La Couronne de Cuivre

Eärundra soupira.
- J'aurais dû me douter, il était trop impatient... Pourtant son état était stabilisé, il ne courait plus de danger immédiat, je ne comprends pas ce qui a pu le pousser à partir sans attendre les résultats de mes investigations. Il se sentait diminué, c'est vrai, cela lui pesait... mais tout de même...
Elle fronça un sourcil.
- Est-ce que vous savez s'il a eu une visite qui aurait pu le pousser à partir plus vite que prévu ? Il n'a rien laissé permettant de savoir ses projets exacts, sa destination précise, j'imagine ? J'espère au moins qu'il n'est pas parti seul...

Le rôdeur tenta de se remémorer les informations qu’il avait glanées auprès de sa grand-mère en ne parvenant pas à se souvenir toutefois de quoi la druidesse pouvait ou non être au courant. Dans le doute, il préféra ne passer aucun détail qui lui revenait sous silence. Cela éviterait peut-être de se perdre en aller-retour.

- Certains membres de la délégation d’hommes-lézards qui sont repartis récemment de la ville ont apparemment réussi à le convaincre de prêter foi à cette histoire de plante et de se diriger vers la Haute Forêt. J’ignore néanmoins pourquoi ils auraient eu intérêt à le faire… Et non, mon père n’est pas seul : il est accompagné d’un mage ainsi que de sa compagne d’après ce que j’ai compris. Mais j’espérais que vous pourriez nous éclairer sur où il serait le plus susceptible de se rendre pour entamer ses recherches. M’est avis que ce sera aussi notre destination. Enfin celle de mon demi-frère et moi, j’entends.

- Un mage et sa compagne... mais sa compagne est un mage, si je me souviens bien. Mais peu importe. Ils ont dû sans doute trouver également un guide quelconque connaissant la forêt... Quant au lieu où il se rend, je n'en sais guère plus que vous... mais je vais essayer de résumer le peu que je sais. Enfin, une fois que j'aurai mangé un peu...
Elle s'assit en tailleur près du feu, et sans attendre sa permission, s'empara de la gamelle et les servit l'un et l'autre.
- Un shaman asabi est venu à Everaska, il y a de cela deux ou trois mois. Il a parlé à Elryndel d'une plante mythique pour les asabi, l'ayahuasca. Mythique parce qu'on ne la trouve pas dans le désert et que rares sont les asabi qui survivent à sa quête dans la forêt. Mythique surtout parce qu'elle aurait le pouvoir, soi-disant, de le guérir.
Elle mangea en silence quelques instant, puis poursuivit.
- Je me suis rendue dans le désert des asabi, à la recherche d'un druide de leur race. Il y en a peu, mais je connaissais un nom. Et la loi des druides impose un devoir d'assistance mutuelle, ou du moins nous interdit de nous nuire... Il a donc fini par accepter de me parler de cette plante. Elle existe bel et bien, oui. Mais ses effets ne sont nullement ceux décrits par le shaman. il s'agit plutôt d'une plante ayant des vertus hallocinogène, appréciée par leurs shamans lors de leurs cérémonies... Elle les conduirait dans un monde onirique parallèle, d'après ce qu'ils disent. Mais elle n'a nulle vertu thérapeutique. Je pense même que son effet pourrait être néfaste sur Elryndel.
Elle avala encore quelques gorgées.
- Mais le plus grand danger n'est pas cette plante, à mon avis. En cherchant cette racine, il s'est éloigné d'Everaska et de tous les guérisseurs connaissant son mal et capables de le soigner quotidiennement pour en stabiliser les effets. Ce voyage le met en danger...

A mesure que la druidesse avançait dans ses explications, le rôdeur sentait sa colère monter contre ses ennemis honnis mais c’était davantage le sentiment oppressant que chaque heure comptait qui obnubilait pour le moment son esprit. Et ce sentiment d’urgence ne pouvait pas trouver d’exutoire dans l’action car les informations dispensées par Eärundra ne lui donnaient pas plus de piste qu’au départ. Il s’efforça néanmoins à garder son calme mais son appétit s’était envolé pour l’heure aussi ne toucha-t-il pas à son assiette avant de répondre :

- Efficace ou non pour son mal, mon père cherchera à trouver cette plante. Et notre meilleur espoir de l’aider est de la trouver avant lui. Est-ce que le druide de ces maudits vous en a appris plus sur l’emplacement où elle serait susceptible de pousser ? Ou à tout le moins sur le type de terrain qui lui serait favorable ? J’avais pensé solliciter les druides de mon ancien campement… Père en connaît l’emplacement et aura pu s’y rendre pour la même raison, ne pensez-vous pas ? Et seraient-ils susceptibles d’en savoir davantage d’après vous ?

Il marqua une courte pause avant de poursuivre sur un ton contrit :

- Désolé de vous soumettre à un interrogatoire mais je sens que le temps presse.

- Le temps presse, oui... Mais on n'en est tout de même pas au jour près. Je pense qu'il peut sans problème survivre à un voyage d'un mois sans soins. Il s'affaiblira petit à petit, simplement. Et peut-être que la raison le poussera alors à rentrer. Ou sa compagne... Mais je ne suis pas sûre qu'elle sache écouter la voix de la raison, en l'occurrence.
Elle soupira.
- D'après le peu qu'il m'a dit, il comptait effectivement se rendre auprès d'une communauté de druides et de rôdeurs. J'ai cru comprendre que c'était dans le secteur où vous vivez avec votre mère. Donc vous êtes sur la bonne piste en vous rendant la-bas....
Elle coupa un morceau de pain et de fromage.
- Mais n'en oubliez pas pour autant de manger. Vous aurez besoin de toutes vos forces là-bas.

Kasumi nourrissait à présent des sentiments partagés à l’égard de son voyage hors des murs. Si Eärundra l’avait rassuré quelque peu en confirmant certaines de ses hypothèses, il avait l’impression tenace et dérangeante d’avoir perdu près d’une journée, en comptant le voyage de retour, pour somme toute très peu d’informations nouvelles. Toutefois, il ne souhaitait pas se montrer ingrat en gâchant la soirée par son humeur maussade.

- Vous avez raison ! En plus la nourriture mangée sur la route est de loin la meilleure.

Il commença à piocher précautionneusement dans son assiette sans toutefois manifesté autant d’appétit que sa réplique enthousiaste le laissait penser. Il changea ensuite de sujet, en cherchant à reléguer pour un instant des soucis contre lesquels il ne pouvait rien présentement :

- Comment se porte votre relation avec Léo ? Se défie-t-il un peu moins de vous ? Quant à moi, il semblerait que je lui apparais toujours comme assez intimidant… C’est assez flatteur quand on y pense.

- Léo est conscient qu'il a besoin de moi. Pour se nourrir, au moins, puisqu'il ne peut pas chasser. Sans moi, il survivrait peut-être en dévorant des charognes, mais c'est plus aléatoire... Donc il accepte ma présence, accepte la relation que je crée avec lui, accepte de me faire confiance. Mais ça prendra encore du temps. Et il faudra attendre son rétablissement pour que nous puissions nous trouver d'égal à égal...
Elle lui sourit.
- Mais je ne veux pas vous ennuyer avec ça. Je sais bien que vous avez d'autres soucis en tête. Que vous avez l'impression de perdre votre temps ici....
Elle parut hésiter un instant. Puis ajouta, doucement.
- Je vous accompagnerai là-bas. A condition que vous acceptiez d'emmener Léo.

La druidesse avait réagi comme si elle avait lu dans ses pensées mais le rôdeur s’en défendit néanmoins, profondément étonné de l’offre généreuse d’assistance. Il n’était du reste pas certain d’être en droit de l’accepter. D’où le peu d’enthousiasme de sa réponse :

- Vous n’êtes pas du tout obligée de nous accompagner : votre connaissance des plantes nous serait certes très utile, c’est certain mais vous nous avez déjà grandement aidés ! Et je crois crois que votre place est ici, qu’il ne serait pas souhaitable pour Léo de se déplacer dans un terrain qui ne lui est pas adapté. Surtout tant qu’il n’est pas pleinement remis.

La druidesse haussa les épaules, mais n'insista guère.
- Je proposais ça pour vous rendre service. Je me suis déjà rendue là-bas, autrefois, avec ma mère, je connais quelqu'un sur qui je peux compter parmi les druides. un ami que je n'ai pas vu depuis une éternité. Mais vous aussi, sans doute, vous connaissez du monde, puisque vous êtes originaire de là-bas. Effectivement, vous n'avez sans doute pas besoin de mon aide... Et vous n'avez pas vraiment tort, pour Léo. Cela dit, j'aurais pu également le laisser ici, avec suffisamment de provisions mais... non, il m'aurait manqué.
Elle termina son repas, l'air songeur.
- Soyez assuré que ça ne me pèse pas de vous accompagner, si jamais vous changez d'avis pendant la nuit. Mais si vous préférez, je peux aussi vous donner quelques noms à contacter sur place.
Elle étouffa un bâillement.
- Sur ce, je crois bien qu'il se fait tard...
Elle jeta un coup d'oeil à la pluie qui tombait au-dehors.
- Votre hospitalité s'étend-elle à une nuit complète, ou préférez-vous que je rejoigne Léo ?

Le rôdeur allait la retenir quand elle donna l’impression de vouloir s’en aller mais il s’était mépris sur ses intentions. Déstabilisé par son approche, il réagit donc d’instinct, sans plus chercher à calculer pour adopter une attitude en partie artificielle :

- Ne vous méprenez pas ! J’apprécie énormément votre aide : vos contacts et vos connaissances nous feraient gagner un temps considérable. Mais j’hésite à accepter votre aide pour deux raisons : la première étant que vous ne me devez rien et que je répugne donc à vous arracher à votre environnement. La seconde est que Tilmandil me tuera sans doute si je lui apprends que Léo viendra avec nous. Je crois qu’il en a un tout petit peu peur. Et pour ce qui est de mon hospitalité : cette grotte est vaste et ne m’appartient en rien donc la décision vous revient entre profiter d'un bon feu ou de la fourrure douce de votre lion.

- Pour la nuit, je choisis le feu, sans hésiter ! Léo est bien chaud mais... comment dire... d'une compagnie un peu taciturne. Sans compter l'odeur...
Elle eut un sourire amusé.
- Et pour ce qui est du voyage... la nuit porte conseil. Je comprends bien vos réticences, même si la première raison n'est à mes yeux pas valable : aller en haute forêt est toujours un plaisir pour un druide, j'y trouverai des simples que je n'ai pas ici, j'y reverrai des confrères... Même si je n'en ai pas un besoin urgent.
Elle saisit sa cape fourrée qu'elle avait fait sécher près du feu, et qui était presque acceptable, s'installa sans façon sur le sol de la grotte et se lova dans le vêtement.
- Allons dormir : nous y verrons plus clair demain.

Kasumi récupéra sa couverture et trouva une place passablement plane juste de l’autre côté du petit feu. Ce n’était pas l’idéal mais il avait connu moins confortable et au moins étaient-ils au sec et au chaud tant que le feu rougeoierait. Au matin, ce serait une autre histoire mais au moins cela hâterait leur réveil : le rôdeur était pressé de se remettre en route. Il espérait que Tilmandil ait pu réunir de quoi leur permettre de partir aussitôt en Haute Forêt. Plus étrangement, il espérait que la druidesse déciderait de les accompagner, même s’il ne chercherait pas à l’influencer en ce sens. Malgré les dénégations d’Eärundra, il ne pouvait s’empêcher de penser que ce serait égoïste d’accepter sa proposition généreuse. Se perdant rapidement dans ses pensées, il ne mit guère de temps à trouver les bienfaits réconfortants du sommeil.

Quelques pépiements d'oiseaux, dans l'obscurité. Un froid piquant. La nuit touchait à sa fin. Petit à petit la luminosité augmenta, annonciatrice de soleil. Le cheval renâcla, quelque part au fond de la grotte, et gratta le sol de ses sabots.
Lorsque Kasumi se décida à ouvrir les yeux, un rayon de soleil illuminait la grotte, faisant briller des myriades de petits grains de poussière. Le feu était éteint, bien sûr, et il faisait froid. Eärundra n'était plus là.

Kasumi se demanda aussitôt, confusément, s’il avait dormi plus longtemps qu’il ne l’avait souhaité, comme l’absence de la druidesse et la présence du soleil semblaient le suggérer. Mais il se rassura bien vite en se remémorant la disposition des lieux et l’exposition à l’est de la grotte. Et les elfes ne dormaient que très peu, en dehors des bardes évidemment ! Néanmoins, il ne ressentait plus le besoin de sommeil supplémentaire aussi se leva-t-il et s’habilla-t-il en hâte dans le froide de la grotte. Ensuite, il vérifierait qu’Espoir ne manquait de rien avant de se mettre en quête de la druidesse. Il n’avait pas l’intention de s’attarder outre mesure au-delà d’un petit déjeuner. Avec de la chance, ils seraient de retour à Everaska pour le prochain repas…

Eärundra revint alors qu'il terminait son petit déjeuner. Elle avait attaché à nouveau ses cheveux en natte, et la lumière rasante du matin l'auréolait de lumière.
- La nuit a-t-elle porté conseil ?
Elle lui sourit avec douceur.
- Pour ma part, ma proposition reste inchangée. Je vous accompagnerai là-bas avec plaisir, si vous le souhaitez. Il y a bien longtemps que je ne m'y suis pas rendue... mais si je viens, je dois emmener Léo. C'est une condition non négociable. Je suis responsable de lui... Et dans une certaine mesure, vous aussi, quelque part.
Elle s'assit en tailleur, et se servit sans vergogne dans les quelques provisions étalées.
- Mais vous avez encore du temps pour y réfléchir, en parler avec Tilmandil, avec éventuellement un mage susceptible de nous téléporter... Il faut voir s'ils acceptent la présence de Léo. De toute façon il vous sera impossible de vous téléporter depuis la ville, elle est protégée magiquement. Il vous faudra vous éloigner. Si vous souhaitez que je vienne, il vous suffit de repasser par ici. je serai prête. Mais si vous ne venez pas, je n'en prendrai pas ombrage....

Kasumi ne prit aucunement ombrage de ce que l’elfe puise dans les réserves de nourriture. Il avait d’ailleurs anticipé son retour en sortant de quoi manger pour deux. Il répondit d’un ton conciliant à la question posée avec tact, mais pas avant d’avoir salué la jeune elfe :

- Bonjour, j’espère que vous avez bien dormi, malgré les ronflements d’Espoir ! Si si, c’était lui ! Et si vous en êtes toujours d’accord, je pense que je vais accepter votre offre. En tous cas si je parviens à convaincre Tilmandil et un mage de la ville qu’un lion ne représente pas de danger. Je pense que nous serons là demain matin si. J’imagine que vous resterez dans les environs tout ce temps ?

L'elfe acquiesça.
- Je ne m'éloignerai guère. Et de toute façon je vous entendrai approcher. Ou Léo vous sentira...
Elle sourit.
- Si vous faites vite, vous pouvez même être là dès ce soir. Mais se téléporter en début de journée me semble préférable, histoire d'avoir le temps de repérer les lieux là-bas.
Elle termina une tartine et se leva.
- A demain peut-être, jeune rôdeur... ou à ce soir... ou un autre jour peut-être, selon ce que le hasard choisira...

Kasumi rendit son sourire à la druidesse, ne pouvant s’empêcher de rire à la mention de sa jeunesse. Bien entendu, l’elfe avait quelques décennies, et même davantage de plus que lui mais s’entendre ainsi comparé à un jeune homme sans expérience l’amusa énormément.

- J’aurai plaisir à vous revoir, Eärundra ! Mais je pense qu’il nous faudra une bonne partie de la journée pour nous mettre en route. Et la nuit est bien fraîche dans ces cols. En tous cas pour certains elfes délicats de ma connaissance !

Une fois que la druidesse eut pris congé, le rôdeur fit disparaître les traces de son feu, remballa ses quelques affaires dans son sac et sella Espoir. Il le conduirait ensuite jusqu’au chemin avec prudence avant de reprendre la route. Il avait maintenant soif d’action et chaque minute perdue lui paraissait éloigner davantage son père.

Le chemin du retour se déroula sans anicroche. La pente était raide, jusqu'au col, mais Espoir était à son aise sur les chemins de montagne et avança sans rechigner.
Comme précédemment, des aigles géants le repérèrent bien avant qu'il n'arrive, et les deux gardes l'attendaient. Il fut soulagé de voir que ce n'étaient pas les mêmes que la veille, et encore plus lorsqu'ils le laissèrent passer sans même lui demander s'il avait des choses à déclarer : le petit parchemin roulé attestant de sa résidence temporaire à Everaska était apparemment un bon laissez-passer.

Comme la veille, certains regards peu amènes le suivirent. Peut-être, bizarrement, un peu moins que la veille. Comme si le fait d'être seul, et donc davantage perçu comme étranger, rendait les choses plus "normales".
Il n'eût pas de difficulté à retrouver son chemin. il faut dire que sa monture le connaissait par coeur...
- Je vais m'occuper de lui, ne vous en faites pas, intervint le palefrenier qui semblait guetter son arrivée. Maître Tilmandil vous attend dans la bibliothèque. C'est à droite quand vous entrez... mais vous pouvez demander à Solith si vous ne trouvez pas. je peux lui enlever sa selle ? Ou vous comptez repartir ensuite ?

Le rôdeur fit de son mieux pour faire abstraction des regards hostiles à son encontre lors de sa traversée des rues de la ville. Par comparaison, la déférence du palefrenier était un réel soulagement, tout comme la nouvelle que son demi-frère l’attendait déjà dans la bibliothèque. Ils avaient certainement beaucoup à préparer pour le voyage quels que soient les préparatifs déjà réalisés par Tilmandil. Il doutait donc pouvoir se remettre en route immédiatement comme il le fit savoir à l’elfe :

- Espoir a bien mérité un peu de repos : je n’ai pas forcé l’allure mais il a fait pas mal d’efforts depuis hier. Je ne suis pas certain que nous pourrons repartir à cheval, d’ailleurs.

Après avoir quitté le palefrenier, le rôdeur fit un effort pour s’épousseter de la poussière du chemin avant de rejoindre la bibliothèque. Il espérait bien la retrouver sans aide : après tout, il avait passé plusieurs mois dans cette maison durant son enfance.

Il trouva la bibliothèque sans difficulté. Tilmandil était penché sur une carte, étalée sur une table. Il leva les yeux à son approche. A ses côtés se trouvait une mage aux cheveux grisonnants. Elle portait une robe aux couleurs criardes, une coiffure partant dans tous les sens, de drôles de lunettes en demi-lunes, et arborait un sourire rêveur, à mille lieues de l'air strict ou réservé qu'on pouvait attendre d'une elfe de cet âge.
- Dame Cinia, voici Kasumi, mon demi-frère. Kasumi, je te présente Cinia, une amie de grand-mère. Elle est d'accord pour nous téléporter là-bas...
- Enchantée de faire votre connaissance, messire Kasumi. J'aurais besoin que vous me montriez sur la carte l'endroit où vous souhaitez aller. Je dois sélectionner un emplacement que je connais suffisamment bien là-bas, et qui soit le plus proche possible de votre destination.

Kasumi haussa les sourcils en apercevant l’étrange personnage se tenant aux côtés de son demi-frère. Mais les mages étaient souvent des originaux aussi ne s’inquiétait-il guère. L’affaire concernait la famille et sa grand-mère avait sans doute sélectionné le mage qui serait le moins susceptible de propager des rumeurs pouvant mettre en difficulté son père et toute la famille. Mais elle n’aurait pas pris le risque de choisir quelqu’un ne disposant pas de toutes les compétences requises. Le demi-elfe salua donc son aîné avec déférence et courtoisie :

- Enchanté, dame Cinia. Je vais vous indiquer le campement où j’ai vécu dans mon enfance mais il y aurait un autre détail à régler si vous le voulez bien : en plus de Tilmandil et de moi, auriez-vous la capacité de transporter une personne de plus ? Une personne en outre accompagnée d’un animal de belle taille…

Kasumi adressa un regard à Tilmandil pour lui confirmer ce qu’il soupçonnait certainement déjà…

- Oui, bien sûr, cela ne posera aucune problème, répondit la mage d'un air distrait, observant toujours la carte. Il suffit que je sois en contact physique avec chacun d'entre vous au moment du départ, je ne peux donc pas emmener foule... mais trois personnes et un animal ça ne me semble pas insurmontable.
Tilmandil, quant à lui, avait légèrement pâli et fixait Kasumi avec stupéfaction.
- Il a juste oublié de vous préciser quel est l'animal en question, fit-il après un bref instant d'hésitation. C'est... un lion.
- Oui, un lion, fit la mage d'un air toujours aussi distrait. Avant de lever enfin les yeux de sa carte, incrédule, fixant Tilmandil. Je vous demande pardon... qu'est-ce que vous venez de dire ?
- Que c'est un lion que vous devez emmener
Kasumi vit les yeux de l'elfe s'arrondir, sa bouche s'entrouvrir... Et elle sembla perdre pied, titubant, prête à s'évanouir.

Kasumi ne put retenir un sourire satisfait quoiqu’un peu puéril d’avoir pu déstabiliser les deux elfes. Les sentant mal à l’aise, il s’empressa néanmoins de chercher à les rassurer :

- Vous n’avez rien à craindre de Léo : il n'est même pas tout à fait adulte, sa maîtresse a choisi de nous accompagner et je crois que je suis parvenu à l’intimider aussi. Il ne nous causera pas de tort et Eärundra pourrait nous aider dans nos recherches et nous faire gagner un temps largement assez précieux pour compenser ce désagrément. Cela dit, si cette perspective ne vous sied pas, je m’en remettrai à votre avis et en avertirai la druidesse.

L'elfe ne répondit pas immédiatement. Elle avait pâli et semblait se sentir mal. Tilmandil n'eut que le temps de tirer une chaise derrière elle. Elle s'affala dessus sans la moindre grâce, blême. Ses yeux semblaient ne plus rien voir.
- Heu... je crois qu'elle se sent pas bien là... tu aurais pas quelque chose pour... la faire revenir à elle ? Ou bien je vais appeler Solith peut-être...

Kasumi était surpris de la réaction quelque peu excessive de la mage. Tilmandil avait au moins l’excuse d’avoir eu maille à partir avec le prédateur mais se pouvait-il qu’il en soit de même pour dame Cinia ? Malheureusement, ce n’était pas tout à fait le moment d’éclaircir de mystère : il était plus urgent de s’assurer que l’elfe allait bien :

- Je n’ai rien sur moi mais j’ai toujours de quoi préparer une infusion fortifiante dans mon sac de voyage. Si tu penses que Solith pourrait aider, il vaut mieux l’appeler : l’infusion ne sera pas prête avant dix minutes et dame Cinia a vraiment l’air pâle. Avez-vous des vertiges, dame ? Ou mal quelque part, peut-être ? Je peux vous examiner si vous le voulez bien…

L'elfe ne répondit pas. Tilmandil avait déjà couru chercher de l'aide. A son retour, une servant d'un certain âge le suivait. La gouvernante sans doute.
- Il faut l'allonger, lui surélever les jambes... commença-t-elle à expliquer.
- Non, ce n'est pas la peine, ça va aller, marmonna la magicienne.
- Respirez quand même ça, répliqua la gouvernante en lui plaçant d'autorité une flacon sous le nez. Flacon dont l'odeur forte eut un effet immédiat : l'elfe reprit quelques couleurs, se redressa légèrement.
- Ca va aller, reprit-elle d'une voix plus ferme. Merci.
Elle jeta un coup d'oeil vers Kasumi, eut une grimace incertaine.
- Un lion, vraiment ?

Kasumi se sentait un peu démuni face à ce malaise qu’il n’avait pas su anticiper mais son soulagement de voir l’elfe retrouver ses esprits n’en fut que plus intense. Avec commisération toutefois, car il ne voulait pas provoquer une rechute, il répondit en s’efforçant d’adopter calme et sérieux qui ne laissait aucune place au doute :

- Oui, il s’agit d’un lion mais il ne vous mettra pas en danger. Je ne peux pas vous garantir qu’il n’est plus un peu sauvage mais Eärundra et moi saurions faire face s’il donnait des signes de devenir incontrôlable. Elle nous a proposé de la rejoindre près des grottes où le lion se remet d’un petit accident. Si toutefois vous acceptez de l’emmener… Je m’en remets à votre choix étant donné que c’est vous qui assurerez notre transport.

L'elfe grimaça. Soupira.
- C'est juste que... c'est vite affolant pour un animal, ce genre de moyen de transport. Je me souviens avoir vu des montures paniquer. Et je préfère ne pas me trouver à proximité d'un lion affolé...
- Vous ne risquerez rien, Kasumi et Eärundra sauront le calmer, assura Tilmandil.
- Bon, si vous en êtes aussi sûr... J'imagine que je dois faire avec... Je veux bien tenter le coup. Mais il va accepter que je lui touche la crinière, votre lion, vous êtes sûr ?

Les considérations pratiques soulevées par la mage étaient à prendre en considération mais le rôdeur voulait rester confiant : Eärundra pourrait certainement arranger ce détail et, au pire, il se positionnerait entre le lion et la mage. Il ne put s’empêcher d’adopter un ton un peu plus léger en pensant d’avance à cette scène :

- Oh, je suis certain qu’il se laissera faire si vous évitez de tirer dessus ! Et puis, Léo aime bien Tilmandil donc c’est à lui de se faire des soucis !

Puis, il reprit sur un ton plus sérieux :

- Je doute que nous ayons encore beaucoup de choses à apprendre ici alors si vous pensez pouvoir préparer vos affaires d’ici là, j’avais pensé à partir très tôt demain matin. De sorte à nous mettre en route au plus vite.

Son père s’affaiblissait de jour en jour ce qui était déjà une motivation suffisante, sans compter sur le fait qu’Everaska continuait à le mettre mal à l’aise.

La Couronne de Cuivre

[Everaska] Quête: Racines