La Couronne de Cuivre

Eroeh détournait le regard, consterné d'avoir à apporter de si mauvaises nouvelles. Quant aux helmites, ils accusaient le coup. Le silence pesa un long moment sur le groupe. Le vieux prêtre, Corwin fut le premier à réagir. Peut-être parce qu'il était le plus âgé, et qu'il savait que les catastrophes sont plurielles, et jamais aussi définitives que le croit la jeunesse. Il avait déjà subi bien d'autres épreuves, et il avait survécu. Il survivrait.

"N'y a-t-il aucun espoir de le voir revenir au Panthéon ?"

Eroeh hocha la tête en signe de dénégation. On pouvait retrouver un dieu emprisonné ou perdu, comme ce fut le cas de Waukyne. On pouvait reconstituer un domaine divin avec une nouvelle entité à sa tête, comme ce fut le cas des nombreuses Mystra. Mais seul Ao pourrait ramener un dieu mort... S'il y trouvait son intérêt.

"Alors..." Corwin parti d'un rire hystérique. "Alors vous êtes le grand-prêtre d'une religion morte ? Vous avez subi cet appel pour rien ? Nous sommes venus pour rien ?"

Le jeune prêtre réfléchit un moment avant de répondre.

"Peut-être pas. Vous nous avez sans doute sauvé la vie, à Alduriel comme à moi. Et je crois qu'il reste encore à notre culte à savoir mourir avec dignité . Je peux faire entendre la voix de notre dieu qui murmure par-delà la mort... Les vrais fidèles m'écouteront."

Quête : le Poing levé

Ainsi, tout se terminait sur ces mots. Chandara s'était préparé une bonne partie de sa courte vie à devenir paladine. Elle venait à peine de gagner la confiance de l'Ordre et c'est au cours de sa première mission que sa carrière et sa vocation trouvaient une fin cruelle. La jeune femme était perdue. Toutes les certitudes et les rêves d'avenir sur lesquelles elle s'était construite à force de sacrifices s'écroulaient sur cet échec cuisant. Et pourtant... Les paroles d'Eroeh n'étaient pas dénuées de sagesse. Surtout pour son esprit avide d'un guide dans tout ce chamboulement. La paladine fut la seconde à prendre la parole, d'une voix pleine de tristesse :

- Nous avons échoué. Mais nous n'avons pas le droit de renoncer. Nous vous accompagnerons. Peut être trouverez-vous un moyen pour préparer Manost, pour aider ses habitants à faire face au chaos. La dignité et la loyauté sont les seules forces qu'il nous reste. nous vous aiderons.

Quête : le poing levé

C'étaient les derniers soubresauts, les derniers râles d'une religion moribonde. Bientôt, Eroeh deviendrait prêtre de rien. Son sacrifice allait être vain. Mais peut-être pas son retour. En cela, Chandara avait sûrement raison. La ville s'unirait sûrement autour de celui qui représentait le dernier signe de la présence de Helm.

Il les mènerait, les unirait, leur donnerait peut-être la force de résister face à Mélandis. Quelque temps du moins.

"Je crois que nous devrions partir maintenant.", se contenta-t-elle de dire.

Eroeh hocha la tête et ne répondit rien de plus. Il était prêt à les suivre. Corwin remarqua timidement que le plus tôt serait le mieux : après tout, il n'était pas impossible que le groupe de Zhents qui avait essayé de les doubler ait eu le temps de prévenir des renforts avant de partir vers le Bosquet. Ils s'étaient précipités pour les précéder, alors ce n'était pas certain... Mais de toute manière le soudain silence de ces agents alarmerait rapidement leur hiérarchie.

Eroeh voulut d'abord prendre congé d'Alduriel. Ce dernier leur affirma qu'il attendait de prendre quelques forces, mais qu'il ne passerait pas la suite de sa convalescence dans la tour trop exposée ; il irait se réfugier chez des amis, dans la forêt... Amis sur lesquels il ne voulut rien dire de plus.

Puis le petit groupe quitta la tour qui renfermait encore un Zhent fou au sous-sol, un vieillard alité et quelques cadavres que le serviteur de l'elfe devrait enterrer lui-même, à son retour. La bibliothèque était en ruines et les vitres de la serre, fracassées. Corwin éprouva un léger pincement au cœur en quittant les lieux. Ils avaient semé la désolation sur leur passage...

Il s'efforçait de ne pas penser à la mort de son dieu. En un sens, c'était moins terrible pour lui que la perspective d'être réprouvé, mais il peinait à envisager l'avenir. Ce qui l'affectait le plus était de ne plus être en mesure de jouer son rôle de guérisseur et de gardien. Mais il savait que tous les helmites étaient dans la même situation que lui, et l'existence d'Eroeh, d'une certaine manière, le rassurait.

Le vieux prêtre était d'avis de repasser par Dernek, le temps de se débarrasser de leur prisonnier et de mettre au courant des derniers événements la famille de l'aubergiste et le prêtre local : les uns comme les autres étaient encore exposés aux Zhents. D'autres membres du groupe étaient plus dubitatifs : mieux valait que personne ne voie Eroeh, et on pouvait les attendre sur place et de là les pister. Finalement, Corwin décida de faire seul le détour.

"Prenez directement le chemin du retour, alors. Si je ne vous rattrape pas en route, je vous retrouverai à Manost."

Quand Carbos et Corwin eurent quitté le groupe, à la lisière de la forêt, un silence plana un moment. Puis Eroeh prit la parole.

"Hé bien, il semble que nous voici compagnons de route pour cette fois. Comment envisagez-vous les choses ? Vous vous deviez d'être discrets à l'aller, je suppose, mais pour ce retour, je serais d'avis de solliciter l'aide de l'armée afin qu'elle nous fournisse une escorte au plus tôt. Disposez-vous d'un sauf-conduit, d'un ordre de mission, ou quoi que ce soit qui puisse vous permettre de vous faire reconnaître... ? Mais, j'y songe, votre mission n'est peut-être pas officielle ?"

Il paraissait mal à son aise, un peu perdu. Après tout, il n'avait jamais été grand-prêtre, et décider pour tout le monde n'était pas dans sa nature.

Quête : le Poing levé

Chandara regarda ses compagnons un moment en se demandant si la question de leur retour avait encore une quelconque importance. Quels qu’ait été leurs plans avant ce triste dénouement, ils étaient probablement maintenant désuets, sans objet. Il aurait été tentant de baisser tout simplement les bras et de se perdre n’importe où ailleurs qu’à Manost. Ils auraient à y rapporter le résultat de leur mission et la paladine sentait cette épreuve au-dessus de ses forces. Pourtant, elle puisa une résolution dans des réserves de volonté insoupçonnées. Leur mission, quoique différente de ce qu’elle avait imaginé était peut être encore plus vitale qu’elle l’était au départ. Si un homme pouvait éviter le désastre qui menaçait la ville, c’était certainement Eroeh. On aurait besoin d’un leader derrière lequel se ranger. Les survivants du culte avaient besoin de lui. Elle se tourna vers lui comme s’il était l’incarnation vivante de ce dernier espoir :

- Nos ennemis ne savent peut être pas ce que nous avons appris. Ils pourraient ne pas changer leurs plans en ce qui vous concerne. Les difficultés que nous avons affrontées démontraient leur organisation. Cela m’étonnerait qu’ils n’aient rien prévu pour empêcher votre retour au cas où nous arriverions les premiers. Nous devons donc nous montrer des plus prudents. Si nous partons à la recherche de renforts par la route la plus directe, nous pouvons être sûrs qu’il nous y attendrons. Notre groupe est bien trop reconnaissable. Nous devrions peut être nous dissimuler ou nous déguiser. Quelqu’un aurait une idée ?

Quête : Le poing levé

"Titoeil a des amis chez qui il s'approvisionne régulièrement en vin. Ils habitent non loin d'ici ... Je ... il traite régulièrement avec eux. Il les connaît bien. Ils ont une charrette et des tonneaux. Je pense que moyennant l'achat de quelques bons vins, ils pourraient venir avec nous jusqu'au Loyal. Cela leur donnerait l'occasion de revoir Titoeil ... Il parait que l'on voyage très bien dans des tonneaux. Il y fait chaud, et c'est plutôt discret comme moyen de transport ... Qu'en dites-vous ?"

Les prêtres helmites rescapés du groupe - Mical et Eroeh - parurent on ne peut plus perplexes, se demandant tantôt s'il y avait le moindre souçon de bon sens dans cette proposition farfelue, tantôt si leur dignité pourrait jamais se relever d'un tel voyage.

"Ahum", fit Mical. "Quelle imagination débordante, Althéa, vraiment..."

Eroeh ne parut pas devoir se montrer beaucoup plus coopératif.

"Pour que ce soit envisageable, il faudrait que je puisse en sortir plusieurs lieues avant la ville... Et me laver... Mais il faudra surtout tuer tous les témoins..."

Quelques regards se tournèrent vers lui.

"Je plaisante. Le fait est que personne n'irait me chercher dans ce genre de récipient. S'il y a moyen de rejoindre cette charrette sans être repéré, j'accepte. Et vous ?" lança-t-il à la cantonade, et notamment en direction de Brus et de Chandara, qui ne s'étaient pas exprimés.

A l'inverse des prêtres Brus trouvait la proposition tout à fait enthousiasmante. Il avait quelques réserves quant à garder une position immobile et probablement contraignante pendant une durée indéterminée mais la perspective de voir les helmites s'enfoncer dans des tonneaux était alléchante, lui non plus ne s'en remettrait pas. Mais déjà ces derniers hésitaient. Brus exprima à son tour son point de vue:

- Si z'êtes pas chaud pour la charrette, on peut bien s'déguiser un peu oui, en commençant par lâcher vos tas d'ferraille. Sinon j'sais pas c'que vous pensez d'se séparer? P'tet pas chacun d'son côté mais par deux, trois c'est limite. Peut toujours y avoir un pépin, mais niveau incognito c'est correct, surtout si cherchent un groupe aussi b'zarre que l'nôtre, déjà qu'on a lâché m'sieur Balder. Brus s'arrêta un instant et considéra les helmites et le nouveau grand prêtre. 'fin, maint'nant qu'on l'a trouvé, j'peux comprendre qu'vous vouliez pas l'lâcher non plus, puis ça peut n'pas marcher...

Quête : le Poing levé

Chandara fut tout d'abord surprise par la proposition d'Althéa. Puis elle se mit à l'envisager d'un point de vue pratique. Cela semblait une bonne idée. Du moins si on exceptait certains détails. Comme se retrouver confinée et à la merci du premier contrôleur zélé. L'idée de passer des heures dans le noir et sans pouvoir bouger lui donnait déjà des sueurs froides. Elle ne trouvait aucun réconfort dans ses souvenirs de jeunesse, où, jouant à cache-cache, elle avait trouvé refuge dans des tonneaux sans doute similaire. Elle avait l'insouciance de la jeunesse à cette époque, la situation était aujourd'hui bien différente. La paladine répondit d'une toute petite voix sans oser avouer sa claustrophobie :

- L'idée est bonne mais il vaudrait mieux que l'un de nous reste à l'extérieur au cas où ils faille se battre...

"Hum... en fonction du nombre des convoyeurs ordinaires de ces tonneaux, il serait bon qu'un ou deux d'entre nous restent à l'extérieur. Je pense qu'il serait essentiel que j'en fasse partie."

Quelques épaules se haussèrent. Evidemment. Eroeh se sentit en milieu hostile, et crut bon d'expliquer :

"Personne ne sait à quoi je ressemble, et mes vêtements civils n'attireront pas l'attention. De plus, je suis le seul ici à avoir encore quelques sorts à lancer, et mieux vaut avoir assez d'espace pour le faire que d'attendre de se faire cueillir au fond d'un tonneau. Si on nous attaque, au pire j'attirerai les assaillants loin des tonneaux puis leur échapperai grâce au sort de sanctuaire."

Althéa hocha la tête. Apparemment, son idée avait plutôt convaincu. Restait à savoir qui allait se cacher dans un tonneau. A bien y réfléchir, elle était plutôt de petite taille et de corpulence minime, donc ... Mais après tout, pourquoi pas ...

"D'accord. Quant à certains d'entre nous, nous pourrons aussi nous cacher dans les ombres, ce qui créera aussi un effet de surprise. Si j'ai bien compris, il ne nous reste qu'à aller trouver les fameux compagnons de Titoeil."

Brus lança un regard noir mais discret en direction de l'Elu. Le voilà qui déballait des excuses bidons pour échapper à la torture du tonnelet. Presque personne ne savait non plus à quoi eux ressemblaient individuellement, ils étaient en mission secrète après tout et des opposants qu'ils avaient rencontrés aucun n'en avaient réchappé, quant aux autres, pouvaient-ils soupçonner leurs existences? Les habits civils n'étaient pas un problème, et enfin, Brus avait nettement plus confiance en un solide Mical, bien plus dissuasif du reste, qu'en un maigrelet magique. Il fallait croire que se faire cueillir au fond d'un tonneau était bon pour les païens. Il enfonça ses mains dans ses poches et shoota dans un cailloux en signe de mécontentement. Après tout c'était le boulot, et lui-même, il devait s'en souvenir, n'avait pas voix au chapitre. Sa petite taille, comme celle d'Althéa, le désignait immédiatement occupant de tonneau. Personne ne sembla objecter quelque chose, aussi se prononça-t-il:

- Ben m'ttons-nous en route alors. Pour sûr qu'j'suis pressé d'connaître les amis d'Titoeil.

Perdre davantage de temps en discussions n'aurait fait que faciliter la tâche d'éventuels poursuivants, aussi se hâtèrent-ils de suivre Althéa afin de rencontrer ces mystérieux marchands de vin. Il ne leur restait plus qu'à espérer que ces derniers se montreraient suffisamment coopératifs pour se prêter à leur projet. Et qu'ils avaient la langue un peu moins pendue de l'aubergiste du Loyal...

Ils les trouvèrent dans un hameau qui aurait fait passer Dernek pour une destination à la mode ; trois maisons, deux fermes, dix poules, et juste assez de pentes pour des lieues et des lieues de vignobles pour l'heure assez rabougris. Adossé à l'une des fermes, un entrepôt fermé devait abriter les tonneaux. La ferme en elle-même n'était pas immense. Manifestement, les manœuvres qui participaient aux récoltes devaient venir de loin, et ne pas s'attarder.

HRP : et je laisse Althéa présenter ces personnages.

Quête : le Poing levé

Lorsque les deux négociants annoncèrent leurs conditions, la paladine ne put s'empêcher d'exprimer tout haut une pensée curieuse qui lui vint à l'esprit :

- Je ne suis pas pressée de voir la tête que feront les grands prêtres quand nous leur amèneront cette note en tant que frais de voyage !

Elle avait prononcé ces mots sans réfléchir et se maudit immédiatement après qu'ils eurent franchi ses lèvres. Leur situation était bien assez délicate sans laisser sur leur chemin de tels indices sur leur identité ou leur destination.

La brusque sortie de la paladine surprit tout le monde. Les marchands ne s'étaient guère attendus à ce que cette jeune femme jusque là silencieuse et effacée intervienne de la sorte dans la conversation. Quant aux membres du groupe, ils étaient surpris par le contenu même de la remarque : Titoeil Debeurré accepterait sans doute de faire l'acquisition de cette cargaison de vin ; sa taverne en faisait un usage immodéré en toute saison ! Et puis, ils avaient de bien plus gros soucis que celui-là...

Ils conclurent rapidement l'accord avec les viticulteurs, qui mettaient à leur disposition une charrette et sept à huit tonneaux. Tandis qu'ils se dirigeaient vers la grange pour préparer le chargement, Eroeh se rapprocha de Chandara et lui glissa à mi-voix.

"Hé bien, s'ils veulent rester des membres éminents du clergé, j'espère qu'ils modéreront leurs humeurs... Je risque donc d'être si mal accueilli que cela ?"

Sa voix trahissait une inquiétude certaine. Après tout, le futur grand-prêtre n'avait aucune idée de ce dans quoi il mettait les pieds...

Quête : le Poing levé

La paladine rougit jusqu'à la racine des cheveux. Elle n'arrivait toujours pas à comprendre ce qui lui avait pris et voilà qu'Eroeh lui demandait d'enfoncer le clou. Au moins, leurs autres compagnons n'étaient pas en position de l'entendre répondre :

- Eh bien, ils ne sont pas réputés pour leur humour... Mais je suis certaine que vous serez bien accueilli !

Chandara avait ajouté précipitamment sa dernière remarque pour éviter de l'inquiéter mais elle se rendit aussitôt compte qu'elle pouvait être mal interprétée. Elle venait tout juste de suggérer que le futur Grand Prêtre de son ordre n'avait pas non plus d'humour... Mortifiée, elle n'osait plus prononcer un mot, de peur d'aggraver encore son cas.

« J'espère que vous avez raison », répliqua Eroeh d'un air songeur, inconscient de sa gêne. « Ma dernière vision d'Artryl... pardon, de Manost, est celle d'un campement de tentes et de huttes sommairement tassé derrière sa palissade. Les retrouvailles risquent d'être un peu... étranges, pour le moins. »

Ils venaient de pénétrer dans l'entrepôt. A cet étage, c'était une grange ; du côté gauche, quelques chevaux mâchouillaient paresseusement dans leurs stalles. Du côté droit, un tas de foin montait jusqu'aux poutres du toit. On apercevait un pressoir derrière. Un large escalier occupait curieusement le centre de l'édifice, une immense planche en son milieu. Eroeh songea que si les méthodes de fabrication du vin n'avaient pas trop changé depuis Artryl, cela devait servir à rouler les tonneaux vers la cave.

La charrette, quant à elle, les attendait dans un coin. Le propriétaire multipliait les recommandations.

« Alors, choisissez vos chevaux, il vous en faudrait deux, je dirais... Prenez aussi trois ou quatre tonneaux pleins, ceux marqués d'une croix, c'est la cuvée que nous demande toujours Titoeil, oubliez pas de le saluer de notre part à votre arrivée ! Et les autres tonneaux, prenez-les vides, dans la remise. Pensez à les arrimer solidement aux bords de la charrette, pour pas qu'ils bougent pendant le trajet... »

Il y eut un temps de flottement, pendant lequel chacun des aventuriers se demanda quelle consigne était pour lui. A la réflexion, Eroeh décida de s'occuper de la charrette, qu'il alla déranger de son petit coin sombre en bousculant le foin entassé autour d'elle. C'était une simple charrette à bras, montée sur deux roues. Hors de question de la faire sortir des sentiers battus, trop fragile, songea-t-il tout en s'activant.

Quête : le Poing levé

Chandara, quant à elle, se précipita vers le passage central pour aller chercher les tonneaux à la cave. Elle espérait que s’en occuper lui vaudrait d’échapper au supplice d’avoir à s’y cacher. La ficelle était grosse mais on ne demandait jamais aux plus forts de se dissimuler dans un endroit exigu. Elle espérait simplement qu’elle serait à la hauteur de la tâche de chargement.

Althéa vint lui prêter main forte. Elle aussi espérait ne pas avoir à se cacher dans un tonneau. Etre en territoire hostile sans pouvoir voir à quoi elle avait affaire ne l'engageait pas du tout. Et elle gardait le traumatisme d'un passage prolongé dans l'obscurité où elle avait été torturée en échange d'informations sur Lothringen. Elle frissonna.

Pour masquer son trouble, elle sourit aimablement à Chandara.

"Bientôt de retour à la maison."

La charrette fut laborieusement mais néanmoins efficacement préparée, et, au bout d'une petite demi-heure d'efforts, tout était prêt. Déterminer qui irait subir la punition des tonneaux prit cependant presque autant de temps. On suggéra bien d'établir un roulement, mais ce n'était pas une bonne idée. Il ne serait pas bon que le signalement du chariot et de ses propriétaires varie ; s'il y avait un réseau d'espionnage efficace dans les parages – et on pouvait reconnaître ce mérite au Zhentarim – alors cela ne manquerait pas d'être remarqué.

Finalement, le sort tomba sur les plus frêles – les menus, les petits, les obscurs, ceux qui avaient de la souplesse et pas d'armure - bref, les trois agents de la Vierge d'Argent. Oriane, Brus et Althéa furent donc contraints de trouver place exiguë dans les cylindres, au plus grand soulagement, mal dissimulé, de Mical, de Chandara et d'Eroeh, qui durent néanmoins fournir un important effort de déguisement rustique. Tandis que le massif prêtre helmite s'asseyait d'autorité sur le banc et prenait les rênes, Eroeh préféra pour sa part marcher à côté du cheval. Il était demeuré confiné un peu trop longtemps dans sa chambre...

Et on se mit en route. Le voyage était long, les possibilités de discussion, restreintes, et l'humeur générale, plutôt morose. On y trouvait de la défiance, car la menace n'était pas écartée ; du découragement chez les helmites, qui se demandaient à quoi tout cela rimait ; de la fatigue, également, et ce pour tous.

Il suivirent les routes, ce qui leur évita de trouver à nouveau des brigands. La ruse d'Althéa semblait bonne, car ils ne furent pas dérangés. En revanche, plus ils se rapprochaient de Manost, et plus ils entendaient de rumeurs. Des rumeurs de guerre, des rumeurs de chaos et de panique... La mort de Helm ébranlait tout le monde.


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