La Couronne de Cuivre

C’était déjà une bonne chose que d’être parvenu jusqu’ici. Mais la question de l’alerte demeurait entière. La petite voix dans la tête d’Alchem se complaisait à y trouver nombre de réponses horribles. Invasion de Drow par exemple. C’était fou comme les Drow se glissaient partout, même là où ils n’avaient rien à faire. Légion de morts-vivants aussi. Apparition du Despote en personne. Etc. Quoi qu’il en soit, le gnome des profondeurs suivait le rythme sans mot dire.

Au fur et à mesure où ils dépassaient des croisements et des intersections, leur petit groupe s’accrut de nouveaux mineurs et même de quelques gardes. L’un d’entre eux se fraya un passage jusqu’au guide d’Alchem et délivra les premières informations fiables qu’il pouvait : des ennemis avaient été signalés un peu partout dans le réseau est de la mine sans qu’il soit possible de déterminer s’ils venaient ou non des autres réseaux déjà infestés. Les mineurs, quant à eux, s’inquiétaient de la fermeture des derniers filons de Lameroy, nouvelle catastrophe pour la ville en général et eux en particulier.

Alchem, à nouveau, ne put s’empécher de se dire que c’était là l’œuvre du Despote. Si la mine fermait complètement, revenir à la source de magie allait être beaucoup plus difficile. La deuxième opération, car il devait forcément en y avoir une deuxième, allait demander beaucoup plus de personne. Pas certain que le Grand Conseil soit prêt à lui confier des bataillons entier. La sécurité de la cité passait avant tout. L’autre possibilité consistait à y retourner discrètement, mais pour cela, il lui fallait des patrouilleurs svirfnebelins. Le gnome interrogea le garde qui venait d’apporter les nouvelles.
« De quel genre d’ennemis il s’agit ? Des peaux vertes ? »

"Des peaux vertes, oui ! Des dizaines dans le filon 32 ! Et apparemment, il y en avait dans beaucoup d'autres !"

Et comme pour lui donner raison, de nouveaux groupes - comptant parfois quelques blessés légers continuèrent d'affluer. Ils finirent par gagner l'une des artères centrales de la mine alors qu'un groupe important de soldats avançaient à contrecourant, sans doute pour porter assistance aux mineurs ou bloquer les assaillants.

Alchem ne pouvait malheureusement pas faire grand-chose. Il ne pouvait pas, à lui seul, enrailler une invasion de peaux vertes. Ce n’était pas l’envie qui lui manquait. Il se contenta donc de suivre le mouvement. Il réfléchissait déjà au rapport qu’il allait devoir fournir au Grand Conseil. Tout semblait mal s’agencer. Il était anxieux...

D'autres gardes avaient pris position près de l'entrée de la mine mais Alchem et son groupe purent la quitter sans peine. Le maître des mines était tout proche de la sortie, engagé dans une discussion fort houleuse avec plusieurs officiers de la garde de Lameroy. Le svirfneblin pouvait s'en approcher ou s'écarter discrètement pour quitter les lieux, selon son bon vouloir.

Alchem s’en approcha et sans faire preuve de la moindre furtivité. Il était connu et respecté à Lameroy justement pour son implication assidue dans la sécurité. Il était donc plutôt logique qu’il vienne se renseigner. Il tenait à avoir une idée claire de la situation. Cela l’aiderait à choisir judicieusement les prochaines actions à entreprendre.

Le maître des mines était furieux et semblait reprocher à l’officier le plus gradé qu’on ait ordonné l’évacuation pour un petit problème de gobelins pouilleux. Son interlocuteur – bien plus flegmatique – lui laissait entendre qu’il y en avait des centaines sinon des milliers et que ses hommes faisaient leur possible pour les contenir et même les repousser.

- Vous comprendrez que la manœuvre sera bien plus facile quand les ouvriers seront tous à l’abri : nous pourrons envoyer les commandos et les golems. Mais nous devrons attendre demain matin pour dégarnir les murs extérieurs : les éclaireurs ont repéré de nombreux mort-vivants à la lisière des bois.

« Il y a aussi des morts-vivants dans les mines, intervint Alchem en s’immobilisant à côté des interlocuteurs. Le filon de cristal, dans la partie désaffectée, est à considérer comme une zone de grand danger, une menace directe contre la cité. A mon avis, les peaux vertes et les morts-vivants ne vont pas collaborer, mais j’ai peur que les premiers alimentent en cadavres les seconds. Il serait préférable que les gardes soient informés. Il se pourrait qu’ils affrontent bientôt autre chose que des gobelins. »
Alchem, dans l’exercice de ses fonctions, était connu pour son calme froid mais aussi pour sa tendance alarmiste... souvent hélas justifiée par les faits. Quand il y avait un problème, il le disait sans chercher à l’enrober, sans vouloir le minimiser.

Et ses paroles furent évidemment prises au sérieux. Tous ou presque ici le connaissaient et c'était bien entendu le cas des officiers. Le maître des mines se seraient arraché la barbe à ces nouvelles si l'officier n'avait pas aussitôt répondu au svirfneblin :

- Je ne crois pas du tout aux coïncidences : les peaux vertes ou les zombis ont peut-être profité de l'opportunité et d'une brèche dans nos défenses mais les attaques sont bien trop coordonnées pour que ce soit un hasard. Et vous traquiez quelqu'un ou quelque-chose en venant ici, pas vrai ?

« Quelqu’un, oui, effectivement. Encore que traquer ne soit pas le terme approprié. Pour l’instant, je cherche juste à prévenir les dégâts qu’il pourrait provoquer. Si une personne tire les ficelles, c’est lui. J’agis avec l’aval du Grand Conseil. Celui-ci m’a demandé de le tenir informé de mes résultats. Est-ce que l’un de vos gardes pourraient leur faire parvenir un message, sitôt que je l’aurai rédigé ? »
Un message qui devrait leur prouver que la source de magie était loin, très loin de n’être qu’une affaire de mage. Le gnome des profondeurs allait indiquer qu’il était pratiquement certain d’avoir trouvé la source, qu’elle était dans les mines, mais qu’il n’avait pu s’en approcher pour l’étudier à cause d’une opposition conséquente de morts-vivants, ainsi qu’à cause de l’évacuation. Il allait de plus indiquer que, comme il leur avait dit, les différentes menaces qu’étaient les gobelins, les morts-vivants de la forêt maudite et le Despote risquaient fort de se conjuguer.

L'officier accepta sans attendre et désigna un de ses nains pour porter la missive d'Alchem dès qu'il l'aurait écrite. En bon professionnel, il ajouta également d'un ton pas vraiment soupçonneux mais tout de même concerné :

- Que comptez-vous faire en attendant la réponse du conseil ? Mes troupes vont en avoir pour des heures - dans le meilleur des cas - avant de chasser les intrus des mines. Je doute qu'il soit prudent d'y retourner d'ici là.

« Réfléchir. J’ai bien peur que ce soit le mieux que je puisse faire en attendant. Si au moins je pouvais compter sur mes patrouilleurs... Hélas, d’après Alruac Poing de Fer, pour cela aussi il va me falloir attendre. »
Alchem manqua se détourner. Il se ravisa et ajouta :
« Lorsque, demain, vous pourrez faire le ménage, je vous serai reconnaissant si vous pouviez m’allouer un groupe. Je compte profiter de l’opération pour atteindre le filon de cristal. Il faut absolument qu’on puisse savoir ce qui se passe là-bas. Et même si on ne peut pas, même s’il y a déjà trop d’ennemis, au moins on sera informé qu’une concentration de monstres est en train de se former. »

Dotha qui était resté en retrait jusque-là en profita pour intervenir à son tour :

- Il va falloir plus de clercs habitués à combattre les mort-vivants : je ne suis pas une spécialiste et mes moyens sont limités. Mais peut-être qu'Aleka accepterait de nous suivre à nouveau. Si la situation à l'extérieur le lui permet.

L'officier confirma que - pour l'heure - ses troupes ne pourraient guère s'enfoncer dans les mines que pour faciliter la retraite des mineurs mais qu'avec la nuit tombante il n'aurait plus les mêmes moyens à cause de l'état de siège du Lameroy aérien.

« Aleka, oui, effectivement... Elle pourrait apporter une aide utile. Nous irons lui parler. »
Ils avaient tout le temps pour cela maintenant qu’ils étaient bloqués à Lameroy. Alchem se trouva un coin pour rédiger son message au conseil puis le confia au nain désigné. Il avait stipulé dans sa missive qu’il allait certainement s’entourer de clercs aptes à combattre les morts-vivants. C’était une question de formalité car, quand on y réfléchissait, les conditions imposées par le Conseil volaient déjà en éclats. D’un, l’affaire sur laquelle enquêtait le gnome n’allait plus du tout être un secret. De d’eux, bien plus de trois pratiquant de la magie allaient être impliqués. Mais en cela, le svirfnebelin n’était pas du tout surpris. Il l’avait au contraire prédit. La réalité de la situation les rattrapait.

Oui, la situation en apparence critique allait amener les nains à trouver un compromis. Les nains n'étaient pas vraiment connus pour cette faculté mais on ne survivait pas durablement dans des conditions difficiles sans savoir tenir compte et composer avec les éléments.

Quelques minutes après qu'il ait terminé de rédigé et de relire sa missive, des groupes de guerriers nains appuyés par quelques golems s'étaient réuni devant l'entrée de la mine mais il ne s'agissait vraisemblablement pas d'une force susceptible de faire plus que contenir la marée des peaux vertes et des peaux grises pour préserver la cité proprement dite.

Une fois le message confié, Alchem salua l’officier nain, ainsi que le responsable des mines, puis il s’approcha de Dotha.
« Venez. Autant parler tout de suite à Aleka. »
Après, comme il l’avait dit, il ne risquait de ne plus rien pouvoir faire jusqu’au lendemain matin. Cette perspective lui déplaisait franchement. Quoi de plus frustrant que de devoir se tourner les pouces alors que le mal se développait ? Mais agire avant d’être prêt était plus encore préjudiciable.

La gnome le suivit donc alors qu'il parcouraient tout le chemin jusqu'à la sortie du Lameroy souterrain. La ville semblait très agitée avec de nombreux groupes de gardes la patrouillant tandis que les civils et les marchands rentraient chez eux pour s'abriter. Arrivés aux portes séparant les deux moitiés de la cité, les gardes les informèrent que ces dernières seraient fermées pour la nuit - dans moins d'un heure - et qu'il devaient donc prendre leurs dispositions s'ils comptaient les franchir tout de même.

Une heure ? C’était largement suffisant pour que les deux gnomes rejoignent le temple local de Lathandre, parlent à Aleka, puis reviennent. Et si jamais la prêtresse n’était pas présente, Alchem lui ferait porter un message. Il remercia donc les gardes à la porte avant de la franchir d’un pas pressé. Cette fois, pas besoin de demander son chemin, il avait ses repaires. Tout en marchant, il songeait à la suite des événements. Il demeurait silencieux, soucieux...

Et Dotha semblait tout à fait sensible à son humeur car elle gardait elle aussi le silence contrairement à son habitude. Ils n'eurent cette fois aucune difficulté à retrouver le temple du dieu de l'aube qui lui aussi bruissait d'activité à l'approche de la nuit. Plusieurs confrères d'Aleka s'apprêtaient visiblement à rejoindre les murs de la ville et ils repérèrent cette dernière en grande conversation avec deux d'entre eux.

« Aleka ? »
Alchem s’immobilisa à côté de la prêtresse et attendit qu’elle lui porte son attention avant de poursuivre :
« Je risque fort d’avoir besoin de vos services demain matin, dans les mines. Des votre et, si possible, ceux de vos confrères également. Je ne pensais pas qu’il y aurait déjà autant de morts-vivants là-dedans. On aura certainement l’appui des nains. L’opération ne devrait durer que quelques heures, mais elle est d’une grande importance, vous pouvez le deviner. »
Il lui avait déjà tout expliqué. Inutile d’en dire d’avantage.

Alchem avait habitué ses interlocuteurs à aller droit au but. Sa froide efficacité n'incitait pas à l'hésitation ou à poser de questions : non, Alchem était sensé et réfléchi et il le transmettait à ses partenaires.

- Des mort-vivants dans les mines aussi ? Jusqu'ici, nous avions pourtant réussi à les contenir à l'extérieur de la ville. Vous pouvez compter sur moi : il faut absolument empêcher qu'ils ne se répandent davantage encore. Où nous retrouverons-nous ? Je peux emmener deux prêtres avec moi mais davantage dégarnirait par trop les défenses.

« Trois clercs, ce sera déjà bien. Retrouvez-moi au Filon Aurifère. Si je n’y suis plus, Alruac Poing de Fer aura un message pour vous de ma part. Je ne peux m’attarder, les portes ferment bientôt. Mais... pouvez-vous juste me dire si vous avez remarqué quelque chose d’inhabituel concernant les menaces de la forêt maudite ? »
Alchem espérait que l’influence du Despote se limitait aux mines, c’est-adire aux environs de la source magique. Mais il voulait en être sûr. Du concret, toujours du concret.

A part que les mort-vivants étaient plus pressants voire téméraire - mais c'était maintenant le cas depuis des jours - Aleka n'avait pas grand chose de probant à livrer à l'analyse du svirfneblin.

- Nous vous rejoindrons une ou deux heures après le lever du jour quand il n'y aura plus de grand danger sur les murs.

Tout semblait dit et la prêtresse avait elle aussi des préparatifs à faire avant une longue veille aussi laissa-t-elle les deux gnomes rejoindre au plus vite les portes.

De retour dans la ville souterraine, Alchem prit par habitude la direction du Filon Aurifère. Mais une fois à mi chemin, il s’immobilisa. Il ne pouvait plus rien faire d’utile, semblait-il, avant demain matin. Réfléchir à l’affaire, il ne faisait déjà que cela. Pas besoin d’être à l’auberge pour cogiter. Et si le Grand Conseil souhaitait le reconvoquer suite à son rapport, il le trouverait sans mal où qu’il soit à Lameroy. Il se tourna donc vers Dotha :
« Nous avons à nouveau un peu de temps libre devant nous. A moins que vous n’ayez, bien sûr, des choses à entreprendre de votre côté, je peux vous faire visiter la cité intérieure. »

Même si l’affaire qui les occupait empêcherait de pleinement profiter de l’instant de découverte, la clerc ne bouda pas son plaisir à cette perspective :

- Bien volontiers et cette fois, c’est vous qui êtes sur vos terres ou presque alors je vous suis !

Alchem n’était clairement pas le meilleur guide de Toril. Non qu’il soit avar en explications, mais celles-ci avaient la fâcheuse habitude de ne se cantonner qu’au registre pratique, parfois même stratégique. Rares, très rares étaient les petites histoires, les anecdotes qui rendaient d’ordinaire la visite d’un lieu plus attrayante. Si le gnome était loin d’être hermétique aux rêves, il ne parvenait pas à les faire partager. Et surtout, quand il ne s’y forçait pas, il ne parlait jamais de lui. En fait, ce que Dotha savait du patrouilleur en chef ne lui avait été apporté en général que par la nécessité de la situation. Quoi qu’il en soit, Alchem lui fit découvrir, à sa façon froide et méthodique, le marché nains et les beautés de Lameroy. Après, il comptait retourner à l’auberge, tout simplement.

Et malgré la sécheresse de certaines de ses explications et de l’architecture naine avant tout fonctionnelle et pragmatique, il sentit que Dotha passait un très bon moment, aidée en cela par sa curiosité toute gnomique. Le marché l’intéressa au plus au point et elle les fit s’y attarder un peu plus longtemps que nécessaire. Elle s’enquit aussi de l’existence d’un collège de magie mais le svirfneblin lui confia la méfiance des nains pour la pratique des arcanes ce qui la déçut quelque peu. Somme toute, la fin de soirée avait été riche en découverte et - au moment de regagner l'auberge - elle affichait à nouveau un sourire bien loin de refléter leurs ennuis et leurs préoccupations du moment.

Sans doute que l’état d’esprit de Dotha allait persister au moins un peu car Alruac n’était pas nain à ternir le moral de sa clientèle. Alchem commanda, pour elle et pour lui, des spécialités locales afin de continuer sur la lancée des découvertes. Une fois à table, assis face à la gnome, il reprit la conversation.
« Alors, comment trouvez-vous ce préambule aux profondeurs ? Inutile de faire exception du Despote. Il n’est pas rare que sous la terre on vive avec ce genre de menace. Je ressasse les Drow, mais il y a aussi les nains gris, les peaux vertes, les rats-garous, les aberrations. »
« Dis, Alchem, c’est quand que tu te fais mordre par un rat-garou ? Ce serait chouette, tu pourrais me ressembler ! »
« Bois ta coupelle toi au lieu de dire des bêtises ! »
« Je ne peux pas boire ma coupelle, mais juste ce qu’il y a à l’intérieur. Nuance ! Et puis, en rat, tu aurais enfin des poils. C’est chouette les poils ! C’est tout doux ! Et tout chaud ! »

Evidemment, la conversation entre maître et familier échappait pleinement à Dotha mais il est plus que probable qu’elle s’en serait amusé si elle avait pu la surprendre. Au lieu de quoi, elle répondit à la question directe du svirfneblin :

- Eh bien, pour commencer, je dois dire que Lameroy m’a étonné : je pensais que toutes les cités naines étaient exclusivement enterrées. Et sinon, je trouve étrange que la partie souterraine soit si tranquille : à part le marché, les gens semblent bien plus paisibles qu’à Luménis alors qu’ils partagent un espace bien plus réduit. Pour le reste, j’ai trouvé les mines un peu inquiétantes au début mais je ne souffre heureusement pas de claustrophobie.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Lameroy - cité naine ouverte