La Couronne de Cuivre

Le repas ne s'éternisa pas pour tout le monde. Le petit Mathieu piqua du nez le premier, s'endormant quasiment dans son assiette, ce qui ne parut surprendre personne. Antoine le souleva et le porta vers les étages, suivi par Félix, qui ne redescendit pas avec son aîné. Victor, Benoît et Jehan furent les suivants à se retirer, se chamaillant en gagnant les étages (le petit garçon vint cependant s'enquérir de ses affaires auprès de Taliesin avant de déguerpir). Seuls demeurèrent les aînés Merlus, leur père et Valaellyn, qui embauchèrent Taliesin pour les aider à la vaisselle. La conversation tourna autour des activités ordinaires d'une ferme à l'aube du printemps : semailles à planifier, naissances à venir, travaux à effectuer, achats à envisager. L'ambiance était paisible, détachée de la moindre tension, l'elfe avait retrouvé sa place parmi eux sans heurts. Les Merlus étaient des gens simples, qui lui manifestaient leur affection sans grandes effusions, mais sans gêne pour autant. Une fois les menues corvées expédiées, ils regagnèrent la salle de séjour où la flambée les attendait, diffusant sa chaleur agréable dans toute la pièce et grimpant, c'était à espérer, vers les étages. Guillhem sortit une bouteille d'alcool de pomme, Antoine apporta quelques verres, et ils s'installèrent face autour du foyer.

Sirotant sa liqueur, Taliesin se laissa gagner par une douce torpeur. Il avait l'impression que la nuit qu'il s'apprêtait à passer serait plus calme et plus reposante que toutes celles qui l'avaient précédée au cours des dernières semaines. Bien sûr, il attendait avec impatience des nouvelles de Mathieu, mais ne parvenait pas à se faire de souci à son sujet. Ni à aucun autre.
Il se sentait étrangement à sa place, comme s'il rentrait chez lui après un long voyage, retrouvait les siens... C'était en quelque sorte le cas, évidemment, même s'il lui faudrait bientôt repartir. Mais il ne repartirait pas seul, et ce serait la dernière étape avant que cette sinistre aventure ne connaisse un terme heureux...
Oui, il dormirait bien, cette nuit. Mais il ne comptait pas se coucher immédiatement : d'abord, il sortirait, fumerait la pipe en attendant, qui sait, de voir Plume...

A nouveau, la conversation se porta sur des sujets sans grands enjeux. Taliesin avait l'impression, peut-être, qu'on tâchait de le mettre au courant des derniers événements locaux sans y mettre de formalités. Il apprit ainsi que le mariage de Valaellyn et Mathieu avait été repoussé à l'été, qu'Antoine irait sans doute bientôt en apprentissage chez un éleveur de vaches de la région, que Jehan deviendrait bientôt l'élève officiel du rôdeur et que Mathilde avait trouvé un soupirant en la personne d'un jeune clerc du temple de Lathandre voisin. Il apprit aussi que Luménis avait survécu à son premier hiver depuis la chute du tyran, que le général Maelwedd avait pris la place de l'aubemestre Megrall au conseil, qu'on parlait de rétablir la conscription, et autres menus aspects politiques. Mathilde monta se coucher la première, suivie par Antoine, ensuite Guillhem et Valaellyn se levèrent et souhaitèrent à Taliesin la bonne nuit.

Tout en méditant sur les nouvelles qu'on lui avait transmises, le barde gagna lentement le seuil de la maison.
Ainsi, Antoine avait renoncé à ses rêves de chevalier, et Mathilde à gagner la capitale. Quoi que dans son cas, la raison semblait plus réjouissante.... Il n'y avait donc, parmi ceux qui se dirigeaient peu à peu vers leur future existence, que Jehan à ne pas avoir modifié ses plans..
Quant au mariage, il se demandait si ce n'était pas à cause de leur disparition qu'il avait été décalé, Il se réjouissait en tout cas de pouvoir y assister. C'était une échéance heureuse... Et ils y seraient tous les trois. Galathée, Victor et lui.
Il faisait froid, à l'extérieur. Le barde s'emmitoufla un peu plus dans son manteau, descendit les marches du perron, puis tira sa pipe, l'alluma.
Sans presque y réfléchir, il se mit à scruter les ténèbres. A guetter une petite chouette effraie, autrefois familière...

Mais il eut beau guetter la nuit noire, voilée de nuages lourds, il ne vit rien. Il entendit à une occasion ou une autre, le cri hanté d'un oiseau en maraude, mais il aurait eu bien de la peine à différencier un hibou d'une chouette, et parmi ces dernières, la voix particulière de Plume. De plus, le ciel finit par crever, et le barde fut forcé de battre en retraite bredouille. Si le familier de Galathée l'avait vu, il avait décidé de ne pas se montrer. Mais il était tout aussi probable qu'il ait été à mille lieues de deviner que l'elfe était de retour.

La déception qu'éprouvait Taliesin en regagnant sa chambre ne suffit pas à entamer sa bonne humeur et son optimisme fort peu coutumiers. Bien sûr, il aurait aimé voir la chouette, l'approcher, peut-être, mais il se disait que ce n'était que partie remise. Au matin, il irait dans les divers endroits qu'elle fréquentait d'ordinaire, finirait bien par la dénicher...
Tout doucement, il referma la porte derrière lui, puis se changea et se glissa entre les draps. Ils étaient glacés, comme il l'avait soupçonné. Mais ils ne tarderaient pas à se réchauffer...
Et, de toute façon, il sombrait déjà. Cinq minutes plus tard, il était profondément endormi, pelotonné sous les couvertures, plongé dans un sommeil profond, peuplé d'images et de souvenirs heureux.

Le lendemain était un jour gris et pluvieux. Le ciel déversait ses larmes humides sans discontinuer, prodigue, et les arbres bourgeonnants s'agitaient sous une brise sévère. Taliesin brava les éléments pour retrouver Plume, Jehan s'improvisant guide, mais ils ne parvinrent pas à retrouver la chouette. L'enfant ne semblait pas plus surpris que ça : l'animal était insaisissable et capricieux, et Mathieu, disait-il, s'attendait chaque jour à ce qu'elle décide de reprendre une vie sauvage sans plus se soucier des humains. Des problèmes de fuite dans la grande occupèrent une partie de la maisonnée, l'autre s'attelant à la préparation du déjeuner. Chaque repas demandait un travail considérable, car il y avait de nombreux estomacs à satisfaire. La cuisine était en effervescence de l'aube à la nuit.
Le rôdeur ne rentra qu'en début d'après-midi, alors qu'il ne restait plus que sa place abandonnée sur la table, que Mathilde supervisait la vaisselle (Victor et Benoît de corvée), que Valaellyn, Taliesin et Guillhem devisaient devant le feu. Ils discutaient des mesures à prendre pour que le fermier puisse gérer la maisonnée en l'absence de son frère et des elfes. Il l'avait déjà fait, ne semblait pas craindre leur éloignement plus que cela.
Mathieu entra, trempé, et déposa son écureuil ruisselant sur la table. Il avait retiré son manteau et ses bottes dans le couloir, mais ses chaussettes laissaient des empreintes humides sur le sol.
" Tempérance ?" demanda Guillhem en préambule.
" Antoine était embusqué, il la bouchonne."
" Très bien."
Valaellyn vint étreindre son amant, ils se sourirent, et Mathieu posa un baiser sur le front de la jeune elfe, écartant ses cheveux cuivrés. Ensuite, il se laissa tomber à table. Mathilde vint à la porte de la cuisine, ils échangèrent un signe, et le rôdoeur soupira. Valaellyn se mit derrière lui et commença à lui masser les épaules.
" Je suis crevé et j'ai faim !" s'exclama-t-il. " Mais j'ai de bonnes nouvelles. La maison est toujours habitée."

Taliesin grimaça. Il n'était pas sûr que ce fût là une bonne nouvelle. Si la maison avait été abandonnée, il aurait suffi de s'y glisser discrètement, de chercher des indices, tout en sachant qu'on aurait fait disparaître la plupart d'entre eux, sinon la totalité. Une demeure habitée... Et bien oui, cela voulait dire sans doute des informations, mais aussi des occupants vigilants, prêts à les recevoir, à se défendre, à les dénoncer ; des témoins qu'il faudrait convaincre de parler... puis de se taire quant à leur visite.
C'était rien moins qu'évident...
Mais, en premier lieu, il y avait un point qu'il fallait éclaircir.
-As-tu pu avoir des informations, voir des signes sur l'identité des habitants ? s'enquit-il. Penses-tu qu'il s'agisse toujours de la sœur Kanter et de ses serviteurs ?

Mathieu remercia Mathilde qui lui apportait un bol d'une soupe au potiron goûteuse, assortie d'un quignon de pain frais.
" Cette maison est habitée par une dame Faustine Greban, épouse de Agravain Greban, qui se trouve être le bourgmestre de Fernell. Ils y résident depuis toujours, d'après leur vieux chien, qui y est né, et qui doit bien avoir vingt ans. Je dirais donc que cette Faustine doit être la soeur de votre tourmenteur, oui. Comme l'a dit Victor, c'est un manoir cossu, il doit y avoir une douzaine de serviteurs, et au moins deux gardes. Mais a priori, de ce que j'en ai vu, ils n'ont pas l'air de se sentir sous siège ou de craindre une attaque d'aucune sorte. Ce sont simplement des gens riches qui se méfient des maraudeurs."

Taliesin se frotta le menton, pensif.
-Ce ne sera pas facile d'obtenir des informations... murmura-t-il. Et je n'ai pas la moindre idée de la manière dont nous devrons intervenir... Tout ce que je sais, c'est qu'il faudra être extrêmement prudents. Le fait que le propriétaire du manoir soit le bourgmestre du village va encore plus nous compliquer la tâche : c'est un représentant de l'autorité, il doit avoir des soutiens, des contacts...
Il soupira.
-Mais excuse-moi : je réfléchis à voix haute, je ne te laisse même pas le temps de te reposer... Et vu la situation, rien ne sert de se précipiter.

" Il n'y a pas de quoi." fit Mathieu avec un sourire. " Si j'étais à ta place, je ne tiendrais plus sur ma chaise."
Il s'étira et dissimula un bâillement dans son poing.
" Mais je serai frais après quelques heures de sieste. C'est le froid, plus que le manque de sommeil, qui a entamé ma résistance. Toute cette pluie, bon sang... Heureusement que le morceau de forêt qui encercle la baraque est assez touffu, ça m'a permis de bouger... Je ne suis pas mécontent de retrouver un coin d'âtre, ça non."
Valaellyn opina du chef.
" Je m'occuperai de ce petit refroidissement." murmura-t-elle.
" J'y compte bien." rétorqua le rôdeur, mutin, et elle lui tapa sur la tête du plat de la main.
Il se refocalisa sur Taliesin, plus sérieux.
" Je ne sais pas comment nous pourrions nous y prendre... Peut-être devrions-nous user de leurs méthodes, et intercepter quelqu'un sur la route, plutôt qu'au sein de son antre ?"

Le manoir était entouré d'un morceau de forêt... Là, c'était sans doute une bonne nouvelle, pour le coup.
-Pourquoi pas ? répondit-il. C'est sûr que ce serait plus aisé que de pénétrer dans la maison. Mais il nous reste toujours le même problème : que faire de la personne que nous aurons interceptée, après l'avoir interrogée ? Il faudrait que nous puissions lui faire oublier cette "rencontre". Je n'ai pas de sort adéquat, si Valaellyn n'en a pas non plus, il faudra essayer de se procurer des parchemins...
Il s'interrompit, pensif.
-Oui, si nous utilisons des moyens illégaux, il faut qu'on puisse les faire oublier, reprit-il. Sans quoi, notre bourgmestre et son épouse les retourneront contre nous, nous dénonceront aux autorités... Autre point : sais-tu combien de voies d'accès existent, pour gagner le manoir ? S'il n'y a qu'un chemin, il suffirait de faire surveiller les bois alentours pour éviter des "évasions" malvenues, la fuite de messagers allant mander de l'aide, par exemple.

La prêtresse secoua la tête.
" Je suis désolée, je n'ai jamais entendu parler d'un tel sort. Il doit être l'apanage de mages puissants, en tout cas, il est hors de ma sphère de pouvoir. Ce que je peux faire de plus proche est de créer une zone de vérité... Je dois aussi pouvoir arracher un secret à quelqu'un, en pénétrant dans son esprit, mais pour cela, je devrai probablement la frapper d'une manière ou d'une autre... A moins de prétendre que je l'ai heurtée par erreur..."
Mathieu fronça les sourcils.
" Une seule grande allée, deux sorties par le parc, qu'empruntent probablement les seigneurs allant chasser ou les serviteurs."

Taliesin hocha la tête.
-Bon... Si tu demandes aux animaux de surveiller la forêt, nous pourrions être très vite informés si quelqu'un essaie de partir en catimini. C'est déjà un bon point. Pour le reste...
Il grimaça.
-Soit on procède en interceptant un serviteur, un garde, le seigneur ou sa dame, si la chance se présente. Mais se pose alors le problème épineux de savoir que faire d'eux, après coup... Soit... On peut aussi jouer le bluff. Je me présente ouvertement, prétends avoir des alliés tout autour de la maison - je peux créer des llusions auditives -, puis j'essaie de les convaincre de négocier. Ils libèrent Gal, en échange de quoi... Nous portons l'affaire devant les autorités luméniennes, pour qu'elle soit jugée en toute légalité.

" Ne penses-tu pas que nous puissions agir de manière un peu moins frontale ?" intervint Valaellyn. " Si nous en venons à une opposition franche avec eux, nous risquons de perdre beaucoup de temps. Tu disais que les Kanters avaient l'impression d'avoir agi pour la justice... Ils pourraient tout à fait prendre le risque de mener les choses devant les autorités luméniennes. D'autant qu'il y a peu, d'après ce que j'ai glané dans les campagnes, le fait d'avoir de l'argent les aurait protégés. D'après ce que vous avez raconté, votre capture a été le fait d'un certain nombre d'hommes et ils ne se sont pas montrés particulièrement discrets. Peut-être certains des serviteurs du couple sont-ils au courant ? Peut-être suffirait-il de les alcooliser ou les soudoyer pour obtenir pas mal d'information ?"
Mathieu avait l'air moins convaincu, mais il ne contredit pas sa future femme.

Taliesin demeura silencieux quelques instants.
Gabril Kanter avait songé à le traîner devant les tribunaux luméniens, mais y avait renoncé par crainte qu'ils penchent en sa faveur, à cause des relations qu'il avait avec certains conseillers. Pourquoi lui ou sa sœur changeraient-ils d'avis maintenant, alors qu'ils s'étaient rendus coupables d'actes qui pourraient leur être reprochés ?
Il pouvait toujours, de lui-même, porter l'affaire devant la justice, mais il en revenait au plan qu'il avait abandonné, à cause du pragmatisme de Maelwedd, des relations houleuses entre Luménis et Ithilion...
-Rien n'interdit de commencer par là... soupira-t-il. Je n'ai aucun moyen d'en être sûr, mais je pense que la plupart des gens ayant participé à notre enlèvement ont suivi Kanter à Ithilion. S'il en reste chez sa sœur, on les aura mis en garde, sans doute. Mais... Si on surveille les lieux, si on apprend leurs habitudes, s'il s'avère qu'ils fréquentent la taverne locale, peut-être serait-il possible, effectivement, de leur soutirer quelques informations... Je ne sais pas si je pourrai m'en charger moi-même, à moins de continuer à me déguiser, et encore : je peux facilement être identifié... Et même si toi ou Mathieu tentez la chose, il sera nécessaire de trouver une raison logique à votre présence au village...

" Un rôdeur a toujours de bonnes raisons de rôder... " fit Mathieu avec un léger sourire. " Je ne crois pas que ce soit un réel souci. Mais il est vrai que nous risquons d'interroger la moitié de la maisonnée sans rien apprendre..."
" Je pense que tu te trompes, Taliesin." intervint Valaellyn, qui était restée songeuse. " Toi et Victor êtes partis avec Ithilion avec Kanter, mais Galathée est restée en arrière. Ou du moins, vous n'avez ni l'un ni l'autre eu la moindre preuve qu'elle vous accompagnait. S'il y avait des chances qu'elle soit allée jusqu'à Ithilion, je gage que vous n'auriez pas fait toute cette route pour revenir jusqu'ici... C'est donc que la soeur de Kanter et certains de ses hommes à elle s'en sont occupés, non ?"

-Je pense aussi... fit Taliesin. C'est elle qui a décidé du sort de Galathée, et ses hommes sauront donc ce qu'il en est. Du moins ce qu'il en a été dans un premier temps : Gabriel Kanter a eu vent de notre évasion, ne nous a pas crus morts dans les montagnes, a payé des mercenaires pour nous ramener à lui. Ce qu'il signifie... qu'Il aura aussi poris des mesures pour Gal, Il doit se douter que je tenterai de la retrouver, nous attendra de pied ferme après l'avoir envoyée aussi loin que possible...

Mathieu et Valaellyn se dévisagèrent. Puis la prêtresse fronça les sourcils.
" Es-tu certain que c'est Kanter qui t'a fait rechercher ? Le pénitencier lui-même pourrait en être responsable, non ? Il est rare qu'une prison accepte la fuite de ses condamnés sans essayer de les reprendre." dit-elle.
" Beaucoup de suppositions." grommela Mathieu en secouant la tête.

Taliesin fronça les sourcils. Il ne s'était jamais posé la question de l'identité du commanditaire. Pour lui, c'était Kanter, cela ne faisait pas l'ombre d'un doute. Mais...
-Ils en savaient trop sur Victor... murmura-t-il. Savaient qu'il est orphelin, qu'il s'est échappé d'un temple... Le pénitencier n'aurait pas eu tant d'informations le concernant...
Il secoua la tête, sourit.
-Mais Mathieu a raison : nous n'avons là rien de concret, nous pourrions passer des heures et des heures à nous perdre en hypothèses san sréellement avancer. Les réponses, nous les aurons tôt ou tard... En attendant, il faut juste redoubler de prudence...

" En tout cas, les habitants de cette maison n'ont pris aucune mesure particulière pour se protéger. Ou si ce que j'ai observé est leur manière de se prémunir de l'intrusion d'individus malvenus, leur baraque doit être un moulin en temps ordinaires. Peut-être Kanter n'a-t-il pas songé à prévenir sa soeur ?"
" Qu'allons-nous faire ?" intervint Valaellyn.

-Y réfléchir encore... soupira Taliesin. Nous avons le temps : tu dois te reposer, Mathieu, et moi, il faut que je discute avec Victor... Mais je crois que nous commencerons par essayer, mine de rien, de faire parler un serviteur, à la taverne du village ou ailleurs. C'est ce qui me semble le moins risqué, le plus discret...
Ce n'était pas parfait, sans doute, mais il devait bien l'avouer : pour l'heure, il ne voyait pas mieux, en manière de première étape.

" Je n'ai pas besoin de me reposer tant que ça... Un bon décrassage, une bonne infusion de la mère Vala..."
Elle lui ébouriffa les cheveux d'un geste moqueur.
" Peut-etre n'est-il pas indispensable de parler à Victor avant de rassembler les premières informations..." offrit la jeune elfe. " Justifier que Mathieu ou moi soyons les plus indiqués pour interroger un serviteur aviné me semble plus aisé... Repousser l'inexorable, cependant... Je ne sais pas, Taliesin."

-Je ne sais pas... soupira-t-il. Je me demande s'il ne vaut pas mieux, rapidement, couper court à ses projets, à ses anticipations... Dès qu'il le peut, il me parle des aspects concrets de cette expédition, me demande quels sont les plans... C'est assez... cruel de lui laisser croire que...
Il se tut, finit par se lever, par aller se poster devant l'une des fenêtres.
-En même temps, on ne sait pas encore qui partira pour cette première étape. Si nous irons à trois, à deux... Je n'ai pas la moindre envie de rester en arrière, en tout cas, mais j'en viens à me demander si je ne risque pas de vous gêner plus qu'autre chose, même grimmé... D'autant que je n'aurais pas de prétexte pour me rendre à Fernell : si je me présente comme barde...

" Il est vrai que les elfes ne sont pas monnaie courante dans ces contrées. Les risques de rester dans les mémoires sont importants... Et cela vaut pour toi aussi, Vala."
La pretresse croisa les bras mais ne put qu'acquiescer.
" En meme temps, je serais incapable de soutirer des informations à un quidam. Ce n'est pas ma spécialité... Vous etes l'un et l'autre davantage versés dans ces subtilités."
" Je pourrais etre le barde, je suppose..." murmura la jeune femme.
" Ne pouvez-vous pas vous déguiser ?"

-Tu as vu ce que donnait mon dernier déguisement... répondit Taliesin. Il faut vraiment bien me connaître pour me percer à jour... Mais je reste un elfe du soleil, même si je peux mentir sur mon origine, mon métier. Après, il existe des produits plus puissants, des sorts qui transforment du tout au tout. Malheureusement, nous n'avons ni mage, ni alchimiste sous la main...

" Avec un chapeau vissé sur le crâne et un coussin sous ton pourpoint, tu aurais peut-être l'air moins elfique..." proposa Mathieu, se récoltant une tape supplémentaire de la part de sa dulcinée. " Aïe ! Je disais ça comme ça."
Valaellyn secoua la tête puis passa les paumes sur son visage.
" Nous ne pouvons pas trop tergiverser. Jusqu'ici, le fait que tu sois vivant nous garantissait que Galathée l'était aussi. Mais si Kanter veut vraiment se venger..."

Taliesin acquiesça.
-Je suis d'accord. Mais il ne faut pas, non plus, que nous confondions vitesse et précipitation. Nous ne sommes pas à une ou deux heures près...
Il se leva.
-Je vais mettre de l'ordre dans mes affaires, pour être prêt au départ, n'emporter que l'essentiel. Peut-être une idée me viendra-t-elle... Sinon, nous n'aurons qu'à nous mettre en route dès que vous le voudrez. Nous aviserons sur place...

" Je vais me décrasser." fit Mathieu. " Pour le reste, je suis prêt."
Valaellyn les dévisagea l'un et l'autre.
" Très bien. J'imagine que nous pouvons partir aujourd'hui même..."
Elle eut une légère grimace.
" Je pense néanmoins que nous devrons repasser par ici..."
" On ne peut rien prévoir..."
" Certes..."
Elle frissonna.
" Ne traînons pas davantage."

Taliesin s'était immobilisé.
IL n'avait pas envisagé les choses sous cet angle. Avait pensé, simplement, à une première étape, une prise d'informations... Pas comme le vrai départ.
-S'il y a une possibilité, même infime, que nous ne repassions pas par ici... Je dois parler à Victor, fit-il, mal à l'aise. Je refuse de le laisser sans l'avoir informé de la situation, sans lui avoir dit ce qu'il en était. Je ne veux pas... qu'il se sente abandonné, trahi.

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