La Couronne de Cuivre

Le jeune homme sourit.
" Disons que c'est à l'autre bout du quartier, mais puisque tu y tiens... Par ici !"
Il l'entraîna à nouveau dans les rues, mais cette fois, ils passèrent par les docks et l'esplanade, s'enfonçant dans la cohue du marché. Arthur avançait d'un bon pas, en habitué des cités encombrées, louvoyant entre les promeneurs et autres chalands sans ralentir réellement. Il lui avait cependant lâché la main, histoire d'avoir plus de souplesse. Ce qui s'échangeait sur les étals ne l'intéressait manifestement en rien...

Chandara se glissait souplement dans le sillage d'Arthur en faisant attention à ne pas le perdre de vue malgré les nombreuses distractions qui s'offraient à son regard. Ce n'était pas si difficile au fond puisqu'à ses yeux, la chose la plus intéressante à regarder était de loin de jeune paladin et elle s'efforçait de ne pas le ralentir pour éviter de le mettre en retard.

Ils dépassèrent le marché et gagnèrent les quais du port de plaisance et de commerce, où s'amarraient d'incroyables voiliers, similaires à celui que Chandara avait emprunté quelques jours plus tôt pour atteindre les rives luméniennes. Des marins déchargeaient de gros navires ventrus, tandis que des voyageurs embarquaient et débarquaient de vaisseaux plus élancés, aux multiples hublots. Chandara entendit parler plusieurs langues, vit des vêtements extravagants, des visages exotiques, puis l'odeur de la mer se fit plus prégnante et ils atteignirent le port de pêche. Une myriade de petits chalutiers y étaient amarrés, de toutes les couleurs, et les filets séchaient. Le marché, par contre, était terminé depuis belle lurette, toutes les prises avaient trouvé acheteur, et les mouettes se disputaient le menu fretin qui avait été abandonné sous les tables vides.
Un peu plus loin, un bosquet arboré se dressait, un peu incongru en pareil endroit. La jeune femme l'avait déjà remarqué lors du débarquement. Arthur la laissa remonter à sa hauteur et reprit la direction de la ville, abandonnant l'océan derrière eux.

Le quartier portuaire de Luménis donnait le tournis et, si elle s'était habitué à la longue à vivre près de la mer, ce n'était pas devenu son milieu de prédilection pour autant. Toutefois, elle interrogea le jeune-homme sur le bosquet qui avait éveillé sa curiosité avant de lui emboîter de nouveau le pas d'une démarche alerte :

- C'est un curieux endroit pour y planter des arbres, non ?

Arthur s'immobilisa.
" Je crois que c'est un endroit magique. Accidentel. Il a poussé là pendant la guerre civile... Sans doute le résultat d'un sort de druide, quelque chose comme ça."
Il eut une petite grimace.
" Je ne sais pas si on peut vraiment s'y promener comme ça. Je crois que certains considèrent que c'est un lieu sacré. Même si j'en connais d'autres qui disent que c'est une bonne cachette..."

Chandara profita de l'occasion - et de ce que la rue était ici moins animée que sur le marché - pour repasser un bras derrière la taille du jeune-homme. Elle lui demanda d'un ton ingénu :

- Une bonne cachette, tiens donc ? Et pour y cacher quoi ?

Son regard mutin en disait long, signe qu'elle avait bien des idées en tête de son côté.

Il lui rendit son regard, malicieux lui aussi.
" Peut-être un endroit parfait pour les baisers volés... mais vu sa taille, et ce côté tellement... évident... Je doute que les couples qui cherchent un peu d'intimité l'y trouvent. A mon avis, les replis du Parc Verdoyant sont bien plus opportuns... Très chère."
Il prit un air ingénu.
" Mais ce n'était peut-être pas du tout de ce genre de choses que tu parlais..."

Chandara était absolument ravie de sa réponse qui prouvait qu'ils étaient bien sur la même longueur d'ondes. Son regard brilla de malice et elle approcha ses lèvres des siennes avant de répondre d'un ton suave :

- Si, si, c'est bien à ça que je songeais. Mais si tu penses que le parc est plus discret, je n'ai rien contre ! Et pour les baisers encore moins, mon cher !

Elle était resté très près de lui mais n'avait pas pris l'initiative de l'embrasser, trouvant décidément bien plus délicieux de lui en laisser l'occasion.

Mais les lieux étaient bien trop exposés pour qu'Arthur se laisse aller à pareille activité. Ils étaient en pleine rue, après tout, et Luménis n'était pas Antelucas... Il se contenta donc de lui retourner un regard entendu et l'entraîna à nouveau dans une rue bordée d'entrepôts. Chandara vit le regard de plusieurs marins glisser sur elle, des moues appréciatives se dessiner sur leurs traits, voire un peu inquiétantes, mais la présence d'Arthur sembla suffire pour que nul sifflement ou commentaire ne s'échappe de leurs lèvres. Il faut dire que le jeune paladin ne manquait pas de carrure.
Après quelques minutes de marche tranquille dans cette zone pourtant un peu glauque, ils parvinrent dans la rue du Temple tymoran.

Quête : Un autre appel

Depuis le Temple de Sunie, la promenade leur avait pris un peu plus d'une demi-heure. Avant de frapper, Valentine se retourna cependant vers Chandara.
" Je préfère vous prévenir : Messire de l'Effeuille est un tailleur très demandé. Peut-être le plus demandé de Luménis. Et comme ses commandes ne cessent jamais... Il n'est pas tenu d'être le plus affable des artisans. Cela va de pair avec le succès, je suppose... Rangez donc votre susceptibilité quelque part... et attendez-vous à être quelque peu malmenée... Mais c'est pour la bonne cause. L'adage est vrai : il faut souffrir pour être belle."

Les paroles de Valentine ne manquèrent pas d'inquiéter Chandara et elle se demanda subitement à quoi elle devait s'attendre en pénétrant dans l'échoppe du tailleur. Alors que jusque-là elle avait anticipé avec joie cette visite, elle sentit naître une certaine angoisse au creux de son estomac et son sourire s'estompa quelque peu. Pourtant les Sunites lui avaient recommandé cet endroit et elle avait envie de leur faire confiance. Peut-être davantage qu'à elle-même à bien y songer. Elle se contenta donc de hocher la tête et de répondre d'une voix un peu intimidée :

- Merci de m'avoir prévenue alors... Allez, entrons !

Mais à quoi venait-elle de s'engager ? Mieux valait ne pas savoir pour ne pas courir le risque de fuir à toutes jambes !

Les deux jeunes femmes frappèrent à la porte puis Valentine entra car personne ne se manifestait. La poignée tourna et elles entrèrent dans un court couloir avant de déboucher sur l'atelier. C'était une belle pièce lumineuse, encombrée d'étoffes de toutes les couleurs et de mille matières. Deux mannequins arboraient des vêtements — le premier une robe, le second un pourpoint — à un stade intermédiaire de confection, et un petit homme mince aux oreilles pointues était assis, dos aux visiteuses, sur un tabouret. Il était en train de couper du tissu, lentement.
" Quoi encore ? demanda-t-il sans se retourner.
— Bonjour Maître de l'Effeuille.
— Ah diablerie ! Ma rabatteuse de l'étrange ! Quoi aujourd'hui ? Un demi-troll ? Un orque coquet ? Un sahuagin ?"
Il pivota vers elles et toisa Chandara de haut en bas, sans se laisser impressionner.
" Ah non, une femme. Comme c'est banal. Vous m'aviez habitué à plus audacieux.
— Je voulais retrouver grâce à vos yeux, dit Valentine avec malice.
— Ah ! Votre passif est tel qu'il va m'en falloir deux douzaines de ce genre avant de retrouver ma faveur, Sunite !"

Malgré son angoisse, Chandara n'avait pas manqué d'admirer la beauté de la robe en cours de confection et la profusion de tissus tous plus beaux les uns que les autres. Elle ne comprit pas grand chose de l'étrange échange entre Valentine et le tailleur, lui-même un curieux personnage auquel elle était à des lieues de s'attendre : apparemment il devait s'agir d'un halfelin mais elle se garda bien de le fixer avec trop d'insistance. Elle se promettait de laisser libre cours à sa curiosité concernant cette histoire de demi-trolls coquets une fois qu'elle pourrait à nouveau aborder librement Valentine mais elle n'était pas là pour faire perdre son temps à l'artisan avec des conversations. S'entendre qualifier de banale fouetta tout de même son ego mais elle se souvint du conseil de la Sunite et ravala aussitôt sa fierté avant de saluer humblement maître de l'Effeuille.

- Hum... Bonjour, maître de l'Effeuille. Valentine m'a chaudement recommandé vos talents.

Un compliment - surtout quand il était sincère - ne pouvait pas faire de mal de son point de vue.

" Elle peut bien !" s'exclama le tailleur.
Il sauta de son tabouret et s'approcha d'elle.
" Je vous préviens, j'ai beaucoup de travail, alors ce ne sera certainement pas pour demain. Enfin, ça dépend de ce que vous voulez... autre chose que ces nippes informes, je suppose. Mode dorrandine. Peuh. Ces gens n'y entendent vraiment rien en coupe..."

Sous le regard expert du tailleur, Chandara se sentit soudain un peu honteuse de ce qu'elle portait mais elle put néanmoins se consoler d'avoir frappé à la bonne porte. Le halfelin semblait énergique et pas du genre à perdre son temps en tergiversations aussi répondit-elle aussitôt à sa question, remerciant mentalement Valentine de l'y avoir préparée :

- Je voudrais vous passer plusieurs commandes en réalité : une robe de soirée légère que j'aimerais avoir pour la fin de la veille si vous l'acceptez et d'autres choses moins urgentes : une autre robe que je puisse porter en ville, une jupe de monte et aussi une paire de chausses et deux tuniques.

Elle balaya l'atelier des yeux et tomba sur des monceaux d'œuvres pleines de goût et d'inspiration et trouva le courage d'ajouter :

- Et je crois que j'aimerais aussi une nuisette en dentelle.

Le tailleur la dévisagea avec circonspection.
" Heu... Moi je ne fais que des pièces spéciales... Si vous voulez des chausses et des tuniques, j'ai trente-six collègues qui peuvent vous coudre des choses respectables, il suffit de frapper à la porte voisine. Les robes, c'est dans mes cordes, ainsi que la jupe de monte. Pas pratique pour monter, une jupe, cela dit. Mais bon, c'est vous qui voyez. Quant à la nuisette. Hum. Ce n'est pas vraiment le genre de la maison.
— Allons, je suis sûre que vous parviendrez à tailler quelque chose de bien.
— Mouais. Honnêtement, je n'ai jamais compris l'intérêt de ces vêtements qu'on enlève à la première occasion. Et je ne vois pas non plus l'intérêt de les faire sur mesure. Mais si vous tenez vraiment à dépenser votre argent, j'imagine que je peux faire ça."

Chandara esquissa un sourire, ravie que le halfelin accepte de s'occuper des commandes qui lui tenaient le plus à cœur. Elle chercha à justifier son choix concernant le vêtement de nuit et peut-être à orienter la créativité du tailleur :

- A dire vrai, je cherche quelque chose que je puisse porter devant un jeune-homme un peu timide. Qui soit suffisamment échancré et moulant pour qu'il prenne plaisir à me regarder quand je la porte mais sans qu'il se sente trop gêné. Je suis certaine que vous pouvez relever le défi ! Mais c'est vous l'expert en ces choses...

Quant aux robes, elle espérait que Valentine puisse lui donner de bons conseils et des couleurs qui la mettraient en valeur.

" Et bien... Je ne me doutais pas que tu en étais déjà là ! [/SUP]s'exclama Valentine, sincèrement surprise. Honnêtement, avec Arthur, la seule solution est d'éteindre la lumière et de le prendre par surprise, si tu veux mon avis. Si tu lui laisses le temps de regarder, il va s'enfuir en courant."
Le tailleur leur jeta un regard agacé.
" Bon, ça va, les pipelettes ? Moi je fais des vêtements, pas des accessoires de coucherie !"
Il s'approcha de Chandara.
" Bon. Du bleu ou du vert, immanquablement. Déshabillez-vous, allez, j'ai pas que ça à faire !"
Disant cela, il alla vers la porte, qu'il verrouilla.

Chandara aurait bien eu envie de répondre à la sortie de Valentine mais... quoi ? Non, ils étaient loin d'en être arrivé à ce stade - elle en avait bien conscience - mais rien empêcher de s'y préparer, non ? Cela aurait été des plus stupides et, en quelque sorte, elle pouvait remercier le tailleur de son interruption qui lui permettait de garder le silence. En plus sa rougeur avait sans doute parlé pour elle pour quelqu'un d'aussi doué pour détecter ce genre de signes qu'une Sunite.

Troublée et aiguillonnée par l'injonction du halfelin, elle retira ses bottines, ses chausses et sa tunique sans réfléchir avant même de songer à sa pudeur : le contexte n'avait absolument rien à voir avec le fait de poser nue pour une œuvre et puis elle gardait ses sous-vêtements après tout... Du bleu et du vert avait-il dit... Elle adorait ces deux couleurs qui mettaient sa chevelure en valeur, particulièrement le vert d'ailleurs.

Le petit homme tira son tabouret jusqu'à ses côtés, sortit un ruban gradué, et commença à prendre ses mesures. Il lui ceignit la taille, les hanches, la poitrine, les épaules, lui demanda de se pencher, de se redresser, de s'asseoir, de lever les bras, de lever la jambe, bref de prendre au moins une douzaine de positions différentes avant de s'estimer satisfait.
" Remettez la tunique." commanda-t-il ensuite, et dès qu'elle se fut exécutée, il recommença son manège, sans doute pour le manteau.
Le tout prit bien une demi-heure, pendant laquelle il griffonna des notes, tout en décochant un regard sévère à la jeune femme dès qu'il avait l'impression qu'elle voulait ouvrir la bouche. Valentine musardait entre les rouleaux d'étoffe, et de temps en temps, le tailleur l'interrompait d'un toussotement sévère.
" Bon. Quel genre alors ? Sobre ? Avec des broderies ? Un symbole d'une sorte ou d'une autre ? Vous n'allez pas vous en tirer avec "une robe"... Ça ne veut rien dire."

Chandara s'était prêtée aux directives sans broncher avec toute la discipline acquise au cours de ses années d'exercices martiaux mais le plus difficile avait assurément été de tenir sa langue tout au long du processus. Heureusement, maître de l'Effeuille était suffisamment intimidant à sa manière pour la dissuader de désobéir. Mais vint le moment où il la prit à contrepied et la voilà contrainte de s'exprimer.

Elle chercha aussitôt désespérément Valentine du regard pour recueillir ses bons conseils mais fouilla en même temps dans sa besace pour en sortir un parchemin. Elle en désigna l'entête où figurait le blason familial : une grappe de raisin et une feuille de vigne entrelacées. Prise d'une inspiration subite, elle demanda en souriant :

- Concernant la robe de soirée, je voudrais quelque chose qui me permette de danser, d'aérien. Je veux qu'on me remarque quand je la porte mais pas trop échancrée tout de même que ça reste convenable en bonne société. Pour l'autre robe et le manteau, j'aimerais que vous puissiez intégrer une broderie incluant ce symbole. Avec une rose rouge en plus : il est grand temps que je trouve à personnaliser le mien : c'est l'occasion idéale !

" Une rose rouge ? " dit Valentine avec un sourire.
Maître de l'Effeuille s'était penché sur le schéma.
" Bon, vert ce sera. Ce genre de dessin, ça n'ira pas avec du bleu. On aurait pu tenter le violet, mais je ne pense pas que ça vous ira. Bon, vert et orange, c'est une association très classique, mais ça vaut mieux."
Il recula et se percha sur son tabouret.
" Bon, mais vous êtes plutôt lin ou plutôt soie ? J'aurais dit lin, mais vous m'avez l'air d'avoir envie de virer soie. C'est rudement plus fragile. Il ne faudra pas venir vous plaindre si vous la déchirez parce que vous voulez vous donner en spectacle."

Chandara avait retourné son sourire à Valentine, consciente de la signification que cela pouvait revêtir pour une Sunite. Peut-être allait-elle vite en besogne mais elle était certaine de son fait. Aussi certaine que lors de sa rencontre avec Arthur qu'il n'y avait pas de meilleur choix possible et que cela lui correspondait parfaitement. Comme une révélation de l'évidence... Mais déjà le tailleur l'amenait à d'autres réflexions : il aurait été plus prudent d'opter pour le lin, pour avoir l'esprit plus libéré, mais elle avait envie du choix le plus esthétique. Elle n'hésita pas vraiment en fait :

- Vous avez parfaitement raison, maître de l'Effeuille : je souhaite opter pour la soie !

" Puis-je me permettre un aparté ?" demanda Valentine.
Le tailleur grommela mais haussa les épaules.
" Chandara, juste une seconde, dit la jeune femme, et elle l'entraîna derrière un mannequin. Ecoute... Je crois que tu dois quand même faire attention à ce que tu demandes... Tu as choisi Arthur... Tu penses qu'il est l'homme qu'il te faut. Tu le connais déjà un peu. Si tu es trop belle, en public, tu vas l'insécuriser terriblement. Il va souffrir du regard des autres hommes sur toi. Son plaisir de t'accompagner sera réduit par son anxiété... peut-être complètement éteint. D'autant que tu vas renforcer le contraste entre vous deux. Tu es beaucoup plus belle que lui. Il a un certain charme, c'est sûr, mais ce n'est quand même pas comparable. En attisant l'écart entre vos deux apparences, tu risques aussi d'encourager, chez d'autres, le sentiment que tu es trop bien pour lui. Bref... Je ne te dis pas que tu dois t'enlaidir, pas du tout... Mais je pense que tu as intérêt à jouer la modestie plus que l'extravagance. Parfois, la beauté et l'amour ne vont pas complètement de pair. Tu dois réfléchir à ce qui a le plus de valeur pour toi."

Chandara jeta un regard pénétrant à Valentine, buvant littéralement ses paroles tant le sujet qu'elle abordait la touchait au cœur. Oui, elle sentait qu'Arthur était beaucoup plus pondéré qu'elle-même, qu'il n'accordait que peu d'importance à l'esthétique. Qu'il n'était pas très sûr de lui et peut-être de son amour à elle ? Oui, il y en aurait toujours pour souligner leurs différences, il y aurait peut-être même des jaloux...

Qu'est-ce qui était le plus important pour elle entre sa vanité, son désir d'être aussi belle que les charmantes Sunites qu'elle avait appris à admirer et son amour pour Arthur ? Il ne reposait pas uniquement sur l'apparence : elle était tombée amoureuse de son caractère doux et compréhensif et elle avait envie qu'il l'aime pour autre chose que son apparence. Le moins qu'elle puisse faire était de lui retourner une image plus sécurisante, moins déstabilisante quitte à mettre légèrement en sourdine certaines de ses envies.

- Tu as raison ! Il vaut mieux partir sur le lin pour les deux robes à ton avis ?

Tout de même, elle n'avait jamais eu de très jolie robe et peut-être avait-elle malgré tout envie d'une pièce très spéciale à ne sortir que pour les grandes occasions... Mais Valentine était de bon conseil et agissait pour son bien et celui de son couple, elle en était certaine.

" Il y a des degrés entre le lin et la soie." dit Valentine avec un clin d'oeil.
Elle attira la jeune femme vers le tailleur.
" Bon. Où en sommes-nous ?
— Ni soie, ni lin.
— Popeline ?
— Organza ?
— Je vais voir. Une robe pour danser, une robe de ville."
Son regard passa au-dessus de la tête de Valentine, jusqu'à Chandara.
" Vous êtes consciente que c'est la canicule, en ce moment. Vous voulez des vêtements pour un temps pareil ?"

Les matières dont parlaient la Sunite et le tailleur lui étaient totalement inconnus et elle fut d'autant plus heureuse que Valentine ait pu l'accompagner mais déjà le halfelin revenait à la charge avec une question épineuse. Elle avait évidemment envie de pouvoir porter ses nouvelles acquisitions dès qu'elles seraient prêtes mais de tels vêtements coûtaient chers et se priver de pouvoir les porter en automne ou au printemps aurait été du gaspillage. Elle opta donc pour une voie intermédiaire, du moins telle était son idée :

- J'aimerais quelque chose que je puisse porter par des températures un peu plus clémentes aussi... D'autant que je ne suis pas vraiment sensible aux fortes températures.

" Pourtant, une rouquine comme vous, ça doit fatalement mal supporter le soleil." remarqua le tailleur, avant de prendre quelques notes dans son carnet.
Il resta penché quelques minutes, griffonnant, puis releva les yeux.
" Quoi ? Vous êtes encore là ? Ouste, je vous ai assez vues toutes les deux ! Enfin... Vous, vous faites quand même mieux de vous rhabiller avant de sortir."

Chandara ne perdit pas un seul instant à s'exécuter, le tailleur étant décidément par trop intimidant et bourru à sa manière pour qu'elle reste en sa compagnie plus longtemps que nécessaire. Et elle ne voulait surtout pas risquer de le fâcher... Une fois rhabillée, elle se demanda tout de même si elle était censée demander quand repasser payer et chercher sa commande mais elle ne voulait pas risquer de commettre un impair aussi échangea-t-elle un simple regard interrogatif avec Valentine. La Sunite était certainement au fait des pratiques avec cet artisan et Chandara comptait sur elle pour la guider.

Valentine lui fit un clin d'oeil avant de lui proposer de sortir. Le tailleur ne leva pas les yeux pour les saluer et elles gagnèrent la rue.
" Tu ne t'en es pas trop mal tirée, dit la Sunite. Je pense qu'il en a pour trois ou quatre jours, maintenant. Je te tiendrai au courant."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Les Commerces du Port