La Couronne de Cuivre

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi frémit lorsque la main lui toucha l’épaule. Sans tourner la tête et le regard toujours vague, il marmonna des paroles à la limite de l’intelligible :

- Oh, tu es vivante, j’ai cru que tu…

Sa tête retomba, forçant Astrée à le secouer pour le maintenir éveillé. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il les planta dans ceux de la rôdeuse, la dévisageant un instant le regard fixe. Puis un faible sourire anima son visage :

- Astrée, c’est toi ? Il est déjà l’heure de partir, je n’ai pas réussi à me réveiller… il fait si froid, qui a éteint le feu ? Si froid…

Un terrible frisson secoua son corps alors qu’il faisait mine de se lever. Il ne réussit juste qu’à s’avachir encore davantage, ses dents claquaient les unes contre les autres.

Kasumi était encore plus mal en point qu'elle ne l'avait cru. Pourvu que Belenn se dépêche... Elle ne chercha pas à savoir à qui s'adressaient les quelques mots à peine intelligibles qu'il avait prononcés. A un fantôme du passé, sans doute.

Elle le secoua plus vigoureusement.
- Ne t'endors pas. Surtout pas!
Elle ôta son manteau et en couvrit les épaules du rôdeur, le frictionnant pour le réchauffer. Angoissée, elle ne sentait même plus le froid.
- On est dans la forêt maudite, et tu viens d'éliminer un vampire, tu te souviens? Il t'a salement touché mais tu l'as eu. Belenn est allé te chercher une potion pour te remettre sur pied. Ca va aller, ne t'en fais pas. Il faut juste que tu restes éveillé.

Agenouillée près de lui, elle continua à lui frictionner les épaules et les bras.
- Essaie de parler, raconte-moi n'importe quoi, pour éviter de t'endormir. Je ne sais pas, moi... A quoi tu occupes tes journées à Luménis? Qu'est-ce que tu faisais avant? Quel est ton animal préféré? Dis-moi tout ce qui te passe par la tête, mais ne t'endors pas...

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi sembla reprendre quelques couleurs alors que la rôdeuse lui frictionnait les épaules. Il était pourtant toujours fébrile et là la limite du délire fiévreux.

- Je cherche les conseillers perdus je crois. Je m’occupe des arbres aussi. Même si Garance affirme que c’est inutile. Les arbres s’occupent bien d’eux-mêmes. Surtout ceux-là.

Sentant la rôdeuse angoissée, il s’efforça d’ajouter autre chose :

- Il y a aussi les petites statuettes de bois. Tout le monde aime les statuettes… Sculpter, c’est comme libérer les gens prisonnier du bois. Jamais plus d’une par personne, attention ! Tu aimerais avoir la tienne ? Elle serait très jolie, je la vois déjà.

Astrée essaya de démêler un peu l'écheveau des paroles pour le moins incohérentes du rôdeur.
Bon, il avait parlé de conseillers perdus, c'était déjà bon signe. Il semblait revenir à la réalité.
Une certaine Garance aussi... Une amie très proche, sans doute. Ou peut-être encore un fantôme du passé. Et des arbres dont s'occuper, qui n'en ont pas besoin. Il semblait au bord du délire...

Elle se raccrocha à la seule phrase qui lui parut intelligible.
- Tu sculptes des statuettes? Je n'aurais jamais cru ça. Mais je serais ravie d'en avoir une, si un jour tu trouves le temps de me montrer ton talent.
Elle se dit qu'elle racontait vraiment n'importe quoi. Heureusement qu'il aurait tout oublié lorsqu'il aurait repris ses esprits. Elle avait l'impression vague d'entendre des choses qu'elle n'aurait pas dû entendre, de plonger dans son jardin secret sans y avoir été invitée. Elle n'aurait jamais imaginé qu'il puisse avoir des talents de sculpteur, par exemple.

Elle chercha quelque chose à ajouter. Il fallait s'appuyer sur ce qu'il avait dit, sur les parcelles de conscience qui lui revenaient.
- C'est quoi, cette histoire d'arbres dont tu t'occupes? Et c'est qui, Garance?

Belenn reparut et sourit à Astrée, avant de s’agenouiller devant le rôdeur dont le regard fiévreux virevoltait sur les visages et les arbres sans savoir où se fixer.
« Il va retrouver une partie de son énergie, mais il est faible et je ne sais pas si son trouble va complètement s’effacer. Je voulais vous laisser le choix mais j’ai besoin de quelqu’un de stoïque et je ne vois que vous… » dit le clerc à la jeune femme. « Arya est manifestement éprouvée par ce qui vient de se produire et… j’aurai besoin d’un coup de main… »
Il se mit à psalmodier à voix basse mais toussa au milieu de son incantation et s’interrompit. Il grimaça et reprit. Une lueur orangée naquit entre ses doigts, il la dirigea vers Astrée et celle-ci sentit ses forces revenir. Une saine fatigue demeurait dans ses muscles, mais cela n’avait rien à voir avec ce que lui avait volé l’ombre avant de trépasser.
« Je vais restaurer Kasumi puis le ramener dans sa tente. Pouvez-vous… je ne sais pas, faire chauffer quelque chose, pour le revigorer… Il faudra ensuite panser ses plaies. Je pourrais m’en charger mais… je n’ai plus l’énergie nécessaire ce soir. Et je sais que vous avez ces talents. »
Il déroula ensuite un parchemin qu’il tenait à la main, et le lut attentivement, plusieurs fois, à voix basse. Il ferma les yeux une seconde, toussa à nouveau, une longue quinte qui lui ébranla les épaules, puis se reprit et commença à incanter. Le sortilège était long et complexe, et le parchemin noircissait au fur et à mesure qu’il le récitait d’une voix ferme. Lorsqu’il en eut terminé, le feuillet se réduisit brusquement en poussière, une lumière bleue envahit le clerc tout entier, le rendant presque phosphorescent, et se rua en torrent vers Kasumi. Ce dernier se sentit transpercé, transbordé, comme rempli d’une force étrangère qui s’immisça dans chaque repli de son être, puis se sublima brutalement, le rendant à lui-même tout en le vidant encore davantage de ses forces. Il était épuisé mais entier.
Belenn poussa un calme soupir, puis le prit sous les épaules et les genoux et le souleva.
« Désolé mon vieux. Comme une jeune mariée. » dit-il au rôdeur, goguenard.
Puis il le ramena au camp.

Quête : un désir de crépuscule

Belenn eut quelque peine à transporter le rôdeur qui pesait d’autant plus lourd dans les bras fatigués du clerc alors qu’il progressait sur le terrain glissant et inégal du sous-bois. Il parvint finalement à l’installer dans la plus grande des deux tentes. Le rôdeur ne donna guère de signe de vouloir se réveiller malgré le ballotement. Son visage était pourtant plus serein, ayant perdu son aspect maladif de tantôt. Mais le remède avait usé les dernières forces vives qui liaient Kasumi à la conscience. Ce dernier avait sombré dans un profond sommeil réparateur. Restait à penser ses multiples plaies en prenant le risque de l’arracher à ce repos nécessaire…

Astrée ramassa les flèches d'Alice qu'elle avait tirées sur le vampire, et suivit le clerc, soulagée. Elle avait fait ce qu'elle avait pu, et réussi à tenir le rôdeur éveillé. C'était l'essentiel.
Elle se sentait un peu confuse d'avoir ainsi assisté à son délire. Elle espérait qu'il ne se souviendrait de rien, devinant qu'il serait gêné d'avoir ainsi livré une parcelle de sa vie.
Auprès du feu, elle aperçut Arya, qui veillait sur Taliesin, jeter une bûche dans le feu. Elle lui adressa un petit sourire. Le genre de petit sourire qu'on adresse à une personne avec qui on vient de risquer sa vie et d'échapper presque par miracle à la mort.

Tandis que Belenn portait Kasumi dans la tente des hommes, elle fit une rapide incursion dans la sienne pour y chercher sa petite trousse à pharmacie et sa réserve d'herbes médicinales. Elle prépara un petit mélange qu'elle savait revigorant, et fit chauffer une casserole d'eau, tandis qu'elle allait rapidement ramasser ses autres flèches, tirées par Taliesin. Puis, elle versa l'eau sur son mélange d'herbes à infuser, et s'en fut vers la tente où reposait Kasumi.

A son grand effarement, elle s'aperçut que le rôdeur était sans connaissance. Ou peut-être simplement endormi, épuisé. Belenn ne semblait pas inquiet.
Elle hésita, faillit faire demi-tour. Mais se souvint que son compagnon était blessé, et que le clerc avait prévenu qu'il n'avait plus suffisamment d'énergie pour le soigner. Elle s'accroupit donc près de lui et entreprit d'examiner ses blessures.

La plus grave semblait être la plaie due à la griffure du vampire, à l'épaule. Bien sûr, il y avait aussi quelques contusions et diverses autres plaies, mais aucune ne nécessitait de soins urgents. Sauf cette maudite blessure.
S'il était inconscient, elle pourrait le soigner sans qu'il s'aperçoive de rien. Mais s'il était simplement endormi... Elle répugnait à l'éveiller tant était visible son épuisement.

Cessant ses tergiversations, elle saisit fermement le corps et le fit basculer sur le côté. Doucement, elle tenta de lui ôter les épaisseurs de vêtements qui lui masquaient la blessure. Pourvu qu'il ne se réveille pas...

Belenn laissa Astrée aux prises avec les blessures de Kasumi et regagna la clairière. Arya et Taliesin étaient toujours au coin du feu, et il y faisait, en réalité, meilleur que dans les tentes. La magicienne, malgré son choc, était parvenue à relancer la flambée et de chaudes couleurs orangées frôlaient son beau visage pâle. Taliesin était inerte mais sa poitrine se soulevait avec régularité, à l’abri pour l’instant, une fleur violacée se déployant sous la peau de sa tempe droite.
Le clerc déposa une couverture sur les épaules d’Arya, hésita une seconde, puis s’assit non loin d’elle, à la fois respectueux et disponible, au besoin. Elle paraissait parfaitement entière, sur le plan physique, mais complètement bouleversée. Il ne connaissait rien des elfes, ou si peu, et ne voulait pas se montrer maladroit en posant le mauvais geste ou prononçant la mauvaise parole. Il demeura donc immobile, toussant de temps en temps dans son poing qu’il colorait parfois de glaires sanguinolentes, mais sans s’en soucier réellement. La momie supérieure lui avait refilé un petit désagrément temporaire, peut-être une tuberculose ou une mauvaise pneumonie, mais l’aube le soulagerait immanquablement. Il sourit en apercevant la chouette, posée sur une des jambes du barde, aux aguets. Il aurait voulu pouvoir lui dire que plus rien ne se passerait, désormais, mais se contenta de se détendre, espérant que cela lui suffirait.

Lorsque Belenn l’avait rassurée sur l’état du Barde, Arya avait levé les yeux sur lui, un pâle sourire éclairant son visage.Mais elle sentait qu’elle serait trop faible pour avancer, il lui fallait chercher ses images qui lui permettrait de revenir à meilleur esprit, de retrouver le chemin pour utiliser les forces qui lui restaient. Elle laissa son esprit voguer dans le peu de souvenirs qu’elle avait et un sourire naquit sur ses lèvres lorsque le visage de son père apparu. Il n’y avait que peu de paroles, la voix était douce, encourageante, rassurante.

Tu ne peux changer ce qui est, mais tu peux voir ce que tu veux. Tu possèdes ce dont tu as besoin, ne te laisse pas prendre par les ténèbres.

Que voulait-elle voir, la magicienne ne le savait pas vraiment à part que le soleil vienne effacer ces heures pénibles, elle n’avait même plus la force de penser, jusqu’au moment où son esprit lui offrit de nouvelles images emplies de paix, d’amour et de joie. Les immenses forêt de sa terra natale, verdoyantes, arbres centenaires où nichaient une myriade d’oiseaux dont les chants mélodieux s’élevaient vers le ciel, des animaux sauvages qui n’avaient nul crainte de s’approcher des elfes et qui l’emmenaient loin de la forêt maudite.

Arya se leva et se dirigea vers la tente pour prendre des couvertures, au passage elle jeta quelques branchages de moyenne grosseur dans le foyer pour qu’il reprenne de la vigueur avant qu’elle ne revienne plus tard le nourrir de branches plus grosses. Puis, elle s’avança vers le Barde inanimé où la chouette montait toujours la garde. Tout en posant un regard compatissant sur Taliesin et se demandant quels pouvaient être ces fantômes dont il n’avaient jamais parlé, elle se mit à l’envelopper lentement tout chantant, tels que le font les elfes, le combat qu’ils avaient menés. Sa voix était douce et claire et d’ainsi relater ce qui avait été pour elle une pénible épreuve, l’instant où elle avait craint le pire, lui permit de sortir de cette mélancolie qui avait envahie son âme. La chouette sans être amicale l’a laissa faire se déplaçant lorsque l’elfe venait mettre les couvertures la où elle se trouvait.

Une fois que le barde fut bien protéger du froid, Arya mit quelques grosses branches dans le feu dont les flammes avaient repris et qui pétillaient gaiement comme si rien ne se fut passé. Elle s’installa sur un tas de branches sèches et laissa son esprit partir dans ses souvenirs, entra en transe pour chercher cet paix dont elle avait besoin.

Lorsque Belenn vint poser la couverture sur ses épaules, puis prit place à ses côtés, elle sentit sa présence, mais ne bougea pas tout de suite, elle devait se retrouver, reprendre des forces pour continuer, pour chasser ces questions qui s’étaient posées, pour accepter tels qu’ils étaient les faits avant de pouvoir lui accorder quelques attentions entendant qu’il souffrait d’une toux qui lui paraissait mauvaise bien qu’elle n’eut que peu de connaissance des maladies des humains.Après un petit moment, ayant retrouver la paix, elle posa un regard calme et serein sur le clerc.Vous me semblez bien mal Belenn, je ne sais ce que vous avez rencontré en allant seul dans la forêt, mais ici ce fut ... je n'avais jamais combattu et ... à un moment ils étaient tous les trois si mal en point, Kasumi perdait son energie, Astrée s'écroulait et j'ai cru que le mort-vivant allait prendre la vie de Taliesin, et ...Dans son regard passa son impossibilité de parler de l'entité qui l'habitait, elle savait qu'elle était là, n'avait jamais pensé se voir un jour dépossédée de son corps par elle et aurait voulu s'en ouvrir au clerc qui aurait pu la guider dans cet nouvel état avec lequel elle redoutait de devoir faire. Elle aurait pu raconter ce qui s'était passé, mais les mots décrivant la réalité lui étaient interdits, elle ne pouvait que dire qu'elle l'avait fait, alors qu'elle était bien incapable de telles prouesses. Elle n'avait ni la rapidité, ni la dextérité de la drow. Elle soupira.Heureusement que vous êtes arrivé

Belenn lui sourit doucement.
« Vous surestimez l’importance de mon intervention. » murmura-t-il. « Aucun de vous quatre n’a souffert de blessures mortelles, vous auriez surmonté ce petit moment d’hébétude qui suit la fin d’un combat particulièrement violent. Vous vous en êtes remarquablement bien sortis et j’ai commis l’erreur de ne pas reculer suffisamment vite. Je voulais m’assurer qu’il n’en viendrait plus et… peu importe, ces choses sont faites. Le principal est que nous soyons vivants tous les cinq. Nous n’avons perdu aucun animal, et au pire, nous partirons plus tard que prévu demain matin. La situation aurait pu s’avérer bien plus catastrophique. »
Il toussa à nouveau dans son poing, puis essuya du bout des doigts un peu de la morve verte, désormais séchée, qu’il avait encore sur le visage.
« N’embrasse jamais une momie, me disait ma mère. Elle avait raison. »
Il rit doucement.
« Mais avec le lever du soleil, il n’y paraîtra plus. »
Il se tourna à nouveau vers elle.
« Pour quelqu’un qui n’avait jamais combattu, vous avez des ressources insoupçonnées. Je n’ai pas assisté à vos prouesses, mais je crois deviner que Taliesin vous doit beaucoup. »

(dans la tente)

Astrée grimaça en voyant la blessure. Elle couvrit rapidement le blessé d’une couverture pour le protéger du froid, et sortit récupérer l’eau qu’elle avait fait bouillir. Elle adressa un petit signe de tête à Arya et Belenn, en pleine discussion. Elle ajouta un peu de neige pour amener le liquide à la température idéale, et s’en retourna auprès du rôdeur.

Elle fit en sorte de laisser la couverture en place, ne dénudant que l’épaule. Sans doute aurait-il été mieux près du feu : il faisait si froid ici.
Elle lava consciencieusement la plaie avec du savon, puis appliqua un baume cicatrisant. Elle procédait par gestes doux et lents, soucieuse de ne pas l’éveiller. Parfois, un mouvement inattendu du dormeur l’obligeait à recommencer. D’autre fois, quelques paroles inintelligibles la faisaient sursauter. Elle prenait mille et une précautions, rallongeant d’autant sa tâche.

Elle sentait sa propre fatigue, plus présente que jamais. Mais elle ne se reposerait pas avant d’en avoir terminé. Elle lui devait bien ça : il avait pris des risques énormes en s’attaquant à un vampire, sans doute le plus dangereux de leurs adversaires. Elle frissonnait encore en y repensant. Il avait eu de la chance de s’en tirer.

Elle nettoya ensuite les autres plaies visibles, remarquant au passage quelques cicatrices, témoins d’anciennes blessures. Le rôdeur semblait un combattant aguerri. Certainement beaucoup plus qu’elle, en tout cas. Elle le voyait à mille petits détails, son autorité naturelle lorsqu'il s'agissait de prendre des décisions pour le groupe, son habileté à tenir ses épées, son caractère indépendant... Se rappelant soudain ce qu'il avait laissé échappé dans son délire, elle sourit : non, elle ne l'aurait jamais imaginé sculpter le bois. Ça adoucissait un peu son image de combattant solitaire. En tout cas, elle se promettait bien de garder ce secret pour elle.

Il serait vite sur pied. C'était surtout de repos dont il avait besoin, ses maigres soins n'étaient qu'accessoires.

Le regard d’Arya partit loin vers la lisière de la clairière avant de revenir se poser dans ceux de Belenn plein d’espoir qu’enfin quelqu’un put savoir ce dont elle ne pouvait parler, dont les mots refusaient de sortir ou plutôt sortaient en parlant d’elle-même, car si il n’était pas là, mais qu’il avait deviné, peut-être avait-il le pouvoir de comprendre sans qu’elle en parle que les prouesses dont il parlait ne lui était pas directement imputables, qu’il pouvait déceler la présence de l’identité.

Oh, vous savez ! Enfin je voudrais que vous sachiez …

Elle cherchait ses mots pour parler de ce qui s’était passé, mais avait bien de la difficulté à trouver un chemin.

Je me suis lancée dans l'action sans réfléchir et puis Kasumi a demandé de l'aide car il était au prise avec un vampire, je l'ai rejoint aussitôt. J'ai commencé à combattre avec un tison, mais cela n'avait aucune efficacité, j’ai lancé un sort de lumière contre le vampire, Kasumi en a profité pour l’éliminer, mais il a été touché, je cherchais du secours ... Astrée était en train de s’écrouler et Taliesin semblait ne pas se défendre contre un mort-vivant, alors les images de l’intrusion à Eternelle-Rencontre, vous en avez entendu parler … les drows.Elle appuya le dernier mot tout en insistant avec son regard.Et puis, je me suis retrouvée près de Taliesin, tout était fini, je croyais être la seule à m’en sortir intacte …

La magicienne ne lâchait pas le clerc des yeux, elle cherchait un signe qui lui offrirait l’espoir que sans qu’elle puisse en parler, bien qu’elle ne pourrait que contrer ce qu’il dirait, qu'il avait deviné. Il saurait et peut-être qu’ainsi ce secret n'en serait plus vraiment un et qu'elle aurait trouvé une faille, comme l’avait fait l’entité pour prendre possession de son corps.

Belenn la dévisagea un long moment, les sourcils froncés, la bouche pincée, sans répondre. Il n’avait pas assisté au combat, avait seulement découvert ce qu’il en restait lorsqu’il était enfin arrivé à proximité de la clairière.
« Arya, je pense qu’il arrive… parfois… »
Il s’interrompit.
« On n’est pas toujours maître de toutes les parties qui nous constituent. Nous ne sommes pas toujours conscients de ce qui nous compose. Vous avez l’air de penser… qu’une partie de vous-même, étrangère… »
Il sourit.
« Je dois mal vous comprendre, nous sommes fatigués. » dit-il finalement, en baissant les yeux.
Mais il les darda à nouveau sur elle, une seconde plus tard, incisif sans être indiscret, pourtant.
« Parfois un traumatisme nous amène à refouler ce que nous sommes. Ou nous amène à nous scinder en nous-même. Peut-être serez-vous moins surprise de ce dont vous êtes capable, la prochaine fois que cela surviendra, si cela survient à nouveau. Peut-être pourrez-vous l'apprivoiser... »
Il disait les choses, mais une partie de lui-même n’avait pas l’air d’y croire, comme s'il sentait, ou savait, qu'il y avait autre chose, mais ne parvenait pas à l'exprimer. Finalement, sa voix se réduisit à un murmure.
« Surtout, Arya, n’ayez pas peur. Vous ne devez pas avoir peur. Vous avez la force qu’il faut pour y faire face. » lâcha-t-il simplement.

Comme lorsqu’elle avait tenté d’en parler avec le bibliothécaire, Belenn pensait qu’elle n’était pas consciente de ce qui lui arrivait, qu’elle en avait peur. Pourtant, elle ne refoulait rien, n’avait pas peur bien qu’elle se posait mille et une questions pour comprendre ce qui avait permit à la drow de prendre le dessus. Mais, les mots du clerc eurent un effet bénéfique et Arya eut un sourire presque enjoué, elle posa sa main sur la sienne.

Vous avez raison Belenn, nous sommes fatigués, le prochain combat, c’est cela, le prochain combat …

Arya ne savait comment elle pourrait laisser, voire forcer, la drow à prendre sa place, mais ainsi il y en aurait au moins un qui pourrait voir sa présence et même si elle niait les affirmations qu’ils avanceraient, ils finiraient bien par comprendre la différence entre des dires et son attitude.

Les esprits d’Arya et de l’entité drow pouvaient communiquer, et si elles l’avaient fait longuement et régulièrement au début, l’une comme l’autre s’ignoraient quasi la totalité du temps maintenant. La magicienne était bien décidée à reprendre ce dialogue silencieux dès la prochaine chevauchée.

Je pense qu’il serait bon que vous alliez vous reposez, vous avez une mauvaise toux, je n’ai pas de connaissance en médecine, les elfes ne sont jamais malades, mais vous allongez bien enveloppez dans les couvertures ne pourra que vous faire du bien. L’aube n’est pas loin, je ne pense pas que nous risquions une nouvelle attaque. N’ayez crainte, je veillerai et si cela se devait, je réveillerai tout le monde.

Astrée contempla son oeuvre, et soupira. Les soins qu’elle avait donnés étaient bien dérisoires. La blessure à l’épaule aurait nécessité quelques points de suture, mais elle ne pouvait les faire sans éveiller son patient à coup sûr. Elle préféra renoncer, se contentant de mettre en place un bandage serré. Elle verrait le lendemain comment la blessure aurait évolué. Peut-être que Belenn userait de ses capacités de clerc.

Kasumi semblait toujours endormi. C’était presque un miracle qu’il ne se soit pas éveillé pendant qu’elle le soignait. Sa fièvre était tombée. Elle le retourna doucement sur le dos, et prit soin de le couvrir chaudement.
Elle resta un petit moment assise près de lui, enveloppée dans une couverture. Elle vérifia que son pouls et sa respiration étaient réguliers, que sa température restait normale.

Dans un moment, si la fièvre n’était pas remontée, elle irait rejoindre les autres auprès du feu. Elle était inquiète pour Taliesin. Avait-il repris conscience ? Elle était trop loin pour avoir vraiment vu ce qui s’était passé lors du combat, elle savait seulement qu’il était tombé. Mais l’essentiel était que Belenn soit auprès de lui. Il saurait le soigner.

Et ensuite... Elle laisserait Belenn prendre le relais auprès du rôdeur, s'il le voulait. Elle se sentait épuisée, elle avait besoin de dormir un peu. Et elle n'oubliait pas qu'elle devrait se lever tôt pour s'occuper des chevaux. Et peut-être pour un dernier tour de garde, au cas où.
Elle se demandait comment le clerc faisait pour dormir aussi peu. Il devait être aussi épuisé qu'elle.

Mais au moment où Astrée rejoignit la clairière, Belenn se leva et l’accueillit d’un sourire.
« Chère Astrée, je pense qu’il est l’heure pour vous et moi d’aller nous coucher… »
Il s’interrompit, son regard passa sur la jeune femme, et cette dernière crut y lire, une seconde, quelque chose d’un peu déstabilisant, comme une invitation muette, curieuse, un rien concupiscente, mais qui s’éteignit tout aussitôt.
« Arya se propose de veiller sur le sommeil de Taliesin, et plus rien ne se passera cette nuit. Il ne nous reste pas beaucoup de temps avant l’aube, et je retaperai Kasumi dès que j’aurai pris un peu de repos. »
Il toussa dans son poing.
« Et je m’occuperai de cette petite gêne dans la poitrine au passage. Taliesin s’éveillera avec le soleil. »
Il se tourna vers Arya.
« Chaque jour, les prouesses de votre race m’impressionnent davantage, Arya, mais je vous suggérerais de vous reposer vous aussi. Vous êtes plus éprouvée que vous ne le croyez. »
Il se dirigea ensuite vers la tente où reposait le rôdeur.
« Mesdames, que la nuit, ce qu’il en reste, soit douce. »

HRP : petit post de clôture, on lève le soleil ?

Astrée salua ses compagnons et dirigea vers sa tente. Il y régnait un froid glacial, et elle envia presque Arya d'être restée près du feu. Et les deux hommes qui, à deux, auraient certainement plus chaud.
Epuisée, elle se roula en boule sous les couvertures, toute habillée, et s'endormit aussitôt.

Elle se réveilla peu avant l'aube, avec l'impression de n'avoir pas beaucoup dormi. Les évènements de la nuit lui revinrent immédiatement en mémoire. Taliesin inconscient, Kasumi blessé... Elle se leva d'un bond, et il ne lui fallut que quelques secondes pour ranger ses affaires dans son sac.
Elle sortit de la tente en s'étirant et salua Arya. Taliesin ne s'était pas encore réveillé, mais son souffle était régulier, comme celui d'un dormeur. C'était bon signe. Ses compagnons n'allaient pas tarder à se lever, eux aussi.
Elle se dirigea tout d'abord vers la tente des hommes, pour voir comment Kasumi avait passé la nuit, puis se ravisa. Belenn allait sans doute le soigner, il n'était donc pas nécessaire qu'elle s'en occupe.

Elle décida de laisser à ses compagnons le soin de commencer à démonter le campement et de préparer le petit déjeuner. Elle aurait pu plier sa tente, mais il restait les affaires d'Arya à l'intérieur. Elle le ferait plus tard, cela ne lui demanderait que quelques minutes.
Elle préféra se diriger vers les chevaux qu'elle s'empressa de détacher. Les bêtes semblaient soulagées de pouvoir enfin se mouvoir librement, et s'égayèrent un peu aux alentours, sans guère s'éloigner.
Avec un soupir, elle s'approcha de Moïse, et lui fit comprendre avec regret qu'elle ne le monterait pas aujourd'hui. Elle espérait qu'il ne serait pas jaloux de Romarin.

Puis elle rassembla le matériel et se mit au travail.

Les paroles de Belenn firent ressurgir cette identité si bien encrée, Arya détourna le regard dans lequel la vanité venait y luire, celle d’être une elfe, être supérieur à toute autre. Mais bien vite elle se reprit, elle savait que ce n’était pas la réalité, une vraisemblance certes, sur des points qui les rendaient supérieurs, ne point être touchés par la maladie, ne pas avoir besoin de passer des heures à dormir, être protégé de la magie, une longévité souvent enviée par les humains. Mais bien que son éducation fut basée sur cette supériorité, elle n’avait jamais été totalement persuadée et ne posait jamais un regard supérieur sur les humains. Et surtout, si ses compagnons ne furent pas là, elle serait sans aucun doute plus de ce monde.

Ne vous inquiétez pas pour moi, le repos ne vient pas du sommeil. Profitez tous les deux du peu de temps qu’il vous reste pour récupérer.

Dès qu’ils furent partis, son regard se posa sur son congénère qui était profondément endormi. Un sourire se fit sur son visage.

Et dire que c’est une drow qui t’a sauvé la vie, c’est à ne plus rien y comprendre.

Mais cette drow, il fallait qu’elles aient toutes les deux une petite conversation. La magicienne ne pouvait rester ainsi sans savoir comment celle-ci avait pu prendre le contrôle. Un dialogue silencieux s’établi alors que les yeux d’Arya scrutait les alentours où la nuit encore profonde avait encore toute son emprise.

Phylacrypte, comment as-tu fait ? Je dois savoir.

Depuis le début, la rage me hantait de vous voir si désorganisé et toi, alors que tu aurais pu voler au secours de le barde … tu étais défaillante, tu ne te contrôlais plus, toi et tes pouvoirs étiez incapables de sauver ton congénère. Vous n’êtes qu’une bande de bon à rien, je me demande ce que vous faîtes ici. Il n’est pas prêt d’être sauvé votre conseiller. Un rire moqueur accompagna ses dires.

Tu n’as pas le droit, sans eux je serai morte.

Oh la belle affaire … et moi je serai libre. … Le rôdeur qui ne sait même pas esquivé un coup, la rôdeuse qui se bat avec un bâton … un rire ironique éclata et ton congénère qui se laissent hanter par les ombres … oh que vous êtes doués vous les hauts-elfes …. Je ne parle pas du clerc qui a dû en profiter pour aller voir les filles du coin et toi, pauvre femelle …

Arya sentit les larmes monter au bord de ses yeux, comment cette drow osait-elle parler ainsi de ses compagnons qui au risque de leur vie, sans ménager leurs forces et leur courage partaient face à des adverses qu’ils savaient puissants. Ils avaient vaincus et ils s’en sortaient tous, ils n’étaient pas des guerriers, mais ils les valaient bien.

Tu es injuste et odieuse, tu es bien une drow, tu n'avais qu'à prendre le contrôle comme tu l'as fait un peu tard.

Pour faire quoi avec cette bande de rigolos que vous êtes. Tu ne sais même pas te battre, de l’instruction, ça tu en as à revendre, mais pour le combat, tu aurais mieux fait de refuser. Tu te crois supérieure à une drow … le rire se fit tonitruant, incisif, à en faire mal à la magicienne tu n’es pas grand chose sortie de ton laboratoire.

Si cela ne tenait qu’à moi, tu serais libre et tu le sais bien.

Je ne sais rien, laisse-moi maintenant, tu me fatigues.

Le silence se fit, la drow s’était tue comme si elle ne fut plus là restant muette à tous les appels de la magicienne. Attristée par les propos injustes et immérités qu’elle s’était permise d’émettre, la magicienne n’en oubliait par pour autant qu’elle était la sentinelle et bien que Belenn ait avancé qu’il ne se passerait plus rien, elle continuait à scruter les alentours. Mais lorsqu'Astrée se leva, Arya en profita pour se laisser aller à ses souvenirs pour récupérer elle aussi laissant à plus tard la question de l'entité qui l'habitait.

Taliesin ouvrit les yeux au moment où les premiers rayons d'un pâle soleil d'hiver vinrent caresser son visage de craie. Battant des paupières, l'esprit embrumé, il fut d'abord incapable de savoir où il était, et pourquoi c'était un ciel barré de branches mouvantes qui le dominait, et non pas le plafond familier de leur chambre... Et puis, la mémoire lui revint, brutale, brisant net le court oubli qu'offre parfois le réveil.
Ainsi donc, il n'était pas mort. Voilà qui contredisait ses pronostics. Enfin, pas tant que cela, en réalité : s'il était à peu près sauf, ce n'était pas de son fait, mais de celui d'Arya qui avait déboulé, vive, étrange, différente, pour occire d'un coup d'un seul le guerrier squelette juste avant que celui-ci ne l'achever pour de bon. Et puis, il y avait eu l'éclat d'os, le néant... Répit salvateur qui avait mis un terme aux tourments qui l'habitaient alors, à cette voix à laquelle il préférait ne pas repenser... Mais à présent, plus de répit, plus de néant. Il ne lui en restait plus qu'une violente douleur à la tempe.
Cette douleur et le constat terrible de son inaptitude.
Sans intervention inespérée, il serait mort, là, entre les troncs serrés des sapins. Il avait brillamment démontré qu'il n'était pas à sa place au sein de ce groupe. Oh, bien sûr, il avait terrassé deux malheureuses goules et un blême. Mais encore étaient-ils ralentis par le sort lancé par Kasumi. Et harcelés par ses invocations. Il avait suffi au barde de rester à distance, de tirer flèche sur flèche, comme dans ces concours d'adresse qui pullulaient dans les foires...
Et lorsqu'il s'était agit de faire vraiment quelque chose, l'épée à la main... Il était tombé. Serait mort, à l'heure actuelle, si d'autres n'avaient été plus capables que lui.
Les autres...
Il se redressa brutalement, et la protestation de sa tempe blessée lui arracha une grimace de souffrance. Lorsque le monde autour de lui eut consenti à interrompre sa folle sarabande, il observa le campement. Arya était assise non loin de lui, à côté du feu. Astrée s'occupait des chevaux, à peu de distance dans la clairière. Quant à Belenn et Kasumi, nulle trace... Un instant, il eut une sinistre pensée, mais l'expression des deux femmes reflétait juste de la fatigue. Pas l'affliction d'un récent trépas. Ils étaient vivants, donc. Et jouissaient probablement d'un repos bien mérité après leurs exploits de la veille.
Momies, ombres, vampires, ils avaient tout balayé... Oh, en les choisissant, eux, le Conseil ne s'était pas trompé. Judicieux jugement qui ne rattrapait pourtant pas leur bévue de l'avoir impliqué là-dedans. Lui qui n'était même pas capable de rester de marbre face aux mensonges d'une hallucination. S'il s'était laissé prendre au petit jeu d'un esprit, qu'en serait-il face aux sorts des Sharites ? Ils attisaient la peur, la colère, la rancune... A n'en pas douter, ils sauraient raviver ses blessures. D'une façon bien plus magistrale que cela n'avait été le cas, cette nuit. Quand cela arriverait, il succomberait à nouveau, et sans doute pour de bon, cette fois. La lutte serait autrement plus acharnée, et il n'aurait pas de chaperon pour lui sauver la mise.
L'orgueil blessé et l'évidence de ses propres insuffisances n'étaient pas seules en cause dans son humeur noire. L'elfe était plus que jamais persuadé qu'il ne reverrait jamais les siens. Pire : il craignait qu'en tentant de palier ses manques flagrants, ses compagnons s'exposent inutilement et en subissent les conséquences... Il était un poids pour eux. Et pas seulement hier : il l'avait déjà lu, à maintes reprises, dans les regards inquiets qu'ils lui jetaient fréquemment.
Ah, elles étaient loin, les belles résolutions du matin précédent ! Loin les nouvelles certitudes qui avaient, un moment, allégé son fardeau...
Mais il n'était pas temps de s'apitoyer sur son sort. Il était vivant. Peu important qu'il ne soit pour rien dans ce miracle. S'il était inutile au cœur de la tourmente, il était encore apte - du moins l'espérait-il - a apporter son aide dans les petites choses du quotidien.
Le visage fermé, les dents serrées pour lutter contre la douleur, il se remit sur pied, ramassa un récipient traînant près de lui et alla le remplir de neige avant de le déposer sur le feu. Du thé leur ferait du bien à tous...
Puis, après un sourire contraint à Arya, il se rassit. Plume vint se poser sur son épaule, et il caressa distraitement son plumage. Tout n'était peut-être pas si sombre, après tout. Face à ce qui s'était passé, les autres réfléchiraient à deux fois avant de lui demander de combattre à leur côtés. Avec un peu de chance, ils lui offriraient un poste de guetteur, au bord du vallon... Et il rentrerait chez lui, à Luménis. Là, il oublierait cette pénible affaire et se contenterait de son existence d'artiste de taverne. Et de sa vie auprès de Galathée. Il n'aspirait à rien de plus, de toute façon. C'était déjà bien trop beau pour lui.
Et puis, qu'importent gloire et exploits, s'ils vous mènent au trépas ?

Belenn apparut quelques minutes plus tard, l’air complètement perdu. En caleçon long et torse nu dans le matin piquant, il fit quelques pas dans le campement, le détaillant les yeux embrumés, puis dévisageant ses compagnons sans les reconnaître. Il entrouvrit la bouche.
« Chauntéa, qu’est-ce qui… »
Puis une lueur passa dans son regard, son sourire revint et il éternua deux fois avant de se perdre dans une quinte de toux.
« Saleté de carcasse. » grommela-t-il en rentrant dans la tente.
Il réapparut quelques minutes plus tard, mieux vêtu, et salua d’un geste les elfes qui se réchauffaient près du feu. Il se dirigea ensuite vers les chevaux et prêta main forte à Astrée. Celle-ci constata que s’il n’avait pas le doigté d’un rôdeur, il connaissait les aspects plus techniques de l’entretien d’un cheval et de son harnachement. Ils travaillèrent en silence pendant un long moment, avant que le clerc ne tousse à nouveau. Il s’écarta et murmura une incantation à voix basse, s’illuminant une seconde d’une lueur bleue, avant de revenir vers elle. Son teint était déjà plus coloré et il sourit à la jeune femme avant de reprendre son travail.
« Vous avez fait du beau travail avec l’épaule de Kasumi. » finit-il par dire. « Je m’attendais à devoir recourir à un sortilège puissant pour le soulager, mais ça n’a pas été nécessaire. Et c’est bien mieux. Les soins divins sont radicaux, mais en réalité, le corps ne récupère jamais aussi bien que si on lui laisse le temps de guérir par lui-même, à son rythme. Alors il apprend, il se fortifie… Enfin. Nous n’avons pas le temps pour les convalescences tranquilles, pas aujourd’hui. Votre homologue est comme neuf. »

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi s’empressa de donner raison au clerc. Il émergea de la tente avec une bonne mine qui démentait la soirée agitée de la veille. Il avait prit soin d’enfiler une tunique propre, mettant au rebus celle qu’il portait pendant le combat de la veille. Dès qu’il s’était éveillé, la tête lourde, le clerc avait prit soin de le soulager et il se sentait maintenant en grande forme :

- J’espère que nous aurons droit à une prime de salissure pour remplacer nos vêtements sinon je devrais rentrer à Luménis comme le familier d’un rôdeur au rythme où nous allons.

Alors qu’il se coulait vers le feu et la promesse d’un bon repas matinal, il grimaça :

- Maintenant que vous m’avez remis à neuf, je suppose que je vais devoir me relever tôt pour préparer les montures à partir de demain.

Il s’installa aux côté d’Astrée et lui glissa à l’oreille :

- Merci d’avoir pris soin de ma carcasse hier soir. Je n’ai pas encore trouvé le bois qui conviendrait mais tu mérites bien que je le cherche.

Puis comme si de rien n’était, il piocha dans les vivres et mangea de bon cœur.

Astrée avait accueilli d'un sourire l'aide bienvenue de Belenn. Les nouvelles qu'il lui apportait de son patient de la veille la soulagèrent. Et c'est avec une mine réjouie qu'elle salua Kasumi, qui semblait effectivement avoir bien récupéré de sa blessure.
Elle s'amusa de sa décision de se lever tôt de lendemain : c'était devenu une espèce de défi amical entre eux, et le fait d'en parler semblait éloigner pour un moment les souvenirs sombres de la nuit écoulée. Et elle devait bien s'avouer qu'elle préférait avoir un peu d'aide pour les montures.

En revanche, lorsqu'il fit allusion au bois... Elle dissimula de son mieux le rose qui lui montait aux joues, en détournant brusquement la tête pour se servir un bol de thé. Ainsi, il se souvenait de ces paroles qu'elle avait prononcées à la hâte, sans vraiment réfléchir, dans le simple but de le maintenir éveillé...
Bon, l'essentiel était qu'il ne semblait pas lui tenir rigueur d'avoir involontairement levé le voile sur son jardin secret. Et puis, elle n'avait pas menti hier soir : elle était curieuse de le voir à l'œuvre. Même si elle ne méritait sans doute pas un tel cadeau.

- Tu sais, je n'ai pas fait grand-chose. Tu avais surtout besoin de repos. Mais je suis ravie d'apprendre que tu es à nouveau en état de t'occuper des montures, ajouta-t-elle-t-elle d'un ton taquin avec un clin d'oeil. Je commençais à me demander si je n'allais pas être obligée de promouvoir Arya rôdeuse à ta place!

Une fois qu’ils se furent tous restaurés, les aventuriers remontèrent en selle. Belenn prit le temps de soulager le crâne de Taliesin, qui ne parvenait pas à dissimuler qu’une douleur lancinante y pulsait, Kasumi et Astrée chargèrent les derniers sacs sur les chevaux, vérifiant au passage sangles et sabots, Arya s’occupa d’éteindre le feu en l’étouffant sous la poussière, puis dispersant les cendres du bout d’un bâton. Les cadavres de leurs adversaires gisaient toujours non loin, mais curieusement, leur véritable trépas avait dissipé la plupart des mauvaises odeurs, et la neige, qui s’était remise à tomber, les ensevelissait peu à peu, lorsqu’elle parvenait à se jouer du filet des branchages.
Comme la veille, Astrée et Kasumi prirent la tête du convoi, ouvrant la marche dans des pseudo-sentiers. La couverture blanche masquait la majeure partie des traces qu’avaient laissées les paladins et il leur fallait redoubler de vigilance pour les distinguer. Derrière eux, venait Arya dont le cheval nerveux espérait doubler les guides au plus vite, pour s’élancer au triple galop dans les bois. Silence, le mulet, les suivait bravement. C’était lui le plus chargé mais il ne se plaignait pas, son pas sûr et régulier bruissant dans les feuilles gelées. Taliesin et Vive, sa petite jument, marchaient derrière, l’animal étrangement soucieux des humeurs de son cavalier. Enfin, Belenn fermait la marche, encadré par le vieux Moïse, et Epervier le boiteux.
Le vent se glissa entre les troncs, hurlant, et secoua les manteaux, les queues et les crinières avant de continuer sa route. Dans les hauteurs, une corneille croassa, presqu’un rire sinistre. Les journées étaient courtes, toujours plus courtes.

Emmitouflé dans son manteau au capuchon relevé, balancé par le pas régulier et sûr de sa monture, Taliesin faisait mine d'examiner le paysage avec attention. Mais c'était là plus une attitude affectée que réelle : c'était une bonne façon d'expliquer le mutisme radical dans lequel il s'était enfermé. Bien sûr, il avait distribué moult sourires, moult paroles agréables à ses compagnons lorsqu'ils lui avaient adressé la parole. Heureusement, on l'avait plutôt laissé tranquille, et il n'avait pas eu à jouer trop longtemps la comédie.
Et puis, il y avait quelque chose de reposant à s'abîmer dans la contemplation des bois touffus qui enserraient l'étroite sente. La forêt était toujours aussi sinistre, toujours aussi menaçante. Mais, à la lumière du jour, sous le mantel immaculé de la neige, elle n'était pas dépourvue d'une singulière beauté, d'une majesté sauvage et déroutante. Nul doute qu'autrefois, avant que le mal ne commence à la gangréner, c'était un lieu des plus agréables... Mais, il fallait l'admettre, rares étaient les endroits, les choses, les êtres à rester purs, à ne pas être flétris par l'existence, par le temps...

Après une bonne heure de marche, Belenn finit par se porter aux côtés du barde, encourageant les chevaux plus faibles à le suivre. Il les fit passer devant eux et les deux hommes restèrent en arrière, calquant leur allure sur les animaux chargés.
« Comment vous sentez-vous ? » demanda finalement le clerc, avec une expression un peu embarrassée. « Personne n’a pris de vos nouvelles, mais je suis persuadé qu’il s’agit là plus de pudeur que de négligence… Les échos que j’ai eus de votre nuit ont été pour le moins sinistres… Peut-être ne désirez-vous pas remettre cet épisode sur le tapis…

L'elfe s'efforça de conserver une mine impassible et détendue. Il avait beau ressasser sans cesse les événements de la nuit, en parler ne le tentait guère. Parce qu'il n'est jamais agréable d'avouer ses faiblesses et ses échecs d'abord. Mais surtout parce qu'il ne voulait pas inquiéter outre mesure le clerc. Il avait eu beaucoup à faire : il aurait encore à faire beaucoup. Inutile de lui en rajouter avec des soucis triviaux...
-Depuis que vous m'avez débarrassé de ce fichu mal de crâne, je me porte comme un charme, je crois, finit-il par dire. Pour hier... Oh, j'ai juste reçu... les attentions d'un des esprits dont vous parliez. Et cela m'a un peu déconcentré, d'où ma lamentable chute devant ce guerrier squelette. Rien de bien grave, en somme. Je serai plus prudent la prochaine fois, n'ayez crainte.

Le clerc hocha la tête, les lèvres pincées, mais il semblait sceptique. Le silence s’installa entre eux pendant quelques secondes, tandis que leurs montures devaient négocier un passage assez difficile entre les racines gigantesques d’un arbre tortueux.
« Ce soir. » dit finalement le clerc. « Vous devriez peut-être songer à prendre quelque chose pour dormir profondément toute la nuit. Je crains que ce soit la seule manière de tenir ces esprits à l’écart. Ils ne sont pas fondamentalement mauvais, voyez-vous… Simplement, ils ne prennent pas conscience… Ils se nourrissent de vos affects, pour exister, tout juste. C’est leur dernière manière de ressentir… Enfin. Cela ne doit pas vous dire grand chose, et je ne veux pas les excuser pour ce qu’ils font… Ce que je veux dire, c’est que si j’érigeais une protection contre eux, autour de nous, autour de vous… Les chevaux en souffriraient. Les mulots et les moineaux. »
Il secoua la tête et sourit.
« Je ne vous force à rien, bien sûr. Vous seul savez ce qu’il s’est produit. Tout ira mieux quand nous aurons quitté la forêt. »

Taliesin grimaça.
-Ecoutez, Belenn... Je vous suis reconnaissant de vos attentions, vraiment, mais... Vous ne devriez pas vous préoccuper de moi. Vous avez des sujets d'inquiétude autrement plus primordiaux,, et vous devez vous ménager, aussi. Hier, j'ai été pris au dépourvu en plein milieu du combat, et je n'ai pas pu... réagir de manière adéquate. Mais, croyez-le, aussi pitoyable que je sois d'apparence, je ne suis pas sans certaines ressources, et je prendrai mes précautions.
Il pourrait peut-être chanter quelque chose qui détendrait l'atmosphère et renforcerait leurs esprits... Ou, tout simplement, s'il ne semblait pas devoir y avoir de combat, s'abrutir de valériane. Il avait fait une razzia dans les réserves de Galathée, avant le départ. Juste au cas où...

Belenn sembla pris au dépourvu par la véhémence de la réponse du barde, mais acquiesça, encore plus mal à l’aise que quelques minutes plus tôt.
« Pardonnez-moi, je ne voulais pas sous-entendre… Je ne voulais pas vous insulter. » murmura-t-il. « Je comprends très bien, je n’avais pas l’intention de… Je vous prie de m’excuser d’avoir extrapolé sur quelque chose dont, vous avez raison, je ne sais rien… »
Il sourit doucement, manifestement penaud, puis insensiblement, laissa son cheval ralentir jusqu’à occuper à nouveau la dernière place du convoi. Moïse et Epervier se laissèrent également doubler par Vive, qui bouillait d’énergie, et retournèrent à leur place de départ, un peu en avant du clerc.
La neige tombait toujours, feutrant leur progression, couvrant peu à peu leurs silhouettes de neige.

Astrée cheminait en tête, étrangement détendue, sereine. Peut-être parce qu'elle approchait de chez elle. Peut-être parce que le combat de la veille s'était terminé sans dommages. Ou peut-être parce qu'elle n'avait pas, cette fois-ci, ressenti la présence de ces esprits des bois. Heureusement. Mais elle sentait que ce n'était pas le cas de tous ses compagnons. Elle se faisait un peu de souci pour Taliesin. Lors du combat de la veille elle l'avait senti... perturbé. Comme ailleurs. Et elle aurait mis sa main à couper que lui aussi avait été victime d'étranges hallucinations.

A la mi-journée, repérant une petit clairière bordée d'un ruisseau, elle proposa, de concert avec Kasumi, de faire une petite pause, afin de dégourdir les jambes et de reposer les montures.
Tandis que ses compagnons commençaient à déballer les provisions, elle s'approcha timidement du barde. Hésitante. Elle ne savait pas comment aborder le sujet. Pourtant, elle sentait qu'elle le devait : elle avait vécu la même chose que lui, elle devinait ce qu'il avait pu ressentir. Et était peut-être la seule à le savoir vraiment.
- Taliesin? Je voulais te dire... Tu n'avais pas l'air dans ton assiette hier soir... Je me suis dit que peut-être... Peut-être tu avais eu affaire, comme moi, à ces fameux esprits dont a parlé Belenn. Peut-être que je me trompe, ajouta-t-elle précipitamment. Simplement... Je sais ce que ça fait. Moi, j'avais eu l'impression de devenir folle. J'entendais les voix de... de personnes qui m'étaient chères et qui ne sont plus. C'était horrible. Et on a beau savoir que ce ne sont que des esprits, ça ne change rien. Ils savent trouver les mots qu'il faut pour nous déstabiliser. Je ne sais pas si ceux qui n'y ont jamais été confronté peuvent vraiment comprendre.

Elle sourit doucement au barde.
- Ecoute, sincèrement, je ne sais pas comment tu as fait pour réussir à te battre quand même. Moi, je ne sais pas si j'en aurais été capable. Bien sûr, on voyait que tu étais perturbé par quelque chose, mais tu arrivais à y échapper suffisamment pour nous aider. Ça a dû te demander une énergie incroyable de te défendre contre ces esprits en même temps...

Ne sachant quoi ajouter, elle se tut. Espérant que ces quelques mots parviendraient à apaiser un peu l'âme torturée de Taliesin. Ou, au moins, qu'il sache qu'il n'était pas le seul à avoir affronté ça.

La Couronne de Cuivre

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