La Couronne de Cuivre

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi venait de franchir le seuil de la porte lorsque Première Neige lui signala que quelqu'un approchait dans l'escalier. Simultanément, il entendit des bruits de pas sur les marches.

Il n'avais guère le temps de réfléchir. S'il restait dans la coursive, on le verrait. Il avait le choix entre retourner dans la pièce où se trouvait Astrée, où il pouvait se dissimuler derrière les caisses vides, ou bien se précipiter dans la pice suivante, qui n'avait pas de porte, en espérant qu'elle n'était pas la destination de l'homme qui descendait, ou sinon qu'il y trouverait une bonne cachette.

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi se crispa. Il s’était évidemment attendu à ce que l’un au moins des hommes descende à la cale. Peut être avait-on décidé de fouiller tout le navire suite à la découverte du garde assommé. Peut être venait-on pour déplacer Astrée ou la brutaliser. Cela ne l’étonnerait guère étant donné la mentalité de ces hommes. Sauf qu’il ne les laisserait certainement pas faire, quitte à affronter tout l’équipage épée au poing. Mais il restait une chance, même minime que l’homme soit descendu chercher autre chose. Aussi Kasumi battit en retraite dans la pièce d’à côté avec Première Neige, tous deux cherchant à se dissimuler au mieux. Le rôdeur tendait l’oreille, près à réagir à ce que ferait l’homme, s’il n’y en avait qu’un. Impossible à savoir encore. Au moins n’aurait-il guère de temps à attendre avant d’être fixé.

Quête : Rendez-vous manqué

La pièce où s'étaient réfugiés Kasumi et Première Neige contenaient diverses caisses de marchandise, apparemment de la viande fumée d'après le flair de la louve. Et aussi d'autres denrées périssables. Il était facile de s'y dissimuler, et Kasumi trouva un emplacement contre la paroi qui séparait cette pièce de la cellule d'Astrée. Ainsi, il pouvait peut-être espérer entendre ce qui s'y passerait.

L'homme, une fois parvenu en haut des escaliers, hésita un instant. Kasumi l'entendit s'engager du côté où il se trouvait, et s'approcher petit à petit. Il marquait des arrêt, et il l'entendit ouvrir des portes, les refermer, et tourner les clés dans les serrures. Lorsqu'il arriva à la cellule d'Astrée, Kasumi l'entendit entrer, s'approcher de la rôdeuse - elle se trouvait juste de l'autre côté de la paroi - puis repartir. Il ferma la porte et tourna la clé. Puis il s'en fut en direction de l'escalier et remonta directement.

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi ne put que se réjouir d’avoir conservé sa liberté de mouvement sans avoir été repéré. La situation n’était pas à proprement pire que précédemment mais le rôdeur savait que le temps jouait contre lui. S’il était resté dans la cellule d’Astrée, il aurait été enfermé avec elle mais au moins aurait-il pu être là pour la rassurer à son réveil. Un bref réconfort alors qu’il se sentait de plus en plus impuissant.

Le moment viendrait où l’équipage se livrerait à une fouille en règle du navire et il ne pourrait alors plus espérer demeurer caché. Il devrait se battre et ce serait probablement la dernière fois qu’il en aurait l’occasion. Mourir après avoir goûté au bonheur était un destin bien cruel mais ce qui l’attristait le plus était de ne rien pouvoir faire pour celle qu’il aimait. Il serait mort le cœur plus léger s’il avait eu ne serait-ce qu’un espoir de la sauver elle, pour qu’elle puisse refaire sa vie. Elle l’aurait amplement mérité…

Plus pour ne pas se morfondre sans rien faire et éviter au sommeil insidieux de le gagner, il grignota ses provisions, sans faim. Puis, au bout de quelques minutes, il se mit en devoir de fouiller discrètement la cale, espérant en dresser un inventaire sommaire pour déterminer si quelque chose pourrait lui être utile dans le combat qui s’annonçait. Ce n'était plus qu'une question de minutes ou d'heures. Ensuite, si rien ne s'ayait passé d'ici là, il reprendrait sa position dans la petite pièce sans porte qui jouxtait la pièce où était enfermée sa compagne. Il n'était pas question de forcer la serrure, un tel acte laisserait des traces lui faisant perdre instantanément l'effet de surprise.

Quête : Rendez-vous manqué

Pendant une heure ou deux, rien ne se produisit. Tout était calme au-dessus. Les hommes chargés de la navigation semblaient à leurs postes sur le pont supérieur, les autres dormaient probablement. Kasumi eut tout le temps d'inspecter tranquillement les cales. La coursive où se trouvait la cellule d'Astrée, à l'arrière de la péniche, ne comportait que trois pièces de chaque côté, dont deux étaient fermées par des portes verrouillées. Seules deux pièces étaient accessibles, celle où il s'était réfugié et celle d'en face. Les deux contenaient des caisses, principalement des denrées périssables, viande séchée, légumes, farine, fourrage - peut-être pour les chevaux tractant la péniche - quelques peaux, des graines dont l'odeur lui rappelèrent la gaufre qu'il avait dégustée avec Astrée, l'hiver passé. Certaines caisses, dans la pièce d'en face, étaient ouvertes, et semblaient être simplement la réserve de nourriture de l'équipage. Il y avait aussi deux tonneaux servant de réserve d'eau. Au moins, le rôdeur ne mourrait ni de faim ni de soif si l'attente devait se prolonger.
Il passa devant l'escalier pour explorer le long couloir menant vers l'avant de l'embarcation. Il comportait six pièces de chaque côté. La moitié d'entre elles étaient fermées à clé. Peut-être contenaient-elles des marchandises de valeurs ? Ou bien des marchandises moins légales ? Les six pièces restantes étaient ouvertes à tous les vents. Il y trouva un gros chargement de bois de menuiserie, des rouleaux de tissus de toute sorte, d'énormes pelotes de laines, du charbon, des tonneaux de vin, des amphores contenant de l'huile d'olive. Les deux dernières pièces contenaient huit beaux étalons, qui semblaient un peu vaseux, sans doute drogués pour mieux supporter le voyage. Ils avaient du fourrage et de l’eau en abondance. Et derrière l'une des portes fermées, Première Neige détecta la présence de volaille. Même Kasumi en devinait l'odeur.

* * * * * * * * * * * *

Astrée émergea doucement du sommeil, avec l’impression d’avoir fait un rêve apaisant, presque réel. Kasumi était auprès d’elle et lui caressait la joue. Mais ce n’était qu’un rêve. Elle était toujours enchaînée, quelque part dans la cale d’un bateau. Et elle avait la tête lourde, si lourde... Elle garda les yeux fermés, au cas où l’homme qui la surveillait soit toujours là. Elle se sentait glisser à nouveau vers le sommeil et lutta pour garder l'esprit clair. Elle avait l’impression que le bateau avançait, le tangage était plus important que tout à l’heure. Mais elle n’en était pas sûre. Elle eut un instant de panique en songeant qu’on l’emportait loin de Kasumi. Elle se concentra, comme tout à l’heure, cherchant à retrouver le contact avec Première Neige. Elle avait la tête lourde, et, sans l’aide de son médaillon, bien du mal à percevoir les présences de vie autour d’elle. Mais elle y arriverait.
Elle fut surprise de trouver la louve beaucoup plus vite que prévu. Toute proche. A l’intérieur du bateau, peut-être même dans la cale. Elle sourit , rassurée, le cœur battant d’un espoir fou, d’une certitude absolue. Kasumi était tout près, et il allait la libérer. Elle ouvrit les yeux. Elle était seule dans la pièce, la porte était fermée, sans doute verrouillée. Ce n'était pas grave. Il était tout proche, il viendrait. Rassurée, elle ferma les yeux et sombra à nouveau dans un sommeil trop profond pour être vraiment naturel.

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Kasumi était revenu dans la pièce qui lui servait de cachette. Première Neige dressa soudain les oreilles. Elle lui signifia mentalement qu’Astrée était réveillée, et lui transmis les sensations qu’elle avait perçues : la rôdeuse allait bien, elle avait confiance. La louve fit également comprendre au rôdeur qu'elle n'appréciait guère ce plancher mouvant et cet enfermement. Elle aspirait à retrouver rapidement la terre ferme et l'air frais du dehors.
Peu après, le demi-elfe perçut un changement dans l'allure du bateau. Il ralentissait. Au-dessus de sa tête, tout semblait calme, mais il devina une agitation un peu plus importante sur le pont supérieur. Le bateau s'arrêtait. On était au beau milieu de la nuit, il devait rester cinq bonnes heures avant le lever du soleil. Il entendit des pas, tout en haut des escaliers. Des hommes descendaient, depuis le pont extérieur.

Quête : Rendez-vous manqué

Comme il s’y était attendu, la cale ne comportait rien de vraiment utilisable pour la libération d’Astrée. Le rôdeur ne s’arrêta qu’un instant à observer la qualité des chevaux, ne pouvant qu’espérer qu’ils tomberaient sur des maîtres plus honorables que ceux chargés de les convoyer. Il eut également une brève pensée pour Ombrage, peut être capturé par ces criminels. Il ne vaudrait certainement pas qu’on le destine aux mêmes acheteurs que ceux qui paieraient pour les huit étalons mais il avait apprécié ce cheval. Peu à peu, une certaine affection s’était développée entre lui et son compagnon de voyage. Il ne pouvait qu’espérer que les chevaux d’Astrée se portaient mieux et étaient parvenus à survivre seuls.

Il s’autorisa un sourire en songeant qu’Astrée avait pu avoir vent de sa présence par l’intermédiaire de Première Neige. Il ne pouvait maintenant qu’espérer ne pas décevoir cet espoir qu’elle plaçait en ses capacités. Il était dangereux de communiquer à travers la paroi avec elle au risque d’être entendu mais, malgré cela, il eut grand peine à se retenir de le faire. Heureusement car peu après il sentit qu’il se passait quelque chose. L’arrêt du navire en pleine nuit ne pouvait que signifier qu’on allait charger ou décharger des marchandises, probablement de manière illégale étant donné l'heure tardive. Cela pouvait aussi augurer d’un débarquement d’Astrée même s’il aurait été aussi simple de mettre un canot à l’eau pour cela. Dans tous les cas, le risque était important que des hommes descendent jusque dans les cales. Il se cacha donc de son mieux et chercha à reprendre contact avec son fidèle allié rongeur afin de voir ce qui se passerait tout en restant dans la pièce jouxtant celle d’Astrée.

Comme pour confirmer ses craintes, il ne tarda pas à entendre le bruit de pas qui s’approchaient. C’était peut être l’heure de vérité. Si l’une de ces brutes faisait mine de s’en prendre à sa bien aimée ou de la détacher pour l’emmener, il savait qu’il ne pourrait plus se contenter d’attendre.

Quête : Rendez-vous manqué

Les craintes de Kasumi se révélèrent infondées. Les deux hommes n'étaient descendues que pour fermer un panneau qui isolait complètement la cale du reste de la péniche. Sans doute pour éviter tout pillage pendant la nuit. Car visiblement, la halte n'était pas prévue pour un déchargement mais simplement pour une pause, sans doute pour éviter de trop naviguer dans l'obscurité. La discussion entre les deux hommes lui apprit qu'en réalité, les bateliers avaient simplement voulu s'éloigner rapidement de Deux-Ponts, où ils savaient que le rôdeur pouvait être à leur recherche.
Le rat lui confirma indirectement tout cela. Il consentit à se glisser dans la coursive au-dessus, dans l'espoir sans doute de gagner la cuisine. Il vit les derniers hommes descendre du pont extérieur pour rentrer dans leur cabine. Seul restait visible un garde.

Juste avant qu'ils ferment le panneau à l'entrée de la cale, Kasumi tendit l'oreille en entendant mentionner la disparition de l'homme qu'il avait assomé.
- Tu aurais quand même pu trouver quelqu'un de fiable pour te relayer pendant qu'on discutait de cette embuscade ratée. Quand on est revenus au bateau, il n'était plus gardé !
- je suis désolé, c'était un homme de Pablo, je ne le connaissais pas. Il a dû filer directement avec l'argent que je lui avait donné. Mais je te garantis qu'il le regrettera à mon retour.

Les deux hommes remontèrent, et Kasumi endendit leurs pas décroitre sur le pont juste au-dessus de lui. Puis, petit à petit, le silence s'installa.

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi fut presque soulagé que l’arrêt ne serve qu’à permettre à l’équipage de faire relâche. L’isolement de la cale assurait une protection, même illusoire, à Astrée. Il savait pourtant que le temps ne jouait pas en leur faveur. Tôt ou tard, on l’emmènerait ou alors des hommes descendraient… Tôt ou tard, le garde dont les criminels pensaient qu’il leur avait fait faux bon se réveillerait et serait découvert. Tôt ou tard, il se retrouverait obligé de se battre contre la multitude des bateliers en espérant défendre Astrée. Au bout d’un moment, l’impuissance et l’inaction eurent finalement raison de son angoisse et il s’assoupit dans un état de semi conscience nerveuse. Il se réveillait en sursaut au moindre bruit et ne se reposa donc guère, trop anxieux de ce qui pouvait survenir d’un instant à l’autre.

Quête : Rendez-vous manqué

Le silence dura jusqu’à l’aube. Kasumi dormit un peu, mais très mal, malgré la confiance qu’il avait en Première Neige pour l’avertir du moindre danger. Puis, petit à petit, l’équipage s’éveilla. Le rôdeur entendit des pas au-dessus de sa tête. Puis on descendit ouvrir le panneau qui fermait la cale. Trois hommes pénétrèrent dans la coursive.
- Tiens, tu viens nous aider pour les chevaux ? C’est sympa, parce qu’à deux, on en a pour un bon moment.
- Non, le capitaine m’a juste demandé de vérifier quelque chose dans la cargaison. J'en ai pas pour longtemps, je dois remonter ensuite.
Les trois hommes se séparèrent. Deux d’entre eux partirent vers l’avant du bateau, les chevaux se trouvant dans les deux dernières pièces. Et un homme se dirigea vers l’arrière. Kasumi l’entendit s’approcher de la porte d’Astrée. Une clé tourna dans la serrure.
- On est réveillée à ce que je vois ?
L’homme s’avança dans la pièce.

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi se tendit en entendant l’homme approcher de la cellule d’Astrée. Lorsque la clé tourna dans la serrure, il resserra sa prise sur ses armes, parfaitement réveillé lorsque l'homme s'adressa à sa prisonnière. Astrée était éveillée et il ne pouvait même pas lui faire savoir qu’il était juste à côté d’elle. Son cœur était soumis à la torture et il était décidé à agir si l’homme montrait le moindre signe qu’il s’en prenait à elle. Mais tant qu’il ne savait pas s’il possédait les clés de ses fers, une action prématurée ne pourrait conduire qu’à une impasse sanglante. Il se contenta donc de tendre l’oreille, chaque muscle de son corps crispé et endolori par la nuit à la dure et l’absence de sommeil.

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi entendait assez distinctement ce qui se passait dans la pièce à côté.
- Petit déjeuner, fit l'homme, laconique. Et mange bien parce que t'auras sans doute plus rien jusqu'à l'arrivée à Evendum ce soir. On voudrait pas que tu meures de faim... Ce serait du gâchis, un joli brin de femme comme toi.
Kasumi entendit distinctement Astrée reculer, se cognant contre la paroi qui les séparait. Il la devinait paniquée.
- Remarque, le chef a dit qu'on n'avait pas besoin de prendre les précautions habituelles. Ce qui veut dire qu'on a le droit de s'amuser si on veut... Mais je suis pas du matin, alors... peut-être ce soir, qui sait ? Juste avant de t'enfermer dans cette caisse pour le transfert sur le bateau pour Dorrandin. Et puis, ce sera plus pratique, tu ne seras plus attachée... 'Fin, j'dis ça, moi, mais je ne sais même pas si c'est moi qui serai chargé de toi ce soir... J'ferais peut-être bien d'en profiter tout de suite...
Un bruit de lutte. Une claque. Un cri de colère de l'homme.

Quête : Rendez-vous manqué

Ce fut un crève-cœur une fois de plus et Kasumi en eut la nausée. Il devinait la terreur d’Astrée, l’horreur qu’elle devait vivre, qui rouvrait certainement toutes les blessures qu’il avait à peine réussi à masquer la veille. Cela semblait déjà si loin, comme un doux rêve égaré qui s’efface au matin lorsque la réalité reprend sa place. Il se sentait soudain indigne de l’amour que la jeune femme lui avait témoigné. Il se tenait là, tout près d’elle et ne se décidait pas à la défendre alors qu’elle en avait tant besoin, qu’il aurait du le faire. Etait-il en train de redevenir l’homme froid et méfiant qu’il avait été pendant la majeure partie de son existence ? Avait-il même jamais changé ?

Cet homme en lui l’enjoignait à rester dissimulé, à ne rien tenter de stupide alors qu’il était évident que l’homme en question n’avait pas les clés des entraves d’Astrée. Cela ne l’empêcherait pas de lui faire du mal, il lui en faisait déjà, par ses insinuations. Mais le tuer sur place ne pourrait que mener au désastre total. Et que restera-t-il à sauver sinon ta carcasse s’il la brise ? Mieux vaudrait qu’elle soit morte, non ? Encore une fois cette maudite voix. Et l’indécision le paralysait, une fois de plus. Comment pouvait-il un jour la regarder à nouveau en face alors qu’il trahissait sa confiance ? Qu’il laissait cet homme faire ce qu’il voulait d'elle. Oh, il se promettait d’intervenir si la situation dégénérait. Promesse futile et sans cesse repoussée. Que supporterait-il qu’on lui fasse avant d'agir ? Il se sentait méprisable alors qu’il restait là à écouter, même Première Neige se tendait, indignée. Comment pourrait-elle lui pardonner ? Se pardonnerait-il à lui-même si, au nom de la prudence et de la sagesse, il laissait Astrée se faire violenter,parce que ce n'était pas le meilleur moment pour intervenir.

Ces idées noires l’empêchèrent de réfléchir consciemment à ce que l’homme avait révélé au travers de ses menaces. L’arrivée à Evendum ce soir. Et les projets pour la suite. Si suite il y avait. Il y avait de grandes chances pour que Kasumi soit déjà mort au moment où on emmènerait Astrée. Peut être cela vaudrait-il mieux ainsi.

Heureusement, Kasumi n'eut pas à se débattre longtemps dans les affres de l'indécision. Après qu'Astrée eut giflé violemment l'homme qui tentait de s'en prendre à elle, la lutte tourna court. Il y eut un bruit d'étoffe déchirée tandis que l'homme maugréait quelques mots incompréhensibles, promesse de vengeance sans doute.
- Tu as de la chance qu'on m'attende là-haut... Et que je doive te garder en vie. Mais tu te passeras de déjeuner. Je te laisse juste la boisson.
La porte claqua. La clé tourna dans la serrure. Des bruits de pas sur les marches, et le silence revint. L'incident n'avait duré que quelques minutes.

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Astrée s'effondra contre la cloison, en larmes. Kasumi l'entendit sangloter. Elle n'avait pas eu le temps de réaliser ce qui se passait, elle avait frappé l'homme sous le coup de la colère, de l'affolement. Et maintenant... elle redoutait les conséquences. Elle pensa à Kasumi, se concentra pour retrouver le contact avec Première Neige, et partagea avec la louve sa détresse, sa peur, les suppliant d'intervenir si tout ça tournait mal. Elle était heureuse, en un sens, que le rôdeur n'ait pas assisté à la scène : s'il était intervenu, s'il avait tué l'homme... Bien sûr, elle aurait prétendu l'avoir tué elle-même, pour ne pas qu'il soit découvert, et là... elle n'osait y penser.
Les larmes finirent par se tarir, en partie à cause de la fatigue, en partie parce que rien ne se produisit : visiblement l'homme ne s'était pas vanté de son échec. Elle avait soif. Elle prit le verre qu'on lui avait laissé et suspendit son geste : jamais on ne donnerait du jus de fruit à une esclave, sauf... pour masquer une drogue quelconque. Elle le reposa. Puis, saisie d'une brusque inspiration, le prit et le lança violemment contre la paroi. Kasumi entendit le bruit du verre brisé. Mais rien ne bougea dans le bateau. De toute façon, on aurait pris son geste pour un accès de colère. Elle saisit précautionneusement l'un des plus gros débris, enveloppant sa main dans un bout d'étoffe. Elle regarda la chaîne qui lui reliait les chevilles, fixée à la paroi par un solide piton, sans doute vissé de l'autre côté. Et, dans un geste rageur, elle se mit à frapper la cloison de bois avec le débris de verre, dans l'espoir dérisoire de parvenir, petit à petit, à creuser autour du piton. Kasumi entendit des coups répétés contre la paroi qui le séparait de la cellule de sa compagne, apparemment derrière quelques caisses.
La paroi était épaisse, Astrée savait qu'il lui faudrait des heures pour y arriver, mais après tout, elle n'avait rien à perdre à essayer. Et puis surtout, cela lui occupait les mains, lui évitant de penser à ce qui pouvait advenir. Et d'après ce qu'avait dit l'homme, elle avait le temps : une journée entière à attendre.
Alors, même si c'était inutile puisqu'il y avait encore l'obstacle de la porte, elle persistait, arrachant petit à petit à la cloison des débris, creusant lentement mais sûrement. Au moins, elle avait l'impression d'agir. La répétition du geste avait un effet étrangement apaisant, et petit à petit son moral remonta un peu, une certaine sérénité l'envahit. L'espoir que son compagnon trouverait un moyen de la sortir de là.
Elle retrouva le contact avec Première Neige, juste pour l'informer de ce qu'elle faisait, en espérant que la louve parvienne à transmettre son intention à Kasumi. Et aussi sa confiance.

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La péniche s'était remise en mouvement, lentement. Les bruits de la navigation couvraient ceux qu'Astrée faisait contre la paroi. La cale était la plupart du temps déserte : les deux hommes chargés des soins aux chevaux étaient remonté.
Plus tard, deux autres descendirent, se rendant dans la pièce juste en face de celle de Kasumi, et remontèrent rapidement, avec de la nourriture sans doute. Leur conversation appris cependant une information intéressant au rôdeur : l'homme qu'il avait assomé avait repris connaissance. Il souffrait d'un mal de crâne terrible, probablement lié à l'alcool qu'il avait ingurgité la veille, et ne se souvenait plus de ce qui s'était passé. Il semblait persuadé qu'un homme de l'équipage l'avait attaqué pour lui voler les vingt pièces d'or qu'il avait sur lui, qui avaient mystérieusement disparues, et entra dans une rage folle en apprenant qu'on avait quitté Deux-Ponts où il avait une affaire importante qui l'attendait. Il tempêta tant et si bien que deux des hommes l'avaient poussé à l'eau : qu'il rentre à la nage. Heureusement, les officiers du bord, qui se trouvaient à l'arrière du bateau, n'avaient pas eu vent de l'incident. Tout s'était réglé très vite, entre hommes de main. Les deux bateliers qui remontaient l'escalier semblaient se réjouir de l'incident : apparemment il régnait une certaine rivalité entre les hommes de Pablo et ceux du bateau...

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi avait réprimé un grognement de rage lorsque l’homme était parti car à ce moment, il prit conscience qu’il n’aurait pas hésité à le massacrer s’il était resté quelques secondes de plus, une erreur fatale sans aucun doute. Ceux qui l’attendaient aurait certainement d’abord cru qu’il s’amusait avec Astrée mais son absence aurait fini par les inquiéter, et tôt ou tard, sa mort aurait été découverte, précipitant une fin sanglante. Il avait eu beau se raisonner, il s’était senti sale de n’avoir pas su protéger la rôdeuse, de n’avoir pas pu la serrer dans ses bras pour apaiser ses sanglots qui s’étaient poursuivis longtemps après, qui résonnaient encore en lui et lui faisait saigner le cœur.

Il avait tenté de lui faire passer des encouragements à travers la louve mais ne savait pas exactement s’il y avait réussi. Il n’inspirait qu’à la serrer tout contre lui, tenter d’effacer ces heures sombres, de puiser du réconfort dans son regard. Première Neige se manifesta à nouveau, l’éclairant sur la source des grattements qu’il entendait maintenant de l’autre côte de la paroi. Il se maudit de sa bêtise en comprenant le plan d’Astrée. Il se mit immédiatement à inspecter l’empilement de caisses qui couvrait el mur de son côté de la paroi, espérant aider sa compagne à percer la paroi autour de l’attache. Les caisses n’était pas faciles à déranger, d’autant qu’il devait prendre garde à ne faire aucun bruit et à ne pas laisser un désordre qui serait remarqué si on venait dans cette pièce.

Il éprouva donc un instant de panique lorsque deux hommes descendirent dans la cale. Fort heureusement, ils délaissèrent sa cellule pour se diriger vers celle d’en face. Il attendit que son cœur se calme avant de reprendre sa besogne, se réjouissant de la tournure qu’avaient pris les évènements au réveil du garde qu’il avait assommé. Peut être avait-il moins d’ennemis qu’il ne s’y était attendu. Mais de la à faire confiance à des contrebandiers…

Quête : Rendez-vous manqué

Astrée sentit son coeur bondir dans sa poitrine en entendant Kasumi gratter à son tour de l'autre côté de la paroi, sans doute avec un couteau. Si seulement elle avait eu le sien, ils auraient été beaucoup plus vite, mais elle l'avait laissé dans la chambre, avec tout ce qu'elle avait dans ses poches, avant de descendre dans la salle d'eau. Il l'avait certainement récupéré. Elle y tenait, à ce couteau...
Elle ne put résister à l'envie de se lover contre la paroi, sachant qu'il était juste de l'autre côté, tout proche. C'était presque comme si elle le touchait, et le fait de creuser ensemble lui mettait du baume au coeur. Tout était possible puisqu'elle n'était plus seule...
Ils furent interrompus par des hommes descendant l'escalier, qui se dirigèrent vers l'avant du bateau. Au bruit, Kasumi devina qu'ils avaient ouvert la porte des volailles, sans doute pour les nourrir. Puis ils se remirent au travail. Peu avant midi, deux hommes descendirent puiser dans les réserves de nourriture, sans doute le cuistot et son aide. Ils entendirent du bruit dans la coursive au-dessus d'eux. L'heure du repas, sans doute. Un peu plus tard, on descendit nourrir les bêtes, encore. Mais pas l'esclave...
Astrée avait faim. Et soif. Elle n'avait rien avalé depuis 24h, et sentait la tête lui tourner un peu. Elle se demanda si elle ne devrait pas boire son urine, pour éviter la déshydratation. Elle grimaça. Elle attendrait encore.

Lorsque les dernières parcelles de bois les séparant cédèrent, et qu'un jour apparut entre les deux pièces, elle poussa un soupir de soulagement et s'autorisa un sourire. Le piton était encore solidement accroché, il fallait creuser encore, agrandir le trou. Ils y mettaient toute leur énergie. Au-dessus d'eux quelqu'un bricolait, couvrant largement le bruit qu'ils faisaient, et elle entendit Kasumi frapper contre l'écrou, de toutes ses forces, utilisant peut-être le pommeau de son épée en guise de marteau.
Le piton céda enfin. Astrée était libre... Enfin, presque : elle avait toujours les fers aux chevilles, et un mètre de chaînes entre les deux, plus la chaîne accrochée au piton. Elle se dit confusément que ça pèserait lourd s'il fallait nager avec tout ça, qu'il vaudrait mieux réussir à s'en débarasser. Mais ça attendrait encore un peu. L'essentiel était soudain ce petit orifice qu'ils avaient percé à travers la paroi. Elle tendit un doigt à travers. Elle avait un besoin irrépressible d'un contact physique, même dérisoire, avec son compagnon.
- Kasumi ? souffla-t-elle tout bas en approchant son visage du minuscule orifice.

Quête : Rendez-vous manqué

Une farouche détermination s’était peu à peu emparée de Kasumi alors que leurs efforts conjugués réduisaient la distance qui les séparait. Bien trop lentement à son goût bien sûr… Entre deux visites des bateliers, il s’appliquait donc avec frénésie pour rejoindre Astrée, pour défaire le piton enchâssé qui la maintenait prisonnière. Ce serait un premier geste symbolique, ensuite il faudrait la débarrasser de ses fers et trouver une solution pour quitter le navire sans être repérés. Il chassa ces questions pour ses concentrer sur le premier problème. Une solution viendrait pour les suivants, il devait y croire, il y croyait. Tout était possible alors qu’il se tenait à côté de sa bien aimée.

Enfin le piton commença à bouger et céda. Astrée put le tirer à elle avec son aide, laissant un trou dans la paroi. Il sentit la jeune femme s’approcher et se porta à sa rencontre, bien qu’une solide paroi de bois les empêche encore de se serrer l’un contre l’autre comme ils y aspiraient tous deux. Alors, lorsqu’elle passa un doigt au travers de la paroi, il le retint avec l’un des siens, tendrement, délicatement. Et, pris d’une envie irrépressible, il y déposa un baiser. La voix d’Astrée prononçant son nom, même rauque et altérée lui fit oublier toute sa fatigue et ses angoisses accumulées lors des dernières heures. Il chuchota à son tour à travers la paroi, fort de sa nouvelle confiance :

- Je suis ici mon amour. Je vais te sortir de là. Je vais trouver un moyen.

Il n’avait désormais plus qu’une hâte, agrandir le trou qui les séparait afin de lui prendre la main.

Quête : Rendez-vous manqué

Astrée ferma les yeux et s'installa tout contre la paroi. Les mots de Kasumi, sa simple présence si proche, lui avaient réchauffé le coeur. Mais elle se sentait trop faible pour l'aider à agrandir le trou, et de toute façon il était plus efficace avec son couteau. Elle avait soif, tellement soif. Et elle se sentait épuisée, comme si toute l'énergie qu'elle avait dépensée pour cet acte presque désespéré, creuser, l'avait vidée. Sa tête lui tournait, elle se demanda un instant si elle n'allait pas perdre conscience.

- Kasumi... Quand tu auras assez agrandi le trou, est-ce que tu pourras essayer d'y glisser l'embout de ta gourde, que je puisse boire un peu ? Je meurs de soif.
Elle fut surprise de trouver à peine la force d'articuler. Elle avait trop présumé de ses forces en se lançant à corps perdu dans l'action. Il fallait qu'elle boive, d'urgence. Et qu'elle mange, aussi.

Quête : Rendez-vous manqué

Le rôdeur fur gagné par un sentiment d’urgence que trahit sa voix :

- Tout de suite ma beauté. Ecarte-toi juste un peu, s’il te plait.

Kasumi redoubla d’effort et fut récompensé de ses efforts lorsqu’il put passer la lame dans l’anfractuosité et faire éclater un morceau de bois en lui faisant faire un tour complet. Il dégagea ensuite les débris et introduisit le goulot de sa gourde souple dans l’orifice. Il dut encore attaquer le bois avant de la sentir traverser de l’autre côté.

- Voilà, ne bois pas trop vite. Ensuite j’irai te chercher à manger.

Quête : Rendez-vous manqué

Tout tournait autour d'elle, et elle entendit à peine les mots de Kasumi. Une partie d'elle-même trouva la force de remarquer qu'il arrivait à faire des compliments même dans les situations les plus désespérées.
Lorsqu'elle vit apparaître le goulot de la gourde, à quelques cm au-dessus du sol, elle réussit, dans un sursaut de volonté, à se recroqueviller, à demi-allongée contre la paroi, pour boire le liquide salvateur qui s'en écoulait. Une gorgée, une autre.
Ne bois pas trop d'un coup...
Elle s'en fichait, elle but tout son saoûl, goûtant avec délices la sensation rafraichissante au fond de sa gorge, sans pouvoir s'arrêter.

- Merci... Ca fait du bien, tu peux pas savoir... Et si tu as à manger, ce ne sera pas de refus non plus. Une fois que tu auras agrandi le trou. Je suis désolée, je ne peux pas vraiment t'aider.
Son regard s'était posé par inadvertance sur la main avec laquelle elle avait manipulé le morceau de verre, et qui, malgré le tissu dont elle l'avait protégée, saignait de multiples petites coupures. Non, elle ne pouvait plus creuser, même si elle en avait encore eu la force.

Il fallut encore plus d'une heure à Kasumi pour agrandir suffisamment le trou pour y passer la main. Astrée luttait contre le sommeil, un sommeil dangereux, elle le savait. Elle s'obligeait à garder les yeux fixés sur la progression de son compagnon. Lorsqu'elle le vit passer sa main pour tester la largeur de l'ouverture, elle la caressa doucement, saisissant son pouce entre ses doigts. Puis elle déposa un baiser sur sa paume. Sans dire un mot. Ce n'était pas nécessaire, et elle sentait qu'il lui fallait s'économiser.

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi ressentit un délicieux frisson en sentant les lèvres de sa compagne toucher sa main. Mais il savait que le temps pressait et s’inquiéter trop de l’état de sa compagne pour se laisser aller à cette douce sensation. Il chuchota, comme pour s’excuser de s’écarter :

- J’en ai pour une minute à peine. Je reviens t’apporter à manger.

Il lui fallu tout de même quelques minutes pour choisir des mets que la rôdeuse pourrait supporter après être sans doute restée déshydratée depuis presqu’un jour. Il revint avec ses trésors qu’il fit passer eu travers de la cloison pour les déposer délicatement dans sa main. Il y avait là quelques tranches d’un fromage souple et laiteux et quelques dates. Il avait aussi déniché un quignon de pain mais plus très frais. La fatigue et la faim se combinant au soulagement de l’avoir retrouvée, il trouva le courage de plaisanter :

- J’ai bien peur de n’avoir aucun avenir dans le métier. N’hésitez pas à vous plaindre au capitaine si vous trouvez que le service à bord est déplorable, Ma Dame.

Astrée sourit, machinalement. La plaisanterie était douteuse, mais elle n'avait pas la force de s'en offusquer.
- Le service est irréprochable, compte tenu des circonstances.
Sa voix était faible, et trop sérieuse. Elle parlait la bouche pleine, trop affamée pour attendre une minute de plus. Les dates séchées lui donnèrent instantanément un coup de fouet salutaire, et elle mangea plus lentement le reste des provisions, puis réclama à nouveau à boire. Elle commençait à se sentir mieux. Mais l'euphorie qui l'avait saisie en retrouvant le contact avec son compagnon s'estompait petit à petit. Elle était toujours enfermée, il fallait absolument trouver un moyen de s'enfuir.

Elle soupira.
- Qu'est-ce qu'on va faire, maintenant ? Est-ce qu'on attend que quelqu'un vienne ce soir avec les clés des chaînes ? Est-ce qu'on tente quelque chose avant, mais quoi ? Il faut au moins la clé de la porte...
Les questions s'adressaient autant à elle-même qu'au rôdeur. Ses neurones semblaient recommençer à fonctionner à nouveau normalement, et déjà elle analysait la situation. D'après les bruits à l'heure du repas, la cambuse semblait au-dessus de sa tête, ce qui signifiait qu'ils étaient à l'arrière de la péniche. Elle demanda confirmation à son compagnon.
- Di-moi, on est à l'arrière de la péniche ? Et l'escalier pour remonter se trouve où ?

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi mangea en même temps que sa compagne, se rassérénant autant par la nourriture qu’il ingérait que de savoir qu’Astrée allait un peu mieux. Lorsqu’elle fit mine de manger un peu plus lentement, il s’écarta encore une fois et revint avec de la nourriture plus consistante, qui les aiderait à garder les idées claires quelques heures. Evidemment, ce qu’il leur fallait avant tout était du repos mais il était trop dangereux de s’y laisser aller. L’accalmie dont ils profitaient ne durerait pas. Et le demi-elfe n’avait aucune envie d’attendre le soir pour agir. Il passa quelques tranches de jambon au travers de la paroi et en mit quelques unes de plus dans son sac. Une fois le repas terminé, il se rendit compte qu’il n’avait pas vraiment d’idée pour la suite. Il s’était laissé porter par les évènements jusqu’ici et peinait à remettre son cerveau en marche. Il savait que dans ces cas là, évoquer ce qu’on savait aidait à voir l’évidence. Il fut donc heureux d’entendre Astrée répondre si conformément à ses pensées.

- La porte n’est pas si solide qu’il n’y parait. Je pense pouvoir en venir à bout mais je ne l’ai pas fait au cas où quelqu’un descendrait. Il nous faut donc établir un plan pour la suite avant que je ne te libère, je suis désolé. Voyons, d’après mes estimations, nous sommes en effet à l’arrière de la péniche et l’escalier qui donne accès aux niveaux supérieurs débouche à peu près aux deux tiers de sa longueur.

Astrée se massa les tempes, se concentrant pour faire remonter à sa mémoire ses souvenirs d'enfance. Son père possédait des péniches, elle savait à peu près comment cela fonctionnait. Elle réfléchit à voix haute, pour partager avec Kasumi le peu qui lui venait à l'esprit.
- Bon... Si je visualise bien la situation, l'escalier débouche légèrement sur la droite de la péniche, un peu en avant par rapport à la cabine du barreur. Ce qui veut dire que tout le monde sauf le barreur nous tourne le dos. Normalement, les chevaux qui nous tirent sont attachés plutôt vers l'avant du bateau. Il doit y avoir quelques hommes avec eux, à terre. Il doit aussi y avoir quelques hommes postés à l'avant du bateau pour repérer d'éventuels obstacles, et d'autres qui surveillent les cordes de traction, ils seront aussi à l'avant par rapport à nous. Il doit y avoir un officier sur le pont, un autre à la barre. Tous les autres hommes sont certainement dans les cabines, ou au carré des officiers : ils se relaient.
Ses idées étaient confuses. Elle se demandait si Kasumi arrivait à s'y retrouver. Elle continua néanmoins.
- On navigue du côté droit du fleuve, ça veut dire que si on saute à l'eau, il faudra nager vers la rive gauche du fleuve pour qu'ils ne puissent pas nous poursuivre à terre. Par contre, on va sauter du côté droit du bateau, c'est le plus proche de l'escalier. A mon avis si on jaillit d'un coup sans prévenir, qu'on court vers la droite du bateau et qu'on saute directement à l'eau, le barreur, sous le coup de la surprise, aura tout juste le temps de donner l'alerte. Personne n'aura le temps d'intervenir, et ils n'ont certainement que des armes de poing, par d'arc. Ensuite, le temps qu'ils descendent le canot, ou qu'ils trouvent des arcs, la péniche les aura entraînés assez loin de nous, on aura le temps de gagner la rive. Surtout si on lui donne un petit coup de pouce en mettant quelques-uns des chevaux au galop, ça distraira aussi les hommes à terre, eux sont peut-être mieux armés.
L'idée prenait forme, doucement.
- Il faut juste être sûr que les hommes qui sont juste au-dessus, sur l'entrepont soient bien occupés, qu'ils ne surgissent pas dans la coursive au moment où on passe dans l'escalier. Peut-être attendre le repas, en espérant qu'il ne se passe rien avant... Ou attendre la tombée de la nuit pour être moins repérables sur le fleuve et à terre ? Mais dans ce cas ils risquent de venir m'apporter à manger. S'il n'y a qu'un homme ou deux, ça ira, on les maîtrisera, en plus on pourra détacher mes chaînes. Mais s'ils sont plus... Par contre, si on n'a pas la clé, je ne sais pas comment je pourrai nager avec le poids des chaînes, peut-être sur le dos, mais sûrement pas très vite.
Elle soupira.
- Je ne sais pas s'il vaut mieux agir maintenant, ou attendre le repas pour qu'ils soient occupés et moins nombreux sur le pont, ou attendre la tombée de la nuit... Plus on attend, plus on prend de risques, d'un autre côté... Je n'en sais rien...

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi nota tous ces détails dont ses observations avaient pu corroborer certains. Il réfléchit pendant un moment aux différentes hypothèses évoquées par la rôdeuse. Dans tous les cas de figure, l’évasion serait risquée. Chaque phase de leur évasion comportait des dangers: faire sortir Astrée de sa cellule sans bruit, traverser la coursive, passer sur le pont, nager jusqu’à l’autre côté de la rive et enfin échapper aux poursuites qui ne manqueraient pas d'être lancées contre eux. Il retourna tous ces éléments avant de prendre la parole, il était temps de décider d’un plan et il ne voulait pas le faire seul :

- Je sais que ce sera difficile mais je crains qu’il vaille mieux attendre ce soir. Un homme, pas plus de deux j’espère viendront t’apporter à manger. Si nous avons de la chance, ils auront les clés de tes chaînes. Je les prendrai par surprise et les neutraliserai, alors ne crains pas ce qui arrivera. Ensuite, les autres hommes seront occupés à manger et nous en profiteront pour suivre ton plan. J’ai de quoi leur faire une petite frayeur qui en retardera certains. Les cales sont pleines d'huile et de combustible. Si tu n’as plus tes chaînes, tu me montreras tes talents cachés de nageuse, sinon je t’aiderai. La luminosité déclinante nous aidera à atteindre les bois et alors nous serons hors de danger. Me fais-tu confiance mon amour ? Je ne permettrai pas que l’une de ces brutes te fasse encore du mal.

Quête : Rendez-vous manqué

Astrée était parvenue à la même conclusion. Il était plus raisonnable d'attendre le soir. Encore trois ou quatre heures de patience, et elle serait libre.
- Oui, j'ai confiance en toi... Et je sais qu'il est plus sage d'attendre la tombée de la nuit. Mais s'il te plaît, promets-moi de ne pas les laisser me toucher, même s'ils sont trop nombreux, même s'ils ont le temps de donner l'alerte. S'il te plaît, promets-moi de ne pas les laisser faire. De ne pas me laisser seule... Tue-les...
Les mots lui avaient échappé, en disant plus que ce qu'elle aurait voulu dire. Malgré elle, sa détresse était perceptible dans son ton. Elle avait tellement peur d'eux, de ce qu'ils pouvaient lui faire. Elle poursuivit, les larmes aux yeux.
- Mais sauve-toi, si tu ne peux pas en venir à bout, si ça ne tourne pas comme prévu... Moi je me tuerai plutôt que de tomber entre leurs mains. Est-ce que... Est-ce que tu as pu récupérer mon couteau ? Je pourrais en avoir besoin...
Les larmes coulaient sans qu'elle puisse les arrêter. Trop d'angoisse, trop de peur, trop d'émotion. Il fallait qu'elle tienne le coup, qu'elle retrouve son sang-froid. Ils allaient sortir de là.

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi contint difficilement un sanglot mais pas ses larmes en entendant les supplications d’Astrée. Non, il ne la laisserait pas entre leurs mains, il préférait mourir à ses côtés plutôt que laisser faire les brutes esclavagistes. Mais il jugea préférable de ne pas en parler, pas en ces termes. Il tendit le couteau qu’il lui avait déjà offert à deux reprises.

- Voilà. Et ne crains rien. Ces hommes n’auront aucune emprise sur toi tant que nous combattons côte à côte. Nous sommes trois et je trouve que c’est assez déloyal envers nos adversaires. Mais je ne t’en voudrai pas si tu n’en laisses pas un seul pour mes lames. Quoiqu’il arrive, je parviendrai à te sortir de là. Je ne partirai pas sans toi, j’en serais incapable, pas plus que je ne peux me séparer de mon cœur.

Le rôdeur s’attela ensuite à ses préparatifs. Il entreposa discrètement du bois sec dans des caisses et tonneaux vides qu’il prit soin d’arroser d’huile avant de les refermer. Si les marins étaient les premiers à descendre pour venir chercher de quoi préparer le repas, il ne fallait pas qu’ils remarquent quoique ce soit d’anormal. Il ajouterait la dernière touche au bucher pendant qu’Astrée s’occuperait d’encourager les chevaux sur la rive. En y pensant, il sortit le petit médaillon de la rôdeuse de sa poche. Il lui déposa simplement dans la main, n’écartant la sienne que lorsqu’il eut fini de parler :

- Ceci t’appartient et te sera plus utile qu’à moi, pour contacter les chevaux.

Quête : Rendez-vous manqué

Astrée regardait le médaillon que Kasumi venait de déposer dans sa main, à travers l'orifice qu'ils avaient creusé, comme si elle le voyait pour la première fois. Elle était à moitié endormie lorsqu'elle avait constaté sa disparition, et s'était interdit d'y repenser depuis, ayant bien d'autres soucis plus urgents, plus vitaux. Elle croyait ne jamais le revoir.
Elle ne chercha pas à comprendre comment il s'était retrouvé en sa possession. Ils auraient tout le temps pour tout se raconter, après. Quand ils seraient en sécurité. Instinctivement, elle l'attacha autour de son cou, retrouvant instantanément une conscience plus aigüe de ce qui l'entourait, avant de réaliser qu'il lui faudrait l'enlever pour ne pas que les esclavagistes l'aperçoivent, surtout vu l'état dans lequel ils avaient mis sa tunique. Il lui faudrait peut-être faire semblant de dormir, elle ignorait combien de temps était sensé durer l'effet de la drogue qu'ils avaient mise dans son verre.
Elle remis le médaillon dans sa poche, et ferma les yeux, essayant de retrouver le calme et la sérénité indispensables à la réussite de leur plan. Mais avec Kasumi tout proche, elle se sentait tellement confiante.

Des hommes descendirent et passèrent devant sa porte pour fouiller dans la réserve. L'heure du dîner approchait. D'autres hommes vinrent s'occuper des chevaux, des volailles. Au-dessus d'eux résonnaient des pas, les hommes se rassemblaient pour manger. Ils ne lui avaient encore rien apporté. Elle supposa qu'ils la feraient manger après eux.
Elle s'installa contre la cloison pour dissimuler le trou où elle avait repositionné la piton, recroquevillée, faisant semblant de dormir. Son médaillon était dans sa poche. Son couteau était caché derrière sa jambe, elle pouvait s'en emparer en un instant.

Des pas, à nouveau. Deux hommes, lui sembla-t-il. Ils approchaient de la porte. La clé tourna dans la serrure.
- Alors, comment on se porte après une journée de jeûne ? Affamée, sans doute ?
- Pas la peine de faire semblant de dormir, on sait que t'es réveillée, la drogue ne doit plus guère faire d'effet. Juste assez pour te rendre moins... arrogante. Mais peut-être que tu préfères que je me charge de te réveiller ?
Astrée se redressa lentement, masquant toujours le trou dans la paroi. Elle ne prononça pas un mot. Elle n'allait pas leur donner cette joie... Et puis, son ton risquait de trahir sa confiance retrouvée.
- Bon, je te la détache et je te laisse te charger de l'enfermer dans la caisse pour le transfert, après le repas ? Il doit te rester une bonne heure avant d'arriver... Largement de quoi t'amuser un peu pour compenser ta frustration de ce matin.
Un ricanement.
- T'es sûr que t'as pas besoin d'aide ? Elle va peut-être pas vouloir se laisser faire.
- Non, ça va, j'ai pas besoin qu'on me la tienne ! De toute façon, avec le pavot l'estomac vide, elle pourra pas faire grand-chose. Et j'adore qu'on me résiste un peu, c'est tellement plus... excitant.
Nouveau ricanement. Il la fixait dans les yeux en prononçant ces mots. Et s'approchait dangereusement. Son comparse aussi. Elle n'eut pas besoin de feindre la terreur, elle était là, paralysante.

L'homme avait posé le plateau repas et s'approchait encore. Il avait les yeux fixés sur son corsage... Elle avait simplement noué sous sa poitrine les deux pans de la tunique qu'il avait déchirée de sa lame ce matin, pour cacher un peu sa nudité.
Elle entendit le bruit d'une clé et sentit l'un des fers se détacher. Elle était incapable du moindre mouvement, du moindre son. L'homme tendait la main vers sa poitrine, il allait lui arracher sa tunique...
- Alors, on fait moins la fière ?

Pourvu que Kasumi arrive. Vite.

Quête : Rendez-vous manqué

Kasumi s’était préparé dès qu’il avait entendu les hommes descendre les marches. L’agitation du combat à venir faisait trembler légèrement ses mains. Il venait de reconnaître la voix de l’homme qui avait menacé Astrée le matin même. Il se réjouit qu’il soit venu, cela lui éviterait d’avoir à le chercher pour le tuer comme il le méritait. Il chassa toute émotion le temps de s’approcher silencieusement derrière les gardes qui parlaient, tous deux tournés vers l’intérieur de la pièce et la jeune femme adossée à la paroi.

Il ne gâcha pas l’effet de surprise en invectivant les brutes comme il en aurait eu envie. Non, pour le moment, il était le soldat, la vie d’Astrée était en jeu. Alors, il se fendit simplement dans le dos de sa première victime, l’homme le plus proche de la porte. La lame pénétra presque trop facilement, traversant le corps de part en part, il avait visé le cœur, une mort trop douce mais nécessaire. Il dégagea la lame du corps et le métal émit un affreux chuintementen frottant contre les os. il était bien décidé à abattre l’homme qui faisait mine de toucher sa bien aimée. Aucun ne la toucherait, c’était aussi simple que cela. Première Neige profita qu’il avance dans la pièce pour refermer ses mâchoires sur la gorge du mourant.

Quête : Rendez-vous manqué

Astrée était paralysée par la terreur alors que l'homme se penchait au-dessus d'elle, glissait sa main sous le noeud de sa tunique, frôlant sa peau de ses mains sales. Le souffle court, paniquée, elle ne parvenait plus à ordonner ses idées. Une seule chose restait : l'horreur de la situation, la peur, l'envie de fuir ou de frapper, ne pas laisser advenir ce que l'homme voulait. Seule une étincelle de volonté l'empêchait de hurler, d'appeler au secours, de se débattre.

Elle sentit l'autre homme s'affaisser, devina la présence de Kasumi, de la louve. Mais sa panique était telle qu'elle oublia tout, le couteau caché, la nécessité du silence, de l'efficacité, de gestes précis. En un geste réflexe, elle replia les jambes sous elle et les détendit d'un coup, atteignant l'homme au niveau de l'entre-jambe et le propulsant en arrière. Il tomba en arrière, poussant un cri de douleur et de rage, et se releva à genoux, plié en deux, les mains crispés sur ses parties génitales. Et prit conscience seulement à ce moment la présence de Kasumi. Trop tard...

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Kasumi s’était immédiatement désintéressé de l’homme que sa louve avait achevé. Sa mort avait été nécessaire, rien de plus. Il n’en éprouvait ni joie ni peine. Seules restaient ses réflexes et autre chose. Le demi-elfe vit l’homme penché au-dessus d’Astrée et sa colère revint en un flot tumultueux. Il s’apprêtait à le frapper lui aussi dans le dos quand la rôdeuse propulsa son agresseur à terre. Il porta immédiatement son attention sur leur ennemi, s’interdisant de la regarder tant qu’elle ne serait pas hors de danger. L’homme se redressa sur ses genoux mais suspendit son geste lorsqu’il sentit une main lui empoigner les cheveux pour tirer brusquement sa tête en arrière. La dernière chose qu’il entendit fut un inconnu lui murmurer à l’oreille :

- Et comme ça, c’est plus excitant ?

Puis, alors qu’une main se plaquait sous son menton pour qu’il ne puisse pas ouvrir la bouche, le rôdeur lui enfonça sa lame courte sous le bras gauche, à travers ses poumons. Le corps s’agita un moment de soubresauts avant de retomber, inerte.

Kasumi lâcha ses lames pour se précipiter vers Astrée, sans se soucier du sang qui maculait sa tunique. Lorsqu’il posa ses yeux sur elles, son expression trahit son trouble à la vue de sa tunique nouée qui dévoilait son ventre et rehaussait sa poitrine. Il la prit immédiatement dans ses bras pour lui donner un baiser. La libération pouvait bien attendre une minute. Le temps semblait d’être arrêté pour le rôdeur alors qu’il retrouvait enfin sa bien aimée.

La Couronne de Cuivre

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