[Bâtiment] Le Comptoir des Transparences

[Galathée]

" Bon, je vais couvrir cette rencontre d'une zone de vérité..." fit Sedanius en levant les mains.
La porte qui donnait sur la cuisine s'ouvrit.
" Ça ne sert à rien, fit le nouveau venu. Il est tout à fait capable de mentir même sous ce sortilège."
C'était un elfe de la lune encore très jeune, habillé de cuir sombre, cheveux noirs mi-longs et sourire un brin ironique. Son regard alla droit sur Kerun et celui-ci parut stupéfait. Le sourire du jeune homme s'élargit encore tandis qu'il prenait un siège.
" Arion... lâcha le Luménien. Espèce de bâtard... C'est toi qui les as vendus, évidemment...
— Ils n'étaient pas très discrets, Kerun. Pas discrets du tout, fit le Lunaire avec une grimace théâtrale.
— Ça suffit, qu'est-ce que c'est que cette histoire de résistance à ce sortilège ? demanda Sedanius.
— C'est comme ça qu'ils recrutent et qu'on progresse dans leur hiérarchie. Mieux on ment, mieux on s'en tire. Kerun est très bon."
Les yeux d'Ybarra s'étaient réduits à l'état de fentes. Aliosha et Lena échangèrent un regard mais ne dirent rien.
" Je peux diminuer sa résistance, proposa Meloenn, d'une voix douce et musicale, étrangement apaisante dans le contexte.
— Je ne mentirai pas." dit Kerun, s'attirant un gloussement d'Arion et un regard noir d'Ybarra.

[Taliesin]

Et bien, ça commençait fort : s'il ne se trompait pas, Arion était un tourne-casaque, un ancien agent des services secrets ayant trahi ses supérieurs et vendu ses collègues. Avec un tel individu à la table des négociations, celles-ci semblaient bien mal engagées.
-Si nous sommes réunis ici, ce n'est pas pour régler des comptes, mais pour essayer de trouver une solution équitable pour tous, profitable à tous, ce qui implique que chacun soit honnête quant à ses actes passés, mais aussi quant à ses intentions présentes, intervint-ils d'un ton très calme. Je soutiens donc la proposition de Sedanius de créer une zone de vérité. Je soutiens également la proposition de Lena d'affaiblir de possibles résistances à ce sortilèges, à condition qu'elle le fasse pour toutes les parties présentes.

[Galathée]

Kerun se tourna vers Taliesin avec une grimace.
" Cela ne marchera pas, dit-il. Je suis protégé contre ce sortilège, il ne pourra jamais m'affecter."
Il se retourna vers la table.
" Je ne peux que vous donner ma parole que je ne mentirai pas.
— C'est ridicule, fit Arion en croisant les bras.
— Nous devrons nous en contenter, trancha Sedanius.
— Qu'attendez-vous de moi, au juste ? fit alors le Luménien.
— Que tu reconnaisses tes torts."
Il se tourna vers Ybarra et soupira.
" Je suis désolé pour ce qu'il s'est produit durant la dictature. Sincèrement désolé. Je sais que nombre d'entre vous estiment que je me suis fait complice de ce qui se déroulait autour de moi, mais mes ordres étaient clairs, et s'ils ont mené à la perte... à la mort... de trop nombreux Luméniens...
— A l'esclavage !
— A l'esclavage, oui... Je pense avoir aussi pu sauver une partie de ces Luméniens...
— Tu aurais pu le tuer cent fois, Kerun. Il était juste à côté de toi, il te faisait confiance...
— J'aurais pu tuer le Juge, mais ça n'aurait servi à rien ! Ils étaient vingt à organiser ce trafic. Le juge avait peut-être l'air d'être le chef de file, mais s'il avait été tué, un autre aurait pris sa place dans l'instant, et ils auraient été autrement plus vigilants dans le recrutement de leurs associés... Nous aurions perdu notre source d'informations au coeur du trafic... Nous n'aurions pu arrêter aucun de leurs bateaux !"
Il secoua la tête et planta les yeux dans ceux de la demi-elfe, lesquels débordaient d'émotions violentes, honte, haine, chagrin.
" Je suis sincèrement désolé que l'amiral n'ait pu arraisonner celui qui t'emmenait ici, Ybarra, mais... nous avons fait ce que nous pouvions.
— C'est un mensonge ! Jamais tu ne t'es soucié de ce qu'il arrivait à toute cette viande humaine que tu voyais défiler devant toi !
— Non, c'est ça le mensonge."

[Taliesin]

Si conserver le silence ne se révéla pas difficile - il avait beaucoup à penser et peu à dire -, garder un visage impassible fut une autre paire de manches.
Ainsi, les services secrets avaient donc placé Kerun comme espion aux côtés du juge Kanter... Que se serait-il passé s'il l'avait tué avant que le Monstre ne s'en charge ? La réponse ne tarda guère : rien. Cela n'aurait absolument rien changé. Le Monstre se serait trouvé d'autres victimes, simplement, et l'ignoble massacre aurait quand même eu lieu. Mais Rhéa ? Peut-être aurait-elle eu la vie sauve...
Le barde réprima un soupir. Peut-être serait-elle vivante à l'heure actuelle, oui. Peut-être serait-elle morte malgré tout. Impossible à savoir. Néanmoins, il ne pouvait en vouloir à Kerun : il avait obéi aux ordres et, de fait, s'il avait agi autrement, les services secrets auraient perdu une précieuse source d'informations et ils seraient devenus incapables de sauver certains des Luméniens envoyés comme esclaves à Melandis...

[Galathée]

Personne n'avait remarqué le trouble de Taliesin. Kerun secoua la tête et tenta de croiser les bras, avant de renoncer, encombré par ses liens.
" Je suis restée esclave pendant six mois, Kerun... Six mois, tu n'as aucune idée de ce qui m'est arrivé pendant tout ce temps... Et tu m'as regardée monter sur ce bateau comme si de rien n'était, comme si c'était la chose la plus banale du monde. Ils en ont battu sous tes yeux. Ils ont séparé des couples, des parents de leurs enfants, ils ont violé des femmes, ils en ont tué même, souviens-toi de...
— De Marian, sans doute ? Je m'en souviens parfaitement, Ybarra. Je me souviens de chacune des trois cent dix-neuf personnes que j'ai vues passer pendant mes deux mois auprès du juge. Je me souviens de toi, comme je me souviens de Rickard, d'Allen, de Liethen, d'Anastasie, de Catriona, de Dunn, de Miles, de Bowden, des jumeaux Casper et Caroline, je me souviens d'Ysaline et de Foulques, de Stéphane et de Gillian, d'Etain, de Pauline, d'Avolis, de Sitara, de Glorien... Que veux-tu, que je te les cite tous ? Que je te dise qui est mort, qui est vivant, qui est encore à Melandis, qui a retrouvé la liberté sur Hélonna ?"
Elle s'était rassise dans le fond de son siège, le visage tordu par une grimace qui reflétait à la fois mépris et stupéfaction.
" Alors pourquoi ne fais-tu rien ? cracha-t-elle.
— Qu'est-ce que tu crois que je fais ici ? demanda-t-il alors, avec virulence. Que je suis venu chaperonner Taliesin ?! Est-ce qu'il y a vraiment quelqu'un qui croit que je n'ai que ce genre de choses à faire ?!"

[Taliesin]

Tandis que Kerun égrenait les noms, Taliesin, blême, attendait le moment où il prononcerait celui de Rhéa. Mais cela ne se produisit pas, et pour cause : la jeune fille n'avait pas été envoyée à Luménis, Kanter l'avait mise à mort chez lui...
Pour échapper à ces pensées aussi éprouvantes que déstabilisantes, le barde essaya de se concentrer à nouveau sur le débat. L'agent secret menait bien sa barque, il fallait le reconnaître. Quoique l'expression ne convint guère. Il ne manœuvrait pas, il était simplement sincère, ce qui conférait toute son efficacité à son discours. En l'entendant parler, comment pouvait-on douter de sa bonne foi ? Comment pouvait-on ne pas lui laisser une chance de sauver ces malheureux dont le souvenir le hantait, à chaque instant ?
Enfin, restait à voir comment réagirait Arion. Ybarra était sincère, elle aussi, ayant été une victime directe de la dictature. Mais qu'en était-il de l'elfe de la lune ? Qu'est-ce qui justifiait sa morgue, sa haine ? Là encore, impossible de savoir : il en connaissait trop peu à son sujet.
Il ne pouvait qu'attendre de voir comment les choses allaient tourner. Et se tenir prêt à intervenir, au besoin.

[Galathée]

" Je ne comprends pas, intervint alors Sedanius. Es-tu venu jusqu'à Melandis pour aller libérer tous ces Luméniens que Kanter a réduits en esclavage ?
— Non, fit Kerun en secouant la tête. Non, je ne le peux pas. Je dois rentrer à Luménis en même temps que Taliesin, je n'ai pas de mission officielle les concernant, mais..."
Il poussa une bref soupir.
" Je pensais pouvoir me servir du temps ici pour vous..."
Il hésitait sur les mots.
" Museler ? proposa Arion.
— Tais-toi, lui dit Lena.
— Former, peut-être. Pour vous donner des informations. Pour vous suggérer des pistes. Pour vous aider, un temps."
A nouveau, l'elfe des bois et l'elfe de la lune se défiaient du regard.
" Nous n'avons pas besoin de toi, intervint Arion.
— Si, vous avez besoin de moi. Vous aviez besoin d'Elliot et de Calliope, aussi, mais vous les avez stupidement..."
Il s'arrêta au milieu de sa phrase.
« Que leur est-il arrivé, j’ai besoin de le savoir. »
Des regards s’échangèrent. Arion sourit d’un air mauvais.
« On les a vendus, ces petites merdes. »
L’expression de Kerun refléta alors la plus totale stupeur. Il resta comme paralysé pendant plusieurs secondes, tandis que des grimaces bourgeonnaient sur les visages.
« Oh Lathandre, où suis-je… » souffla le Luménien.
Contre toute attente, là où une explosion de fureur aurait fait bonne figure, des larmes emplirent les yeux de l’agent secret et il nicha le visage dans ses mains. Ses épaules se soulevèrent lentement, au rythme d’une contenance qu’il tentait de préserver.
« Nous savons où ils sont, Kerun, dit alors Lena. Nous pouvons aller les chercher.
— Mais il faudrait faire vite, parce qu’Elliot ne va pas bien, ajouta Perceval.
— Qu’est-ce que vous racontez ? » lâcha alors Ybarra, scandalisée.
Perceval et Lena s’entreregardèrent, mais c’est Aliosha qui prit la parole.
« Eliott et Calliope étaient nos amis. Nous nous sommes… souciés de leur bien-être, malgré leur trahison… Nous…
— Le groupe avait pris une décision, intervint Sedanius. C’était votre décision. »
Perceval secoua la tête, Aliosha soupira, Lena prit le relais.
« Non. C’était la décision d’Ybarra, et la tienne. Et celle d’Arion, évidemment. Nous avons dit que nous étions contre. Vous ne nous avez pas écoutés, vous nous avez assommés de discours revanchards, vous avez usé de chantage affectif et de menaces. Mais nous étions contre. Nous sommes toujours contre. »

[Taliesin]

-Pardonnez-moi... intervint-il, passant outre ses hésitations. Je rechigne à intervenir dans le débat, étant étranger à votre organisation. Néanmoins, puisque je bénéficie de son aide, je crois pouvoir m'exprimer au nom de tous ceux qui, comme moi, espèrent revoir un jour les proches brutalement arrachés à leur affection.
Il ferma les yeux un instant, choisit soigneusement ses mots puis se lança :
-Nous avons besoin de vous, comme ont besoin de vous tous les Luméniens asservis en cette horrible cité. Car qui viendra à notre secours, si la Réunion disparait ? Or, pour qu'elle subsiste, il faut que vous puissiez continuer à travailler tous ensemble... et que les services secrets ne mettent pars un terme à vos activités. En toute sincérité, je crois que le seul moyen pour y parvenir est de sauver Elliot et Calliope. Vous le voyez bien, cette affaire a semé les germes de la discorde dans vos rangs et si rien n'est fait pour y remédier, les choses iront de mal en pis. Par ailleurs, même si vous avez pris des précautions, même si Kerun ne revenait jamais à Luménis, même si je n'y rentrais pas non plus, échappant ainsi à un sortilège de vérité contre lequel je ne suis pas protégé... Les autorités finiront pas apprendre ce qui s'est produit ici : elles en ont les moyens. Jusqu'à présent, elles ne vous ont pas prêté main forte, ce que je trouve lamentable ; toutefois, elles vous ont tolérés, quitte à vous espionner. En revanche, quand elles découvriront le sort réservé à leurs agents... Elles vous détruiront : elles savent où trouver vos membres, sur Hélonna ; elles savent où se situe cette cellule ; en un rien de temps, toute cette indispensable structure disparaitra, et il n'y aura plus personne pour aider les gens comme moi, pour aider les victimes comme ma compagne...
Il chercha le regard de Sedanius, d'Ybarra, d'Arion. Puis il reprit, sans leur laisser le temps de répondre :
-Voilà ce qui risque de se produire. Voilà ce qui se produira si rien n'est fait pour l'empêcher. Mais vous pouvez encore éviter cette catastrophe et je vous supplie d'agir ainsi, au nom de tous les malheureux qu'il reste encore à secourir. Libérez Elliot et Calliope tant qu'il en est encore temps et laissez à Kerun une chance d'expier en vous apportant son concours. Ainsi, vous préserverez l'unité de votre groupe, vous ôterez tout prétexte aux services secrets de détruire la Réunion... Et vous pourrez continuer à accomplir la mission si cruciale que vous vous êtes confiée.

[Galathée]

Sedanius hocha lentement la tête, les lèvres pincées. Ybarra semblait en proie à des émotions tellement extrêmes qu'elle paraissait incapable de prendre la moindre décision. Seul Arion demeura dur, le regard empli d'une fureur que l'on sentait imperméable à tout argument.
" C'était des traîtres, commença-t-il.
— Non. Ils n'ont jamais trahi. Ils ont travaillé pour vous sans relâche, chaque jour qu'ils ont passé entre ces murs. Oui, ils m'envoyaient des rapports de vos activités, mais n'avez-vous jamais compris que c'était mon seul moyen de vous adjoindre du renfort ?"
Kerun n'avait pas bougé, la tête toujours soutenue par ses mains, le regard sur le bois de la table.
" Qui a tué les gardes le jour où Perceval s'est fait repérer dans la Bibliothèque ? Qui a secouru Aliosha quand elle a été prise par les adeptes de Beshaba ? Qui a effacé la piste quand Gail s'est fait tuer ? Qui a retrouvé Agénor, Basile ou Mina ? Qui a appris à Meloenn à crocheter une serrure, à Aliosha à préparer du somnifère, à Abel à assommer sans tuer ?"
Il secoua la tête.
" On peut regretter que le gouvernement n'ait rien fait, jusqu'ici. Mais quelle est notre marge de manoeuvre, face aux Mélandiens ? Les attaquer de front ? Avec une armée ? Après la mort de tant de Luméniens ces dernières années, allons-nous aller perdre des centaines, des milliers de jeunes gens, contre les murs infranchissables de cette cité ? Ou bien les exfiltrer, comme vous le faites ? Nous avons perdu plus de trois mille agents dans les purges morféennes. Aujourd'hui, pour une ville de trois cent mille habitants, nous avons deux cent vingt-huit agents. Je peux vous en donner deux, pas plus, il y a trop de difficultés à Luménis, trop d'anciens morféens à surveiller, de bandes organisées, de trafics, il y a encore des esclavagistes en activité, bon sang... Mais si vous vendez mes agents aux Mélandiens, alors je ne peux rien pour vous.
— Nous allons aller les chercher." répéta Lena en se levant.
Elle scruta cependant Ybarra du regard. Celle-ci parut surprise qu'on vienne chercher un assentiment chez elle. Mais elle finit par hocher la tête et la drow sourit.

[Taliesin]

Malgré son soulagement, le barde demeura des plus vigilants. D'abord, aucune décision n'avait encore été officiellement prise concernant Kerun. Ensuite, et bien que la situation évolue fort positivement, il doutait qu'Arion rende si facilement les armes. Celui-ci brûlait d'une telle colère - dont la cause demeurait pour l'heure mystérieuse - qu'il se fendrait sans doute, dans quelques instants, d'une violente tirade. Ce serait tant mieux, d'ailleurs : Ybarra, malgré son trouble, ne pourrait manquer de voir que ce n'était plus la raison qui guidait l'elfe de lune. Et s'il n'en faisait rien, s'il gardait le silence... Alors il faudrait garder un œil sur lui. En permanence.

[Galathée]

Mais Arion ne dit rien, se contentant de darder un regard furieux sur Kerun, puis sur Sedanius, enfin sur Lena, qui le lui retourna sans flancher. Perceval s'était levé à son tour et Aliosha l'imita.
" Je ne suis pas certain qu'il soit sage de courir tous les trois à leur secours, intervint alors le clerc. Sans doute faut-il prévoir de les exfiltrer comme n'importe quel autre esclave..."
Lena acquiesça. Kerun demeurait silencieux, prostré sur la table. Ybarra le regardait, les yeux noyés. Elle finit par pincer les lèvres et secouer la tête, puis soupira.
" Détachez-le. Il peut s'installer avec Taliesin et Guéric." dit-elle finalement.
L'elfe des bois croisa son regard.
" Je ne vous décevrai pas.
— Je sais."
Perceval se pencha et entreprit de déverrouiller les fers du Luménien.

[Taliesin]

Le barde aurait bien souri. Car il avait envie de sourire : non seulement Ybarra s'était ralliée à leur avis mais, de surcroit, son autorité de chef était intacte, ce qui était pour le mieux - un coup d’État au sein de l'organisation n'aurait fait qu'empirer les choses. Cependant, restait Arion, dont la colère - ou plutôt la haine - n'avait en rien été atténuée par leurs arguments. Pouvait-il vraiment accepter la nouvelle donne ? Allait-il faire semblant pour mieux se venger au moment opportun ? Le barde n'en savait rien et cette incertitude lui pesait beaucoup... Il garda donc le silence et, sans trop en avoir l'air, continua à surveiller l'elfe du coin de l’œil.

[Galathée]

Kerun parut presque surpris d'être soudain libre. Il demeura assis, presque sonné, et ne réagit que lorsqu'Aliosha tira la chaise voisine, que Lena avait abandonnée, pour s'installer près de lui et lui parler à mi-voix. Il hocha la tête, marqué par l'épuisement. Lena surveillait aussi Arion et ce dernier quitta finalement la pièce, de mauvaise humeur. La jeune drow le suivit aussitôt. Perceval emporta les chaînes dans le hangar, Ombeline pointa une tête surprise, vaguement inquiète, dans la pièce, Sedanius se pencha sur Ybarra et au moment où Taliesin imaginait peut-être faire quelque chose de lui-même, une accorte demoiselle vint s'asseoir sur la table, juste à côté de lui.
" Ainsi c'est toi, Taliesin ? fit-elle de sa voix mélodieuse. On m'avait dit que tu étais séduisant, mais on m'avait menti. Tu es beaucoup plus que ça. Moi c'est Meloenn, je suis barde, comme toi, on doit sûrement avoir des tas de choses en commun, on pourrait parler, tu as des projets pour l'heure qui vient ? Maintenant que le petit drame s'est joué, il va falloir organiser le petit déjeuner, plus planifier, planifier, planifier encore, et avec le Luménien dans le circuit, je parie que les consignes vont être encore plus nombreuses et encore plus assommantes, alors que toi et moi savons qu'il faut parfois jouer avec Beshaba, ou Tymora, prendre des risques, tenter, séduire, non ? Bref, ils nous donneront nos consignes et je ne suis pas certaine que tu pourras sortir de toute façon, donc je t'invite dans ma chambre, je te montrerai mes instruments et puis on pourrait s'improviser une petite session. Musicale, bien sûr."
Son regard pénétrant disait exactement le contraire.
" Certaines de tes performances en notre noire cité sont encore célèbres. Il y a un ou deux morceaux en particulier que j'aurais aimé que tu m'aides à maîtriser. Des accords un peu compliqués. J'étais danseuse au départ, je me suis recyclée sur le tard. Mais je m'en sors pas trop mal, mon agenda est plein pour les six prochains mois."
Elle haussa les épaules.
" Il parait que tu n'es pas célibataire. Quelle perte. Nous aurions eu de beaux bébés pourtant."
Elle posa une main fine sur son épaule.
" Alors, tu en dis quoi ?"

[Taliesin]

Un ou deux ans plus tôt, Taliesin aurait loué les dieux et se serait empressé de la suivre dans sa chambre, pour n'en pas ressortir avant des heures, sinon avant le coucher du soleil. Mais les temps avaient changé et, s'il n'avait aucune intention de tromper Galathée, il n'était point assez fou pour se croire infaillible : puisqu'il n'avait plu étreint une femme depuis une éternité, puisque celle-ci était belle à en donner le vertige, mieux valait être extrêmement prudent...
-Enchanté de faire votre connaissance, Meloenn. lui répondit-il, souriant. Je serais ravi de vous écouter jouer et de vous donner quelques conseils, même si je suis certain que vous n'en avez nul besoin. Cependant, pourquoi ne pas faire cela ici ? La musique adoucit les mœurs et nous avons tous bien besoin d'être apaisés. De surcroît, pendant que vous iriez chercher vos instruments, je pourrais aller informer Constance et Guéric de la conclusion de nos pourparlers. Ils doivent être anxieux et seront heureux d'apprendre ces bonnes nouvelles.

[Galathée]

Elle se pencha vers lui, plongeant ses yeux bleu sombre dans son regard clair, et un sourire désolé étira ses lèvres rouges, légèrement humides.
" Ah, tu vois, le problème c'est que je suis au dernier étage et... si je dois porter mon luth et ma harpe et ma viole et mes flûtes... Je ne vais pas m'en tirer... Je pourrais demander à Perceval, mais c'est un balourd, il va encore me les cogner... Tandis que toi... Tu sais comme un instrument est fragile... Tu connais le soin nécessaire et... je parie qu'avec tout ce qui t'est arrivé récemment, tu n'as plus touché à une harpe depuis longtemps... Caresser ses courbes, frôler ses cordes... J'en ai une de toute beauté, elfique, qui a été fabriquée à Eternelle Rencontre... Je suis certaine que tu n'en as jamais vue d'aussi extraordinaire... et le son qu'on peut en tirer... absolument divin."
Elle sourit.
" Ça ne prendra pas très longtemps... Personne ne s'en rendra compte... Nous serons de retour à temps pour... la suite des opérations."

[Taliesin]

L'elfe déglutit péniblement. Guéric n'avait pas menti au sujet de Meloenn... Il était même resté en dessous de la vérité concernant sa ténacité... et sa beauté. Bref, Taliesin savait que, pour son salut, il ne devait jamais se retrouver seul dans une pièce avec la jeune femme. Et il devait espérer, aussi, que quelqu'un vienne à son secours avant qu'il ne soit trop tard...
-Cela prendrait forcément du temps... Je me connais : je suis incapable de résister à de beaux instruments, je passerais forcément des heures à les admirer et surtout à en jouer... Du coup, les autres s'en rendraient compte et comme aucun d'entre ne croira que nous nous sommes contentés.... et bien... d'activités liées notre métier, ils ne manqueront pas de me taquiner. Et il me taquineront encore lorsque nous aurons retrouvé ma compagne et... Et elle ne sera pas contente...

[Galathée]

Meloenn se pencha encore un peu plus, et sa bouche se glissa tout contre l'oreille du barde, révélant au passage, un superbe décolleté juste sous son nez.
" Voyons... Elle sera éperdue d'admiration et de reconnaissance lorsque tu la délivreras. Elle te pardonnera tout. Elle te pardonnera même de t'être laissé tenter..."
Elle passa la langue sur ses lèvres, frôlant au passage l'oreille de Taliesin.
" Si tu lui dis que tu n'as pas craqué, elle ne te croira pas, de toute façon... Alors pourquoi ne pas le faire ? Ça ne changera rien, au final."

[Taliesin]

Le barde avait légèrement tressailli à ce contact, et certain phénomène, certaine réaction indépendante de sa volonté lui fit prendre conscience - si besoin en était - qu'il courrait un très, très grave danger. Mais qu'y avait-il là de si étonnant ? Meloenn était divinement belle, lui-même se voyait contraint à l'abstinence depuis de longs mois... S'il avait su que pareille situation se présenterait, il aurait peut-être cédé aux demandes de Trent, au Refuge, et rempli cette fameuse seconde fiole. Toutefois, il doutait que cela ait changé quoi que ce soit.
Bref, Taliesin endurait une véritable torture et, pour ne rien arranger, une petite voix intérieure lui soufflait que la jeune femme avait raison, que Galathée ne le croirait pas s'il prétendait avoir résisté, que cela ne changerait donc rien... Elle alla même, pernicieuse, jusqu'à lui remémorer l'aventure avec la fée hérisson, dans le Val aux Mille Campanules, tout en se gardant bien de rappeler que s'il avait agi ainsi, alors, c'était uniquement pour sauver Victor... Heureusement que lui-même s'en souvenait.
Que faire pour résister ? Attendre que quelqu'un vole à son secours ? Peine perdue, tout le monde semblait avoir disparu. La repousser doucement mais fermement ? C'était hors de question : s'il posait les mains sur elle, il serait bien incapable de les en retirer.
Ne restait que les mots. Malheureusement, face à une barde, cette arme était bien dérisoire...
-Mais... Je m'en voudrais beaucoup, moi, protesta-t-il d'un ton qui se voulait assuré sans vraiment y parvenir. Et puis, vous ne feriez pas réellement cela à un homme en couple, n'est-ce pas ? A un père de famille, de surcroit...
Sa défense manquait à se point de pertinence qu'il en était navré. Ou ravi. Ou les deux à la fois. Oui, ce devait être ça : les deux à la fois. Le plus troublant, cependant, c'est qu'il ne parvenait pas à déterminer quel sentiment était le plus fort...

[Galathée]

Meloenn rit doucement, un rire de gorge, qui se tut presque aussitôt. Elle se redressa lentement, lui caressant le nez de l'étoffe de son corsage, puis planta un regard langoureux dans le sien et se releva.
" Réfléchis-y. S'il faut tromper l'ennui, j'irai voir le Luménien, je suis certaine que je peux lui apprendre une chose ou l'autre... Mais j'aimerais autant me détendre avec toi. Ce serait... autrement plus stimulant."
Puis elle lui décocha un sourire aguicheur et s'éloigna. Quelques secondes plus tard, Guéric grimpait à son tour sur la table.
" Oh, beau blond, emmène-moi au septième ciel !" susurra-t-il d'une voix de fausset.
La salle s'était effectivement vidée. Hormis le barde et Guéric n'y demeurait plus personne.

[Taliesin]

Il avait failli la retenir. Il avait même ouvert la bouche pour la rappeler. Mais déjà, Guéric la remplaçait, et l'apparition du halfelin ne manqua pas de faire naître en lui une vive frustration.
Puis le charme fut brisé.
Un profond soupir lui échappa.
-Guéric ? lâcha-t-il d'un filet de voix. Guéric, si tu es mon ami, jure-moi que tu veillera à ne jamais me laisser seul avec Meowenn. Si ça devait arriver...
Il grimaça, secoua la tête.
-Je ne peux pas faire ça à Galathée. Je n'ai pas le droit. Le coup de la fée hérisson, je m'en veux énormément, mais je n'avais pas le choix, je ne pouvais pas laisser Victor sous sa forme d'âne, je...
Il s'interrompit, grimaça derechef : il parlait trop.
-Un verre, je dois me servir un verre. Il faut que je boive un truc. Fort, de préférence

[Galathée]

" Bouse, Taliesin, elle t'a sorti le grand jeu ! s'exclama le halfelin. Mais tu ne vas pas boire un truc corsé à l'aube, quand même ?! Hé ! Mon vieux, ça va ?"
Guéric lui passa la main devant les yeux.
" Misère, elle t'a ensorcelé et tu ne t'en es même pas rendu compte, incroyable ! Tu connais quand même ces trucs de barde, pourtant ? Enfin, j'imagine que ça ne veut pas dire que tu y es immunisé. Mais je suis très jaloux... J'aimerais aussi qu'elle me fascine, comme ça, avec ses grands yeux bleus et ses longs cheveux noirs... Il parait qu'elle sait faire des trucs incroyables avec ses ch... Bon d'accord, j'arrête."
Il fronça les sourcils.
" Mais c'est quoi cette histoire de fée hérisson ? Dis comme ça... Ça me fait mal rien que d'y penser. Il va falloir que tu éclaires ma lanterne, ou je vais faire des cauchemars sanglants."

[Taliesin]

L'elfe hésita. Mais il en avait déjà trop dit : il ne pouvait donc reculer.
-C'était dans les Rocheuses du Dragon, et plus précisément dans le Val aux Mille Campanules. Nous nous y étions rendu parce que ses habitants étaient les seuls à pouvoir rendre à Victor sa forme humaine, les seuls à pouvoir lever la malédiction que lui avait jetée la sorcière. Lesdits habitants étaient des fées, chacune possédant une apparence animale différente. Toutes m'ont donné une épreuve que j'ai dû accepter pour sauver le petit. Le hérisson m'a demandé de coucher avec lui mais, rassure-toi, il s'est au préalable transformé en jeune femme. Fort accorte, au demeurant. Le hibou voulait deux de mes souvenirs, l'un bon, l'autre mauvais. L'ours m'a laissé le choix entre couper moi-même un doigt ou un orteil du garçon ou... ou...
Il était devenu pâle comme la mort.
-...ou le laisser venir prendre lui-même un morceau du bébé, Un morceau de son choix. Et... Et j'ai choisi d'épargner Victor.
Il se rendit compte que ses mains tremblaient.
-Bons dieux, Guéric, sa vie va être un enfer... souffla-t-il. Enfant d'un criminel ignoble, réduit en esclavage avant même d'avoir vu le jour... et privé d'un bras, d'une jambe ou de je ne sais quoi par une fée ours qui débarquera on ne sait quand...
Il se leva brusquement.
-Je vais à la cave. Chercher de la gnôle. Et tant pis si le soleil est à peine levé. Entre mon entretien mouvementé avec Sedanius, cette réunion tendue, la rencontre avec Meloenn et ce souvenir que j'avais complètement oublié jusqu'ici... J'ai besoin d'un remontant.

[Galathée]

Guéric ne dit rien, comme conscient que le barde avait véritablement besoin d'un coup de pouce. Mais Ombeline l'empêcha d'aller plus loin. Tapie dans un coin, silencieuse, grise, presque invisible, ils ne s'étaient pas rendus compte qu'elle était toujours présente. Elle posa les mains sur sa poitrine, à plat.
" Laissez-moi vous soulager... murmura-t-elle. Vous n'avez pas besoin de boire."
Elle se mit à psalmodier, quelques secondes seulement, et le barde sentit ses émotions s'émousser, la raison reprendre pied dans son corps. Sedanius avait intercédé en faveur de Kerun, celui-ci était désormais libre, il n'y avait plus de nuages noirs dans le ciel, seulement l'espoir de retrouver les disparus, et l'elfe des bois pourrait les aider, et Galathée était vivante et elle l'attendait, et elle lui pardonnerait la fée hérisson car il n'avait accepté que pour sauver Victor et Victor était son fils, et elle l'aimait, elle les aimait tous les deux, et jamais elle n'aurait voulu qu'il agisse autrement, jamais. Et la fée ourse avait parlé de prendre quelque chose, mais elle n'avait pas précisé... Ce ne serait peut-être pas un membre, mais peut-être un souvenir, peut-être un baiser... Peut-être pas grand chose. A aucun moment il n'avait posé les mauvais choix. A aucun moment il n'avait trahi. Jusqu'ici, tout s'était déroulé au mieux. Il y avait eu une crise et il était parvenu à la régler. Il avait sauvé Kerun. Il avait sauvé la Réunion. Il avait repoussé Meloenn.
" Merci pour Kerun." ajouta l'Ilmate, avant de se retirer.

[Taliesin]

-Et bien, c'est efficace... murmura-t-il, le regard toujours rivé sur la porte par laquelle était sortie la prêtresse.
Il reporta ensuite son attention sur Guéric.
-Désolé : je ne suis pas encore remis des horreurs du Refuge, ma nuit a été affreuse et les premières heures de la matinée se sont révélées pour le moins éprouvantes. Mais ça en valait la peine : ils vont sauver les deux agents luméniens, Kerun pourra travailler avec nous... Évidemment, il y aura encore des tensions et Arion paraissait furieux. Mais sincèrement, qui aurait imaginé que ça tournerait si bien ?
Il sourit.
-Maintenant, les choses sérieuses vont pouvoir commencer.

[Galathée]

" Oui. J'imagine que quand tout le monde sera prêt, la réunion de travail pourra commencer..."
La porte s'ouvrit sur Aliosha et Abel qui vinrent charger la table de victuailles pour le petit déjeuner. Ils déposèrent du pain, des marmelades, des oeufs durs et du lait frais, puis invitèrent les deux comparses à attaquer sans attendre : certains ne mangeaient pas, d'autres avaient emporté un en-cas dans les étages, les suivants arriveraient tard, les derniers se sustenteraient en cours de réunion. La demi-elfe et le nain s'installèrent cependant à leurs côtés, Constance fit son apparition, la mine fatiguée de quelqu'un qui a peu dormi, Ombeline finit par pointer son nez et Aliosha l'invita à ses côtés. Ils étaient déjà bien occupés quand Lena revint.

[Taliesin]

Désormais d'excellente humeur et empli d'optimisme, le barde remercia chaleureusement l'Ilmate pour le soulagement qu'elle lui avait procuré et, de manière générale, il se montra amical avec tous les convives. Cependant, il fit un effort pour ne pas trop exulter : il ne voulait pas donner l'impression de parader après la victoire remportée un peu plus tôt, ce qui n'aurait sans doute pas été très indiqué. En revanche, il ne se priva pas de faire honneur au petit déjeuner : l'appétit lui était revenu en même temps que le moral, et il fallait admettre qu'on mangeait fort bien, au sein de la Réunion... Pour autant, il ne s'exempta pas du petit inconvénient que constituait la nécessité de prendre son fameux médicament.

[Galathée]

Arion revint en cours de repas, de meilleure humeur apparemment, suivi par Ybarra et Sedanius. La demi-elfe paraissait plus calme, le clerc plus détendu. La table commençait à être sérieusement encombrée, et chaque convive avait de moins en moins de place pour manger sans se prendre un coup de coude ou de cuillère. Aliosha refit du thé, les victuailles commencèrent à manquer, on partit chercher des chaises pour les dernières personnes manquantes, puis Lena se leva brusquement, comme alarmée, et partit dans l'escalier. Elle revint peu après avec Meloenn, qui semblait de méchante humeur, et la jeune drow glissa quelque chose à l'oreille d'Ybarra. La demi-elfe parut surprise mais sourit, puis toussa pour attirer l'attention de l'assemblée.
" Nous allons commencer, dit-elle.
— Il manque Kerun, intervint Perceval.
— Je pense qu'il était un peu fatigué, fit Lena avec un sourire. Il nous rejoindra sûrement plus tard."
Quelques regards s'échangèrent.
" Bon. Meloenn ?
— J'étais à une soirée chez les Gardepont hier soir, bon, c'est sûr que ce n'est pas la famille la plus en vue de Melandis, mais il y avait pas mal de monde, et j'ai discuté esclavage avec au moins six jeunes héritiers, mais je n'ai rien levé de très intéressant. Je peux éliminer plusieurs familles, dont les Gardepont. Leur villa est très fortifiée, ils auraient été de bons candidats, mais... ils ont une toute petite cohorte d'esclaves, jeunes et costauds, dont ils se débarrassent dès qu'ils deviennent un peu moins performants."

[Taliesin]

Toujours sous l'effet du sortilège d'Ombeline, Taliesin accueillit ces nouvelles avec philosophie. Avoir rayé plusieurs familles de la liste, c'était déjà une étape importante. De surcroît, Galathée serait bien moins difficile à retrouver ou à sauver que les autres disparus... Il devait juste se montrer patient : l'heureuse conclusion finirait par arriver, sans doute plus tôt qu'il ne le croyait. Et en attendant, il espérait bien pouvoir se rendre utile, sur ce dossier ou sur les autres. Il n'imaginait même pas rester les bras croisés à l'intérieur des locaux de la Réunion... Mais puisque toutes les bonnes volontés étaient nécessaires pour que l'organisation puisse accomplir sa mission, il était certain qu'on lui confierait une tâche et qu'on lui donnerait les moyens de la mener à bien, à commencer par une couverture digne de ce nom.

[Galathée]

Perceval avait déployé sa carte du Havre Bourgeois, à nouveau, et il en bloqua les coins avec les tasses qu'il récupéra devant ses voisins. Aliosha avait un parchemin.
" Bon, mais on élimine qui, alors ?
— Les Gardepont, les Vainevie, les Bossuaire, les...
— Tu es absolument certaine ? Moi je n'éliminerais que les Gardepont.
— La baraque des Bossuaire n'est pas un petit fortin.
— Bon, les Bossuaire aussi, alors, mais la villa des Vainevie pourrait passer pour un château.
— De loin dans la brume.
— Tu en penses quoi, Taliesin ?"

[Taliesin]

-Malheureusement, je ne pourrai guère vous être utile en ce domaine. Certes, durant la première partie de mon précédent séjour en cette ville, j'ai essayé de me faire une petite place parmi la bonne société. Mais j'ai passé le plus clair de mon temps entre la Mélandienne d'Argent et le Mélandinopole. Ma "carrière" a commencé à prendre un tour différent quand le seigneur Dilech m'a recruté pour animer un grand festival qui s'est déroulé sur la Place des Marchands. Suite à la représentation, j'ai rencontré du beau monde : le chancelier Mornagest, le comte Keldoth, dame Ielée... Cette dernière nous a tous invités à poursuivre la fête chez elle, et j'ai évidemment suivi le mouvement. C'était une occasion en or : pour la première fois, j'avais l'opportunité de franchir la barrière, de faire ma véritable entrée dans les hautes sphères... Mais cette soirée a été fort éprouvante, puisqu'elle a rapidement dégénéré en... partie fine, à grands renforts d'esclaves de lit. Confronté à la plus ignoble des décadences, j'ai compris que je ne pourrais pas me mêler à ces gens, que je n'arriverais pas à jouer la comédie... Mornagest non plus ne semblait guère à son aise : la luxure n'était visiblement pas son fort. Cela nous en quelque sorte rapprochés et je l'ai retrouvé le lendemain, à l'Antichambre du Conseil... Malheureusement, je ne sais plus ce qui s'est passé ensuite : peut-être a-t-il voulu me mettre à l'épreuve. Quoi qu'il en soit, j'ai décidé de prendre mes distances avec cet homme et d'opter pour une autre stratégie, à savoir... Me rapprocher des plus démunis.
Il jeta un regard à la carte.
-Voilà à quoi se résume mon expérience parmi l'"élite" mélandienne. La demeure de Dame Iélée est la seule que je connaisse. Et je ne pense pas que Galathée ait pu intéresser sa propriétaire.