La Couronne de Cuivre

Théodore devança sa compagne à la porte pour révéler un marin apportant un plateau dûment garni : leur déjeuner. Le membre d'équipage porta son fardeau jusqu'au bureau avant de se retirer en leur souhaitant bon appétit. L'hospitalité du capitaine ne s'arrêtait visiblement pas à la cabine à en juger par la qualité de la nourriture : un assortiment de poissons de mer dégageant un fumet des plus appétissants.

- Vous pouvez manger sans crainte : j'ai vérifié les réserves après avoir ausculté le cuisinier.

Alchem habandonna sa plume et observa le plateau avec autant d’appétit que de curiosité. Dalius émergea de la poche. D’un bond, il fut sur la table et dévorait des yeux le repas.

« Miam, miam, ce que j’ai faim ! »

Le gnome offrit à son familier de quoi se sustenter, puis il commença à manger. Entre deux bouchées, il demanda :

« Aleka, pensez-vous toujours que l’Eclat puisse être responsable du malaise de cet homme d’équipage ? Si oui, exposez-moi vos raisons. Elles me seront peut-être utiles. »

Entre deux bouchées, la prêtresse prit le temps de répondre sereinement, tâchant de n'omettre aucun détail utile :

- La soudaineté du mal était un premier indice. Evidemment, ce genre d'attaque peut parfois arriver sans prévenir ni antécédents. Mais le marin est dans la fleur de l'âge et n'a jamais donné de signe de mauvaise santé. Enfin, mon sort de guérison des maladies n'a rien donné et j'ai dû le compléter par une délivrance des malédictions et une protection contre le mal. Il s'est tout de suite senti mieux. Bon, si on était soupçonneux, on pourrait chercher la cause ailleurs mais c'est apparemment un jeune homme sans histoire ni ennemi à bord. Et je ne crois pas aux coïncidences d'autant que la cuisine est située juste au-dessus de l'armurerie.

« Effectivement. C’est suspect », commenta Alchem.

Il termina de manger, tâchant un tant soit peu de porter de l’attention au goût des aliments. Mais il peinait à faire abstraction de l’Eclat et du danger qu’il pouvait représenter. Non, décidément, son baptême de la mer demeurerait sans autre saveur que celle de l’inquiétude.

« Tant qu’on en reste au niveau des malaises... Mais j’ai peur que le Despote finisse par être capable de dominer les gens. Cela lui ressemblerait bien. Je ne tarderai pas à aller me coucher. Je dois me téléporter le plus tôt possible, gagner un maximum de temps. »

Aleka se contenta de hocher la tête avant de poser sa fourchette sur son assiette vide et de déclarer d'un ton qui se voulait optimiste sans y parvenir tout à fait :

- Vous avez raison : nous pouvons certainement encore le gagner de vitesse et vous reposer de jour n'est pas une mauvaise chose non plus. Je resterai auprès de vous pour veiller sur votre sommeil. Je peux aussi placer quelques protections supplémentaires autour de l'Eclat pour tenter de lutter contre ses effets mais je préfère attendre votre départ pour le faire : ainsi s'il riposte, vous serez déjà en route pour nous apporter de l'aide.

Alchem observa un instant son familier. Celui-ci, assis sur son postérieur, se léchait les pattes pour ne pas perdre une miette de son succulent repas. Lui, au moins, il arrivait à apprécier. Son humour et son optimisme étaient plus qu’une aide pour le gnome trop souvent austère. Dalius finit par sentir le regard de son maître.

« Quoi ? J’ai fais une bêtise ? »
« Non, non. Rien. »

Alchem entrepris d’achever la mise à jour de son journal, incluant les dernières remarques d’Aleka. Ceci fait, il se coucha, toujours armé, toujours prêt au cas où.

Une fois n'est pas coutume, rien ne vint perturber le sommeil du gnome même s'il ne fut pas aisé de s'endormir si tôt après la longue sieste matinale. Les deux humains firent preuve d'une grande discrétion pour éviter de le déranger, reconnaissant que son aptitude à lancer le sort fatidique était peut-être la meilleure chance d'éviter une catastrophe. Et surtout que le Despote ne puisse faire des victimes supplémentaires. Quand Alchem se réveilla, la luminosité avait nettement baissé dans la cabine, bien plus accommodante pour ses yeux habitués à l'obscurité la plus totale. Il ne faisait pas nuit cependant et il put distinguer Aleka assise sur l'autre couchette. Théodore par contre n'était pas en vue.

Alchem parcourut la cabine du regard, puis se leva.

« Rien à signaler ? » demanda-t-il à Aleka.

Il attrapait déjà son grimoire afin de débuter son étude.

La prêtresse se releva et s’étira longuement avant de répondre :

- Fichtre, je ferais bien un somme moi aussi : je n’ai pas voulu prendre le risque de dormir en même temps que vous et Théodore a fini par aller faire un tour sur pont. Mais sinon, à part que le capitaine nous a prévenu qu’on traverserait un gros grain ce soir, il n’y a rien à signaler. Et je ne pense pas qu’il faille incriminer l’Eclat pour cela mais plutôt la mauvaise saison. Vous pensez que vous serez prêt à partir avant que la tempête ne vienne vous perturber ?

« Je serais prêt dans une heure. Et la tempête... d’après ce que j’ai lu, ça secoue les navires, mais c’est tout. Ce n’est pas quelque chose qui va perturber ma magie. »

Bon, certes, il fallait quand même un minimum de stabilité pour lancer un sort, mais Alchem avait de l’équilibre et de l’expérience. Aussi terrible que puisse être une tempête, il trouverait bien trois secondes pour incanter, il ne lui en fallait pas plus. Et puis, la tempête n’était pas encore là. Il débuta dès à présent son étude. Il commença directement par le plus important, les deux sorts de téléportation.

Si Alchem perçut - insensiblement - que le bateau n'était plus tout à fait aussi stable et qu'il se sentait peut-être un peu moins bien à mesure que roulis et tangages perturbaient sa digestion et même son sens de l'équilibre, le gros de la tempête était effectivement encore loin et il put étudier pendant près d'une heure avant de se sentir véritablement incommodé. Il sentait alors qu'il avait bien en tête les sorts qu'il avait voulu mémoriser. Ne restait sans doute qu'à effectuer ses derniers préparatifs à dire au revoir à ses compagnons d'aventure.

« C’est rigolo, ça bouge ! » déclara, enthousiaste, Dalius.
« Mouais. Je crois que je commence à avoir le mal de mer » rétorqua Alchem, nettement moins enchanté.

N’en demeurait pas moins que c’était une nouvelle expérience. Voir une tempête ne manquait pas d’intérêt. Sauf qu’il y avait plus urgent. Le gnome se hâta de ranger ses affaires, ce qui fut rapide, puis il se mit en quête d’Aleka ou, à défaut, de Théodore. Il devait trouver l’un ou l’autre dans les cinq minutes ou il aviserait.

Bien que discrète, Aleka était toujours dans la cabine et s'approcha immédiatement de lui quand il commença à ranger ses affaires.

- J'en déduis que vous êtes prêt à vous mettre en route, Alchem ? Il me reste à vous souhaiter bonne chance, j'imagine.

« Vous de même. Vous risquez d’en avoir plus besoin que moi. J’essaie de faire au plus vite. »

Alchem, sans vraiment connaitre le couple plus que ça, avait passé assez de jours en leur compagnie pour être à peu près persuadé de leur valeur. S’il parvenait à gagner Lumenis, il allait s’inquiéter de leur sort. Aussi n’avait-il plus besoin de jouer la comédie. Avec eux, il était sincère. Il fit un signe à Dalius.

« J’espère que cette téléportation marchera mieux que l’autre ! Parce que l’autre, elle nous a pas mené loin. »

Le rat sauta dans la poche où il disparut. Le svirfnebelin, avec sa mémoire d’éléphant, n’avait pas oublié une miette des descriptions qu’on lui avait faite. Il voulait se rendre aux portes du temple de Lathandre. Sur cette pensée, il lança son sort :

Alchem --> Téléportation

Tout c’était bien passé. Alchem était donc de retour après son voyage à Lumenis.

« On y est », déclara-t-il tout en considérant la cabine vide.

Il chercha à repérer quoi que ce soit de suspect, du désordre par exemple. Y avait-il toujours les affaires d’Aleka et de Théodore ? Il tendit également l’oreille.

Il n’y avait pas vraiment de désordre alarmant en dehors des signes d’occupation récente de la cabine. Parmi ces signes, le gnome repéra bien vite les affaires de ses deux compagnons. Là encore rien d’anormal ou qui puisse fournir un indice sur où se trouvaient Aleka et Théodore.

A travers des parois de la cabine, les mêmes bruits qu’à son départ se faisaient entendre avec peut-être un peu moins de pas de marins sur le pont. Mais là encore ce n’était peut-être qu’une impression.

Les trois nouveaux compagnons du gnome restait dans l’expectative, attendant visiblement ses explications ou ses instructions.

Alchem se tourna vers ses trois accompagnateurs. Il faillit leur demander de rester dans la cabine pendant qu’il cherchait la prêtresse, son mari ou le capitaine. Toutefois, il se ravisa. Jusqu’à preuve du contraire, preuve qui viendrait sans doute très vite, ils étaient en lieu hostile.

« Suivez-moi. On doit trouver Aleka, Théodore ou le capitaine. Je vous invite à rester sur vos garde tant qu’on n’aura pas une idée claire de la situation. »

Le passage dans la coursive ne leur apprit rien : les portes des autres cabines étaient fermées. Sur le pont, les premiers signes de situation anormale se firent cependant rapidement jour : il y avait bien moins de marins affairés dans les cordages ou sur la passerelle.

En fait, seul le capitaine et trois de ses hommes étaient visibles. Ni Aleka ni Théodore. Le capitaine descendit néanmoins précipitamment sur le pont, l'air alarmé :

- Ah vous voilà enfin, Alchem, cela fait une veille que l'on vous attend !

Alchem n’était pas surpris, car il avait pour habitude d’envisager le pire. Pour autant, il n’était pas ravi non plus. Cela aurait tellement été préférable que la gemme cesse de nuire. Forcément, le Despote ne l’entendait pas de cette oreille.

« Capitaine, j’ai fais aussi vite que possible. Voici le frère Ezekiel, du temple de Mystra et deux professeurs de l’Université de la Magie. »

Il désigna les concerné d’un rapide geste. La présentation était sobre. Libre à qui le désirait d’approfondir.

« Exposez-nous la situation. Elle semble grave. »

Le capitaine tourna un regard anxieux en direction de ses hommes de quart avant de reporter son attention sur Alchem et sa question :

- Très grave même ! Nous avons de nombreux malades. Bien trop pour qu'Aleka puisse s'en charger seule. Nous avons tenté de jeter la gemme à la mer après le début de l'épidémie mais... cela a été impossible. Le matin d'après, elle avait tout simplement retrouvé sa place dans le coffre et les attaques se sont multipliés. Aujourd'hui, les deux tiers de l'équipage est plus ou moins alité et nous errons en mer depuis une veille sans jamais voir la cote, comme si nous tournions en rond : ça n'a pas de sens.

Alchem haussa les sourcils. Comme dit un peu plus tôt, il avait coutume d’envisager le pire. Mais là... là c’était presque inimaginable. Le Despote était-il un dieu pour manifester tant de puissance alors même que son âme était captive ?

« J’allais vous demander d’orienter votre bâtiment sur l’un des ports abandonnés de la côte, visiblement c’est impossible. Où est Aleka ? Je crois que le mieux, c’est qu’on se réunisse afin de trouver la meilleur solution. »

Alors que le capitaine répondait qu’Aleka et son compagnon s’occupaient des malades dans la soute, le clerc de Mystra se manifesta, obtenant immédiatement l’appui de ses collègues :

- Cela doit être un effet de désorientation de masse. Un vilain tour mais qui peut être contré par des sorts de divination. Je crois que si nous prenons le temps de l’étudier, nous pourrons le contourner et rejoindre la cote la plus proche. Mais je comprends que vous souhaitiez tout d’abord réunir le maximum d’informations auprès de votre amie. C’est d’ailleurs une méthode parfaitement logique.

« Une désorientation de masse ? Si on peut y remédier, c’est une bonne nouvelle. Je vais aller chercher Aleka. Ezekiel, ces messieurs de l’université ne savent de l’affaire que ce qui était contenu dans la lettre de la Dame des Mystères. Je n’ai pas eu l’occasion de tout leur dire. Pouvez-vous leur donner les détails ? Ainsi, on en sera tous au même point, ce qui devrait faciliter nos décisions. »

Dans cette histoire, Alchem avait la désagréable impression d’être le chef. Non que le commandement le dérange, il avait été l’un des principaux responsables de la surveillance de la route commerciale passant par Belroc, toutefois il n’était clairement pas le plus qualifié pour diriger désormais. Son domaine d’expertise n’avait jamais été la neutralisation d’objets maudits, surtout pas ceux de l’ampleur de l’Eclat. Quoi qu’il en soit, si sa rigueur et son organisation pouvait aider, c’était toujours une bonne chose. Il prit la route de la soute.

Ezekiel répondit évidemment par l'affirmative, commençant à résumer les événements depuis le début tandis qu'Alchem empruntait l'échelle menant sous le pont.

La cuisine et la salle servant de réfectoire étaient bien plus encombrés que dans ses souvenirs : de nombreux couchages avaient été installés, colonisant chaque recoin de libre et rendant la circulation difficile. Cependant, Alchem n'eut pas à rechercher Aleka : la jeune femme se précipita vers lui, mi-incrédule, mi-soulagée :

- C'est si bon de vous revoir* ! Je ne devrais pas le dire mais je commençais à désespérer. Avez-vous amené de l'aide ?

*

« Oui. Le Sanctuaire de Lathandre n’avait pas de clerc disponible, mais l’aubemestre m’a dirigé vers le temple de Mystra. La Dame des Mystères nous a envoyé un prêtre. Je suis également allé à l’Université de la Magie. Deux professeurs sont venus. Tout le monde est sur le pont, avec le capitaine. »

Alchem laissa errer son regard sur l’alarmant spectacle.

« On dirait que j’ai bien fait d’aller chercher de l’aide. Nous aurions été incapable de faire face aux ravages de l’Eclat. »

Il reporta son attention sur la Lathandrite.

« Venez sur le pont. Il faut qu’on se mette rapidement d’accord sur la marche à suivre. »

Aleka marqua une hésitation - sans doute parce qu'elle répugnait à laisser là ses patients - mais elle se rangea à son avis de remonter sur le pont. Le gnome perçut l'absence du compagnon de la lathandrite et il ne figurait pas parmi les marins alités : pourtant ces deux là lui avaient paru plutôt inséparables depuis Lameroy.

Sur le pont, les trois luméniens devisaient toujours calmement, les explications d'Ezekiel fréquemment interrompues par des demandes de précisions de la part des deux professeurs. Le récit semblait toutefois approcher de la fin.

« Où est Théodore ? » demanda Alchem en restant légèrement à distance du trio.

Il comptait s’approcher dès qu’Ezekiel aurait achevé le récit. En attendant, il en profitait pour poser cette question.

Aleka baissa la tête et répondit aussitôt d'un ton grave et attristé :

- Il est tombé malade hier. Il n'y avait plus de place dans la soute et nous avons préféré préservé la cabine du capitaine en cas de quarantaine. Nous l'avons placé dans l'une des autres petites cabines : il n'est pas auprès de moi mais je passe le voir toutes les deux heures, comme les autres...

Pendant ce temps, Ezekiel mettait une touche finale à son récit et le silence qui s'ensuivit indiqua au gnome que ses deux autres recrues n'avaient plus de questions.

« Je vois... », répondit simplement Alchem.

Il s’approcha et fit rapidement les présentations. Au terme de celle-ci, il déclara :

« Aleka peut nous donner les dernières informations sur la nuisance de l’Eclat. Il sera ensuite temps de décider puis d’agire. »

Désormais, ce n’était plus à lui de mener les opérations, sauf si le désordre menaçait. Il ferait ce qu’il pouvait. Il espérait que le groupe présentement rassemblé était à la hauteur de la tâche. Théodore devait s’en sortir. L’équipage aussi. Et le Despote devait mordre la poussière une fois pour toute !

Aleka leur résuma sombrement la situation, confirmant ainsi le bref rapport du capitaine sur l'Eclat qui était maintenant capable d'affecter un grand nombre de victimes et de les plonger dans l'inconscience. Jusqu'alors, aucun patient ne semblait mourant mais le pouvoir du Despote gagnait en intensité chaque jour. Ezekiel intervint alors en arguant que gagner une anse inoccupée était le plus urgent pour procéder à un rituel en bonne et due forme. Tolfdirr sollicita de voir l'artefact en question pendant qu'Ancamo enchérissait, désireux d'étudier les grimoires en langue ancienne dans l'espoir de trouver un indice pour combattre plus efficacement la liche.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Antelucas