La Couronne de Cuivre

" Un sortilège ? Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler..." murmura-t-il d'un air étonné.
Et il usa d'une méthode nettement plus artisanale, mais qui avait l'avantage de remonter à la nuit des temps. Et ils ne furent, Tymora veillait, heureusement pas surpris (à leur connaissance, du moins). Ils se retrouvèrent à nouveau alanguis sous le soleil généreux.
" Béni soit Lathandre et son printemps magnifique, murmura Reynald. Bénie soit Tymora de t'avoir fait croiser ma route. Bénie soit Sunie pour ce que je ressens en ce moment précis..."
Il se releva sur un coude.
" Bénie soit Eldath pour ce torrent glacé. Et béni soit Sylvanus pour le saumon, Astrée ! Le saumon ! Où est le saumon ?"
Il l'embrassa sur le nez.

Astrée rit.
- Le saumon... Tu me l'as fait louper juste au moment où j'allais l'avoir, espèce de... de barde à la noix. Mais je te laisse tenter ta chance à ton tour, si tu veux !
Elle tendit le cou pour l'embrasser. Elle ne se lassait pas de sa présence, de sa douceur, de ses caresses. Il allait trop lui manquer... Certes, ils se reverraient le mois prochain. Mais ensuite ? Non, elle ne voulait pas y songer maintenant.
Elle préféra se blottir contre lui, avide de chaleur et de tendresse. Avide surtout de ne penser à rien, même si cela devenait de plus en plus difficile à chaque heure qui les rapprochait de leur séparation. Le soleil brillait au-dessus de leur tête, l'endroit était magnifique et l'instant magique. Tout le reste pouvait attendre un peu.

" Astrée, quand j'étais novice, à Eredhun, j'avais quatre bons amis. Albérich, tu le connais. C'était un garçon beaucoup trop sage, toujours un peu renfrogné, avec un côté mystique parfois effrayant. Thibault était sunite. Il était encore plus insupportable que moi. J'étais plus bavard, mais il était plus flamboyant. Beau comme un dieu. A côté de lui, j'ai une mine de grenouille. J'espère que tu ne le rencontreras jamais, d'ailleurs. Euryale était notre chef, la gamine la plus délurée de l'univers, la plus futée d'entre nous. Artémise vénérait Lliira et je pense, honnêtement, que son activité principale était de rire. Dans tous mes souvenirs, elle rit. Mais bref, je voulais en venir à la pêche au saumon. Artémise, même en riant, aurait mis une bille de fronde dans l'oeil de ce saumon là..."
Il désigna un poisson qui frétillait à trente pas d'eux.
" Moi, même avec un marteau, je n'aurais pas pu écraser celui-ci."
Il en montra un juste devant lui.
" En fait, je me serais probablement écrabouillé le pied. Et les choses n'ont pas fondamentalement changé. Le peu d'adresse dont m'ont gratifié les dieux, je le mets dans la musique. Ne m'humilie pas aujourd'hui. Pêche-moi un saumon et je te promets que je serai immobile, silencieux, reconnaissant et terriblement admiratif."

Astrée lui prit la main.
- Cela ne te ressemble pas de te dénigrer ainsi, fit-elle avec douceur.
Même si elle devait bien admettre qu'il avait très certainement raison en ce qui concernait son adresse, d'après ce qu'elle en avait vu ces derniers temps. Elle un léger baiser sur sa joue et poursuivit, ingénument.
- Et je tiens à souligner qu'il n'y a pas que pour la musique que tu es extrêmement habile de tes doigts...
Elle le gratifia d'un clin d'oeil et se redressa, attrapant sa tunique qu'elle voulut enfiler, avant de réaliser qu'elle était encore mouillée. Elle grimaça. Fichu sortilège.
- Mais si tu veux vraiment un saumon, alors tu auras ton saumon, c'est promis !
Elle avait juste le choix entre pêcher nue ou pêcher avec des vêtements trempés et glacés. Elle n'aimait pas se trouver nue aussi près du village. Mais si elle grelottait, elle n'avait aucune chance d'attraper quoi que ce soit. Bon, personne ne les avait dérangés jusque-là, elle disposait peut-être encore de quelques minutes de tranquillité... Et puis elle était certaine que c'était ce qu'il espérait...
Elle trouva un autre rocher en peu en aval, plus près du bord au cas où elle doive se précipiter d'urgence vers ses vêtements, et s'accroupit en silence, à demi tournée vers Reynald, guettant les saumons.

" Les dieux m'en sont témoins, tu es cruelle..." murmura-t-il lorsqu'elle se fut accroupie, nue, sur le bord de l'eau.
Mais il parvint à rester silencieux et ne fit aucun mouvement vers elle, lui permettant de se concentrer sur sa pêche. En quelques minutes, elle avait attrapé deux superbes poissons, qui sursautèrent un moment dans l'herbe rase, leurs yeux globuleux reflétant la surprise horrifiée d'avoir quitté l'onde, avant qu'elle ne les assomme magnanimement. Reynald lui adressa un sourire ravi et se leva pour venir à sa rencontre.
Il y eut alors un mouvement dans les broussailles, puis une exclamation horrifiée.
" Maman m'envoie vous prévenir que le repas est prêt." fit la voix dégoûtée de Siméon, s'échappant du taillis.
Reynald prit instantanément une teinte pivoine qui le gagna des orteils au visage, en passant par tous les endroits plus intéressants de son anatomie.

Astrée rougit également, alarmée, un peu furieuse contre elle-même de ne s'être pas assez méfiée, et se précipita vers sa tunique... avant d'éclater de rire en voyant Reynald encore plus embarrassé qu'elle. Son trouble avait indubitablement un effet des plus comiques sur sa carnation. Quelle idée, aussi, de rester nus si près du village...
- On arrive ! lança-t-elle, bien inutilement sans doute.
Elle enfila ses vêtements encore humides en un instant, frissonnant sous le contact désagréable de l'étoffe glacée.
- Je me demande quelle explication tu vas trouver pour justifier d'arriver à moitié trempés chez ton amie Florence, fit-elle, taquine. Bon, j'imagine qu'on peut dire que je suis tombée à l'eau en pêchant les saumons, que tu as tenté de m'aider... Et ensuite Siméon comprendra qu'il fallait bien faire sécher les vêtements... Oui, ça se tient, comme explication.
Elle souriait largement, l'incident étant des plus comiques, et surtout tellement prévisible...
Puis elle se mit en quête d'une branche solide, assez longue et bien droite, en épointa l'extrémité et y piqua les deux saumons pour les transporter plus facilement.

" Tu prends vraiment les montagnards pour des gens naïfs, dis-moi..." fit Reynald en écartant les bras sous le soleil déclinant.
Il la gratifia d'un sourire, puis l'embrassa doucement, glissant sa main sous sa chemise.
" Ce soir, après le dîner, nous monterons nous coucher tout de suite... Florence et Geoffroy lèveront les yeux au ciel... mais il me reste quelques minutes pour improviser une chanson sur l'hospitalité des montagnes... Pour te faire pardonner de... de tout, d'absolument tout, j'ai besoin d'une rime avec montagne, d'une rime avec hospitalité, d'une rime avec Etourneaux et d'une rime avec... formidable, tiens. Au travail, ma muse ! On ne peut pas passer sa journée à batifoler avec les truites !"

Astrée leva des yeux faussement exaspérés au ciel. Comme si elle avait quoi que ce soit à se faire pardonner...
- Bon, d'accord, c'est bien pour te faire plaisir... mais ce n'est pas moi le poète, c'est toi !
Elle sourit, et réfléchit un instant.
- Alors... montagne rime avec cocagne par exemple. Pour hospitalité, je ne sais pas moi, il y en a plein... liberté, éternité, cité... j'aime bien éternité.
Elle glissa un bras autour de sa taille, accordant son pas sur le sien.
- Tu as dis quoi, déjà... Etourneaux ? Et bien... moineau. Et pour le dernier... Formidable... Heu... j'aurais bien voulu faire rimer avec Reynald mais ça colle pas. Je parle du mot bien sûr.... Alors... impitoyable ? Diable ? Table ?
Elle eut un clin d'oeil taquin avant d'ajouter.
- Et puisque tu m'as délégué ton travail... j'ai jusqu'à tout à l'heure pour décider ce que je demanderai comme paiement pour ma modeste contribution !

" Je ne crains rien, tu n'es pas barde, tu manques fatalement d'imagination ! déclara-t-il avec une fausse arrogance. D'ailleurs, excuse-moi, petite, mais... Etourneaux, moineaux ?! Qu'est-ce que c'est que cette rime à la noix ? On ne vous apprend rien, à Luménis ?"
Il s'était rhabillé et jeta un regard critique sur sa chemise détrempée, avant de se mettre à incanter. Il écarta grand les bras, et un vent tiède se leva, l'entourant subitement. Il tendit une main à Astrée.
" Viens donc te sécher, ma belle..."
La brise qu'il avait levée secoua leurs vêtements en tous sens, et lorsqu'elle retomba, ils étaient parfaitement secs l'un et l'autre. Mais si les cheveux courts de Reynald n'avaient pas souffert de l'aventure, ceux d'Astrée avaient une toute autre allure, ce qui ne manqua pas de faire rire le sorlyn tandis qu'il repartait vers la chaumière de leur hôte.

Astrée jeta un regard furibond vers Reynald qui riait. Non mais qu'est-ce qu'ils avaient ses cheveux ? Juste un volume exceptionnel ! Un style un peu particulier peut-être...
Et finalement... Il venait de lui prouver qu'il existait bien un sortilège pour se sécher et se réchauffer efficacement.

- Etourneau... Fourneau ? fit-elle subitement, un peu à retardement, alors qu'ils approchaient du village. Bon, je sais, je suis autant barde que tu es pêcheur de saumon...
Elle glissa son bras sous le sien avant d'ajouter d'un ton rêveur, en lui jetant un regard faussement critique.
- Mais... Tu as raison, mieux vaut que je ne croise jamais ton ami Thibaut s'il est pire que toi...
Elle rit et se serra davantage contre lui.

Reynald lui sourit et l'embrassa sur le front.
" Thibault est charmant avec tout le monde, mais tu n'es pas du tout son genre, désolé..." fit-il.
Ils dépassèrent les premières maisons, gagnèrent la petite place et entrèrent dans la maison dont on avait laissé la porte entrouverte. Ils se guidèrent sur les voix pour trouver la salle à manger. Florence se leva quand ils entrèrent dans la pièce lumineuse. La table était mise pour six et une odeur délicieuse flottait dans l'air, promettant ciboulette et lapin, si Astrée ne se trompait pas. Un homme aux cheveux noirs et à la barbe fournie était assis et se présenta comme étant Geoffroy. Dès qu'il remarqua les saumons d'Astrée, il proposa de l'en délester. Il y avait aussi une adolescente blonde d'une quinzaine d'années, qui posa un regard enamouré sur le clerc, à la grande horreur de celui-ci.
" Clothilde ?"
Elle se contenta de répondre en papillonnant des yeux, tandis que sa mère gloussait.
" Siméon, tu as raconté n'importe quoi. Moi je vois bien qu'ils sont habillés.
— Même pas vrai."

Astrée devina, à la chaleur qui envahissait ses joues, qu'elle prenait une couleur un peu trop rose. Mais cela pouvait passer pour un effet du grand air et de l'altitude, non ?
Elle préféra ne rien répondre, laissant Reynald se dépatouiller seul de la situation. D'abord, tout était de sa faute, c'était lui qui les avait trempés et obligés à se déshabiller... Donc à lui de se débrouiller avec le gosse scandalisé. Et puis de toute façon, il avait vingt fois plus de bagout qu'elle donc saurait parfaitement quoi dire.
Elle observa avec amusement le manège de l'adolescente. Il est trop vieux pour toi, petite. Et déjà pris, ça se voit non ? songea-t-elle en son fort intérieur. Mais Clothilde avait raison sur un point : il était diablement beau...

" Astrée est tombée dans le torrent, il a bien fallu que j'aille la récupérer, fit-il d'un air parfaitement détaché. Ce sont ces filles de la ville, elles ne savent pas vraiment comment se comporter près d'un ruisseau de montagne..."
Florence leva les yeux au ciel.
" Et c'est sans doute toi qui as pêché le poisson ? demanda Geoffroy en revenant.
— J'ai développé un sortilège qui s'appelle Filet Céleste de Milil.
— Si tu avais dit Filet Céleste d'Eldath, tu aurais été plus crédible.
— Voilà. D'Eldath. Je n'avais pas encore tranché pour le nom.
— En parlant d'Eldath, où est Tybert ?
— Il paresse à Bortheias.
— C'est bien son genre.
— Et que faites-vous dans nos contrées, si je puis me permettre ?"

La première phrase du Sorlyn lui valut un regard indigné d'Astrée, qui le ponctua d'un discret écrasement de pied.
Mais leurs hôtes semblaient avoir parfaitement cerné le côté barde de Reynald et sa tendance à enjoliver les choses... Et puis, finalement, il donnait exactement l'excuse qu'elle lui avait proposée ! Et c'est lui qui se moquait de son manque d'imagination ?

Elle n'eût guère le temps de se demander ce qu'ils pensaient de son explication concernant Tybert. La conversation redevenait plus sérieuse, et elle sentait que c'était à elle de répondre à la question posée.
- Je suis simplement à la recherche de simples, dont certains ne se trouvent qu'en haute montagne, pour le compte d'une amie herboriste. Reynald proposé de m'accompagner jusqu'ici...
Au moins, c'était l'exacte vérité, à une petite omission près. Mais il l'avait bien averti qu'elle devait éviter d'en parler, donc...

" Vous serez servie, c'est la saison ! fit Florence avec le sourire. Comptez-vous vous attarder aux Etourneaux ? Si le grenier est un peu trop exigu, ma cousine Fiona a une chambre plus aérée qui donne directement sur le moulin à eau, c'est un endroit très reposant...
— Quand on aime les craquements du moulin, maman... Bof, intervint Clothilde.
— Vous n'avez pas choisi les montagnes les plus accessibles pour faire votre récolte... Reynald dit que vous venez de la ville ?"

- Reynald raconte parfois un peu n'importe quoi... répliqua-t-elle instantanément d'un ton taquin, sans réfléchir, adoucissant sa remarque d'un clin d’œil à l'intéressé.
Elle hésita un instant. Si l'interrogatoire devenait trop précis, elle aurait bien du mal à justifier le choix de ces montagnes-là plutôt que d'autres... Mais elle était définitivement incapable de mentir.
- Cela dit, ce n'est pas tout à fait faux. J'ai passé les dernières veilles à Luménis, où mon amie herboriste a son commerce. Mais j'avais besoin de m'évader un peu en montagne... et c'est vrai que je n'ai pas choisi les plus faciles d'accès, mais j'avais envie de voir un peu de pays, conclut-elle d'un ton tranquille.

" Wouah, de Luménis, trop bien..." fit Clothilde, les yeux soudain rêveurs.
Geoffroy et Florence échangèrent un regard inquiet. Reynald toussa dans son poing.
" Bon, quelqu'un veut entendre ma chanson sur les Etourneaux ?
— Est-ce que tu as seulement une chanson sur les Etourneaux ?
— Absolument !
— Alors nous l'écoutons.
— J'espère qu'elle va pas être trop longue, parce que le lapin va être froid et ce sera pas bon.
— Siméon !
— Luménis... Vraiment trop bien."
Le clerc prit une profonde inspiration et jeta un regard effrayé vers la rôdeuse qui comprit aisément qu'il n'avait absolument aucune idée de ce qu'il allait bien pouvoir chanter.
" Autrefois, perdu en montagne,
De mes forces, j'avais présumé,
J'aspirais à la rase campagne,
A un endroit où me poser,
J'avais glissé dans les torrents,
Râpé le fond de ma culotte,
Battu, vaincu par les grands vents,
J'avais même perdu mes bottes,

Et puis ta porte s'est ouverte,
A la chaleur de ton fourneau,
L'hospitalité m'est offerte,
Dans le village des Etourneaux !

Jamais, jamais, dans toute ma vie,
De vagabondages sans fin,
N'ai-je autant apprécié un lit,
Que dans cette maison enfin !

Car même la route a ses travers
C'est difficile quand on y tombe,
Encore plus rude quand on s'y perd,
Comme au milieu des catacombes !
— Tu t'emballes. Tu aurais dû éviter le dernier couplet.
— C'est vrai.
— Bon appétit !"

Astrée était impressionnée. Même en improvisant complètement, il était capable d'inventer en un instant une chanson qui tenait la route. Il avait un talent indéniable. Elle lui adressa un hochement de tête appréciateur, accompagné d'un sourire éloquent.
Suivant l'exemple de leurs hôtes, elle piqua sa fourchette dans un morceau de lapin en sauce, jetant un regard en coin à l'adolescente. Mais qu'avaient donc certains adolescents à être ainsi fascinés par les villes ? C'est un sentiment qui ne l'avait jamais effleuré à l'époque... Il faut dire que la ville la plus proche étant Mélandis, il y avait de quoi moucher très vite toute curiosité naïve.
Tout de même, il faudrait qu'elle lui dise à quel point la montagne était mille fois plus accueillante que Luménis.
- Il est vraiment délicieux, ce lapin, fit-elle avec un sourire à Florence, puis un peu plus appuyé à l'attention de Siméon.

Ils dînèrent dans une joyeuse atmosphère. Siméon se détendit quelque peu, Clothilde mitrailla Astrée de questions, semblant n'entendre aucune des critiques que la rôdeuse formulait à l'égard de la ville, ni les "Eredhun, c'est quand même mieux" que Reynald glissait, facétieux, dans la conversation. Geoffroy et Florence se montrèrent affables, tentèrent de canaliser la curiosité de leur fille, puis renseignèrent Astrée sur quelques bons coins pour trouver des plantes, dans les environs. La rôdeuse avait éludé la question de ses intentions prochaines mais ils ne remirent pas la chose sur le tapis. Finalement, Reynald les excusa, prétextant la fatigue du voyage, même si les regards qui s'échangèrent entre adultes n'étaient absolument pas dupes, et ils retrouvèrent leur mansarde aux araignées et un lit accueillant.

Même si leurs hôtes étaient très accueillants, même si le dîner était délicieux, Astrée ne se détendit vraiment qu'une fois qu'ils furent seuls. Soutenir une conversation avec des personnes qu'elle connaissait à peine n'était pas son fort, et ce soir-là elle n'y avait pas vraiment le coeur. C'était leur dernier soir ensemble...
Elle se laissa tomber sur le lit.
- Je crois que je ne vais pas dormir, et passer la nuit à te regarder, murmura-t-elle en le contemplant avec tendresse, sans réussir à empêcher son coeur de se serrer.

" Et bientôt il fera tellement noir que tu ne pourras plus rien voir du tout, fit Reynald en lui écartant les cheveux du visage. Astrée, ne te laisse pas aller. Ecoute..."
Il l'embrassa sur le nez.
" Tu sais où me trouver dans les deux mois qui viennent et tu seras là pour l'Equinoxe, de toute façon... Je l'espère du moins."
Il sourit.
" Je peux te contacter régulièrement, si tu le désires, et si tu as besoin de moi, je viendrai."

Astrée eut un sourire reconnaissant. Rester un peu en contact était une bonne idée. Elle savait que ça ne suffirait pas, que le fond du problème était ailleurs, dans ce grand point d'interrogation qu'était devenu son avenir. Et ça ne compenserait pas vraiment le manque de lui qu'elle ressentirait. Mais tout de même, ça aiderait. Un peu.
- Pour que tu viennes, il faudrait que Goran t'accorde sa permission, j'imagine, fit-elle néanmoins remarquer avec un clin d'oeil. Donc je préfère ne pas y compter... Mais si tu as l'occasion, de temps en temps, de me donner des nouvelles, je serai heureuse d'entendre ta voix... Et surtout, si toi, tu as besoin que je vienne te rejoindre un jour, n'importe quand... et quelle que soit la raison, d'ailleurs..., je viendrai. Sauf que je ne peux pas me téléporter donc il ne faut pas que ce soit un besoin trop urgent !
Oui, elle viendrait le rejoindre. Même au-delà des deux mois... Elle sourit et embrassa ses lèvres avec douceur.
- Et tu es mal placé pour t'inquiéter de mon envie de veiller sur ton sommeil... Je te rappelle que la nuit dernière c'est toi qui n'a pas dormi ! Tu dois être épuisé...

" Je suis peu épuisable, en réalité, fit-il avec un sourire tranquille. Et je pourrai me téléporter pour venir te chercher, et repartir sans que Goran ne se rende compte de quoi que ce soit... Sauf si c'est au milieu d'un banquet, peut-être. Alors essaie plutôt d'avoir des ennuis de grand matin ?"
Il tendit une main pour lui frôler la hanche.
" Et il n'est pas question que je te laisse me regarder dormir. Je te connais, femelle. Demain matin, tu estimeras que mon sommeil est la preuve d'un manque d'amour..."

Astrée rit.
"Je ne suis tout de même pas si exigeante ! Enfin, je en crois pas... Bon, peut-être, si tu le dis !"
Elle lui caressa doucement la joue, l'embrassa à nouveau, avant d'ajouter, dans un mélange de défi et de tendresse :
"Et puis, je n'ai jamais prétendu que tu devais dormir tout de suite... Puisque tu prétends être inépuisable, j'imagine que tu n'es pas déjà fatigué...
Elle plongea ses yeux dans les siens, approcha à nouveau ses lèvres des siennes tandis que sa main glissait lentement le long de son dos. Le baiser suivant était une invitation à aller jusqu'au bout de leur désir.

Si Reynald était inépuisable, Astrée elle-même ne manquait pas d'énergie, et ils se donnèrent l'un à l'autre avec abandon, comme si cette nuit était la dernière de toute une existence, sans retenue et sans tabous. Et si le sommier du lit craqua, ils ne s'en inquiétèrent pas réellement. Toute notion de temps fut abolie tandis qu'ils se fondaient l'un dans l'autre, redécouvrant des sensations qu'ils avaient pourtant explorées mille fois les jours précédents. Mais l'urgence sublimait leur étreinte, lui conférant un caractère unique, magique, formidable.
Et le jour vint sans qu'ils aient même songé un instant à dormir. Quand un premier rayon de soleil frappa le lit, se glissant au travers deux tuiles disjointes, Reynald l'attrapa dans sa paume.
" Finalement, l'aube est surfaite." commenta-t-il, comme détaché.
Il se leva, alla déplacer légèrement les responsables de cette lumière indésirable, et la pénombre revint.
" Où en étions-nous ?"

- Nous en étions... Juste aux préliminaires, non ? questionna Astrée d'un ton faussement innocent.
La nuit avait été merveilleuse, parfaite. Inoubliable. Et même la venue de l'aube, trahie par ce rayon de soleil inopportun, ne suffisait pas à l'interrompre ni à en briser la magie. Reynald était véritablement inépuisable, comme il l'avait annoncé... Et elle-même ne se lassait pas de son corps, de son étreinte. Elle aurait dû être fatiguée, épuisée même. Mais elle se sentait juste... parfaitement éveillée et sans la moindre envie de dormir.
- Je te laisserai le soin d'expliquer à Siméon pourquoi on traîne aussi tard au lit... souffla-t-elle à son oreille en l'attirant à nouveau contre elle. Et de toute façon, puisqu'il fait noir, on ne peut pas savoir que le jour est levé...
Et finalement, ici, ils risquaient moins d'être surpris qu'au bord de la rivière, non ?

" Je propose qu'on ne se lève pas du tout, dit-il alors avec le plus grand sérieux. Faisons l'amour jusqu'à la nuit, reste ici encore ce soir, et je veillerai sur toi jusqu'à ce que tu t'endormes, avant de me dissiper dans l'air... Goran a dit dix jours, mais si je surviens une minute avant la minuit, j'aurai toujours respecté ma part du marché !"
Il l'embrassa sur les lèvres, dans le creux de la gorge, entre les seins.
" Il faudra cependant, demain, que tu songes à vérifier que tu as encore du matériel avant de monter plus haut... Tu ne dormiras plus sous un toit avant quelques temps, m'est avis, et au printemps, il fait encore sacrément froid..."

- Ne t'en fais pas pour mon matériel, murmura Astrée en déposant un baiser sur son front. Et je dois bien avouer que ton programme pour la journée est attrayant... très attrayant même...
Attrayant mais peut-être un peu ambitieux, songea-t-elle. Une nuit et une journée complètes, sans manger ni dormir, à faire l'amour ? Il ne pouvait être sérieux... Était-ce seulement possible ? Peut-être... Et certainement plus gai que de compter les heures. Ou alors ils se mettaient en route, vers les hauteurs, et avançaient encore un peu ? Il n'y avait pas vraiment urgence non plus...
Et elle devinait qu'il éprouverait une certaine jouissance à arriver quelques minutes seulement avant la fin de l'ultimatum, juste pour agacer son beau-frère.
- Tu es décidément inépuisable... Et je commence à comprendre ce qu'on appelle vivre d'amour et d'eau fraîche !
Mais c'était irréaliste tout de même. On allait s'inquiéter de ce qu'ils devenaient, venir les chercher... Et puis il devrait sans doute s'isoler un moment pour prier... Bah, ils avaient de toute façon encore un moment de tranquillité devant eux !
Elle l'embrassa à nouveau, plus tendrement, laissant courir ses mains le long de son corps.
- Profitons-en en tout cas jusqu'à ce qu'on vienne nous déranger...

Reynald répondit à son invite avec une fougue digne des premières heures. Personne ne vint les déranger dans les heures qui suivirent… jusqu’à ce qu’un estomac couine, arrachant un soupir agacé au Sorlyn.
« Trahi par cette carcasse maudite ! Astrée, entends-moi bien, réjouis-toi de cette jeunesse qui t’est encore promise pendant quelques années ! Jouis, ma belle, chaque jour, de ce corps fantastique ! Car vient l’âge et avec l’âge, vient le déclin. »
Il se laissa tomber sur le dos.
« Dieux, j’ai faim ! Une envie de saumon, comme ça… Je dois couver quelque chose… »

Astrée sourit.
- Tu me sembles encore bien loin du déclin... Ces derniers jours, tu paraissais plutôt avoir toute la fougue d'un jeune homme de vingt ans ! Mais si tu as faim, on devrait descendre, voir s'ils nous ont laissé quelque chose... Et puis moi aussi j'ai l'estomac vide...
Elle se redressa, caressa doucement son front, repoussant quelques mèches rousses.
- Merci en tout cas pour ces quelques journées de bonheur... Tu es un véritable rayon de soleil, Reynald.

La Couronne de Cuivre

[Quête] Dans les contreforts des Pics des Orcs