La Couronne de Cuivre

-Grand, beau, fort et brave, je n'en disconviens nullement... répondit Elwen avec un amusement non dissimulé. Et drôle, je le constate à chaque instant un peu plus ! Preuve en est : affirmer avec tant d'aplomb que l'on trie les feuilles avec beaucoup d'applications alors que l'on vient d'en sélectionner une avec des trous non point ronds mais déchiquetés... Cela tient d'un humour et d'une spiritualité des plus communicatifs !
Elle désigna l'objet en question.
-Celui qui a fait ce trou est un tout jeune scarabée. Pas une chenille. Or, si le trou n'a pas été fait par une chenille, la feuille ne peut être utilisée pour ce que nous préparons actuellement.

Arthur vira au pivoine, mortifié, et constata qu'Elwen disait vrai. Il écarta la feuille qu'il avait erronément sélectionnée, et replongea le nez dans la petite pile placée devant lui. Il était particulièrement embarrassé d'avoir osé prétendre exécuter la tâche avec un semblant de doigté alors qu'il avait failli compromettre les préparations de la jeune femme.
" Je suis désolé." murmura-t-il. " Je ferais mieux de me taire et de rester concentré. Je n'y connais rien et je risque de me tromper si je ne fais pas plus attention. Je suis vraiment désolé. Je ferais un piètre herboriste."

Elwen grimaça et, spontanément, lui toucha la main.
-C'est moi qui suis désolée, Arthur. Je ne devrais pas te taquiner ainsi : tu prends toujours tout tellement au sérieux... Mais voilà, je suis sotte et j'ai par conséquent du mal à m'en empêcher.
Elle secoua la tête.
-En l'occurrence, tu n'as rien à te reprocher : nous discutions, et la différence entre un trou de scarabée et un trou de chenille n'est pas si flagrante que ça. Et même si on avait mis cette feuille, ça n'aurait rien changé, fondamentalement...

" Je suis vraiment désolé." répéta le jeune paladin. " Je sais pourtant que je n'y connais rien... Je m'en voudrais de gâcher ton travail à cause de fanfaronnades qui me ressemblent guère... Mais tu sais que je ne suis pas versé dans ton art. C'est toujours le problème, quand on débute dans quelque chose, n'est-ce pas ? Si on est trop en confiance, on commet des erreurs... Peut-être devrais-tu me donner quelque chose de plus simple à faire, je ne sais pas... Ou alors peut-être que si..."
Il se leva et vint s'asseoir à côté de la jeune femme, où il y avait davantage de lumière.
" Je m'en sortirai peut-être mieux comme ça."

Son initiative parut ravir la jeune femme.
-Comme je le disais, ton "erreur" n'aurait eu aucune conséquence. On met les feuilles grignotées par des chenilles parce que celles-ci secrètent un mucus qui réagit avec la sève et lui donne des propriétés nouvelles. Ce qui n'est pas le cas lorsque c'est un scarabée qui a fait ripaille. Mais en mettre une ou deux de celles-là - ce qui m'arrive, la différence est parfois très ténue - et bien... Cela donne juste un peu plus de goût au mélange... Évidement, s'il y en a trop, ses propriétés sont moindres, mais on fera attention ! Et pour l'heure, c'était la seule "mauvaise" feuille que tu avais conservée. Ce qui est un signe indéniable de ton application bien réelle.

Il sourit doucement en examinant, très concentré, une nouvelle feuille grignotée.
" Tu es gentille. Trop gentille." fit-il. " Mais il vaut mieux encourager ses petites mains que les fouetter, je suppose. Enfin, c'est une option qui a ses partisans. Mon supérieur, quand j'étais apprenti avocat, avait choisi la voie inverse. Ou plutôt, il s'est délesté de cette responsabilité sur mon père. Or celui est plutôt... main de fer dans un gant de fer. Ou d'adamantite. Je dois avouer que ça avait bien marché aussi, à l'époque... Comme quoi. Je raconte à nouveau n'importe quoi. Ahum. Ces feuilles, donc... On dirait que vous avez plus de scarabées que de chenilles... J'ai du mal à imaginer que parmi les mastodontes de votre jungle, il y ait des créatures aussi petites... Elles ne doivent pas avoir plus de deux jours d'existence, je suppose."

-De deux jours à une semaine, effectivement. Cela dépend du métabolisme propre à chaque espèce et à chaque individu. Mais le mucus de ces chenilles nouvelles-nées est justement utile parce que c'est un vrai concentré d'énergie, de croissance... Cela aide les tissus abîmés à se reconstituer, et il n'est utilisable pour l'elfe - ou l'homme - qu'additionné à la sève de cette plante bien particulière.
Elle déposa une nouvelle feuille sur le petit tas, frôlant sa main au passage, d'un geste qui paraissait tout à fait accidentel.
-Pour en revenir à ce que tu me disais de ton éducation... La main de fer dans un gant de fer, le fouet - même si je sais bien que là, c'est un symbole... Tout ça n'est efficace qu'un temps. On courbe l'échine, puis vient le moment de la révolte où on envoie tout balader. Et si on n'en a pas la force... La vie est bien triste. Ici, nous préférons privilégier la patience, l'accompagnement, l'écoute. Et on n'impose aucun métier, à personne. On essaye au contraire que chacun trouve ce pour quoi il est fait. C'est peut-être plus long, il y a peut-être plus d'errances, de bifurcations, d'hésitations et de retours en arrière mais... Je crois que c'est mieux, tout de même.

" Sans doute." fit-il. " C'est aussi ce que nous essayons de faire au paladinat... Même si les plus jeunes ont normalement déjà choisi leur vocation. Nous essayons de leur faire voir le bon côté de leur carrière et nous laissons partir les cas désespérés... Il est vrai que notre culture, à Luménis, donne encore largement le pouvoir aux parents, et dans la plupart des cas, ils choisissent ce que fera leur progéniture sans lui laisser voix au chapitre... Mais c'est l'ordre presque naturel des choses... et une grande ville n'offre pas les mêmes libertés qu'une communauté comme la tienne. Certains apprentissages sont très coûteux, certains arts se transmettent de père en fils... de mère en fille... ou de père en fille, de père en fils, enfin tu vois ce que je veux dire..."
Il haussa légèrement les épaules.
" Mais..."
Il hésita et poussa un léger soupir.
" Je pense que tu surestimes la révolte qui peut perdurer dans le coeur d'un enfant qu'on a bien dressé. Ton peuple tient la liberté, l'indépendance, en haute estime. Mais dans des tas d'endroits, obéir est une vertu qui s'enseigne dès le berceau. Vous ne pourriez sans doute pas imposer leur voie à vos enfants. Mais chez nous... La révolte est rare, très rare, beaucoup plus que la résignation."

Elwen fit la moue.
-J'ai du mal à concilier ta description avec ce que j'ai entendu de Luménis, avec cette image de cité révoltée contre un tyran usurpateur du pouvoir... Votre ville n'est-elle pas une démocratie ? Ne choisissez-vous pas vos dirigeants ? Et si c'est le cas, comment acceptez-vous de ne pas être, au moins un tant soit peu, maîtres de vos destins ? Comment acceptez-vous de dicter totalement leur voie à vos enfants ? N'y a-t-il pas des écoles ouvertes aux plus pauvres ? N'y a-t-il pas, dans une si grande cité, pléthore d'opportunités, d'occasions ?
Elle jeta un regard distrait aux feuilles.
-Ici, nous ne sommes pas aussi libres que tu pourrais le croire. Notre vie est régie par la nécessité dans laquelle nous sommes d'évoluer dans un milieu difficile, contraire, périlleux. Nos enfants n'ont le choix qu'entre des métiers utiles à la communauté : si d'aventure ils se découvrent un talent pour quelque chose de "superflu", nous les encourageons à le cultiver comme un loisir, si tant est qu'ils en aient le temps. Pour le reste, ils doivent accepter de contribuer à la survie du clan. C'est aussi un carcan, en un sens. Mais, dans les limites tracés par celui-ci, ils sont libres...

Arthur sourit.
" Nos situations sont dissemblables. Chacune a ses avantages, je suppose... Mais Luménis est une toute jeune démocratie. Jusqu'il y a peu, c'était encore une sorte de dictature éclairée, lorsque l'Impératrice régnait sans partage... Et le conseil élu... Il est encore très dépendant des clivages de la société luménienne. Les marchands élisent l'un des leurs, les nobles votent pour un militaire ou un religieux, les intellectuels et les artistes se choisissent un magicien... Malgré les bonnes intentions, chaque strate de la société reste attachée à ses privilèges et craint les intentions des autres. J'ai bon espoir, cela dit, pour le futur, mais cela prendra son temps. Un peu comme moi et les feuilles trouées de chenilles."
Il leva les yeux au ciel, embarrassé de sa propre comparaison.
" Je ne pense pas que les parents pensent contraindre leur progéniture. Simplement, ils ont l'expérience, la connaissance... Ils pensent agir pour le mieux. Etre raisonnable, réaliste... Ce n'est pas très lathandrite, mais c'est humain, je pense. Vous... Sans vouloir revenir à la conversation de tout à l'heure... Vous avez mille opportunités de vous découvrir, de vous tromper. Vous avez le temps d'explorer les possibles avant de vous choisir une voie. C'est peut-être simplement ça, la différence."

Elle réfléchit un instant puis secoua la tête.
-Je ne suis pas certaine que notre longévité joue tant que cela... Les années où nous sommes totalement dépendants des autres, incapables de faire grand chose sont nombreuses. Bien plus qu'elles ne le sont pour vous. Notre enfance, notre adolescence se prolongent aussi beaucoup et... A l'instar de ce qui se passe pour vous, nous ne sommes pas forcément, à ces moments-là, très aptes à faire les bons choix. Et quand enfin nous l'avons fait, nous ne revenons généralement pas en arrière : les cas d'elfes changeant plusieurs fois de métiers, sinon une seule, sont extrêmement rares. Nous préférons... nous perfectionner dans nos arts respectifs. Au final, j'en reviens à ce que je disais précédemment : nous avons une plus longue vie, mais il nous faut plus de temps pour apprendre ou ne serait-ce que pour nous développer. Votre existence est plus courte, mais... Une de vos années est sans doute mille fois plus riche que l'une des nôtres, pour une durée totalement égale.

" Tu as sans doute raison. Il y a mille explications possibles, mille différences entre ici et là-bas."
Il haussa les épaules.
" J'ai toujours peine à croire que votre longévité n'explique pas en partie les voies que vous empruntez, mais ce n'est pas la seule distinction entre le peuple elfe et les humains. Peut-être avez-vous gagné le droit de demeurer plus longtemps parmi les vivants parce que vous étiez plus raffinés, intelligents et sensibles que bien d'autres..."
Il esquissa un sourire.
" Je raconte n'importe quoi, je vais me reconcentrer sur mes feuilles."

-Pourquoi dis-tu cela ? protesta l'amazone. Il n'est pas désagréable de s'entendre complimenter, surtout quand la chose est rare ! Mais je ne pense pas que nous ayons gagné quoi quelque droit que ce soit... D'autant que, même si nous n'avons plus de contacts avec les autres peuples depuis que nous sommes installées sur cette île, même si nous n'en avions déjà pas beaucoup auparavant, notre tradition garde certains souvenirs... Et d'après ces souvenirs, rares sont les humains à partager ton opinion à notre sujet : ils nous trouvent généralement arrogants, superficiels, sans parler des plaisanteries sur la virilité de nos mâles. Quant à nos congénères, ils voient généralement les elfes sauvages comme des barbares rustres et grossiers.

" Je ne te trouve ni rustre, ni grossière." fit Arthur.
Il évita de s'appesantir sur le terme de barbare, qu'il avait associé à leurs geôlières plus d'une fois ces derniers jours.
" Evidemment, venant d'un humain, ça ne veut pas dire grand chose."
Il grimaça en contemplant une feuille puis finit par l'écarter.
" Je n'ai pas connu beaucoup d'elfes, sinon... et c'est vrai que certains sont arrogants. Sans doute ont-ils de bonnes raisons."

Elwen fit la grimace.
-De bonnes raisons ? Tu parles ! Ils n'ont pas de bonnes raisons. Ce qui les fait penser ainsi, c'est leur éducation, rien de plus. Dès leur plus jeune âge, on les élève en leur rabâchant que les elfes sont les meilleurs, les plus sages, les plus distingués, que les autres races sont primitives et mal dégrossies. Eduque un humain, un halfelin ou même un troll - pour peu qu'un troll puisse être éduqué - dans les mêmes conditions, et ils seront aussi arrogants que mes congénères à oreilles pointues !
Elle esquissa un sourire.
-Au final, c'est un peu comme pour la prétendue supériorité des hommes sur les femmes. Toutes ces idées fausses tiennent à l'éducation.

" Sauf que... Là où tu peux estimer qu'hommes et femmes diffèrent à peine et que leurs compétences seraient probablement équivalentes si on leur laissait la liberté de les développer à leur guise, tu ne peux pas nier qu'elfes et humains... ou trolls, nains, halfelins, sont différents à un niveau beaucoup plus fondamental, beaucoup plus... vrai. Je veux dire... Tu vois dans le noir. Tu pourrais vivre un demi-millénaire, peut-être plus. Nous ne sommes pas de la même espèce. Comme la panthère et le... le cheval."
Il secoua la tête.
" De plus, en réalité, tu es persuadée qu'il y a des différences fondamentales entre hommes et femmes. Que malgré toute l'éducation du monde, la plupart d'entre eux sont incapables de réfréner un profond besoin de dominer."

-Qu'il y ait des différences entre les races - ou entre les sexes -, c'est indéniable. Mais différent ne veut pas dire supérieur. D'ailleurs, sur quels critères établirait-on la supériorité ou l'infériorité de chacun ? Sur les réalisations ? Chaque race a produit des merveilles, excelle dans des domaines qui lui sont propres. A la place occupée sur Toril ? En ce cas, les hommes sont supérieurs à toutes les autres espèces, vu leur expansion constante. Et les elfes leur sont éminemment inférieurs, puisque leurs puissantes cités, leurs brillants royaumes d'antan sont depuis longtemps retombés en poussière. Et d'entre tous, les elfes sauvages seraient les plus décadents : nous ne sommes pas même l'ombre de ce que nous étions au début des âges de ce monde.

" Je ne parlais pas de dire qu'une race entière était supérieure à une autre... Mais il reste possible de dire : les hommes sont généralement plus grands que les femmes, les elfes plus adroits que les humains, mais ces derniers sont plus forts... Je n'en sais rien."
Il haussa les épaules.
" Comment en sommes-nous venus à cette conversation ? Ne parlions-nous pas des trous de chenilles dans les feuilles ?"
Il sourit.
" Et je ne trouve pas ce mode de vie décadent... Bien sûr, je ne sais pas ce que ton peuple était autrefois... Mais vous avez l'air... Je n'en sais rien. J'allais dire quelque chose sans savoir, je te connais à peine, et tes soeurs encore moins."

Un instant, Elwen leva les yeux au ciel.
-Allez, Arthur... fit-elle sur un ton de doux reproche. Je te l'ai déjà dit : nous sommes entre nous, tu peux parler librement. Et pour ce qui est de raconter des choses sans savoir... Je le ferai certainement, et je suis sûre de l'avoir déjà fait.

" J'allais dire que vous aviez l'air... d'avoir une culture qui n'a rien à envier à personne. Même si elle vous est dictée par la nécessité... et qu'elle est différente de l'âge d'or qu'on vous enseigne..."
Il secoua la tête.
" Et de toute façon... Nous savons tous que le beau, le bon et le juste ne triomphent pas toujours, tout de suite. Ils sont plus fragiles, plus risqués... alors fatalement, il arrive que la brutalité et la malveillance réduisent le merveilleux en poussière... Mais... mais tu es là aujourd'hui. Tu es la preuve que la chute des empires elfiques n'a pas marqué la disparition de toute splendeur... Heu... Enfin... Je veux dire. Hum. Haaaa... "
Pourpre, il disparut brutalement parmi ses feuilles.
" Et ça, heu... c'est... c'est un trou de chenille ?"

L'amazone demeura silencieuse quelques instants, mais la gêne d'Arthur l'empêcha de saisir l'expression de son visage.
-Si tout autre que toi avait prononcé ces mots, j'aurais cru à de la pure flatterie... murmura-t-elle finalement Mais là... Je crois juste que tu es trop impressionnable, Arthur. Trop gentil, aussi. Car... Et bien... J'imagine qu'à Luménis, tu as vu d'autres elfes. Il me semble même que l'une de vos dirigeantes, une puissante magicienne, est de cette race. Ni moi ni mes sœurs n'avons plus rien en commun avec elle. Ni avec les autres peuples elfes qui vivent encore dans la splendeur...
Elle soupira.
-Nous ne sommes pas nostalgiques de notre passé révolu, réduit à néant. Pas vraiment, en tout cas. Nous sommes plutôt fières d'avoir survécu malgré toutes ces épreuves, et de cette survie envers et contre tout, nous tirons notre force. Néanmoins... Enfin...
Elle secoua la tête.
-C'est un trou de chenille, oui.

Arthur opina du chef, toujours vaguement cramoisi, et déposa la feuille sur la pile à conserver.
" Dame Lathiriel est effectivement une elfe de grande beauté, selon les canons en vogue, je suppose. Mais elle est très sévère... Son regard... ferait fondre les neiges éternelles des Pics Brumeux."
L'évoquer le fit trembler.
" C'est vrai que j'ai déjà vu d'autres elfes. Il y en avait une dans notre expédition, une magicienne... Arya, je pense, qu'elle s'appelait. Je ne la connais pas très bien. Pas du tout. Les gens me parlent rarement parce que... bon... soit... Je n'ai de toute façon pas grand chose à raconter, comme tu as pu t'en rendre compte. Et ce que je pourrais raconter n'intéresse personne, de toute façon. Donc l'un dans l'autre, je me suffis à moi-même. Là aussi, je pense que c'est un trou de chenille."

Cette fois, Elwen soupira franchement.
-Est-ce qu'on n'encourage pas les enfants à avoir confiance en eux, à Luménis ? Est-ce qu'on ne fait pas en sorte qu'ils prennent conscience de leurs défauts ET de leurs qualités, plutôt que de les concentrer sur les premiers ? Je dis ça, parce qu'à t'entendre sans cesse te dévaloriser... A moins bien sûr que tes parents n'aient été particulièrement...
Elle s'interrompit, comme ses joues hâlées se teintaient d'un rose délicat.
-Excuse-moi. Je ne veux pas présumer, je ne veux pas parler de ce que je ne connais pas. Mais ça me peine de te voir sans cesse répéter ce genre de bêtise. Tu as des tas de choses à raconter, Arthur. Et elles ne peuvent qu'intéresser les autres. Elles m'intéressent en tout cas, moi. Mais peut-être me considères-tu comme personne...

" Oh non, Elwen, voyons... Je ne sous-entends sûrement pas une telle chose ! Je me suis mal exprimé. Simplement... Je ne suis pas un beau parleur, c'est tout. Je n'ai, vraiment, pas grand chose à raconter. Mon univers est relativement étriqué. Et même si je suis ravi d'être paladin... Je conçois parfaitement que la plupart des gens ne s'intéressent pas à mon quotidien à la commanderie... et la plupart des Luméniens ont connu la dictature, nous ne nous racontons pas nos prouesses respectives à longueur de journée... et... bref... Je ne devrais pas me justifier, comme ça, j'imagine. Je ne suis pas très doué pour trouver des sujets de conversation avec de parfaits inconnus, et quand on part en expédition militaire... Tu avoueras qu'en dépit de mes multiples qualités, je n'en impose pas tellement dans le domaine. J'imagine que la plupart des gens estiment que je serai parmi les premiers à me faire tuer et se demandent pourquoi on a embarqué un gamin à bord."

L'amazone croisa les bras.
-Les beaux parleurs, c'est bon pour séduire les midinettes ou épater la galerie à la veillée, mais ça devient franchement rasoir, à long terme. D'autant que ces enjoliveurs modèlent du vent pour le rendre faussement passionnant, ce qui ne trompe pas longtemps. Comme dit le proverbe, c'est ceux qui en parlent le moins qui en font le plus... Ensuite, ta vie à la Commanderie, c'est ta vie, et elle ne peut qu'intéresser ceux qui s'intéressent à toi. Et tu crois que la vie d'une fille vivant dans la forêt, vivant de chasse et de cueillette, ça passionnerait davantage les foules ? et enfin... Si on t'a demandé de participer à cette expédition, c'est qu'on t'en a jugé digne, Arthur. N'as-tu pas des supérieurs, des officiers ? Etais-tu vraiment le seul disponible ? D'accord, vous n'êtes plus beaucoup de paladins si j'ai bien compris, mais tu n'es pas le dernier...
Elle lui toucha légèrement le bras.
-Et tu ne seras pas le premier à mourir. Ah ça, certainement pas !

" Peut-être que mes supérieurs voulaient se débarrasser de moi, tout simplement." dit le jeune paladin, songeur. " Mon père était gêné de m'avoir dans les pattes. Il aurait simplement pu me demander de changer de nom, mais il n'y a pas songé. Il a promis à la commanderie de lui offrir... de meilleurs chevaux... des armes neuves... des recrues... si seulement ils se débarrassaient de moi, définitivement. Mais je suis coriace !"
Il baissa les yeux sur Elwen.
" Je plaisante. J'imagine qu'effectivement, mes supérieurs ont vu quelque chose en moi..."
Il s'interrompit. Il lui semblait beaucoup plus probable qu'ils aient été forcés d'adjoindre des hommes à l'expédition luménienne et qu'ils aient décidé d'envoyer des chevaliers dont ils pouvaient aisément se passer, même à jamais. Quant à son paternel, il n'accordait aucune attention au moucheron qu'il avait engendré. Il ne se serait certainement pas fendu d'un plan pour l'écarter.

-Puisse ta première tirade n'être effectivement que plaisanterie, et ta seconde le reflet de tes sentiments réels... murmura la jeune femme. Mais il y avait je ne sais quel manque de conviction dans ta voix qui me fait craindre le contraire.
Elle sera un peu plus son bras, puis relâcha sa prise.
-J'ai l'impression que je vais devoir t'aider à trouver davantage de confiance en toi. Ce ne sera pas simple, mais... Je suis du genre à aimer les défis. Alors, tu me rediras ces âneries quand tu auras terrassé plus d'ennemis que tout autre, et grandement contribué à libérer cette île - et le monde - de l'influence néfaste de ces mages déments. Dans l'intervalle... J'ai dans l'idée de ne pas trop m'éloigner de toi. Pour assister à ce qui se passera et t'empêcher, par la suite, de minimiser les faits.

Arthur faillit rétorquer quelque chose, mais la perspective d'avoir Elwen à ses côtés pendant les jours à venir était loin d'être désagréable. De toutes les personnes qu'il avait rencontrées récemment, Luméniens compris, c'était avec elle qu'il s'était le plus lié, même si leur amitié naissante n'avait même pas une journée. Pouvoir combattre auprès de quelqu'un qu'il estimait, qui l'estimait, au moins relativement, était inespéré, compte tenu des circonstances. De plus, il pourrait ainsi veiller sur elle, discrètement, sans qu'elle s'en offusque.
" J'espère que tu ne seras pas trop déçue quand tu réaliseras que je ne suis pas aussi efficace que tu le crois. Mais je ferai de mon mieux." dit-il finalement, un léger sourire aux lèvres.

Elle lui sourit.
-J'en suis convaincue. Comme je suis convaincue que tu le feras parce que c'est dans ta nature, et non pas parce que tu prendra ma confiance pour une sorte de défi. Ce serait idiot, et, à franchement parler, il n'y a aucune chance que je sois déçue, sauf si tu te montrait par trop téméraire pour prouver je ne sais quoi...Alors... Sois toi-même, et tout ira pour le mieux. De cela aussi, je suis convaincue.

Le jeune paladin resta muet un instant. Il n'était pas habitué à cette frontalité, à la manière dont Elwen énonçait les choses telles qu'elle les ressentait, sans passer par des paraphrases ou des sous-entendus. Sans doute cela participait-il de l'authenticité de son mode de vie, d'une culture où la communication directe était garante de survie, tandis que les circonvolutions et autres égards apparaissaient comme inutiles et risqués. Mais c'était pour le moins déstabilisant. Il avait l'impression qu'elle en disait trop, trop vite. En même temps, sa spontanéité avait quelque chose de charmant, de rare. Il se sentait incapable de lui rendre la pareille. Comme elle le disait, ça n'aurait pas été dans sa nature.
" Je ne crois pas que je pourrais faire autrement..." fit-il.
Il n'avait aucune fibre comédienne en lui.
" Mais la témérité... Je ne peux pas garantir que je réfléchis toujours beaucoup avant d'agir... Surtout dans le feu de l'action."

La Couronne de Cuivre

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