La Couronne de Cuivre

Kasumi entreprit aussitôt de leur ménager un lit douillet mais ils allaient devoir se tenir chaud sous la couverture en l'absence de feu pour les réchauffer. Ce n'était pas là un handicap insurmontable mais le demi-elfe aspirait surtout à s'endormir rapidement, bien aidé en cela par le délicieux digestif dont il n'avait pas trop abusé.

Le programme du lendemain lui convenait parfaitement et il avait demandé au fermier de ne surtout pas hésiter à venir frapper à la porte de la grange dès qu'il serait lui-même levé.

Le printemps était bien avancé, et la température n'avait rien d'insupportable. Bien sûr, ils profitèrent de la relative fraîcheur pour se blottir dans les bras l'un de l'autre avec bonheur, mais ils dormirent fort bien, et furent réveillés au petit matin par trois coups frappés à la porte, avant d'entendre des pas s'éloigner.
A en juger par la luminosité qui filtrait par une lucarne, le soleil était sur le point de se lever. La bonne nouvelle était que la pluie avait cessé, mais le ciel semblait encore gris.

Kasumi aida Sylvia à émerger d'un premier tendre baiser matinal puis il se leva pour s'habiller rapidement. Il avait hâte de mettre Eclair au pré puis de déjeuner et de profiter un peu du début de matinée pour faire davantage connaissance avec leurs hôtes temporaires. Il avait aussi l'intention de vérifier l'état de Rousse pour voir si son inflammation régressait comme espéré. Puis il serait temps de se remettre en route vers leur objectif, de rechercher un nouveau lieu de bivouac : voyager était une sensation grisante.

Le mollet de Rousse allait mieux, mais l'inflammation restait visible et son muscle demeurait fragile : il faudrait la ménager quelques temps.
Eclair, quant à lui, était ravi d'avoir l'occasion de galoper librement dans les prés. et lorsque le fermier apporta la jument en question, à la robe toute aussi blanche que celle de l'étalon, Kasumi eût le sentiment qu'elle ne lui déplaisait pas...
Mais ils ne restèrent pas pour observer la suite des événements : le petit déjeuner les attendait. Sylvia avait, de son côté, remonté du puits une eau glacée pour leurs ablutions du matin, et ils étaient pressés de retrouver la chaleur du foyer.
Il s'avéra que leur hôte avait déjà déjeuné et devait s'occuper des bêtes, aussi n'eurent-ils que les enfants et leur grand-mère pour leur tenir compagnie. Ils firent face à une avalanche de questions -sur Féérune, mais davantage encore sur Luménis, capitale lointaine qui les faisait rêver. Et le temps passa plutôt agréablement, jusqu'en milieu de matinée où le fermier, de retour des étables, vint leur annoncer que l'étalon ne s'intéressait plus à la jument -sans doute parce qu'il en avait terminé.

Kasumi se dit qu'il faudrait sans doute le ménager lui aussi pour une partie de la journée mais il ne voulait pas abuser de l'hospitalité de leur hôte. Il décida donc qu'ils mèneraient les deux animaux par la bride quand ils traverseraient les terrains les plus difficiles et au pas pour une partie de la journée histoire de continuer à progresser mais doucement. Si l'inflammation de Rousse donnait de bons signes au soir, ils pourraient reprendre une allure un peu moins modérée le lendemain : et après tout ils n'étaient pas à une journée près.

Le fermier, ravi de leur visite -et surtout de la prestation de l'étalon-, insista pour leur donner une miche de pain et du fromage, et ils reprirent leur route, à une allure plus modérée que la veille. Le ciel était gris, et les nuages finirent par crever et déverser des trombes d'eau, mais l'averse fut de courte durée et ils purent repartir sous un ciel beaucoup plus clair.
Le paysage était identique à celui de la veille, et sans doute ne varierait-il pas dans les jours à venir : des prairies vallonnées à perte de vue, des sources et des ruisseaux suffisamment abondants pour abreuver montures et cavaliers. Pas de clôture. Quelques très rares bouquets d'arbres. Peu de bâtisses : quelques hameaux vivant de l'élevage et d'un peu de maraîchage, quelques haras plus ou moins isolés. Il n'y avait plus de route à proprement parler, juste des sentiers creusés par le passage répété des chevaux. Ils gardaient sans difficulté le cap vers l'ouest, et le terrain ne présentait aucune difficulté pour leurs montures. Pour peu qu'ils gardent un rythme raisonnable, Rousse et Eclair les porteraient sans difficulté jusqu'à destination.

Ils dînèrent ce soir-là d'un lapin abattu d'une flèche par Sylvia, et passèrent cette nuit-là en rase campagne, sous un ciel clair, avec à nouveau la sensation grisante d'être seuls au monde. Rousse allait mieux, même si ses muscles demeuraient fragiles. Le baume était indispensable, tellement qu'ils n'en auraient peut-être pas assez...
La journée suivante fut en tout point identique. Ils prenaient peu à peu leurs marques : cueillette lorsqu'ils en avaient l'occasion -les salades et légumes sauvages se trouvaient sans difficulté, les fruits étaient beaucoup plus rares-, chasse le soir, parfois du miel ou des oeufs lorsque la chance leur souriait.

Le troisième jour après avoir quitté la ferme, ils aperçurent en fin d'après-midi un spectacle rompant agréablement la monotonie du voyage : une harde de chevaux, sauvages sans doute, filant comme le vent dans une direction parallèle à la leur. Un groupe d'hommes les suivaient, à une allure plus modérée. Il était probable qu'ils se retrouvent à camper ce soir-là dans le même secteur, à moins qu'ils n'atteignent un village... mais rien ne semblait en indiquer la présence.

Kasumi aurait bien passé des semaines dans la lande déserte mais il n'était pas devenu misanthrope et la région n'était pas réputée dangereuse aussi ne voyait-il pas d'objection à installer un campement à proximité de ce qui semblait être un groupe de simples bergers ou éleveurs de chevaux.

En tous état de cause, il ne comptait rien changer à leur programme de chasse vespérale et de nuits sans monter de garde. Il veillerait simplement à ce que leur feu ne soit pas visible de loin, comme il l'avait fait par habitude lors des nuits précédentes.

Malgré les précautions prises pour dissimuler leur feu, le petit groupe d'hommes dut percevoir leur présence car ils entendirent des pas frôlant l'herbe, alors que leur gibier du soir cuisait doucement. Levant les yeux, ils aperçurent deux hommes, petits et trapus, aux cheveux noirs et à la peau brunie par le soleil.
Ils les observèrent quelques instants en silence, peut-être interloqués de trouver des visiteurs dans une contrée habituellement si vide.
" Bonjour... finit par lancer l'un d'eux.
- Et... excusez-nous de vous avoir dérangés. Nous pensions avoir affaire à un autre clan d'éleveurs nomades... Mais... heu... Vous êtes de simples voyageurs de passage ?"

Kasumi les avait détaillé discrètement, évaluant le danger qu'ils pouvaient éventuellement représenter, cherchant la présence d'armes, même dissimulées. Déformation professionnelle et vieux réflexe de combattant aguerri sans doute. Mais en apparence, il adressa un sourire aux deux nouveaux venus et désigna leur feu :

- En effet, nous ne sommes que de passage. Souhaitez-vous partager notre feu ?

Les deux hommes étaient armés d'épées courtes et l'un d'eux portait un arc. Mais ils ne portaient pas d'armure et n'étaient visiblement pas des combattants chevronnés.
" Oh, non merci, nous avons le nôtre, et notre famille nous attend là-bas" répondit le plus âgé des deux.
Kasumi nota alors une certaine ressemblance entre eux : peut-être étaient-ils frères ?
" Vous avez une belle jument, fit l'autre, pensif, en lorgnant la jument rousse. Un bel étalon aussi, cela va sans dire. Je reconnais une race de la trouée, ce sont des chevaux solides. Mais je songeais à la jument... Serait-elle à vendre ?"

Kasumi secoua négativement la tête et dut tempérer l'enthousiasme de l'éleveur d'un ton navré :

- Malheureusement, pas pour tout de suite. Nous comptons bien sur elle pour nous amener jusqu'à Luménis et nous venons de l'acheter à Lunaros dans ce but. Après, si vous nous aviez fait cette proposition plus près de la sortie de la Trouée, je ne dis pas mais là ce n'est malheureusement guère envisageable.

" Je comprends bien...
- D'autant que plus les jours passeront et plus elle prendra de la valeur, probablement.
- Je vous demande pardon ? Elle n'est plus toute jeune pourtant ! s'exclama Sylvia en ouvrant des yeux ronds.
- Oui mais... Une fois que la nouvelle se sera répandue sur le choix de la Monture de la Félicité... mais vous n'êtes peut-être pas au courant ?"

La rôdeur était aussi surpris que sa compagne pour le coup et il répondit d'un ton incertain mais tout de même sincèrement reconnaissant :

- Hélas, nous ne sommes pas natifs de la Trouée et nous n'en connaissons pas les coutumes. Et c'est d'autant plus aimable à vous de nous en parler : quelle est donc cette monture de la félicitée ?

" Ah... Bien sûr, vous ne savez pas...
- Et bien... Disons que c'est une monture qui porte bonheur.
- Qui porte bonheur ?
- Et bien... Tous les ans, un peu après l'équinoxe vernal, les Seigneurs Cavaliers de la Trouée se réunissent pour un rituel... Je ne peux pas vraiment vous en dire plus, n'y ayant jamais assisté. Mais au cours de cette cérémonie est désigné un type précis de cheval qui sera la Monture de la Félicité jusqu'à l'équinoxe suivant. Ce peut être un grand étalon noir, une petite jument brune, que sais-je... Parfois, c'est une monture de légende, comme l'an passé où ils avaient désigné le petit étalon doré de la légende de Lathandre et Chauntéa. Il n'en existait que trois dans toute le Trouée, autant dire que leurs propriétaires les surveillaient jalousement! Parce que posséder une telle monture est un gage de chance pour toute l'année, vous comprenez...
- Et du coup, ces chevaux voient leur cote monter en flèche !
- On a croisé avant-hier un petit groupe de cavaliers qui revenaient d'Edhoras, et la rumeur court que cette année, la monture de la félicité serait une petite jument rousse... exactement dans ce style. Bon, ce n'est peut-être qu'une rumeur, mais si elle s'avère fondée, attendez-vous à susciter des convoitises !"

Des convoitises. C’était à double tranchant : d’une part ils pourraient ainsi récupérer leur mise en revendant Rousse mais d’autre part ils risquaient d’attirer l’attention de personnes malveillantes cherchant peut-être à s’en emparer de forces face à deux voyageurs isolés. Toujours est-il qu’il valait bien mieux en être consciente te Kasumi ne manqua donc pas de remercier l’éleveur de chevaux :

- C’est vraiment très louable à vous d’avoir partagé cette informations avec nous. Espérons donc que Rousse nous portera bonheur et nous mènera à bon port ! Vous vous y connaissez en chevaux bien mieux que nous sans doute et j’ai détecté une légère inflammation à son antérieur droit. Je lui applique un baume mais peut-être auriez-vous d’autres conseils à nous donner ?

C’était peut-être un peu abuser de la situation mais il avait vraiment à cœur de s’occuper au mieux de l’animal. Et montrer à un natif de la Trouée qu’on s’occupait bien de ses chevaux ne pouvait pas vous nuire.

C'était en effet une bonne stratégie, car l'éleveur se tourna aussitôt vers la jument qui broutait non loin.
" C'est une belle bête... pas toute jeune, c'est vrai, mais en pleine santé. Par contre, vous avez raison, elle a un peu trop forcé sur ses muscles, ajouta-t-il en lui tâtant le mollet. Essayez de ne pas la monter plus de deux heures d'affilée, et alternez les différents rythmes : ils ne font pas travailler les même muscles. Là, comme ça, je dirais que c'est surtout le galop qui lui a joué des tours, et qu'elle peut aller au pas sans difficulté si elle n'est pas trop chargée. Et continuez à vous servir du baume, au moins une fois par jour, même lorsque l'inflammation aura apparemment disparu."

Kasumi hocha la tête, attentif à ces conseils de bon sens et qu’il avait tout à fait l’intention de suivre à la lettre au cours des prochains jours. Il s’était également naturellement placé à côté de Rousse pour lui flatter l’encolure et la rassurer pendant l’examen. Car après tout, ce n’était pas parce qu’il l’avait acheté deux jours plus tôt seulement et pour faire office de moyen de transport qu’il ne s’était pas pris d’affection pour elle, aussi éphémère dusse être leurs association.

- Nous ne manquerons pas d’appliquer votre méthode : de toute façon, nous ne sommes pas à quelques jours de voyage près et votre région ne manque pas d’attraits et elle est agréable à traverser pour elle-même.

Les deux hommes hochèrent la tête.
" C'est sûr que c'est une belle région ! Idéales pour les chevaux, avec de vastes espaces où galoper librement. Ce n'est pas pour rien que nos montures sont les meilleures d'Hélonna ! Peut-être aussi parce qu'il y a des croisements réguliers qui se font au hasard des rencontres avec les hardes de chevaux sauvages..."
Tendant une main pour les saluer, son comparse conclut.
" Passez une bonne nuit. Le ciel est clair et personne ne devrait venir vous déranger. Et je vous souhaite un bon voyage dans nos hautes terres."

Le rôdeur leur souhaita à son tour la bonne nuit avant de revenir vers Sylvia et de l’embrasser avec abandon :

- Alors qu’est-ce que ça fait de monter un cheval qui porte bonheur ?

Il n’avait pas encore terminé leur repas et le demi-elfe entreprit ensuite de terminer sa gamelle avec un bras tendrement passé autour des épaules de sa fiancée. La lande était décidément paisible et ils se sentaient à nouveau seuls au monde alors que les natifs de la Trouée venaient à peine de s’éloigner.

Il leur sembla voir se refléter la lueur d'un feu dans le lointain, venant d'un creux de terrain, dans la direction vers laquelle s'étaient éloignés les deux hommes. La vue portait loin dans ces étendues vides.
" Et bien... je suppose qu'elle va me porter bonheur, alors ! Quoique je ne sais pas ce que je pourrais souhaiter d'autre : question bonheur, j'ai déjà tout ce qu'il me faut ! Je suis fiancée au demi-elfe le plus séduisant de ce continent, en train de voyager paisiblement dans des paysages magnifiques, avec toute une vie devant nous... Non, tout est parfait, je crois..."
Tandis qu'elle prononçait ces mots d'un air rêveur, Kasumi la vit poser machinalement une main sur son ventre. Peut-être qu'elle désirait encore quelque chose, finalement...

La remarque de Sylvia le fit rougir de bonheur mais la pénombre et le jeu des flammes le couvrirent certainement. En tous cas il fut pris de l’impulsion de déposer un baiser sur sa joue et répondit avec tendresse :

- Heureusement qu’il n’y a pas beaucoup de demi-elfe sur ce continent alors ! Je suis heureux que tu sois ici avec moi : il nous reste énormément de choses à découvrir mais nous avons toute une vie pour cela.

Toute une vie pour se découvrir eux-mêmes. Pour explorer des contrées aussi fabuleuses que celle-ci, pour expérimenter. Peut-être la parentalité si la chance leur souriait.

La veillée se déroula, paisible, sans que nul ne les dérange, rythmée par les mille et un petits bruits de la nature. Il faisait frais à cause de l'altitude et du ciel trop clair, les obligeant à s'enrouler dans leurs couvertures. Kasumi se sentait parfaitement serein et trouva le sommeil sans difficulté. Sylvia avait un peu plus de mal à trouver la paix, habituée comme elle l'était à avoir des arbres autour d'elle.

Les jours suivants apportèrent peu de changement : la chaîne des montagnes de fer, à leur gauche, déroulait ses sommets enneigés. Ils s'en rapprochaient peu à peu, et le terrain devenait plus accidenté, les obligeant à ralentir l'allure et à ménager des pauses régulières pour leurs montures. L'étalon tenait plutôt bien le choc, mais la jument leur causa plusieurs fois des inquiétudes : ses muscles n'étaient pas habitués à de si longs efforts.
Ils aperçurent, un autre jour en fin d'après-midi, un autre groupe d'éleveurs nomades, en train de monter des tentes. Le ciel, clément depuis plusieurs jours, se couvrait en effet de lourds nuages annonciateurs de pluie. Et comme ils l'avaient constaté, il n'y avait guère d'abri dans cette région : quelques bergeries plus ou moins en ruines, quelques bosquets trop clairsemés.

Kasumi n’avait pas trop envie de se mêler aux éleveurs aussi chercha-t-il le moindre abri qui serait susceptible de les abriter les chevaux et eux. Une bergerie, même sans toi permettrait de bricoler un abri de fortune en étendant une partie de leurs couvertures. Un bosquet, même de quelques arbres, seraient encore l’idéal et il leur restait encore une heure ou deux pour trouver un tel lieu de bivouac. Ne restait qu’à compter sur la chance…

La chance était avec eux, car ils trouvèrent assez rapidement une bergerie, plutôt moins en ruine que d'habitude. Elle devait être encore utilisée, par moments, à en juger par les petits tas de crottin qu'ils trouvèrent dans un coin. Sans l'éboulis qui avait arraché la moitié de la toiture, l'odeur de moutons aurait été trop prégnante et les aurait certainement découragés de s'y installer. Là, elle était supportable, et compte tenu de la pluie imminente, c'était le meilleur endroit qu'ils puissent espérer : il restait suffisamment de toit pour qu'ils puissent dormir à l'abri.
Un sentier en partait, se dirigeant vers le sud-ouest, plus ou moins dans la direction qu'ils devaient suivre. Et là aussi, les traces prouvait qu'il était régulièrement utilisé. Peut-être pouvaient-ils espérer trouver un hameau non loin.

La bergerie convenait parfaitement au rôdeur mais ils suivraient le sentier le lendemain pour voir s’il était possible de se ravitailler un peu en produits frais et ainsi améliorer leur ordinaire. Kasumi entreprit aussitôt de leur ménager un petit coin propre en balayant le sol de la bergerie avec de la paille.

Ils pourraient même suspendre leurs vêtements pour qu’ils sèchent et le rôdeur ne se priva pas de donner l’exemple dès qu’il eut réuni assez de bois pour allumer un petit feu. Il passerait ensuite de la pommade à Rousse pendant que leur repas chaufferait.

L'orage éclata pendant qu'ils dînaient, un orage violent, spectaculaire, qui illuminait le ciel de mille éclairs. Un vent violent soufflait au-dehors, s'infiltrant entre les ardoises du toit -ou de ce qui en restait. Mais ils étaient au sec, c'était l'essentiel... quoique l'eau, ruisselant sur le sol, les obligea bientôt à déchanter : il n'était pas question de dormir par terre. Un peu de paille, amassée dans un coin, leur fournirait un lit acceptable, pourvu que l'inondation ne soit pas trop importante.
Laissant Kasumi préparer le dîner, Sylvia s'occupa de leur aménager un couchage à peu près sec, à grand renfort de paille. L'humidité qui s'infiltrait partout, et le vent hurlant aux alentours, leur promettaient une nuit nettement moins agréable que les précédentes.

Qu'à cela ne tienne : tant que les vents ne soufflaient pas davantage, Kasumi ne se sentait pas en danger car la portion de toiture sous laquelle ils étaient réfugiés lui semblait bien solide. Pour ce qui était de l'inconfort et de l'inquiétude, il faudrait gérer les chevaux en commençant par les attacher. Quant aux deux rôdeurs, ils pourraient aisément se réconforter mutuellement et ce genre de nuits agitées ne seraient pas sans leur évoquer d'anciens souvenirs de la Haute Forêt.

Le vent hurla, la pluie tambourina, et les chevaux avaient beau être attachés, ils n'en étaient pas moins anxieux. Il fallut du temps aux rôdeurs pour trouver le sommeil, et Kasumi se réveilla plusieurs fois, l'esprit en alerte, guettant un bruit qui n'était autre que celui de la pluie tambourinant encore, celui du vent s'infiltrant dans la toiture ou faisant tomber une tuile, ou bien le léger hennissement, presque à mi-voix, d'un cheval inquiet, ou encore un bruit qui ressemblait à celui de sabots sur les cailloux du sentier... sauf qu'il n'y avait aucune raison qu'un sabot fasse crisser les cailloux, puisqu'ils étaient seuls. Et pourtant, il avait la sensation que quelqu'un marchait, dehors.

Kasumi était cette fois bien éveillé et il se leva en silence, pour ne pas réveiller sa compagne ou alerter la présence - potentiellement hostile - qui se tapissait à l'extérieur. Dans le pire des cas, s'il avait rêvé, il en profiterait pour rassurer les deux chevaux mais dans l'éventualité contraire, il prit le temps de récupérer son épée longue à défaut de prendre celui de renfiler ses bottes. Il avait l'intention de se glisser silencieusement hors de l'abri pour inspecter les abords proches grâce à sa vision nocturne.

Se glisser hors de l'abri nécessitait d'en pousser la porte, branlante et à la charnière un peu usée, ce qui n'était pas aussi discret qu'il aurait pu le souhaiter. Il eût le temps de voir deux silhouettes s'enfuir le long du petit sentier, faisant rouler quelques pierres. Puis elles disparurent dans un repli de terrain tout proche.
Il pleuvait toujours, mais moins fort désormais. Le vent s'était lui aussi un peu atténué. Sylvia dormait paisiblement, mais leurs montures en revanche étaient éveillées, vaguement inquiètes peut-être.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les hauts plateaux