La Couronne de Cuivre

Kasumi observa durant de longues minutes la silhouette endormie et paisible de Sylvia avant de se lever et de tirer la couverture sur ses épaules. Il se rendit dans le jardin pour y cueillir une rose et vint la déposer sur l’oreiller à ses côtés puis plaça également un mot à son attention. Des mots simples pour lui affirmer une nouvelle fois qu’il l’aimait, réalisait combien il avait de la chance de l’avoir et qu’il reviendrait aussi vite que possible de chez Hortense. Il récupéra ensuite le déjeuner laissé à son intention par Martha avant de filer dans le jour naissant en direction de Respelm.

A une heure aussi matinale, la route était quasiment déserte. Les premiers paysans sortaient toutefois, profitant de la fraîcheur matinale pour travailler dans les champs. Certains le reconnurent et le saluèrent.
Un hennissement bruyant lui rappela qu'un autre être vivant se languissait de sa présence : Ombrage. Le cheval, piaffant de joie en le voyant longer le champ communal, n'entendait pas être laissé en arrière ! Et même si Kasumi devinait en lui l'envie de bouder et de lui faire payer son absence, il se montra surtout très heureux de le voir.

Le demi-elfe offrit une carotte chapardée dans les réserves de Martha à son vieil ami ombrageux. Il le rassura bien rapidement quant à ses intentions en lui montrant la sellerie qu’il avait aussi amené et qui signifiait qu’il était temps pour le cheval de se dégourdir les jambes. Kasumi était très heureux de pouvoir renouer ce lien et songea à cet instant à Première Neige : la louve prenait sans doute de plus en plus ses marques parmi la meute mais il escomptait bientôt la retrouver pour renouer leur équilibre : la prêtrise ne lui ferait pas abandonner son compagnon animal de toujours…

Seller Ombrage fut plus difficile que d'habitude tant le hongre piaffait d'impatience. Une fois Kasumi en selle, il prit aussitôt le grand galop, et le rôdeur dut freiner ses ardeurs pour ne pas risquer de renverser l'un des paysans qui sortaient travailler aux champs.
Lorsqu'ils eurent laissé derrière eux le village et les champs cultivés, il put enfin laisser libre court à l'envie de vitesse de sa monture. Ils filèrent un moment à travers les prés et pâturages, durent piler devant un troupeau de chèvre qui avait envahi la route, puis prirent à nouveau le galop en direction de Respelm, traversant à vive allure prés, bosquets, champs et vergers.

Etant donné la chaleur attendue pour la mi journée, Kasumi laissa Ombrage se défouler sur les premières lieues du parcours avant de sérieusement réduire l'allure à l'approche du midi. Il se permit également plusieurs courtes pauses pour qu'Ombrage puisse s'abreuver tout son saoul et mit pied à terre pour manger le casse-croûte que lui avait généreusement préparé Hortense. Mais l'impatience de retrouver sa compagne et de pouvoir se poser un peu reprit le dessus en début d'après-midi et il ne chercha pas à particulièrement s'attarder pour profiter de cette belle journée en lisière de la forêt. C'est donc, comme prévu, vers le milieu d'après-midi, qu'il aperçut l'enceinte et les premières maisons de Peyregorde. Le jeune clerc ne se faisait aucune illusion sur le fait que Sylvia était au courant de son arrivée : il avait repéré son faucon en train de le survoler à plusieurs reprises.

Pourtant, elle ne vint pas à sa rencontre. Il la trouva endormie sur le divan, profitant de la fraicheur relative de la maison. Elle se réveilla néanmoins à son arrivée, aussi discret qu'il ait tenté d'être : elle devait avoir un sixième sens qui l'avertissait de son approche. Et elle lui adressa un sourire radieux et se leva -un peu pesamment étant donné son état.
" Enfin ! Vif-Argent m'avait dit que tu prenais la route ce matin.... Mais qu'est-ce que c'est long d'attendre ! Je crois que je me suis endormie...", conclut-elle en l'enlaçant avec douceur pour l'embrasser.

Dans un sourire extatique, Kasumi enlaça sa fiancée avec une grande douceur et posa naturellement sa main sur le ventre qui abritait leur enfant.

- Je crois que oui, mais tu as eu raison. Je suis désolé d'avoir été si long : je ne voulais pas prendre le risque de trop pousser Ombrage sur la route par cette chaleur... Comment allez-vous, tous les deux ? demanda-t-il encore avec une sincère sollicitude.

" Plutôt bien, même si j'ai toujours sommeil.... A croire que je me métamorphose en marmotte, c'est incroyable. Et j'ai toujours faim aussi. Ça doit être sa faute à lui. Un vrai glouton... Preuve qu'il va bien ! Martha dit qu'il n'y a aucun souci mais que je dois toujours me ménager, conclut-elle avec une grimace. C'est frustrant..."
Elle déposa un léger baiser sur ses lèvres.
" Et comment va mon clerc préféré ? Tu as appris des choses ? Rassure-moi, tu ne vas pas me faire réciter des prières tous les jours au moins ?"

Il sourit à nouveau et se perdit un instant dans le regard pétillant de malice de Sylvia avant de se reprendre légèrement pour répondre d'un ton léger :

- Non, les prières, c'est à moi qu'il incombe d'en réciter tous les jours ! Hortense m'a même prêté des recueils à étudier mais cela attendra après demain ! Elle m'a appris pas mal de choses déjà mais le plus important est qu'elle m'a rassuré sur mon rôle, sur le temps qu'il me faudra pour apprendre à mon propre rythme. Oh, et avant que je n'oublie... Elle m'a conseillé une couturière à Respelm qui équipe Aïdan. Je lui ai passé commande d'une tenue pour la prochaine cérémonie.

Sylvia rit joyeusement.
" Une aube, toi ? Ah, ça je veux voir.... vas-y, essaye-la ! Profites-en, Martha n'est pas là, personne d'autre que moi ne peut te voir et se moquer.... Bon, mais tu m'en voudras pas si je rigole un peu, j'espère ?"

Kasumi aurait pu se sentir vexé si la remarque était venu de tout autre que Sylvia mais il avait tout sauf envie de lui gâcher ce petit plaisir. Et pour faire monter un peu sa patience et son hilarité, il fit remarquer que les couleurs d'été étaient de loin les plus visibles, bien loin des tenues qu'ils affectionnaient en tant que rôdeurs. Il sortit le vêtement de son paquetage et prit le temps de l'enfiler et de l'ajuster devant Sylvia, guettant sa réaction - et peut-être son approbation - l'air de rien.

Sulvia rit joyeusement en le voyant accoutré en clerc.
" Hum.... Désolée de dire ça mais... t'es pas du tout sexy là-dedans, je te préfère en rôdeur ! Largement ! Mais c'est très bien finalement : au moins tu ne risques pas de jouer à séduire les dryades et autres nymphes des bois ! Je peux te laisser officier tranquille !"
Avec un peu moins d'hilarité, elle ajouta.
" En tout cas, on dirait vraiment un clerc, c'est sûr. Pas autant qu'un lathandrite ou un sunite, mais quand même.... Va falloir que je m'y fasse, à ta nouvelle profession... Ça devient concret, là !"

Le rire de Sylvia avait toujours été communicatif et cette occasion ne fit pas exception. Mais Kasumi était assez fin pour comprendre que le sujet l'inquiétait tout de même un peu. Il y avait eu le bosquet dont il s'était énormément occupé et maintenant cet engagement qu'elle savait très profond. La rôdeuse était la femme la plus à même de comprendre les changements qui s'opéraient en lui mais il voulait la rassurer sur la place qu'elle même occupait maintenant dans son existence :

- Tu sais, je suis toujours en grande partie rôdeur. Je suis plus proche de Mielikki maintenant, c'est vrai, mais je reste avant tout le demi-elfe qui a choisi d'épouser la plus belle rôdeuse de Toril !

Le compliment lui valut un baiser léger, aérien.
" Mwouais, enfin, ça n'a pas grand-chose à voir avec le fait que tu sois rôdeur ou clerc, ça... Même si je n'aurais certainement pas épousé un mage. Enfin, j'sais bien qu'on ne peut jamais savoir... "
Elle sourit et se blottit contre lui.
" Ça fait drôle, quand même, de me serrer comme ça contre un clerc en tenue... Faudra que je m'y fasse. Mais... donc, ce mariage, puisque tu en parles... Tu veux faire ça quand ?"

Avec tout ce qu'il avait eu en tête lors des derniers jours, il avait presque failli oublier sa brève communication avec Galawen et s'en voulut un peu de ne pas avoir abordé le sujet d'emblée :

- J'aimerais que nous puissions l'organiser au moment de l'automne. Galawen m'a contacté pendant que j'étais à Respelm. Elle devrait réessayer aujourd'hui normalement pour discuter ce qu'il est possible de faire pour faire venir ma famille. Et je voudrais aussi lui demander de faire venir tes proches...

Il crut deviner une légère grimace. Une hésitation. Puis Sylvia haussa légèrement les épaules.
" Bah.... Je ne sais pas... On peut faire venir mon oncle et mes cousins, depuis la Haute-Forêt... Comme ça, ma famille sera représentée. Mais il va lui falloir faire beaucoup de trajets pour ça.... Puis tu crois qu'elle saurait se téléporter ici ?"

Kasumi répondit par un sourire confiant même s'il était conscient des difficultés :

- J'aimerais le demander à Galawen en tous cas. C'est sûr qu'il faudra prévoir plusieurs voyages pour un mage mais je trouverais dommage que tu ne puisses pas voir les tiens s'il y a une possibilité pour qu'ils puissent venir. Nous avons encore quelques semaines pour tout organiser, je suis confiant !

" Faut voir ce qui est possible.... Puis j'imagine qu'il faut que Martha donne son feu vert, aussi.... Et ça, d'après ce qu'elle m'a dit, elle ne peut pas vraiment le faire à l'avance."
Elle étouffa un bâillement.
" Pffff... J'ai encore envie de dormir, je passerais mes journées au lit si je m'écoutais! Bon, faut que je fasse quelque chose d'utile. L'inventaire de ce qu'on a pour le bébé... pour la maison... J'ai hâte d'y être. Certes, on peut aussi faire des confitures de fraises et de la gelée de cassis, mais c'est moins passionnant... Ou se promener, aussi, j'irais bien jusqu'à la maison mais c'est sûrement trop loin."
Elle bailla à nouveau.
" Qu'est-ce que tu as envie de faire ?"

Kasumi prit le temps d'y réfléchir : la promenade l'aurait bien tenté mais il ne voulait pas risquer de trop fatiguer Sylvia alors qu'elle semblait effectivement épuisée. Mieux valait donc garder cela pour un meilleur moment dans la journée et opter pour une activité moins physique. Il opta donc pour le fameux inventaire qui allait permettre à sa compagne de lui présenter ses nouvelles trouvailles et ses nouveaux projets. Il en profiterait également pour glisser un mot sur la date du mariage : il espérait le célébrer quelques jours après la naissance, pour que leurs familles puissent faire la connaissance de l'enfant mais aussi pour que Sylvia puisse profiter de ce jour comme il se devait.

La naissance étant prévue au début de l'hiver, cela ne collait guère avec leurs projets initiaux, mais changer de date était certainement plus sage puisque cela permettrait de faire d'une pierre deux coups, et de réunir leurs familles une seule fois pour à la fois leur présenter le bébé et le mariage...
Tandis que Sylvia l'entraînait dans la petite remise attenante à la maison où elle stockait tout le bazar réuni au fil des jours, le débat revint naturellement suer les lèvres.
" C'est dommage, les Grandes Moissons, c'était quand même une date symbolique.... Mais je ne suis vraiment pas sûre d'être assez en forme à ce moment. Bon, mais qu'est-ce qu'on peut choisir, comme date, alors, si on décide d'attendre la naissance ?"

La date aurait effectivement été idéale mais Sylvia serait alors dans ses dernières semaines de grossesse et elle serait donc particulièrement mal choisie pour que le mariage soit une réussite de son point de vue. Kasumi était d'avis de ne pas forcément chercher une date particulière sauf si Sylvia y tenait. Mais cela les amènerait sans doute à différer la cérémonie au printemps. Il proposa finalement :

- Que dirais-tu de nous marier simplement pour les Grandes Moissons mais d'organiser la cérémonie avec nos familles plus tard ?

" Ah, oui, ça me plait bien, ça. Faire la fête plus tard, quand je serai en état d'en profiter un peu... Là, j'peux même pas boire un verre de vin ou de bière ! Mais pour le symbole, ce serait chouette de se marier aux grandes moissons. Et de la faire dans le bosquet.... Je rêve de retourner en forêt, Martha me laissera bien faire une exception ! Après, je ne connais pas vraiment les coutumes locales... Comment on se marie, par ici ? Il faut sans doute un clerc pour se marier, surtout maintenant que tu es clerc ? Ou le chef de la communauté et des témoins suffisent ?"

Le demi-elfe était ravi que cette idée plaise à sa fiancée - et grandement soulagé aussi de trouver un arrangement qui leur convienne parfaitement à tous les deux. Il lui parla de l'idée qu'avait eue Hortense de venir officier pour leur mariage mais aussi de la nécessité de prévoir - peut-être - la présence d'un autre clerc de Mielikki. En tant que servant de la dame des bois, Kasumi avait très envie que son mariage soit béni par un praticien du même culte.

Faire venir Hortense était une bonne idée, selon Sylvia, et devait suffire pour avoir un clerc à leur mariage.... mais elle comprenait bien que l'état de santé de la vieille femme était aléatoire. Trouver une solution de rechange ne serait peut-être pas simple, et pourtant il fallait en prévoir une, ou renoncer à la certitude de pouvoir se marier ce jour-là.
Tout en parlant, elle avait sorti ses dernières confections vestimentaires. le bébé devant naître au début de l'hiver, elle avait tricoté des vêtements chauds, et commençait à acquérir une bonne dextérité à l'aiguille : les petits vêtements étaient très réussis.

Kasumi en examina plusieurs avec attention et un intérêt sincère. Il sentait que Sylvia avait mis tout son cœur dans la confection des vêtements destinés à leur enfant et il s'en sentit ému. Il ne résista pas à l'envie d'enlacer doucement sa fiancée et déposa un baiser timide sur sa joue :

- C'est vraiment très beau ! Je ne prendrai pas le risque de te demander de confectionner mes aubes... Mais tu es très douée !

Elle se dégagea avec vivacité :
" Quoi, tu ne me crois pas capable, pour les aubes ? Bien sûr que je peux ! C'est juste que j'aurai mille et une choses plus passionnantes à faire, et qu'il ne faudra pas compter sur moi pour tenir les délais.... Alors que là je n'ai pas le choix, je suis bloquée ici..."
Déposant un léger baiser sur sa joue, elle ajouta.
" Et sinon, pour le mariage, il faut peut-être aussi la présence de Bertrand ? Je ne sais pas... Ni s'il accepterait, d'ailleurs."
Il y avait une certaine amertume dans son ton.

Ses paroles n'avaient pas été interprétées comme il l'aurait voulu aussi le demi-elfe s'empressa-t-il de tenter de corriger le tir en affirmant qu'il serait très fier de porter une tenue qu'elle aurait confectionné pour lui mais qu'il ne voulait tout simplement pas lui demander de s'ennuyer avec de telles corvées. Quant à la question du mariage, il partageait son envie de voir Bertrand participer. Ou au moins de le lui proposer. Cela donnerait un caractère plus officiel à leur mariage et surtout contribuerait à le faire reconnaître dans leur nouvelle petite communauté.

La mention de la petite communauté arracha une légère grimace à Sylvia. Elle finit par expliquer que la situation s'était un peu tendue ces derniers temps. Elle avait eu une discussion un peu houleuse avec Bertrand et, depuis, elle avait le sentiment qu'il la fuyait. La raison, hélas, était celle que Kasumi craignait : on avait vu des loups trop près du village.... Sans qu'il y ait le moindre dégât causé, certes : ils avaient du gibier à volonté en cette saison. Mais leur présence avait rappelé aux villageois que le problème n'était pas résolu...

Kasumi esquissa lui aussi une grimace éloquente : il ne servait à plus rien de discuter avec les villageois à ce stade et il fallait d'urgence s'occuper du problème avant qu'un drame ne se produise.

- Je ne vais rien pouvoir faire avant la cérémonie d'après-demain mais je me mettrai ensuite à chercher un nouvel emplacement pour la tanière. Même si les loups ne déménageront certainement pas avant que leurs petits n'aient grandis, ce ne serait pas plus mal qu'ils s'habituent à leur nouvelle zone de chasse.

Cela repoussait encore et toujours les travaux de la cabane mais il ne voyait vraiment pas comment faire autrement.

" Ce serait bien que les villageois aient l'impression qu'on s'attaque enfin au problème, acquiesça Sylvia. Là, certains semblent ne plus avoir confiance et parlent à nouveau de régler le souci autrement... J'ai eu des mots avec Bertrand à ce sujet. Il faut que je puisse les rassurer sur l'avancée des choses..."
Elle réprima un soupir.
" Et j'imagine que notre déménagement va devoir attendre encore un petit peu. Si tu savais comme j'en ai marre d'être coincée ici... J'ai juste envie d'être chez moi !"

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Peyregorde