La Couronne de Cuivre

Le barde grimaça. A ce compte-là, il aurait mieux fait de le laisser dormir...
Mais, bon joueur, il balança les jambes hors du lit et entreprit de s'habiller. Puis il quitta la chambre et gagna la salle commune. Si, même avec les odeurs de lait chaud et de pain frais sous le nez, le gamin peinait à s'éveiller, il en profiterait pour préparer les livres récupérés chez la sorcière. Les mages seraient les mieux à même de leur dire s'ils valaient quelque chose... ou si s'en servir comme combustible était le destin le plus approprié, les concernant.
-Bonjour ! fit-il au tavernier lorsqu'il l'eut rejoint. Pensez-vous possible que Victor et moi déjeunions dans notre chambre ? Il nous faut nous préparer avant notre première expédition commune pour Loth Imarhil... Hum, et je crois que seul les fragrances du déjeuner le décideront à s'arracher aux couvertures.

Le tenancier avait l'air parfaitement dispos et il accueillit le barde avec le sourire.
" Pas de problèmes. J'imagine qu'il doit être crevé, le pauvre. Il voulait veiller jusqu'à votre retour, mais j'ai fini par l'envoyer de force se coucher. Il était tellement anxieux, ça faisait peine à voir... Bon, je suppose qu'il ne dormait pas quand vous êtes arrivé, mais au moins, il a pu se reposer un peu..."
Il haussa les épaules avec une petite moue désolée, puis son sourire revint.
" Je vais envoyer quelqu'un vous monter le petit déjeuner. Prenez votre temps. Vous me redescendrez le plateau quand vous avez terminé."

Taliesin resta un instant pantois.
-Il ne dormait pas, effectivement... soupira-t-il enfin. Mais il m'a laissé entendre que la soirée s'était bien passée. Et il a attribué son anxiété à la tempête. Je n'aurais pas cru qu'il s'inquiéterait à ce point...
Il secoua la tête, désolé lui aussi.
-Mais je vous remercie d'avoir essayer de l'occuper, Vraiment. Et comme on m'a permis un laisser-passer pour ce matin, nous n'aurons plus besoin de nous séparer. D'ailleurs, personne ne s'est encore présenté ?

" Ne vous chagrinez pas. Victor est conscient de ce que vous êtes, et d'où nous nous trouvons, simplement." fit Borgporkniel, philosophe. " Quand on a été abandonné une fois, c'est difficile d'avoir à nouveau parfaitement confiance. Même si les circonstances sont différentes, même si on voudrait prouver qu'on a avancé... C'est un fond d'insécurité qui perdure à jamais et qui vous reprend de temps en temps... Ce n'est pas votre faute."
Il secoua la tête.
" Quant à votre guide du jour, je pense qu'il fait la grasse matinée... A moins qu'il ne soit en train de se frayer un passage dans le mètre de neige qui nous est tombé cette nuit."

Taliesin dut faire un effort pour masquer sa surprise... mais n'en dévisagea pas moins, un instant, le demi-orque. Etait-il possible que Victor se soit déjà confié à lui ? Il fallait que son anxiété ait été gigantesque pour qu'il le fasse... D'un autre côté, Borgporkniel avait un charisme indéniable, et inspirait confiance.
-On doit juste me remettre le laisser-passer... répondit-il. Sans ça, nous ne franchirons pas les murs ensemble. Mais rien ne presse, nous avons tout le temps... Et si Victor est profndément endormi, j'avoue que j'aurais des scrupules à l'éveiller...
Il sourit tristement au tenancier, le remercia de nouveau, puis s'apprêta à regagner sa chambre, Il s'en voulait de ne pas avoir compris l'ampleur du trouble de l'enfant. Décidemént, il était devenu bien aveugle...

Victor était en train de s'éveiller, assis sur le lit de Taliesin, se frottant les yeux en bâillant. A l'arrivée de l'elfe, il sourit, radieux.
" Quoi ? Sans le petit déjeuner !?" s'offusqua-t-il cependant.
Il n'eut cependant pas à attendre longtemps, car une jeune femme avait suivi Taliesin dans les escaliers et elle vint poser un plateau généreusement garni sur leur table, avant de s'esquiver, refermant précautionneusement la porte derrière elle.

-C'est une maison de luxe, ici, n'oublies pas ! fit Taliesin, souriant, en s'approchant de la table. Le client est roi, on ne le laisse pas s'épuiser à semblables tâches !
Il observa un instant le gamin. La tempête qui lui faisait peur, hein ? Qu'il avait été naïf ! Des tempêtes, ils en avaient affronté des bien pires. Sans un toit sur leur tête ou un bon lit pour se pelotonner.
-Prends ton temps pour te réveiller, bonhomme, reprit-il. On ne nous a pas encore apporté le laisser-passer. Nous sommes donc tout sauf pressés.

Victor sourit et s'étira, puis se glissa hors du lit et grimpa sur une des chaises. Il demeura un instant immobile, les narines frémissantes, profitant des bonnes odeurs qui se dégageaient du plateau. Il avait de grands cernes sombres et il bâilla à nouveau, mais il était manifestement de bonne humeur.
Le petit déjeuner était aussi copieux que les plats habituels de l'auberge, et il n'était pas aisé de faire son choix entre les petits pains, le gruau, les multiples confitures et miels, les tranches de jambon braisé, les quatre sortes de fromage, les fruits divers, le lait chaud et le thé fumant. Victor semblait perplexe.
On frappa à la porte pour les avertir que le document attendu était arrivé, puis les pas s'éloignèrent. L'enfant tendit la main vers un petit pain encore chaud, le rompit et dévora la mie du bout des doigts.

Le barde poussa un soupir de soulagement. Il s'était demandé s'il n'y avait pas eu un problème avec le laisser-passer, si l'obtenir n'avait pas été plus compliqué que prévu... En tout cas, il se serait mal vu abandonner à nouveau Victor. Surtout maintenant qu'il connaissait la vérité quant à sa soirée précédente... Mais les choses avaient bien tourné, et il en fut redevable au seigneur Polfinn.
Il entreprit donc de piocher sur le plateau et d'avaler ses prises avec appétit. La nourriture n'était pas seulement variée, mais aussi excellente, comme de coutume. Décidément, le Rendez-Vous-des-Moins-Que-Rien n'avait pas à rougir face à la plupart des hostelleries qu'il avait pu fréquenter au cours de ses voyages...

Dès qu'il eut terminé de manger, Victor se débarbouilla de fond en comble, comme s'il espérait se débarrasser d'une couche de poussière incrustée depuis dix ans. Ensuite, il revêtit la tenue que lui avait retaillée Gus la veille. Elle était beaucoup plus passe-partout que les vêtements d'apparat que Taliesin avait mis à la table de Polfinn, mais elle lui allait bien, coupée par le doigté précis du gnome. Ensuite, il se mit à trépigner autour de son aîné, l'invitant à se dépêcher et à lui faire ses dernières recommandations.

Pendant que le petit garçon procédait à ses ablutions, l'elfe avait rassemblé les grimoires et les avait fourrés dans son sac, se demandant s'il en tirerait quoi que ce soit. Lorsque Victor fut paré pour leur expédition, il ne le fit patienter que le temps de s'apprêter à son tour, ce qui ne lui prit que quelques instants.
-Ne te fais donc pas tant de souci... lança-t-il joyeusement. Sois comme de coutume, montre-toi poli avec les habitants, et tout ira parfaitement. Au pire, si tu as un doute, imite ce que je fais... Mais tu n'as vraiment pas à t'en faire, crois-moi.
Il lui serra l'épaule, dans un geste encourageant, puis se dirigea sans tarder vers la porte de leur chambre.

Le tenancier de l'auberge leur remit le laisser-passer qu'avait apporté l'éternel héraut de sire Polfinn. C'était un document rédigé en elfique, plein de belles phrases ampoulées, qui confirmait que le porteur de celui-ci, le dénommé Victor, enfant humain, était le bienvenu en Loth Imharil. Suivaient une série de recommandations de principe sur le respect des lieux et des habitants.
Ils purent ensuite gagner l'extérieur. Comme l'avait dit Borgporkniel, la neige était tombée en quantités pendant la nuit, atteignant plus de trois pieds à certains endroits. Ils avaient eu la chance, cependant, d'être précédés par toute une série de promeneurs, et le trajet jusqu'aux portes de la ville fut moins ardu que redouté. Les gardes les laissèrent passer après avoir examiné le document en leur possession, mais Taliesin eut l'impression qu'ils le faisaient plus par devoir que par conviction : il était probable que Selven les ait avertis de leur prochaine arrivée.
Ensuite, ils pénétrèrent dans la cité enneigée.

Le barde se tourna vers l'enfant.
-Je dois me présenter à la Confrérie de la Lune Rousse, ce matin. Un mage nommé Nevyn désire me faire rencontrer quelqu'un. Je ne sais pas pourquoi, mais il y tenait beaucoup... Nous n'avons pas convenu d'une heure précise, cependant, et en dehors de ça, nous sommes libres d'aller ou bon nous semble. Donc, si tu as une préférence, n'hésite pas. Sinon... nous irons au hasard. C'est parfois la meilleure solution pour découvrir un lieu.

Victor haussa les épaules. Il scrutait les hauteurs, curieux, veillant à éviter les amas de neige qui en tombaient de temps en temps, poussés par la légère brise.
« Peut-être qu’on ferait mieux de commencer par ton rendez-vous, comme ça, c’est fait, et ensuite, on a toute la journée pour faire le tour du reste, non ? Borgporkniel m’a dit qu’il fallait jeter un œil au Théâtre, qu’il était vraiment très beau et qu’on pourrait voir des spectacles, et il m’a aussi… »
Il fouilla dans ses poches et en extirpa un morceau de parchemin.
« Il m’a donné une liste de courses. » fit l’enfant avec le sourire. « Si on a le temps. »

-Oh, on aura largement le temps ! fit Taliesin. Et puis, ne l'aurions-nous pas que nous le prendrions tout de même : on doit bien ça à Borgporkniel...
IL jeta un regard aux alentours.
-Et tu as raison : mieux vaut s'occuper d'abord des formalités... Reste à trouver quelqu'un pour nous indiquer où se trouve la confrérie...

Quelques elfes circulaient entre les troncs. Lorsqu'ils s'adressèrent à une jeune femme, elle regarda Victor d'un regard curieux, comme on détaille un animal étrange, mais sans mépris ou agressivité, et leur indiqua la direction à suivre pour trouver la Tour des Archimages de la Lune Rousse. Il fallait contourner ou traverser la clairière de printemps, puis continuer droit devant pendant encore une centaine de mètres. La tour était l'édifice le plus haut de toute la ville, ils ne pourraient pas la manquer, elle dépassait même les arbres les plus hauts.
Victor et Taliesin suivirent ses conseils et effectivement, ils parvinrent bientôt dans l'ombre de l'édifice en question. C'était un ancien arbre, à en croire les courbes, mais qui s'était fossilisé sur pied. Son tronc était noir veiné d'argent, et il s'élevait droit vers le ciel, gigantesque et inébranlable. On devinait les énergies magiques qui y circulaient à de petites décharges colorées qui s'en détachaient de temps en temps, et de la fumée violacée s'échappait de plusieurs fenêtres à diverses hauteurs.
Au pied de l'arbre se trouvait une grande arche ornée, frappée d'une lune rousse en son centre, tellement réaliste qu'on aurait pu croire que l'astre y avait été piégé. Il n'y avait pas de portes, mais le barde devinait qu'elle était bien protégée. Cependant, il n'y avait personne, sinon cette ouverture, et ils aperçurent une vaste salle circulaire, éclairée, de l'autre côté. Un elfe en toge pourpre leur fit signe d'entrer.
C'était un jeune homme aux cheveux sombres, comme la plupart des elfes lunaires, et il leur sourit lorsqu'ils le rejoignirent.
" Vous êtes l'elfe doré qu'attend maître Nevyn, bienvenue ! Bienvenue !" s'exclama-t-il en serrant la main de Taliesin.
Il baissa les yeux sur Victor.
" C'est une sorte de golem ?" demanda-t-il ensuite, sans moquerie aucune.

La remarque fit sourire Taliesin - l'autre ne pensait pas à mal - mais il prit tout de même soin de poser une main rassurante sur l'épaule du garçon. Après tout, se voir traiter de golem n'était pas à proprement parler... agréable.
-Non non ! fit-il, amical. Victor est un enfant tout ce qu'il y a de plus normal... Je ne suis pas assez versé dans les arcanes pour créer un golem ! Je ne suis qu'un modeste barde...

Victor dévisagea Taliesin avec une grimace tandis que le mage elfe acquiesçait avec gravité.
« J’ignorais que les bardes avaient des familiers humains. » dit-il, sérieux, et d’une main maladroite, il tenta de tapoter la tête de l’enfant.
Celui-ci, prompt, s’écarta cependant avant que le mage ne l’ait touché. Ce dernier ouvrit des yeux ronds et gloussa.
« Il est farouche ! » déclara-t-il.
A cet instant, Nevyn fit son apparition, descendant d’un des six escaliers en colimaçon qui jalonnaient les parois de la salle. A part ces structures, le tronc était vide, creux, sans le moindre mobilier ou décoration. Chacun des escaliers, par contre, avait une couleur et une forme légèrement différente. Nevyn était arrivé via une structure verte aux allures végétales.
« Ah, bienvenue ! » s’exclama-t-il en s’approchant. « Tu peux retourner à tes expériences, Phyllon. »
Le jeune elfe qui les avait accueilli s’esquiva et prit l’escalier d’où était arrivé son aîné. Ce dernier sourit à ses invités. Avec sa peau blanche et ses cheveux bleutés, il avait une apparence des plus étranges pour qui n’avait jamais fréquenté d’elfes de la lune, et Victor semblait fasciné. Sur ses robes vert et or, des créatures mythiques se déplaçaient, formant des rondes hypnotiques.
« Je suis heureux que vous ayez pu venir. J’espère que Phyllon ne vous a pas importunés. C’est un transmutateur efficace, mais je crains que sa cervelle ne suive pas toujours bien le mouvement. »
" Il a dit que j'étais un familier !" s'offusqua alors Victor.
Nevyn se contenta de hausser les sourcils avec une légère grimace.

Taliesin sera un peu plus fort l'épaule de VIctor, puis s'inclina.
-Heureux de vous revoir, maître Nevyn... fit-il, souriant. Je n'aurais pour rien manqué votre invitation : je dois bien avouer qu'elle a suscité ma curiosité... J'en ai également profité pour apporter quelques grimoires, au cas où vous accepteriez de les examiner. Je suis trop peu compétent en magie pour juger de leur valeur, mais... s'ils m'était possible d'en tirer quelque chose, de les échanger contre du matériel pour notre expédition à venir, cela serait une chance.
Il aurait pu attendre, pour parler des livres. Mais ils avaient constitué un excellent prétexte pour changer de sujet et oublier l'incident avec le dénommé Phyllon...

Nevyn sourit en les entraînant vers l'escalier bleu, dont les rampes imitaient le flot de l'onde. En posant la main dessus, Taliesin eut l'impression qu'elles étaient faites d'eau vive et il eut une sensation d'humidité, qui s'avéra purement mentalement : ses paumes étaient sèches. Ils commencèrent à grimper, de réelles marches, vers la pièce qui les surplombait.
" Nous verrons ça, pas de problèmes. Si les mages ne sont pas intéressés, vous pourrez toujours aller voir à la bibliothèque. Je ne pense pas qu'il leur manque énormément de volumes, mais sait-on jamais... Vous pourriez détenir une pièce aussi rare que vous l'êtes."
Ils parvinrent dans une nouvelle salle, de dimensions plus réduites, aux allures sous-marines. Les murs roulaient comme des vagues verticales et le son ténu d'une cascade crépitait autour d'eux. Le barde vit un poisson bondir sur le mur ouest et replonger dans les profondeurs de la paroi.
" Mais d'abord, cette rencontre."
Nevyn avait l'air particulièrement heureux à cette perspective.
" J'espère que vous ne m'en voudrez pas d'avoir laissé planer le mystère..." commença-t-il. " Mais vous en dire plus... ne servirait à rien. Je pense aussi..."
Il baissa les yeux sur Victor.
" Qu'il serait préférable que vous y alliez seul."

Taliesin ne put réprimer une grimace. Il refusait que Victor se sente exclu ou qu'il renoue avec son anxiété de la veille. De plus, il ne voyait pas pourquoi il valait mieux qu'il fasse cette rencontre seul. Il ne pouvait pas s'agir de quelque chose de dangereux, tout de même... La seule explication qu'il voyait, c'était que Victor posait problème. A cause de sa race.
-Je n'ai pas de secrets pour cet enfant, répondit-il sans se départir de son affabilité mais en posant à nouveau la main sur l'épaule du petit garçon. Cependant, si... Si la personne que vous désirez me faire rencontrer a des griefs envers les humains, je comprends que la présence du petit puisse le gêner. Auquel cas... Sans doute vaut-il mieux, effectivement, qu'il m'attende ici.

« Oh, non, c’est pour vous que je disais ça… Pas pour lui. » dit Nevyn en haussant les sourcils. « Je pensais juste que… vous seriez peut-être plus à l’aise… Je ne sais pas comment les choses vont se passer. »
Il secoua la tête et haussa les épaules.
« A votre guise. »
Victor leva les yeux vers Taliesin.
« Je peux attendre ici, tu sais. Ça me gêne pas. Je compterai les poissons. »
« Nous pouvons voir pour ces livres, sinon. »

Le barde chercha le regard de Victor. Après ce que lui avait révélé Borgporkniel, après avoir ainsi appris l'état dans lequel était le petit garçon la veille au soir, il n'allait plus prendre pour argent comptant ses paroles rassurantes. se laisser tromper par ses airs détachés. Il commençait à le connaître assez pour pouvoir déchiffrer ses expressions... Et s'il y décelait de l'inquiétude, de l'angoisse ou un début de déception, il l'amènerait avec lui. Si, au contraire il le pensait sincère... Alors il irait seul. Ce qui, sans doute, étonnerait moins son hôte. Et la mystérisuse personne vers qui on l'envoyait. Qui qu'elle pût être...
La grande question du moment. Nevyn avait voulu qu'ils se rencontrent sitôt après l'avoir vu. Sitôt après avoir été manifestement surpris par son apparence. Il ne pouvait donc pas s'agir d'une vieille connaissance. Pour autant qu'il s'en souvint, aucune ne lui ressemblait vraiment. Dès lors, il s'agissait peut-être juste d'un autre elfe du soleil...

Nevyn vit que Taliesin hésitait et se garda bien d'ajouter quoi que ce soit. Victor sourit au barde avec chaleur.
" Allez, tu peux vraiment y aller. Mais tu me raconteras tout ensuite, d'accord ?"
" Je promets de ne pas le livrer aux wyvernes." ajouta Nevyn.
" Il y a des wyvernes ?" s'exclama l'enfant.
" Cinq."
" Wouah ! Je peux les voir ?"
" Si ton... heu... Si Taliesin est d'accord."
Victor se mit à trépigner.
" Je peux aller voir les wyvernes pendant que tu bavardes ?"

Oui, là, il n'y avait pas à se tromper. Victor préférait indéniablement les wyvernes aux conversations. Ou alors il possédait des talents de comédien tels que Taliesin n'en avait encore jamais vus.
-D'accord, bonhomme. Tu peux aller les voir, lança-t-il, libéré de son cruel dilemme.
Puis il se tourna vers le mage, souriant.
-Et bien, je crois que la question est réglée... Je vous remercie de bien vouloir vous occuper de lui pendant que... se déroule cette mystérieuse rencontre.

« Bon amusement. » déclara Victor, tout excité.
Nevyn sourit, un peu incrédule de l’enthousiasme qu’il avait suscité, apparemment plus ou moins par hasard. Il indiqua ensuite à Taliesin la route à suivre : il suffisait de traverser le mur ouest et il serait rendu. Sur ces entrefaites, il proposa au garçon de le suivre et ils se séparèrent.
Le passage par la paroi d’eau était des plus étranges, l’elfe eut l’impression de se noyer, une fraction de seconde, mais il émergea l’instant suivant dans une salle ronde, sec, bien entendu.
Comme Taliesin l’avait supputé, son interlocuteur était un elfe du soleil, il le reconnut immédiatement à ses longs cheveux blonds dorés qui cascadaient sur ses épaules. Vêtu de robes de mage mouvantes, comme Nevyn, il était penché sur un petit bureau, dos à l’entrée, dans un laboratoire encombré de livres et d’objets disparates. La pièce était lumineuse, coiffée d’un plafond liquide au travers duquel miroitait le soleil. Un oiseau coloré traversa le champ de vision de Taliesin et alla se percher au sommet d’une étagère, sur un globe noir et doré.
« Nevyn, je ne trouve plus le septième tome du Précis d’Aqualogie. » fit le mage, et le barde réalisa qu’il s’agissait d’une femme.
L’entendant approcher, elle se leva pour lui faire face. Elle était grande et mince, encore jeune, et son regard argenté trouva celui de Taliesin. Sa bouche fine, dans un visage gracieux, s’entrouvrit comme elle l’apercevait, surprise. Surprise puis ébahie. Et Taliesin fut forcé de réaliser qu’au delà de la simple race, l’inconnue lui ressemblait comme deux gouttes d’eau.

La surprise du barde fut également manifeste. Il s'était attendu à croiser l'un de ses congénères, certes, mais se douter de la chose ne la rendait pas moins étonnante, le moment venu. Les elfes du soleil étaient rares, de part le monde, et même lui qui l'avait longtemps arpenté n'en avait pas rencontré beaucoup. Et plus depuis longtemps.
Quant à l'impressionnante ressemblance... Elle le frappa, bien sûr, Il n'aurait pas vraiment pu en être autrement. Pourtant, Taliesin n'en tira pas de grande conclusion. La nature, parfois, se fendait de semblables singularités : Galathée et Victor, ainsi, n'étaient pas sans partager quelques traits. Leurs yeux, surtout. Il n'empêche : l'étrange sentiment de familiarité qu'il éprouva lui rappela celui qu'il avait ressenti, bien longtemps auparavant, quand Hafgan avait trouvé refuge dans la petite maison où il vivait avec sa famille adoptive..
C'était la première fois qu'il voyait un elfe, alors...
Taliesin ne tarda cependant pas à retrouver ses bonnes manières et, s'arrachant à ses pensées, il adressa un sourire à la magicienne, avant de s'incliner respectueusement.
-Madame, fit-il, simplement.

Mais l’elfe ne lui répondit rien. Elle s’approcha de lui, toujours incrédule, et tendit une main vers son visage, l’immobilisant à quelques centimètres, avant de rougir, embarrassée. Ses yeux ne le quittaient pas, détaillant ses traits et elle finit par secouer la tête, comme pour s’arracher à un songe.
« Messire. » murmura-t-elle simplement.
Un sourire traversa son visage, furtif, l’illuminant une seconde. Elle était très belle, probablement une des femmes les plus belles que Taliesin ait jamais rencontrée.
« Nevyn me joue des tours, je vois... » finit-elle par dire.

Taliesin, toujours un peu troublé, lui rendit cependant son sourire.
-J'en déduis qu'il ne vous a rien dit, à vous non plus... Il s'est excusé de ce mystère, mais a estimé qu'être plus explicite n'aurait servi à rien.
Il haussa les épaules, puis reprit la parole. Si le silence s'était prolongé, il n'aurait pas tardé à devenu pesant... Autant expliquer au plus vite les raisons de sa présence.
-Il aura voulu ménager l'effet de surprise. Hier, lorsque nous nous sommes rencontrés à la forge de dame Miranda, j'ai bien vu que mon apparence le troublait. Et il a insisté d'emblée pour me faire rencontrer quelqu'un... Je me doutais qu'il s'agissait d'un... ou d'une elfe du soleil. Mais j'avoue que... oui, la surprise a fonctionné à plein.

Elle sourit à nouveau.
« A présent que vous êtes là, asseyez-vous. » fit-elle.
Baissant les yeux, elle réalisa que les trois chaises disposées dans le laboratoire étaient toutes encombrées de parchemins, livres ou étranges alambics d’alchimiste.
« Hum… Vous pouvez poser ça par terre, peu importe. Je crains de ne pas être la plus ordonnée des mages de la tour. »
Elle haussa les épaules avec une petite moue charmante.
« Je m’étais préparé du thé. Je dois pouvoir dénicher une seconde tasse quelque part… »
En quelques pas, elle avait rejoint sa table de travail, et elle souleva quelques documents, déplaça le squelette monté d’un animal étrange et une boule de verre où dansaient des flammeroles bleues, avant de revenir vers le barde. Au plafond, il y eut un bruit d’éclaboussures, et Taliesin vit bondir un poisson argenté, qui disparut aussitôt.
« Je me nomme Cerridwen. Je suis élémentaliste, spécialisée dans l’eau, comme vous pouvez l’imaginer… »
Elle lui tendit la tasse.
« J’ai mis beaucoup de bergamote, j’espère que vous aimez ça. Nevyn trouve que c’est écoeurant, mais il n’a pas de goût. »

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Loth Imarhil

Quête : Les Squelettes du Placard, chapitre 5.

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