La Couronne de Cuivre

Trent parut incertain.
" Très bien. L'affaire est close, en effet." finit-il par dire.
Ils avaient atteint les limites du village.
" Votre ami était effectivement salement amoché. Il va beaucoup mieux et il devrait, comme je vous l'ai déjà dit, sortir assez rapidement. Comme vous le savez également, Maître Maebryn ne voudra pas qu'un solaire potentiellement contagieux sorte trop vite. Et nous ne pouvons pas garder les autres trop longtemps, car nous n'avons pas la place, simplement. Mais si vous le désirez, je peux communiquer à votre ami un point de rendez-vous, qu'il pourra rallier pour vous y attendre."
Il guida Taliesin vers la salle commune.
" Et j'imagine que vous n'avez toujours pas rempli ma seconde fiole, n'est-ce pas ?"

-Je suis désolé mais le faire serait contraire aux préceptes moraux en vigueur sur ma terre natale. Voyager de par le monde m'a amené à appliquer ces derniers avec moins de rigueur, à me montrer moins conservateur. Cependant, sur ce point précis, je suis au regret de ne pouvoir vous donner satisfaction.
S'il était prêt à jouer encore un peu la comédie, il y avait des limites qu'il entendait ne pas franchir et celle-ci en faisait partie. Trent pouvait donc toujours courir pour qu'il s'exécute.

Trent n'insista pas et le gratifia d'un haussement d'épaules tranquille avant de lui prélever à nouveau une bonne quantité de sang. Il l'examina comme il l'avait fait les fois précédentes, s'appesantissant peut-être un peu moins dans le contact, mais sans négliger aucune des zones qu'il palpait d'ordinaire. Il prit ses notes, concentré, puis sourit au barde.
" Voilà. Nous nous reverrons dans deux jours. N'oubliez pas vos remèdes, d'ici là. Vous allez de mieux en mieux, mais vous avez encore du chemin à faire."
Mais lorsque Taliesin essaya de se lever, il sentit comme un étourdissement, qui le força à rester assis. Trent le regarda avec commisération.
" Allez-y doucement. Vous manquez de sang, avec ce que je viens de prendre. Attendez d'avoir retrouvé votre aplomb avant de sortir."
Puis il commença à ranger son matériel.

Le barde acquiesça.
-Vous avez raison. Je vais suivre vos conseils.
Il lui sourit et fit mine de s'exécuter. Cependant, il avait bien l'intention de sortir sitôt l'assistant parti et de se mettre en quête de Jaeld, dut-il, pour se faire, profiter de tous les points d'appui à sa disposition. Il devait absolument essayer de parler à son hôte avant que Trent n'ait fini sa tournée. Car il entendait quitter l'enclave à sa suite.
Trois jours avant l'échéance... Ce n'était pas beaucoup.

Trent partit peu après sur des salutations polies, et Taliesin dut encore attendre une dizaine de minutes avant de pouvoir tenir sur ses jambes. Il fit ensuite un premier arrêt, rapide, par le garde-manger, afin de reprendre quelques forces en dévorant deux petits pâtés en croûte frais du matin, puis se mit en quête de Jaeld. L'ancien gladiateur coupait des bûches dans une clairière voisine du chêne, là où les elfes entreposaient leur bois de chauffage, de cuisine et de construction. Avant chaque coup de hache, Jaeld adressait quelques mots aux arbres autour de lui, presque comme un chant, une prière désolée. Torse nu, il révélait une musculature très développée pour un elfe, reflet de ses anciennes activités. Il sourit en apercevant Taliesin puis, réalisant que le barde entendait lui parler, posa son outil et s'approcha.
" Belenn. Je peux t'être utile ?"

Il hocha la tête.
-Oui. Mais rien ne t'oblige à accepter ce que je vais te demander. Je comprendrais très bien que tu préfères refuser. Et si j'aimerais mieux que cette conversation reste entre nous, je ne te demande pas de garder le secret. Si tu souhaites en parler, je le comprendrais également.
Le temps manquant pour une approche prudente, il choisit d'aller droit au but. De toute façon, si son absence était remarquée, tout cela n'aurait plus aucune importance.
-Jaeld, je vais quitter l'enclave dans quelques minutes. En secret. Si tout va bien, je serai en mesure de revenir avant que Trent ne doive à nouveau m'examiner. Malheureusement, si mon absence est remarquée avant mon retour... Celui-ci deviendra impossible. J'aurais donc besoin que tu me couvres.

" Quoi ?!"
Jaeld parut complètement stupéfait par la demande de Taliesin. Mais pas hostile pour autant.
" Quitter l'enclave ? Mais... pourquoi ?"

Le barde le regarda bien en face.
-Il y a plusieurs raisons. La première, c'est que j'ai un ami au Refuge, celui qui a appris mon nom à Maître Maebryn et qu'on a conduit ici en même temps que moi. D'après Trent, il ne va pas tarder à partir et, bien sûr, on ne me laissera pas le rencontrer. Or, j'ai impérativement besoin de lui parler de vive voix.
C'était une infime partie de la vérité. Mais la vérité tout de même. Malheureusement, il avait l'impression qu'il ne pourrait pas s'en tenir là.
[color=#FFFFF66]-Il y a d'autres raisons, aussi. Je préférerais ne pas les évoquer, pour t'éviter des inquiétudes peut-être injustifiées, voir d'éventuels ennuis, et j'aimerais que tu te contentes de ma parole d'honneur que je n'ai pas la moindre intention mauvaise à votre égard. Non, je le jure, Corellon m'en soit témoin, je ne vous veux que du bien. Cependant, si tu le souhaites, je suis prêt à tout te révéler. Je devrais juste parler vite... et de manière très directe.[/color]

Jaeld le regarda droit dans les yeux et croisa les bras.
" Alors, raconte-moi, dit-il alors. Si tu devais ne pas revenir, je veux savoir à quoi m'en tenir. Et je ne m'engage pas à l'aveugle. C'est ce qui m'a permis de rester vivant."
Il pinça les lèvres.
" Quant aux répercussions... Sache que je ne suis pas un être enclin à l'inquiétude. Et que je ne crains pas les ennuis. J'ai déjà eu tous les ennuis du monde."
Il eut un sourire contraint.
" Que se passe-t-il, au juste ?"

-Très bien.
Il soupira, jeta un regard aux alentours puis se lança.
-Je crois que quelque chose ne tourne pas rond, ici. Je me trompe peut-être. J'aimerais me tromper. Mais trop de signes m'ont mis la puce à l'oreille et je souhaite en avoir le cœur net. D'abord, la manière dont notre enclave est censée être protégée... L'enceinte, basse et dépourvue de tour, ne constitue qu'une protection sommaire ; la porte ne peut ni être ouverte, ni être fermée de l'intérieur ; le pont-levis, lui aussi, n'est pas actionnable de nôtre côté. Ppar conséquent, si la douve est un obstacle pour quiconque voudrait sortir, il n'en est rien pour d'éventuels assaillants, puisqu'ils auraient tout loisir de les franchir sur ledit pont, bien au sec, bien loin de toutes les créatures dangereuses qui hantent les eaux. Quant à la deuxième enceinte, garnie de tours celle-là, elle est construite de telles sorte que les guetteurs regardent non pas vers l'extérieur... mais vers l'intérieur. Vers nous. En résumé, toutes ces fortifications, toutes ces installations ne paraissent pas destinées à nous protéger, mais à nous empêcher de sortir. Or, en règle générale, les lieux batîs de semblable manière ne sont pas gratifiés du doux nom de refuge mais de celui, bien plus sinistre, de prison.
Il reprit son souffle puis recommença à parler, non sans s'être assuré, à nouveau, que personne ne les écoutait.
-Ces éléments sont, à mon sens, les plus tangibles, ceux qui conduisent le plus logiquement à s'interroger. Mais il y en a bien d'autres. Pour l'heure, ils ne sont qu'à l'état de questions, de doutes, de soupçons ; bref, ils méritent d'être vérifiés, et c'est justement ce que j'entends faire lors de mon expédition. Je me demande, par exemple, ce que deviennent exactement les personnes exclues pour mauvais comportement. Prendrait-on réellement le risque de les envoyer à l'extérieur, sachant que, par vengeance, elles pourraient conduire les Mélandiens jusqu'au Refuge ? Sachant, aussi, que malgré elles, ces personnes auraient de fortes chances de contaminer d'autres gens, dont des elfes, potentiellement ? En parlant de contamination, n'est-il pas étrange que plus une sous-race est rare, plus les spores de la Feuille Pourrie aiment à s'attarder dans son organisme ? Ainsi la convalescence des solaires dure-t-elle des mois, ce qui permet de prélever une importante quantité de leurs fluides si peu communs, tandis que les elfes des bois, que l'on croise fréquemment, sont autorisés à sortir après seulement quelques jours... A propos de ces sorties, d'ailleurs... Si trouver une place pour chacun d'entre nous est si difficile, réclame tant de patience, comment se fait-il que le problème ne se pose pas pour les sylvestres ? A l'inverse, si assurer une vie paisible aux anciens pensionnaires est plus aisé qu'on ne le dit, qu'est-ce qui justifie qu'Uniel et Cymion aient dû tant attendre ?
Une nouvelle fois, il regarda Jaeld droit dans les yeux.
-Voilà quelques-unes des questions que je me pose et auxquelles je veux trouver une réponse. Je compte suivre, si je le puis, ceux qui ont été exclus ou auxquels on a... tracé une voie, pour m'assurer qu'ils quittent bien le Refuge. Je veux observer cette fameuse Maison des Jeux où les enfants sont soumis à une foule de tests, retourner dans cette Maison de Vie où l'on nous soigne... mais y retourner en observateur discret, cette fois, non comme un patient. J'espère également découvrir comment cela se passe dans les autres enclaves,voir comment y vivent les pensionnaires. Enfin, avec un peu de chance, je pourrai observer les autres bâtiments, fureter dans tous les recoins... Et, au final, en avoir le cœur net.
Autre coup d’œil aux alentours, accompagné d'un sourire triste.[/color]
-Je vous demande pardon, Jaeld, si je soupçonne de manière injustifiée ce lieu où j'ai été accueilli, où vous vivez paisiblement. Car il est possible que je fasse complètement fausse route, que tout ce qui m'intrigue soit en réalité aisément explicable, que mes doutes n'aient pour toute origine, au final, que ma nature méfiante. Oui, c'est possible, et je prie Corellon pour qu'il en soit ainsi. Mais malheureusement, si j'ai raison... Alors je rapporterai des preuves tangibles. Et en me couvrant, vous nous aurez rendu à tous un immense service.
Il déglutit, se demandant dans quoi il était en train de s'embarquer, puis conclut :
-Cependant, quoi que donne mon expédition, quoi qu'il m'arrive... Je vous jure que je n'ai aucune mauvaise intention, que je ne veux surtout pas vous faire du mal, à vous et aux autres, ni salir inutilement ce Refuge providentiel. Je ne suis pas non plus un menteur : je vous ai seulement livré le fond de ma pensée. Je vous assure que je n'enfreindrai pas les règles et ne vous demanderai pas de m'aider s'il ne me paraissait pas nécessaire de mener une enquête. Ce que je cherche, c'est la vérité, quelle qu'elle soi. Et si je me trompe, comme je le souhaite, j'en serai sincèrement heureux : je reconnaîtrai mon erreur et j'en assumerai le coût.

Jaeld avait écouté le récit de Taliesin, debout, les bras croisés, campé sur ses jambes comme s'il faisait face à un adversaire. Le barde perçut cependant l'altération de son expression au fur et à mesure qu'il parlait, et il n'y discerna nulle fureur, juste une totale incrédulité. Lorsque le barde eut terminé, l'ancien combattant demeura silencieux quelques secondes, puis se détourna.
" J'espère que vous avez tort, Belenn, et j'espère que vous allez découvrir que vous vous êtes trompé. Mais vos craintes me semblent légitimes et je ne vois pas en quoi votre escapade pourrait nuire à quiconque."
Il pinça les lèvres.
" Je vous couvrirai. Mais pas indéfiniment. Et si vous découvrez quelque chose de sinistre, je veux croire que vous ne nous abandonnerez pas dans l'ignorance."
Un soupir anima ses épaules comme il regardait à nouveau le barde.
" Je n'ai jamais réfléchi aux aspects que vous m'avez exposés. Comme quoi... On voit souvent ce qu'on veut voir. Je me suis toujours demandé..."
Il s'interrompit une seconde, comme s'il cherchait ses mots, ou sa contenance.
" Je me suis toujours demandé pourquoi ils ne nous avaient pas rendu le corps de Loméliel... Peut-être pourrez-vous m'apporter la réponse à cette question..."

L'elfe revit en esprit la petite chambre dans laquelle il n'était pas encore parvenu à se sentir à l'aise, et une expression peinée se dessina sur son visage déjà anxieux..
-Puis-je... Puis-je vous demander quand ce drame est intervenu et... ce qui s'est passé ? s'enquit-il avec une gêne manifeste. Je vous prie de croire qu'il n'y a là nulle curiosité mal placée. Simplement... Savoir me permettrait d'orienter mes recherches et, peut-être, de vous apporter une réponse.

" Un accident, dit simplement Jaeld. Ou un hasard. Nous l'avions mis à la sieste, comme toujours dans l'après-midi. Il n'avait même pas un an, c'était un petit bonhomme plein de vie. Comme ils sont tous, je suppose, à cet âge-là..."
Il pinça les lèvres, demeura silencieux un instant, et son regard se perdit dans la ramure nimbée de soleil des arbres autour d'eux.
" Quand Elbereth est retournée le chercher, il était mort, simplement."
Il haussa les épaules avec un sourire difficile.
" Trent nous a expliqué que ces choses arrivaient, qu'il n'y avait parfois pas d'explication. Mais comme il voulait être certain, il a emmené le corps. Ensuite... ensuite il nous a dit qu'on avait trouvé une source très virulente de Feuille Pourrie dans le foie..."
Sa voix se cassa et il secoua la tête, portant une main à son visage.
" Excusez-moi."

-Je suis désolé; dit simplement le barde.
Il songea à poursuivre par quelques mots de réconfort, à dire qu'il avait un garçon et n'osait pas même imaginer ce qu'il ressentirait si un tel drame devait survenir. Il pensa également évoquer sa compagne enceinte et le danger qui planait sur celle-ci comme sur l'enfant qu'elle portait. Mais il préféra s'abstenir, car tout cela, au fond, n'apaiserait en rien Jaeld. En revanche...
-Je vous promets que j'essayerai d'en apprendre d'avantage, ajouta-t-il, solennel.
Peut-être ce malheur en recelait-il aucun mystère, hormis la disparition du corps. Quoi qu'il en soit, il tenterait bel et bien d'éclaircir la chose. C'était le moins qu'il puisse faire pour l'homme qui allait lui rendre un si important service.

Jaeld opina du chef sans répondre à voix haute et poussa un profond soupir, avant de reprendre sa hache.
" Je ne répéterai pas un mot de ce vous m'avez dit. Et si votre absence se prolonge, j'expliquerai aux autres que vous avez besoin de vous ressourcer seul dans la forêt, comme le font nos ancêtres sur Féérune."
Il posa une nouvelle bûche sur son billot et la fendit d'un geste.
" Mais Trent n'est pas le genre d'hommes qui se contentera de ces explications. Il s'inquiétera. Ou fera mine de s'inquiéter. Il exigera de vous voir."
Il reprit une bûche.
" Efforcez-vous de rentrer avant sa prochaine visite ou, quoi que je dise, il se mettra à votre recherche."

-Mon prochain examen doit avoir lieu dans deux jours, mais j'essaierai d'être revenu bien avant ce délai, pour éviter que vous ne vous attiriez, par ma faute, de graves ennuis. Je ne voudrais pas qu'une telle chose arrive, surtout si, comme je l'espère, je m'inquiète pour rien. D'ailleurs... Si votre situation commençait à devenir précaire, ne prenez aucun risque, dites que vous me croyiez réellement présent, que je vous ai trompé...
Il recula d'un pas. L'heure du départ avait sonné.
-Quoi qu'il en soit, je vous suis profondément redevable de l'aide que vous m'accordez, Jaeld. Je ferai tout mon possible pour que vous n'ayez pas à le regretter.

Jaeld se contenta d'acquiescer et Taliesin put rebrousser chemin vers le village et, du moins l'espérait-il, Trent. Ce dernier était effectivement encore présent, le barde entendit sa voix provenant de la cabane dans laquelle lui-même logeait. Il était manifestement en train de prendre congé d'Elbereth.
" Mais rappelez-vous... Cette pharmacopée ne doit servir que pour des affections légères. Je sais que la sagesse ancestrale elfique renferme bien des savoirs, mais les organismes qui ont été touchés par la Feuille Pourrie ne réagissent plus comme autrefois. Si vous décelez quoi que ce soit d'un peu inquiétant, vous devez absolument vous en référer à moi avant d'user de ces potions, disait-il. Mon collègue en charge des elfes sauvages en a perdu huit le mois passé parce qu'ils ont pensé pouvoir gérer une épidémie de croupeteuse seuls. Ne faites pas cette erreur. Piqûres d'insectes, foulures, légers refroidissements, d'accord. Au delà, vous passez par moi.
— Bien sûr, répondit Elbereth, conciliante.
— Bonne fin de journée à vous, Elbereth."

Taliesin ne perdit pas un instant. Quittant le village de manière à ne pas être vu de l'assistant, il s'enfonça dans la forêt et, par un chemin détourné, se rapprocha des portes de l'enclave. Parvenu non loin de celles-ci, estimant que Trent ne tarderait plus à apparaître, il se dissimula pour incanter.

Taliesin --> Invisibilité

A présent, restait la partie la plus ardue du plan : franchir l'enceinte en même temps que le demi-elfe et ce, sans le frôler, sans faire de bruit. S'il y parvenait, il lui "suffirait" alors de le suivre à quelques pas de distance pour passer la grille du deuxième mur sur ses talons Parvenu au-delà de la troisième enceinte, dont l'accès serait normalement ouverte en permanence, il pourrait se cacher parmi les arbres qui entouraient les bâtiments situés au centre du refuge. Là, il aviserait.

L'assistant ne tarda pas à survenir. Il portait son sac sur l'épaule et marchait avec la décontraction de celui qui se sait chez lui. Arrivé devant les portes, il esquissa un geste particulier, masqué par son dos, que Taliesin ne parvint pas à observer convenablement. Ensuite, il poussa le battant de gauche et s'engagea sur le pont-levis baissé. A mi-parcours, il fit signe à quelqu'un dans une des tours qui le surplombaient, et les portes s'ouvrirent pour le laisser passer. A peine eut-il quitté la passerelle que celle-ci commença à se relever. Trent s'arrêta alors auprès d'un autre demi-elfe, en armure celui-là, et armé d'une épée longue, qui se trouvait au pied du rempart.
" Rien à signaler ?
— Si. C'est peut-être mon imagination, mais je me méfie du nouveau venu, Belenn. Maître Maebryn avait suspecté un profil particulier et je pense qu'effectivement, il faut garder l'oeil ouvert. Si vous notez quoi que ce soit d'étrange, mais en particulier des manifestations d'ordre magique... Je ne sais pas, des sons ou des lumières, un arbre qui s'embrase, des animaux au comportement bizarre... Ne rentrez pas et avertissez l'escouade."
Il leva les yeux vers le portail, traversant du regard Taliesin de part en part sans le réaliser.
" J'aurais peut-être dû le sortir tout de suite. Je vais en parler au chef. Mais donc...
— Vigilance. Bien sûr."
Trent sourit, adressa un signe au garde, puis repartit à travers l'espace nu qui séparait la seconde de la troisième enceinte.

Trent hâtait le pas mais la forêt était touffue et Taliesin pouvait le suivre sans trop de risques, d'autant que le sous-bois résonnait du bruit protecteur de la vie. Le demi-elfe s'immobilisa devant une nouvelle enceinte et échangea quelques mots inaudibles avec l'homme de faction, ce qui força le barde à s'approcher un peu plus, pour pouvoir suivre la conversation. Mais Trent parut ensuite attendre quelques minutes, sans plus rien faire sinon lorgner les arbres autour de lui, d'un air absent, comme tourné à l'intérieur. La porte finit par s'ouvrir sur un autre homme, portant le même uniforme. C'était également un demi-elfe, jeune et blond, le sourire facile, qui s'élargit en apercevant Trent.
" Trent, mon vieux... Quelles nouvelles ? Il parait que tu veux me voir ?
— Oui, Furvan, c'est à propos de l'elfe des bois qu'on a récupéré l'autre jour. Celui avec l'épaule en miettes.
— Je vois bien. Tu as le temps de marcher avec moi ? Je dois aller à la Maison de Vie, déposer tout ce bazar.
— C'est là que je vais aussi.
— Parfait."
Ils se remirent en route, rebroussant chemin.
" Qu'est-ce que tu veux savoir ?
— Il est toujours vivant ?
— Oui. Pour trois jours encore. Plus si Maebryn le décide.
— Est-ce qu'il a dit quelque chose sur son compagnon, Belenn ?
— Je dois avouer qu'il ne dit pas grand chose, Trent.
— Il faudrait qu'il parle. J'ai besoin de savoir à quoi m'en tenir.
— C'est un dur à cuire. Et je ne pense pas qu'il va nous faire de fleurs, si tu vois ce que je veux dire..."
Ils étaient revenus à la fourche et s'engagèrent dans le sentier qui menait à l'hospice, forçant Taliesin à traverser le chemin. Son invisibilité céda quelques secondes après qu'il se fut mis à couvert.
" Et en échange d'une mort rapide ?"
Le dénommé Furvan s'immobilisa.
" Maebryn ne sera jamais d'accord. Jamais. Tu sais comme il est quand il est furieux."

Les deux hommes avaient repris leur route.
" Est-ce que tu veux passer le voir quand on s'est déchargés ? demanda Furvan.
— Ah... Hum. Je ne sais pas. Ils sont combien à l'extraction, en ce moment ?"
Le blond partit d'un grand rire.
" Trent, petite nature, va ! Ils sont neuf, en plus de lui. Enfin, il doit en rester six vivants, j'imagine. Quatre lunaires, deux sauvages, et trois de chez moi.
— Je passerai peut-être en soirée.
— Trent, je ne comprends pas comment Maebryn ne t'a pas encore mis chez les Lunaires pendant un mois ou deux. Tu devrais t'endurcir. D'autant que si je ne m'abuse, trois solaires y viennent cette veille.
— Je ne resterai pas.
— Tu es impayable. Viens voir ce type. Je te jure qu'on s'habitue vite."
Ils étaient arrivés au dispensaire et ils entrèrent à l'intérieur.

Trent et Furvan ressortirent une dizaine de minutes plus tard. Ils s'étaient changés l'un et l'autre et portaient désormais des tabliers gris sombre. Le blond paraissait d'excellente humeur, tandis que son acolyte était clairement tendu.
" Allons, lui disait Furvan. C'est bien, tu verras, tu seras content après coup."
Trent soupira.
" Comment ça se passe avec les Ilmates ?
— Pfff, ça se passe comme avec des Ilmates. Je pense franchement qu'on aurait mieux fait d'embaucher des Loviates, ça aurait été moins compliqué, mais je n'essaie pas de comprendre."
Ils ne repartirent pas sur le sentier mais entreprirent de contourner le bâtiment. Trent s'arrêta après une centaine de pas, alors qu'ils étaient encore le long de la façade.
" Je pense que je vais renoncer. Tu ne peux pas l'interroger pour moi ?
— Non. Je n'en obtiendrai plus rien. Enfin, façon de parler."
Ils rirent et Furvan posa une main sur l'épaule de Trent.
" Il ne te connait pas. Tu peux toujours lui faire miroiter quelque chose... Peut-être par rapport à son ami, justement.
— Est-ce qu'il est naïf à ce point-là ?
— Quand on est dans sa situation, la naïveté est parfois la seule source de soulagement."
Ils quittèrent l'ombre de la Maison de Vie et s'engagèrent sur un nouveau chemin. La forêt était moins indisciplinée dans cette partie du domaine, les haies semblaient taillées, les fleurs plantées, et les deux hommes arrivèrent bientôt en vue d'une nouvelle palissade, plus basse mais non moins gardée. La porte était très étroite et la franchir serait nettement plus complexe pour le barde.

Après une infime hésitation, Taliesin se cacha derrière une haie pour se lancer son sortilège.

Taliesin --> Invisibilité

Une fois l'incantation terminée, il s'efforça de rattraper les deux assistants, à pas pressés quoi que prudents. Il allait s'efforcer de franchir la porte juste derrière eux mais, si cela s'avérait trop risqué, il opterait pour une autre approche, à savoir une petite séance d'escalade. Heureusement que la palissade n'était pas particulièrement haute...
Peut-être commettait-il une grave erreur en pénétrant d'emblée ici. Peut-être serait-il incapable de poursuivre son enquête... voire de ressortir. Néanmoins, il ne pouvait imaginer laisser Kerun entre les mains de ces monstres. Ou, du moins, entre celles des Ilmates qui accomplissaient, pour leur compte, d'ignobles besognes...