins : en proposant de telles idées, vous risquez fort d'en être doublement victime. Je pourrais arguer que le sentimentalisme n'est point de mise en pareilles circonstances et vous imposer quelque objet magique pour remplacer un élément de votre équipement, afin que vous soyez plus efficace le moment venu...
Posté : mer. 16 avr. 2014, 08:35
par Hubert de Maleval
Hubert fut surpris de la réponse de Robert. Il s'était attendu à ce que le chevalier trouve un échappatoire, cependant, mais entendre le mot tradition lui écorchait curieusement l'oreille.
" Décidément, je ne comprends rien au fonctionnement de cette communauté, souffla-t-il. On peut ordonner les gens à droite à gauche mais pas ce qu'ils possèdent ?"
Il secoua la tête.
" Ça me parait le monde à l'envers. Mais soit. Je ne peux pas donner l'exemple : Grand Vent retourne dans son plan d'origine deux heures par jour, et elles vont tomber un peu avant notre arrivée au Fort."
Posté : mer. 16 avr. 2014, 08:48
par Taliesin
-Espérons que mon seul exemple suffira. J'avoue que cela ne me réjouit pas vraiment, mais en ce qui me concerne, la nécessité fait loi. Pour le reste...
Il dévisagea Hubert.
-Vous ne fréquentez pas assez les civils. Nous n'imposons rien à nos membres, hormis le respect de nos règles communes. La bonne volonté de chacun peut donner l'impression du contraire, puisqu'en règle générale, ils acceptent de faire ce que nous leur demandons. Mais nous nous contentons de demander, d'inciter, voire parfois d'insister. Pour autant, personne n'est forcé à agir contre son gré. Nous sommes une démocratie, c'est notre principe premier et, d'un point de vue pragmatique, les tâches accomplies sous la contrainte donnent rarement les meilleurs résultats.
Posté : mer. 16 avr. 2014, 08:55
par Hubert de Maleval
" Je viens de mettre six soldats à pied pour refiler leurs chevaux à notre avant-garde. Je ne leur ai pas demandé leur avis et je ne me suis pas demandé à qui appartenaient leurs chevaux, Robert. De la même manière, je n'ai pas laissé la possibilité aux maçons terrifiés de rester avec leur famille : je les ai envoyés dans la nuit, sans arrière pensée. On a obligé des gens, dont certains étaient plus que contraints, à s'entraîner avant le départ du groupe. Il me semble que la communauté a bon dos, à ce niveau-là. La nécessité semble avoir une étrange géométrie variable, si vous voulez mon avis. Et pas toujours de la manière la plus rationnelle."
Il haussa les épaules.
" Qu'est-ce que vous allez faire quand il faudra manger les chevaux parce qu'il n'y aura plus rien à se mettre sous la dent dans ce fort ? Commencer par ceux des paysans ?"
Posté : mer. 16 avr. 2014, 09:13
par Taliesin
Robert le fixa, visiblement stupéfait. Une vive lueur passa dans son regard et si, lorsqu'il répondit, son ton fut calme et posé, on y notait une froideur inaccoutumée.
-Les soldats sont des soldats, ils sont habitués à obéir sans poser ou se poser de questions. Prendre leur cas pour une généralité serait une erreur : on ne peut agir avec les civils de la même façon. Oui, ils ont dû s'entraîner, mais ils savaient qu'ils devraient le faire avant de s'engager : en signant, ils l'ont donc accepté. Quant aux maçons, ou au charpentier, ou au barde, je leur aurais personnellement demandé et non ordonné de participer à l'expédition. Que votre statut de paladin, votre prestance, votre prestige parmi nous vous permette d'obtenir de tous ce que vous souhaitez sans leur demander leur avis, ce n'est pas une raison pour abuser de ce pouvoir. Les colons ne sont pas vos subordonnés.
Le chevalier se redressa.
-Si nous en sommes réduits à manger les chevaux, je gage que chaque homme en possédant un ou plusieurs fera ce qu'il est nécessaire de faire et ce, de son plein gré. Je gage ainsi que vous sacrifierez Grand Vent comme nous sacrifierons nos montures...
Posté : mer. 16 avr. 2014, 09:24
par Hubert de Maleval
Hubert était furieux. Comment le chevalier osait-il l'accuser de telles choses ?
" Votre erreur, Robert, c'est de penser que les hommes sont égaux face à vos demandes. Les enrober sous des politesses ne change rien à la manière dont elles sont reçues. Personne n'oserait vous désobéir. Pardon. Décliner vos propositions. Les traditions, comme vous les appelez, font qu'un civil se pliera presque toujours aux injonctions d'un supérieur, démocratie ou pas. Il faudra au moins une génération avant que cette déférence s'efface. Elle est dans l'éducation de chacun, depuis le jour de sa naissance."
Il secoua la tête.
" Mais peu importe. C'est trop tard. Si vous estimez que j'outrepasse mes prérogatives, très bien, je n'aurai plus de contacts avec les civils. Cela dit, il me semblait que les chevaliers faisaient partie des soldats. Ils sont donc, normalement, tenus d'obéir à mes ordres et à descendre de cheval si je l'exige."