La Couronne de Cuivre

-Ça, je comprends bien. Le reste aussi, d'ailleurs, hormis en ce qui concerne ce petit plus que les Lathandrites perçoivent dans l'aube, ces transfigurations et cet appel que connaissent tous les clercs. Enfin, je les comprends d'un point de vue intellectuel mais pour qui ne les a pas connus intérieurement, ça reste de l'abstraction. Et j'aimerais bien les ressentir, quelque part, parce que je suis curieux et, surtout, parce que ça doit être si particulier, ça doit conférer une telle force... Ce contact, cette communion avec le divin...

" Ça confère quelque chose, ça je ne peux pas le nier, dit le paladin avec un sourire. Ça t'arrivera peut-être un jour, qui sait ? Il y a des bardes prêtres... Je n'en connais pas de Lathandre, mais Sunie et Milil en comptent beaucoup dans leurs rangs. Tu dois sûrement en connaître un bon nombre, d'ailleurs..."

-J'en connais quelques-uns, oui... Mais ils me semble qu'ils ont d'abord commencé par la voie cléricale et qu'ils se sont seulement ensuite consacrée aussi à celle de barde. Hum, quoique certains ont dû débuter les deux en même temps...
Il haussa les épaules.
-Mais de toute façon, je ne crois pas que je ferais un bon prêtre : je ne suis pas sûr d'avoir le dévouement, l'abnégation, la générosité nécessaires. Et ce dont je suis encore moins sûr, c'est d'avoir le courage et l'humilité requis pour commencer un nouvel apprentissage. J'ai l'impression qu'un seul est suffisant pour toute une vie ! Sans compter que c'est le genre de choses qu'il vaut mieux commencer enfant, au moment où apprendre est d'une facilité déconcertante...

" C'est vrai. Mais en même temps, on ne sait jamais où nous vont nous guider les hasards de la vie." dit le paladin.
Il demeura ensuite silencieux quelques secondes, perdu dans des pensées et des souvenirs qui s'entremêlaient soudain en une sarabande d'ombre et de lumière. L'endroit d'où il était parti, ceux où il avait erré, sous la pluie ou le soleil, dans la colère ou la félicité, l'automne dernier enfin, et l'entrée d'Albérich dans son univers. Il se souvenait encore de la première fois où Pernille lui avait parlé du clerc, dans les écuries du fortin, au fin fond de la nuit alors qu'ils avaient survécu à un autre conseil particulièrement soporifique. Elle débordait de l'enthousiasme des jours fastes ce qui, pour elle, n'était pas peu dire. Il avait deviné ce qu'elle voulait lui annoncer avant même qu'elle puisse le faire. Le mentor formidable avait fait son apparition sur le pas de la porte. Lathandre avait entendu ses prières !
Celles de tout le monde, au final.
Il secoua la tête et reprit pied.
" Je crois que je ferais mieux de prendre congé... C'était passionnant... et j'écouterai volontiers la suite un autre soir..."

-Ce sera avec plaisir. Certes, j'ai un peu peur que ma vengeance, lorsqu'elle s'abattra, ne te laisse pas en état d'écouter quoi que ce soit mais... Nous verrons. Après tout, il te reste encore huit anecdotes à me livrer.
Le barde lui sourit amicalement.
-Passe une bonne nuit, Hubert.

Hubert prit une mine faussement terrorisée, puis regagna le couloir. Sacré Giovanni. C'était un être attachant, immanquablement.
En remontant vers la grande salle — où Albérich ne se trouvait évidemment pas, il songea au barde qui avait été son amant des années plus tôt, se demanda ce qu'il devenait, et une petite pointe de nostalgie l'accompagna tandis qu'il montait vers leur chambre. De la lumière perlait sous la porte, aussi ne fut-il pas surpris de découvrir le Luménien déjà couché. Il lisait, une théière posée à côté de lui. Hubert ressentit une petite pointe de culpabilité : il était manifestement là depuis un certain temps. Il leva les yeux et lui sourit, tandis que le paladin grimaçait.
« Désolé… J’étais… Je n’ai pas pensé… »
Il s’approcha et s’agenouilla pour embrasser le Luménien.
« Il n’y a pas de mal. Tu es libre d’occuper tes soirées comme tu l’entends. »
Hubert se rassit sur ses talons.
« Comment est-ce que ça s’est passé ?
— Rapidement et sans… sans rien, en fait. Il est resté… presque de marbre, nous a… souhaité bonne chance. Et puis je suis parti. Je ne voyais pas bien comment agir autrement. »
Le paladin pinça les lèvres.
" Je ne sais pas non plus."
Albérich haussa les épaules, la mine désolée.
" On verra. Ne nous mettons pas martel en tête."
Hubert acquiesça puis se tourna vers la toile.
" Les enfants ?
— Ils sont rentrés il y a un quart d'heure, je dirais. Ils ne dorment pas encore, à mon avis.
— Je dois leur parler. Je reviens."
Il se leva et alla jusqu'à l'embrasure de la porte.
" Mais quand je reviens... Je veux que tu sois complètement nu."
Il lui décocha un clin d'oeil, s'amusant de son expression mi-outrée, mi-curieuse, et traversa sa propre pièce tout en retirant ses bottes. Ensuite il s'éclaircit la gorge.
" Attention, voici que s'avance Son Excellence de Maleval."
Et il entra.

Les deux gamins, dont il avait entendu les murmures, étaient étendus sous leurs couvertures : redressés sur un coude, éclairés par la chandelle qu'ils n'avaient pas encore soufflée, ils lui dédièrent des sourires ensommeillés.
-Bonsoir, m'sire !
-Bonsoir, messire. N'ayez crainte, nous n'allions pas tarder à procéder à l'extinction des feux.

" J'ai une mission à vous confier, avant que vous n'alliez rejoindre le pays des rêves, annonça le paladin en s'asseyant par terre. Une mission pour demain matin, Ruth, tu peux rester dans ton sac de couchage."
Il leur sourit.
" Vous connaissez bien les deux petits demi-elfes, n'est-ce pas ? Je voudrais que vous leur demandiez de venir demain matin, après le petit déjeuner, me retrouver à la salle d'état major. Dites-leur de ne pas s'inquiéter, que cela concerne Giovanni. Bref, je ne vais pas entrer dans les détails. Vous pourrez assister à la réunion, de toute façon. Vous pouvez faire ça pour moi ?"

Ils s'entreregardèrent, surpris et quelque peu perplexes.
-Bien sûr, messire, fit Alban.
-Vous pouvez compter sur nous, renchérit Ruth. Mais est-ce qu'on peut juste savoir si... Si vous allez leur demander de...
-...de renoncer ?

" Je vais leur demander de faire semblant qu'on leur a imposé de renoncer, dit le paladin, avec un calme sourire. J'espère que vos amis sont bons comédiens... et j'espère que le spectacle de leur calvaire va secouer un peu ce barde."
Il eut une grimace désolée.
" Je sais, c'est un peu extrême... et un peu tordu, peut-être, pour un paladin. Mais aux grands maux, les grands remèdes, dit-on. Et c'est une tentative. Si Giovanni reste de marbre... Je reprendrai un assaut plus frontal ensuite."

La stupéfaction qui s'était peinte sur leurs visages n'eut d'égale que la joie qui la remplaça lorsqu'il en eut terminé.
-Alors vous aussi vous pensez qu'il faut que messire Giovanni les prenne comme apprentis ?
-Tout le monde le pense, sauf lui. Bon, en fait, je crois qu'il le pense aussi, au fond, mais des fois, les adultes sont trop bizarres.
-En tout cas, c'est très gentil à vous, messire. A mon humble avis, c'est une noble cause.
-Et votre plan va leur plaire ! Et faut pas vous en faire : ils sont tellement bardesques que jouer la comédie, ça leur posera aucun problème.
-Nous leur transmettrons votre massage sans rien leur dire de vos projets. Ce sera une surprise encore meilleure pour eux si c'est vous qui les leur annoncez.
-Tu m'étonnes. Vous allez vous faire deux sacrés amis, m'sire.
-Merci pour eux, vraiment.

Hubert faillit leur dire qu'il le faisait surtout pour Giovanni, mais sans doute n'auraient-ils pas complètement compris. Il se contenta donc de leur sourire en se relevant.
" Allez, alors... Je suis content que mon plan vous plaise. Mais vous serez impliqués. Enfin, je vous raconterai tout ça à tous les quatre demain. A présent, couchez-vous et... Rappelez-moi peut-être juste leur nom ? J'ai sûrement dû l'entendre, mais bon... Ça m'a échappé."

-Pelleas et Galaad, messire.
-Raccourcis et trafiqués, ça donne des surnoms rigolos qui les font bien bisquer.
-Je dois admettre que ce n'est que juste, tant ils sont taquins.
Sur ces mots, les écuyers lui souhaitèrent bonne nuit et se pelotonnèrent sous leurs couvertures. Il était probable, cependant, qu'ils se remettent à discuter sitôt qu'il aurait le dos tourné.

Hubert les laissa à leurs chuchotements et regagna la pièce centrale. Il se déshabilla rapidement, passa sa tunique de nuit, puis se glissa dans l’alcôve du Luménien. Celui-ci était sous ses couvertures, assis, les épaules nues. Le paladin sourit : il avait obéi à sa mystérieuse injonction.
« Monseigneur Megrall, j’ai décidé que ce soir, tu avais droit à un massage. Mets-toi sur le ventre. »
Le Luménien le dévisagea puis s’exécuta, un peu suspicieux.
« Un massage ? Tu sais faire ce genre de choses, toi ?
— Un de mes talents cachés. Je n’ai pas souvent l’occasion d’en user. J’espère que je n’ai pas perdu la main. »
Il fit craquer ses articulations.
« Ne t’inquiète pas. Mon professeur était un barde de grand talent.
— Ah. Le fameux barde. Celui de la chanson. »
Hubert sourit en frottant ses mains l’une contre l’autre pour les réchauffer.
« Niall, oui. »
Il retroussa la couverture jusqu’à ce qu’Albérich soit dénudé jusqu’aux fesses, et s’assit à califourchon sur ses jambes, équilibrant son poids pour ne pas l’écraser. Un instant, il demeura muet, en admiration. Il avait toujours été particulièrement fasciné par les dos, et celui que Luménien était magnifique, de la nuque au creux des reins, en passant par ses larges omoplates, la courbe de sa taille, et bien évidemment, ses superbes fesses qu’il avait envie d’empaumer d’emblée. Il se contint. L’atmosphère était agréable, le clerc avait réduit la lumière à deux vénérables bougies, dont les reflets chaleureux nimbaient sa peau de lueurs incendiaires. Mais Hubert aurait pu le contempler dans les ténèbres les plus obscures, avec autant de félicité. Il posa une main sur sa nuque, s’émut du velouté de sa peau, et posa la seconde sur son épaule gauche. Un massage était une chanson, une ode à la magnificence du corps, et il ferma les yeux pour retrouver ce rythme enfoui, percevoir le mouvement des muscles, leur flux, leurs tensions, leurs vibrations, saisir le plaisir, chasser la souffrance. Très vite, il posa un premier geste et sentit dans ses paumes qu’il allait retrouver ses sensations. C’était une expression de son amour, de sa tendresse, de son désir, selon les instants, les respirations, il ne devait pas y songer… juste agir.
« C’était ton amant ?
— Quoi ?
— Niall. Le barde.
— Oh. Oui. Oui, c’était mon amant. »
Il sourit.
« Vous vous êtes quittés depuis il y a longtemps ?
— Bientôt sept ans.
— Sept ans… Et depuis ?
— Depuis rien. L’attente de l’aube. »
Albérich bougea sous ses mains, comme pour se retourner.
« Ah non ! On reste en place ! »
Il lui asséna une petite claque sur l'épaule pour le rappeler à l'ordre. Le clerc soupira.
« Tu ne dois pas t’inquiéter de Niall. Je ne sais même pas où il est. Et quand nous nous sommes séparés, nous n’étions déjà plus grand chose l’un pour l’autre… Je l’ai rencontré à Solarcis, durant la toute première année… »
Des omoplates à l’épine dorsale, le long des côtes magnifiques, une peau si douce, si souple, un appel à la caresse…
« C’était un jeune homme bien de sa personne… drôle… fantasque… et qui savait très bien ce qu’il voulait. Moi, en l’occurrence. J’étais timide… mais extrêmement curieux… et jusque là, toutes mes relations sentimentales avaient été… globalement sordides. Avec Niall, les choses paraissaient… d’un autre acabit. Et elles l’étaient. C’est lui qui m’a permis de voir qu’il y avait moyen de vivre ma différence dans la lumière… Caché… mais sans honte et sans peur. »
De la nuque aux reins, chaque fibre se détendait sous ses doigts, Albérich semblait presque ronronner. Peut-être une illusion. Hubert se pencha pour poser un baiser sur son épaule.
« Que s’est-il passé ?
— Je ne sais pas. Le temps. La vie. J’étais pris par mon travail, lui par le sien… Je suis devenu ordinaire, je l’ai trouvé capricieux. Les choses étaient difficiles, à Solarcis, à l’époque… Deux de nos amis avaient connu des fins prématurées, l’atmosphère était… lourde pour les gens comme nous. Comme j’étais garde au Rayon, les autres estimaient que je portais une sorte de responsabilité, alors même que je vivais dans la crainte d’être découvert. Bref. Le petit paradis s’est désagrégé, Niall et moi sommes disputés, puis nous avons pris nos distances, puis il est parti. Je garde… un peu de nostalgie pour cette époque, mais je ne regrette pas Niall. Il appartient à un autre temps. Je ne crois pas que si je le croisais aujourd’hui, il me plairait encore. Je n’ai plus vingt-cinq ans. »
Il traçait à présent des cercles larges sur les fesses du Luménien. Celui-ci était alangui sur sa couche, la respiration ample, le corps parfaitement détendu. Hubert remonta vers ses épaules, puis retourna jusqu’à ses reins, trois fois, avant de quitter sa position et de s’allonger contre lui. Le visage serein de son compagnon lui valut tous les discours et il lui baisa le front. Il souffla les bougies, ôta sa tunique de nuit, puis releva la couverture sur eux.
« Tu me demandes de parler de Niall, puis tu t’endors…
— Désolé.
— Il n’y a pas de mal. Niall appartient au passé. Mais comme ça, tu en sais un peu plus sur ce fameux barde moqueur. »
Il lui caressa le visage, l’embrassa tandis que le Luménien se lovait entre ses bras.
« Je suis désolé de ne pas t’arriver vierge de tout passé… Mais ce serait une assurance d’échec à venir. J’ai vécu, j’ai aimé, j’ai compris certaines choses et accepté d’autres. Je sais qui je suis, désormais. Et je sais que je te veux toi.
— Hubert, chut… Je ne te demande rien. Je n’ai pas besoin d’être ton premier amour. »
Le paladin soupira avec un sourire et le serra contre lui.
« Excuse-moi. Je suis parfois un peu… anxieux.
— Tu n’as aucune raison de l’être. Maintenant… si tu veux bien… passer à autre chose… »
Albérich avait beau avoir profité du massage, il ne semblait pas parfaitement satisfait… aussi se rejoignirent-ils dans une étreinte intense mais mesurée, à la mélodie étouffée, soucieuse d’épargner les oreilles de la jeunesse voisine, avant de sombrer dans les limbes.

L'aube vint. Et avec elle, ses routinières étapes.
Au-dehors, le ciel était gris, bas, il laissait choir quelques flocons paresseux.
Dans la salle commune, l'on trouvait les habituels convives, depuis Giovanni, la mine fatiguée, jusqu'aux instituteurs, l'air détendu, en passant par leurs nombreux élèves dont quatre, quoiqu'ils devraient sous peu se rendre à une entrevue avec Hubert, veillaient à conserver un comportement tout ce qu'il y a de plus ordinaires. Et puis, il y avait l'habituel absent : Thibault, probablement en train de prier.

Albérich et Hubert avaient prié de concert, puis s'étaient donné rendez-vous pour les expéditions avant d'aller petit-déjeuner séparément. Hubert avait avalé le sien rapidement : il voulait avoir le temps de donner ses directives aux enfants avant de sortir. Aussi, dès qu'il fut habillé et paré, il gagna la salle d'état-major pour les recevoir. Son plan était en tout point conforme à ce qu'il avait annoncé à Giovanni : puisqu'il ne voulait pas des demi-elfes, il en ferait des soldats. En espérant qu'assister à tant de gâchis mobilise un rien le barde... Evidemment, ça ne marcherait que si les gamins étaient crédibles, et leur futur maître un peu crédule...

Il ne tarda pas à entendre des pas dans le couloir et, bientôt, ses visiteurs firent leur apparition. Les écuyers ouvraient la voie mais ils s'écartèrent sitôt entrés dans la salle d'état-major, laissant apparaître leurs amis. Si semblables qu'on ne pouvait nullement les différencier, hormis peut-être grâce aux emplacements différents des multiples raccommodages de leurs frusques usées - malgré les efforts constants des couturières, la pénurie vestimentaire se faisait ressentir chaque jour un peu plus cruellement -, ils arboraient tous deux la même attitude timide, empruntée, à mille lieu de celle, délurée, qui était la leur aux moments où il les avait aperçus s'amusant en compagnie de Ruth et Alban. Ils le saluèrent respectueusement puis, mains dans le dos, tête légèrement baissée, sourire embarrassé aux lèvres, ils attendirent la suite.

" Bon. Merci d'être venus. Voilà. J'ai parlé avec Giovanni de votre cas hier, et je pense qu'il est sur le point de craquer. Mais pas encore tout à fait. Par défi, je lui ai dit que puisqu'il ne voulait pas vous recruter, je vous embauchais dans la garde. Mon espoir est qu'il intervienne rapidement pour vous épargner ce destin. Pas que devenir soldat soit désagréable, mais vu vos aptitudes... Ce serait probablement une forme de gâchis. Donc. Je vais vous demander, pendant quelques jours, d'être de bons apprentis gardes. Vous irez à l'école comme d'habitude, mais ensuite, vous participerez aux entraînements dispensés par les instructeurs. Dans les temps morts, l'après-midi, Ruth et Alban feront mine de vous initier à l'armurerie de base. L'idéal serait que vous ayez l'air résignés mais pas désespérés. Il faut que Giovanni s'inquiète, mais pas je ne veux pas que Ted, par exemple, vienne me trouver pour me dire qu'il vous trouve mauvaise mine. En bref... De la subtilité. Je vous propose d'essayer ça pendant trois ou quatre jours. Si au bout de ça, il n'a toujours pas bronché, nous changerons d'angle d'attaque."
Il les dévisagea tous les quatre.
" Des questions ? Des réflexions ? Est-ce que c'est voué à l'échec ?"

Les jumeaux le dévisageaient, bouche bée et manifestement incrédules. D'ailleurs, après s'être entreregardés, ils jetèrent des coups d’œil furtifs à ses écuyers dont la mine sérieuse - pour l'un - et le sourire radieux - pour l'autre - leur confirmèrent cependant que non, ça n'était pas une plaisanterie. Et lorsqu'ils lui refirent face, toute timidité avait disparu : ils exultaient littéralement, à se demander s'ils n'allaient pas entamer quelque jigue furieuse ou lui sauter au cou. Ils ne firent toutefois ni l'un ni l'autre, se contentant de lui répondre d'un ton débordant d'enthousiasme.
-Merci mille fois, Votre Ex... Messire. C'est un plan...
-...absolument formidable ! Et qu'il marche ou pas, dans tous les cas...
-...ce sera rigolo. Alors on fera tout ce que vous avez dit et si un jour...
-...vous avez besoin d'un coup de main, pour quoi que ce soit, vous pourrez...
-...compter sur nous !
L'instant suivant, leurs épaules se voutèrent légèrement, leurs mines se firent ternes et ils poussèrent de concert un profond soupir.
-Donc... Exercices militaires et...
-...armurerie. Nous exécuterons vos ordres, Votr... Messire.

" Très bien. Si vous avez des messages à me faire passer, faites-le via Ruth ou Alban. Sinon, nous n'aurons aucun contact sortant de l'ordinaire. Je vous informerai d'éventuels développements par le même canal."
Il se leva.
" A présent, vous pouvez disposer."
Dès que les enfants seraient partis, il irait trouver Edgar, puis Etienne. La journée promettait d'être longue.

Les jumeaux lui dédièrent un sourire radieux, se fendirent d'un salut militaire parfaitement exécuté puis tournèrent les talons, suivis par Ruth et Alban.
Quelques minutes plus tard, Hubert finissait par dénicher l'ancien sergent, lequel ne fut pas peu surpris de le voir. Il faut dire qu'ils ne se croisaient jamais le matin, hormis parfois à la table du petit-déjeuner.
-Un souci, mon capitaine ? s'enquit-il.

" Pas vraiment, non, dit le paladin avec un sourire tranquille. J'ai juste besoin que tu me déniches trois hommes qui peuvent passer l'après-midi avec moi aux portes nord. Je voudrais prendre le temps d'inspecter les tours, les portes, bref... Je ne saurai pas m'en charger ce matin, avec l'exploration, mais quand Etienne redescendra cet après-midi, je voudrais l'accompagner avec les hommes que tu m'auras choisis. Ce n'est pas une mission difficile, mais comme je ne suis plus très au clair sur qui est affecté à quoi, en ce moment, j'aimerais que tu puisses organiser ça pendant que je suis de sortie. S'il y en a un dans le tas qui sait prendre des notes pas trop lentement, c'est tout bénéfice. Je n'ai pas l'intention d'embarquer les maçons et les menuisiers dès aujourd'hui, mais si on peut leur rapporter des informations, ce sera toujours ça de pris."

-Très bien, mon capitaine.
Il hésita.
-Verriez-vous un inconvénient à ce que le trio comprenne un membre de l'état-major ? Je pense que cela pourrait aider dans la prise de décision concernant la garnison... Et je précise que, bien sûr, cela ne nuirait en rien aux autres activités de la garde.

Hubert sourit.
" Bien sûr que non. Comme je te l'ai dit, je ne sais simplement plus qui est occupé quand. Si les choses roulent optimalement ici, un membre de l'état-major est plus que bienvenu. Pourquoi ? Tu as envie de passer l'après-midi à explorer des vieilles tours en ma compagnie ?"

-Oh, sortir un peu ne serait pas de refus, surtout si c'est avec vous : la forteresse est vaste mais après des jours dans son enceinte, on a envie de voir un peu autre chose. Ou, plutôt, de ne plus simplement voir ce qui se trouve au-delà mais de s'y promener. Enfin, je disais avant tout ça par rapport à la garnison : c'est mieux de repérer les lieux avant de trancher. D'un autre côté, si c'est moi qui y vais, les autres penseront que je me suis porté candidat alors que, hum, j'ai pas encore pris de décision.

" Au pire, souviens-toi que je suis moi-même un membre de l'état-major. Je ferai un rapport circonstancié. Et si les éventuels hésitants veulent revenir voir demain, ce sera tout aussi possible."
Il sourit.
" Et franchement, Edgar. Tutoie-moi, je t'en supplie."

Edgar s'empourpra légèrement.
-Le vouvoiement vous ennuie tant que ça, mon capitaine ?
Il grimaça.
-D'accord, si vous m'ordonnez de passer au tutoiement, me faudra bien obéir. Mais j'ai peur que ça me soit aussi difficile que... Que si votre écuyer devait arrêter de vouvoyer et de donner du "messire" à tout le monde.

" Bon, alors, laisse. J'aimerais que tu me tutoies, mais je préfère que tu sois à l'aise avec ça. Si c'est pour que ce soit une source d'anxiété constante, ça n'en vaut pas le coup."
Il sourit, apaisant.
" Je vais filer. Merci pour le coup de main."
Un rapide passage auprès d'Etienne pour l'avertir de ses intentions de l'après-midi, puis il irait prendre la tête de son groupe d'explorateurs et ils gagneraient les portes.

Depuis que celles-ci avaient été atteintes, les expéditions visitaient les bâtiment bordant la large avenue qui courrait le long des remparts. C'est donc ce que fit la leur. Ces édifices aux belles façades - dont le but avait peut-être été d'impressionner les visiteurs - étaient des habitations mais surtout des commerces et des auberges. Dans ces dernières, ils découvrirent les vestiges de grands fûts, de la vaisselle en parfait état de conservation et des pièces de monnaie, beaucoup différant de celles précédemment trouvées : sans doute venaient-elles d'autres cités, d'autres contrées. Par conséquent, lorsqu'ils repartirent vers la forteresse, leur butin était sensiblement plus conséquent que d'ordinaire.

Une fois leurs découvertes du jour livrées aux personnes qui en faisaient l'examen et l'inventaire, Hubert passa à table. Dès qu'il aurait terminé, il irait à la rencontre de l'équipe que lui avait organisée Edgar et repartirait vers les portes en même temps qu'Etienne, avec cette fois l'objectif de visiter les tours de garde et de regarder les portes —*plutôt ce qu'il en restait — dans le but de les rendre à nouveau fonctionnelles le plus vite possible.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue