La Couronne de Cuivre

" Quelqu'un en qui il y a confiance ? Tu te fiches de moi ?" s'exclama-t-il en reculant hors de portée du Sunite. " Voilà à quoi cela mène, de me faire confiance ! J'aurais dû tuer cette ordure quand j'en avais la possibilité ! Mais j'ai été faible, comme toujours ! Je n'en peux plus ! Ne t'approche pas de moi... Je n'ai que faire de ta sollicitude. C'est trop tard. Ça n'aidera pas le gosse. Ils sont hors de portée, tu comprends ? Tout ce temps perdu... Je ne peux plus assumer. Je n'y arrive plus..."

-Rien n'est irrémédiable, Alby, fit Thibault, sur le même ton posé. Rien n'est irrémédiable, jamais.
Il chercha son regard.
-Et tu vas devoir supporter ma sollicitude, que ça te plaise ou non. Il y a seulement quelques jours, tu as voulu m'aider alors même que nous n'avons jamais été véritablement proches, que j'ai été une pourriture avec toi, adolescent. Tu m'as écouté, d'abord. Conseillé. Puis quand le mal a été fait, tu m'as retrouvé, tu m'as retenu au bord du gouffre dans lequel je m'apprêtais à sauter. Tu m'as réconforté... Puis tu es crânement allé devant le Conseil d'Erhedun, tu as convaincu je ne sais comment ce ramassis de vieux croûtons d'effacer la mémoire de ceux qui m'ont sondé. Puis tu as rallié Combeloup pour tenter de parler à l'homme qui était la cause de mes maux. Ton demi-frire. Et tout ça, toutes ces choses, tu les a faites alors-même que tu es encore blessé...
Il croisa les bras.
-Je ne te laisserai pas en arrière, Albérich Megrall. Je ne laisse pas tomber ceux que j'aime. Jamais.

" Tu ferais mieux de rebrousser chemin, Thibault. Il n'arrive rien de bon à ceux qui croisent ma route..." fit-il, amer.
Le gosse voulait rester dans le domaine de la Dame et il l'en avait détourné. Alors que s'il l'avait laissé entre les bras aimants des fées, il aurait été en sécurité. Et heureux. Heureux. Il n'était même pas certain de savoir ce que signifiait ce mot, désormais. Il était en tout cas persuadé qu'il ne le saurait plus jamais. Il se mit à trembler plus violemment et tomba à genoux dans la poussière du chemin. Puis il éclata en sanglots au creux de ses mains, balayé par l'angoisse.

Thibault s'approcha doucement. S'agenouilla près de lui. Posa une main légère, si légère, sur son épaule.
-Rien de bon ? souffla-t-il. Tu m'as empêché de m'abandonner à la vengeance, à la haine. A Shar. Tu m'as empêché de me tuer. Tu as mis du baume sur mes blessures... et m'a permis d'être là aujourd'hui. Vivant. Si ce n'est rien de bon, tout cela, alors rien n'est bon en ce bas-monde. Rien ne l'a jamais été.

" Je voulais qu'ils me tuent, Thibault. Je voudrais qu'ils l'aient fait. Je maudis ces aventuriers qui m'ont sauvé la vie. Je ne veux plus de rien. Je veux que la souffrance s'arrête et elle ne s'arrête jamais. Le gosse... le gosse, il comprend tout ça. Je lui ai menti. Je lui ai dit qu'il y avait de l'espoir. Mais il n'y en a pas. Il n'y en a jamais. Tout revient toujours à l'échec, à la mort, à la nuit. Shar me poursuit, tu ne vois pas ? Elle va me pousser dans mes derniers retranchements... Je ne peux pas aller là-bas. Si je vais là-bas, les risques sont trop grands. Je suis vide, moi aussi. Je ne veux pas te demander de me tuer. Laisse-moi, je t'en prie. Sauve-toi."

-Non. Je ne partirai pas sans toi.
Sa main serra un peu plus son épaule.
-Shar te poursuit, oui. Mais tu l'as mise en échec. A deux reprises. La première alors que tu étais aux mains de tes tortionnaires : ils n'ont pas eu ton âme. Ils t'ont blessé, oui, t'ont fait perdre une partie de ta force. Mais tu n'avais pas cédé à la déesse lorsque ces aventuriers, bénis soient-ils, t'ont libéré.
Il se tut, repris, plus bas encore.
-La deuxième, c'était chez moi. Lorsque tu es venu me voir. Lorsque tu m'as convaincu de renoncer au plan sordide que j'avais en tête. Les ferments de ma conversion étaient là, Albérich. Je le sais aujourd'hui. La douleur et la colère. La haine et la vengeance. Le vide laissé par ma foi vacillante qui s'agrandissait sans cesse, me laissant sans défense face au feu qui brûlait, prêt à me consumer. Tu as éteint ce feu comme on souffle une chandelle. Ensuite, ta présence, tes attentions... m'ont aidé à guérir.
De sa main libre, il lui toucha le bras.
-Shar te poursuit, oui. Mais tu as déjoué ses plans. Deux fois. Et en sauvant ma vie, mon âme, tu m'as permis d'être là aujourd'hui, à tes côtés. D'être là pour t'aider à triompher d'elle une troisième fois. Une fois pour toutes.

Albérich demeura silencieux pendant de longues secondes, frissonnant. Thibault se trompait, il n'y avait pas de victoire possible. Et il ne se remettrait jamais d'avoir trahi l'enfant comme il l'avait fait. Bastien était perdu. Il vivotait depuis des mois, sans goût pour l'existence, juste une crainte perpétuelle de souffrir encore et c'était exactement ce qui s'était produit. Même si les tortures d'Aubin ne le convertissaient pas, le trauma serait suffisant pour le faire basculer. Il n'avait que dix ans.
Un clerc, à Erhedun, pourrait effacer sa mémoire des événements. Pourrait le sauver. Lui donner un nouvel élan, lui rendre l'innocence de son enfance qu'on lui avait si cruellement dérobée.
Le Luménien releva les yeux.
" Promets-moi que si je bascule, tu me tueras." lâcha-t-il durement. " Si tu ne promets pas, je ne viens pas."

Le Sunite soupira.
-Je te le jure, Albérich : si tu devais céder à Shar, je te tuerais. De mes propres mains. Je te le jure sur ce que j'ai de plus précieux. Ma mère. Ma famille. Est-ce suffisant ?
Il secoua la tête.
-Mais je reste persuadé qu'il n'en sera rien. Et si je sens le moindre risque... j'empêcherai que cela se produise.

Albérich se releva, le visage fermé, et aida Thibault à en faire de même. Il retourna vers Douce.
" Nous devons descendre au village, chez mon père. Il sait peut-être où ils sont allés. Et s'il ne le sait pas, nous prendrons quelque chose qui leur appartient. Elisa doit avoir de bons chiens pisteurs au donjon."
Il attrapa les rênes, puis se hissa en selle.
" Bastien a peut-être quand même pu l'empoisonner... mais je n'y crois plus. S'ils ne sont pas venus ici, c'est qu'Aubin s'est douté que j'avais vu clair dans son jeu. Il a peut-être même fait parler le gosse..."
Il secoua la tête, luttant avec peine contre l'angoisse qui revenait se masser en lui.
" Dépêchons-nous."

Clovis choisit ce moment pour reparaître, tirant derrière lui les deux montures dûment harnachées. Les cousins les enfourchèrent puis, sans plus échanger un mot, ils rebroussèrent chemin. Au triple galop.
Ils n'avaient pourtant pas fait encore beaucoup de chemin lorsque la brise se leva, douce, chaude. Par-delà l'odeur de sa jument à la robe humide, Albérich crut reconnaître le parfum entêtant de fleurs épanouies sous un incomparable printemps.
Et, plus discrète, presque indétectable, l'âcre odeur d'un feu de camp.

Albérich arrêta Douce au milieu de sa foulée, se récoltant un hennissement de protestation.
" Par ici." dit-il simplement et il volta pour prendre l'odeur ténue en chasse.
Le terrain était accidenté mais la jument était native de ces collines, il fallait espérer qu'elle parviendrait à leur tracer un parcours à travers rocailles, ronces et ruisseaux. Malheureusement, elle était déjà éreintée. Et Aubin devait être loin. Le Luménien ne voulait pas imaginer ce qu'il était en train de faire, désormais que son secret était éventé. Car le barde devait savoir qu'ils étaient dans les collines. Pensait-il qu'en convertissant Bastien, il le lierait à ses mensonges ? Sans doute. Mais il suffisait de lui arracher sa chemise pour le trahir. Si telle avait été toute l'histoire, il aurait pris la poudre d'escampette sans demander son reste. D'autant qu'il devait deviner qu'Albérich ne renoncerait plus à ameuter le village entier. Il devait avoir un autre plan. Ou il était immensément stupide. C'était possible.
Tout en galopant, aveuglé par la vitesse et ses propres larmes, Albérich sentait la fureur monter en lui. Elle était tournée contre lui-même, avant tout, mais aussi contre le monde entier, contre ce maudit gosse qui avait suivi son oncle dans les montagnes sans se rebiffer, contre César qui n'avait pas été foutu d'élever un gamin un peu solide, contre Elisa qui se laissait berner par le premier séducteur venu, contre Thibault qui l'avait précipité dans toute cette affaire au départ. Il ne s'en inquiéta pas outre mesure, le Sunite avait promis, et ce qu'il adviendrait ensuite lui semblait complètement trivial.
Décelant un subtil changement de direction dans la brise printanière, il modifia sa trajectoire, sans prêter attention aux éventuels cris de ses poursuivants, et réalisa qu'il avait aussi trahi la Dame. Elle lui avait tacitement confié l'enfant, acceptant de ne pas lui conférer la protection ultime dont elle était capable, et il n'avait pas été à la hauteur. Une volute de haine s'échappa aux nuages de colère qui bruissaient en son sein. Mais une fois qu'il serait mort, plus personne ne pourrait faire l'erreur de s'en remettre à lui.

Tout à coup, la brise se fit plus odorante, plus chaude ; elle parut envelopper complètement cavalier et monture, les effleurer d'une douce caresse, presque les étreindre.
Puis elle disparut, ne laissant derrière elle que quelques fragrances printanières.
Et cette odeur de fumée.
Dont il crut découvrir la source.
L'ancien aubemestre tira sur les rennes. L'instant suivant, ses compagnons le rejoignaient, s'immobilisaient à leur tour.
Face à eux, se découpant sur le ciel sans nuages, un fin filet de fumée s'élevait, presque droit. Il provenait du sommet d'une colline qui n'était plus qu'à quelque distance, désormais. Une colline un peu plus haute que ses voisines, un peu plus abrupte, aussi, dont le faîte était couronné d'un cercle de pierres levées.

Albérich observa l'éminence en cherchant à deviner s'il serait possible de la gravir à cheval. Ce n'était peut-être pas la manière la plus discrète de s'approcher, cependant, mais s'ils arrivaient au sommet hors d'haleine, ils perdraient tout avantage. Ils devaient tabler sur le fait qu'Aubin était en pleine possession de ses moyens, mais qu'il était occupé et pensait les avoir semés. Le Luménien n'était évidemment pas armé et il regarda autour de lui à la recherche d'un morceau de bois qui lui servirait opportunément de gourdin. Il se sentait parfaitement prêt à assommer le barde, quoi qu'il risque, et à répandre sa cervelle sur la montagne au besoin. Il se tourna vers ses compagnons de route.
" Nous devrions nous approcher. Une fois à proximité, Thibault et moi interviendrons. Vous resterez caché, Clovis. Si les choses tournent en notre défaveur, vous retournerez au village avec les chevaux. Rendez-vous à la forge. Vous y trouverez un homme du nom de Hodor. Dites-lui que vous venez de ma part, que c'est urgent, important, nécessaire. Il pourra regrouper quelques personnes et venir se charger de ce que nous n'avons pu régler."
Puis, sans attendre, il descendit de cheval et, abandonnant Douce, se mit en route.

Si Clovis grimaça, preuve que le rôle qu'on lui avait attribué ne lui plaisait guère, il ne protesta pas et, à l'instar de Thibault, se lança aux trousses de l'ancien aubemestre.
Tous trois progressèrent rapidement. Du moins, aussi rapidement que le permettait une approche discrète. Aubin se croyait sans doute débarrassé d'eux, était sans doute très occupé, en l'instant ; mais, compte tenu de la position éminente qu'il occupait, il devait avoir une vue imprenable sur le paysage en contrebas... Mieux valait, dès lors, ne pas trop lui faciliter les choses.
Ils ne s'arrêtèrent pas avant d'avoir atteint le pied de la colline, ralentirent tout au plus pour récupérer deux branches solides, en manière d'armement. Une fois sur place, Clovis leur désigna une ravine toute proche où ils pourraient dissimuler leurs chevaux loin des regards indiscrets.
Restait à décider de quelle manière ils mèneraient l'ascension. Une sente à peine marquée semblait serpenter, s'enrouler autour des flancs de l'éminence. Ses lacets montaient à un rythme modéré qui ne poserait de problème ni à un cheval, ni à un piéton. C'était le moyen le plus aisé d'accéder au sommet... mais aussi le plus long.
S'ils voulaient gagner du temps, et s'ils n'avaient pas peur de manquer de souffle, ils pouvaient tout bonnement escalader l'une des faces de la colline. Il n'y avait là rien d'infaisable, loin s'en fallait... Mais ce serait tout de même un exercice épuisant.

Albérich jeta un coup d'oeil à Thibault, tâchant de se remémorer de quoi était capable son compagnon. Mais leurs dernières escapades remontaient à vingt ans, cela n'avait aucun sens. Lui-même se sentait galvanisé par les émotions qui bouillonnaient en son sein et il n'hésita finalement pas plus de quelques secondes avant de se lancer dans l'escalade. Même s'il arrivait épuisé au sommet, il massacrerait la vermine qui s'y terrait.

Thibault et Clovis sur les talons, Albérich gravissait le flanc de la colline, s'aidant des affleurements rocheux et des buissons qui les recouvraient, profitant des rampes douces mais étroites du sentier pour, de brèves secondes, reprendre souffle puis repartir d'un nouvel élan.
Les minutes s'écoulèrent. Une dizaine, peut-être. Enfin, ce furent les derniers mètres, plus raides encore, qui les séparaient du sommet arrondi.
L'ancien aubemestre, le cœur battant la chamade, la gorge sèche, l'avait presque atteint lorsqu'une main lui saisit fermement le bras.
-Tout doux... murmura Thibault. Je doute qu'une entrée fracassante serve nos intérêts...

Albérich s'immobilisa et dévisagea Thibault avec une expression revêche. Il se plia cependant à son injonction. Il n'imaginait pas vraiment que la violence qui couvait allait s'atténuer. Mais peut-être pourrait-il reprendre son souffle, ce qui ne serait pas perdu. Ensuite il serait temps d'essayer de trouver un poste d'observation adéquat, avant d'intervenir.

Ils franchirent les ultimes arpents de roc et de broussailles. S'immobilisèrent juste avant d'attendre le sommet.
-Tout va bien se passer... murmura le Sunite.
Puis ils se hissèrent encore un peu. Coulèrent un regard par dessus la crête.
Le faîte de la colline était une sorte de dôme recouvert d'un gazon égal, semblable à celui d'un jardin bien entretenu. Un premier cercle de pierres grises, moussues, imposantes, s'étendait à quelque distance d'eux. Au-delà d'un nouvel espace dégagé, prairie verdoyante parée de fleurs aux blanches corolles, s'élevait, un peu en surplomb du précédent, un deuxième cercle de mégalithes plus modestes. Au centre de celui-ci, deux arbres jeunes, vigoureux, tendaient leurs branches vers le ciel d'azur où brillait, resplendissant, un soleil printanier. Leurs troncs droits et rapprochés formant comme deux colonnes végétales,.
A leur pied, près d'un petit feu, se tenaient Aubin et Bastien. Le petit garçon était assis, tête basse ; son oncle le dominait, lui parlait avec animation.
-Tu vois ? fit Thibault, dans un souffle. Nous n'arrivons pas trop tard... Bon, ça va être galère pour s'approcher sans se faire voir, mais... Nous n'arrivons pas trop tard.

" Qu'en sais-tu ?" lui rétorqua Albérich avec amertume.
Franchir l'espace les séparant du premier cercle de pierres ne serait pas si compliqué : elles étaient énormes et il suffisait de choisir son angle pour les rallier sans offrir de ligne de mire à Aubin. D'autant qu'il était probablement passionné par son propre discours. Mais le Luménien dévisagea son compagnon.
" Autrefois, tu étais plutôt doué à la fronde. Ne peux-tu pas simplement l'atteindre à distance ? Il y a pléthore de cailloux tout autour de nous..."

Le clerc grimaça.
-Oh oui, les pierres ne manquent pas... Mais la fronde fait défaut, elle : je ne m'étais pas exactement préparé à un combat...
Il soupira.
-Je peux toujours en bricoler une, mais... Cela prendrait un peu de temps. Quant à jeter un caillou à la main... Le lancer de poids n'a jamais été mon fort.

Albérich haussa les épaules. Il s'était douté que Thibault se dégonflerait.
" Dans ce cas, ce sera frontal. Peu importe."
Il observa les rocs autour d'eux.
" Il peut paralyser et charmer. Normalement, vu sa jeunesse et notre expérience, nous ne devrions rien risquer... Mais c'est mieux que ton cousin reste derrière. Je pense que le pire qu'il puisse faire, c'est devenir invisible. Evidemment, il s'attaquera probablement au gosse. A mon avis, notre meilleure chance est de bluffer. Vu ton pouvoir potentiel, il ne peut pas grand chose contre toi. Je pense que nous devrions y aller à découvert."

Thibault haussa les sourcils.
-Alby... Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Un homme - et à plus forte raison un Sharite - aux abois est très dangereux, imprévisible. S'il nous voit venir, il prendra le gosse en otage. S'il se croit perdu... il pourrait le tuer. Purement et simplement.
Il reporta son attention sur Aubin.
-Il a l'air fichtrement emballé. On devrait pouvoir s'approcher beaucoup sans qu'il ne nous remarque... Ce serait alors plus facile de lui tomber dessus par surprise.

" S'il le tue, il y a au moins dix clercs à Erhedun qui peuvent le ramener." grommela Albérich. " Qu'un vieux Lathandrite comme moi n'y songe pas, soit, mais un Sunite hédoniste dans ton genre, tu devrais le savoir."
Il regarda à nouveau dans la direction d'Aubin et de Bastien.
" Et vu ce que le gosse a subi, une résurrection bien propre est peut-être exactement ce dont il a besoin. On risque de toute façon de le retrouver pendu à un pommier dans les jours qui viennent."
Il revint à Thibault.
" Mais soit, agissons comme des barbares. Les chances que la cervelle d'Aubin soit répandue augmentent et personnellement, je n'y vois aucun inconvénient."

Thibault le dévisagea, les sourcils froncés.
-Je pense... Je pense que Clovis et moi devrions nous charger de l'assaut, murmura-t-il. Je te sens... Prêt à céder à des choses qui ne te ressemblent pas, Albérich. Et si tu y cèdes, je me verrai contraint d'honorer une promesse que je n'ai pas envie d'honorer.
Il secoua la tête.
-Agir comme des barbares... Cervelle répandue... Ah, ça nous avencerait beaucoup, tout ça. Je te rappelle que le plan initial est de capturer Aubin pour le guérir. Pas de le massacrer. Et si on le pousse à bout, s'il commet un crime odieux... Ses chances de rémission seront plus minces encore.

" Le plan initial a changé." rétorqua le Luménien. " Le plan initial est entaché de l'inertie et de la stupidité habituelles. Des demi-mesures qui mènent au désastre. Et ne me regarde pas comme si j'étais un être malfaisant. Si j'étais paladin, je l'aurais décapité dès mon arrivée à Combeloup, et Lathandre m'aurait souri."
Il secoua la tête.
" Mais très bien. Tu t'occuperas d'Aubin, puisque tu tiens tant à le protéger, ce pauvre amour. Je me chargerai de mon neveu. Si ton cousin intervient, la seule chose qui se produira, c'est qu'Aubin le retournera contre toi et tu seras forcé de le tuer."

Le clerc parut vouloir ajouter quelque chose, mais finit par renoncer. Il fit signe à Clovis de rester où il était, puis sans un mot, il s'élança.
Comme ils franchissaient la crête, presque rampants, comme ils s'approchaient, prudents et silencieux, des mégalithes du premier cercle, ils entendirent peu à peu s'élever la voix d'Aubin. IL était apparemment parvenu à la fin de son discours enflammé.
-... une dernière fois, Bastien. Es-tu prêt à embrasser la cause de Shar ? A l'embrasser de ton plein gré ?
Un silence.
-Non, mon oncle.
Un soupir.
-Alors, tu ne me laisses pas le choix...
Ils étaient à mi distance des pierres,d désormais, durent s'immobiliser un instant pour trouver un meilleur angle d'approche. Ce ne fut pas trop difficile.
-Sais-tu à quoi sert cet objet, Bastien ?reprit Aubin.
-A... A marquer le bétail...
-Oui. Quoi qu'ici, c'est aux humains qu'il est destiné. Reconnais-tu le symbole qui y est gravé ?
L'enfant ne répondit pas.
-Oh oui, tu le reconnais. Et bientôt, ce symbole marquera tes chairs. Bien plus profondément que ces innocentes coupures que je t'ai faites. Bien plus irrémédiablement, aussi. Car ce fer est investi de la puissance de Shar. Il ouvrira cette porte que tu tiens obstinément close, laissera entrer en toi sa puissance...
Les mégalithes du premier cercle étaient tout proches, désormais.
-Mais pour que la chose fonctionne, il faut... que tu sois en condition. Ce qui implique une petite séance d'exercice. J'aurais voulu t'épargner tout cela, Bastien. Mais... Tu ne me laisse pas le choix.

Albérich était concentré sur sa trajectoire, mais il ne put qu'entendre ce que disait son demi-frère. Il sentit l'adrénaline l'embraser et en une fois, une vague de terreur brute associée à la nécessité impérieuse d'agir l'envahit. Comme la veille, dans des circonstances plus agréables, il cessa de penser, tourné tout entier vers l'émotion qui faisait rage en lui. La prudence, la moindre idée tactique, la capacité à se projeter dans le futur furent balayées en une seconde.
Il ne restait que l'urgence. Un instinct primaire qui prenait naissance dans ses propres chairs, peut-être dans son épaule droite, peut-être dans la proximité qui existait entre le garçon et lui-même. Protéger Bastien à tout prix. Empêcher Aubin d'agir. Le danger était secondaire.
Il se raidit. Puis s'apprêta à s'élancer.

Un bras autour de ses épaules, le plaquant contre la pierre derrière laquelle ils s'abritaient.
Une main, sur sa bouche, l'empêchant de parler, de crier.
Une voix à son oreille, impérieuse.
-Du calme, Alby. Ne te laisse pas aller. Ne cède pas... Il n'a rien fait, encore. Si on attend qu'il soit concentré, qu'il ne prête plus aucune attention à ce qui l'entoure, on aura une ouverture. Une ouverture pour agir vite, efficacement...
A une quinzaine de mètres de là, la voix d'Aubin s'était fait dure, tranchante
-Allez, à poil. Tu ne voudrais pas que ton gentil grand-père s'inquiète de vilaines tâches de sang sur tes vêtements, n'est-ce pas ? Cela lui ferait de la peine... D'autant que, par ta faute, il y en aura beaucoup, du sang...

Une seconde, Albérich fut sur le point de suffoquer, son corps fut animé d'un grand spasme que son compagnon contint de son poids. Ses yeux affolés rencontrèrent le regard déterminé de Thibault et il tenta d'y puiser une once de calme, de conviction. Sa poitrine lui semblait sur le point d'exploser et une seconde, il fit mine de se débattre, comme si sa vie en dépendait, puis sa tension se relâcha. Son coeur battait toujours la chamade. Il n'avait aucune idée de ce que venait de dire Thibault. Il avait l'impression que ses jambes allaient se dérober sous lui. Il se raccrocha à l'épaule du Sunite lorsque celui-ci relâcha sa pression. Puis il se stabilisa et s'apprêta à le suivre.

Lorsqu'il fut assuré qu'Albérich n'allait pas charger bille en tête, Thibault se déplaça légèrement.
-Il faut guetter le bon moment... souffla-t-il.
Ils coulèrent un regard au-delà de la pierre.
Aubin avait tiré de son sac divers couteaux, divers cordelettes qu'il avait aligné avec soin sur l'herbe, comme l'aurait fait quelque artisan méticuleux. Et, tandis que son neveu se dépouillait de ses vêtements, il s'était emparé d'une théière et d'une tasse, éléments parmi tant d'autres d'un copieux petit déjeuner auquel il semblait s'être adonné précédemment., comme si l'objet de sa présence ici n'était qu'un pique-nique champêtre.
Seules quelques gouttes sombres tombèrent au fond du récipient, ce qui arracha un soupir agacé au barde. Il reporta alors son attention sur le petit garçon qui achevait d'ôter ses chausses. Alors, sans plus tarder, il récupéra les cordelettes et se leva.
-Viens.
Il le mena entre les deux arbres.
-De quel côté préfères-tu regarder ? Vers le village ? Vers la forêt ?
Bastien ne pipa mot.
-Tu n'y mets vraiment pas du tien... Bon, encore une fois, je vais devoir choisir pour toi... Hum... Ce sera la forêt. Après-tout, c'est de là que viennent tous tes malheurs...
Sans plus perdre un instant, et sans le moindre ménagement, il entreprit d'attacher les poignets et les chevilles de son neveux aux troncs.
Ce faisant, il tournait le dos aux deux hommes dissimulés derrière leur mégalithe.
-Maintenant... fit Thibault. Tu vois la pierre, là bas ? M'est avis qu'elle ne nous cachera pas trop mal...
Et de s'élancer, courbé en deux, travers l'espace découvert les séparant du second cercle.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Combeloup

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes

Re : [Lieu] Combeloup

Quête : Brumes