La Couronne de Cuivre

Louve ne vit l’arbre-monstre nulle part, mais elle pouvait l’entendre de plus en plus nettement. Ses pas pesants étaient tout proches.
« Vas-t-en, loup-garou ! tonna le druide. Toi et ta meute, en vous aventurant ici, vous ne trouverez que votre fin ! »
Il tendit son bâton en signe de menace.
« Cette foret n’est pas pour vous ! »
Aux oreilles de la lycanthrope, les murmures portés par le vent reprirent.
« Offre-moi quelques gouttes de ton sang sauvage et je t’offrirai la tête de cet homme arrogant ! »

La tête du druide ... C'était on ne peut plus tentant d'autant qu'il continuait à la menacer. Elle n'avait pas vraiment l'avantage du nombre ni du terrain. Mais elle ne pouvait s'empêcher de se méfier. Quelle était cette entité qui réclamait son sang ? Qui risquait-elle de réveiller par ce processus ? Un allié ou un autre ennemi. Ses années de solitude lui avaient appris à se méfier. Tout en restant immobile, elle leva la tête et cria dans le vent.

"Qui es-tu ? Et qui me dis que tu m'aideras quand j'aurai versé mon sang ?"

La première réponse qu’obtint Louve fut celle d’Orfeuille.
« Désespérant... Vous êtes tous désespérants ! » grogna-t-il.
L’instant d’après, il redevenait un ours et s’avançait vers la lycanthrope avec la ferme intention de la réduire en pièces. Le monstre végétal qu’il avait invoqué apparût enfin entre les troncs. De sa lente et impressionnante démarche, il s’approchait lui-aussi de la loup-garou.
« Je suis la colère de cette forêt, sa main vengeresse... répondit le vent. Et je suis ta chance. Ne veux-tu pas rejoindre la Lune Noire ? »

De deux choses l'une ... Soit elle se laissait applatir par la créature végétale. Soit elle s'alliait à cette étrange force qui avait l'air de la connaître et qu'Orfeuille lui-même avait l'air de craindre. Oui, elle voulait rejoindre la Lune noir et aussi participer - si cela était possible - à la colère de cette forêt.

Sans tergiverser plus, elle se mordit la patte avant jusqu'au sang et appuyant sur la blessure en fit couler du sang sur l'autel.

L’ours rugit. La seconde d’après, la foudre claqua. Un bruit déchirant, imposant, accompagné d’un flash aveuglant. Le sol trembla. Une bourrasque démente fusa de l’autel, ébranlant jusqu’aux troncs eux-mêmes. Louve fut rejetée en arrière telle une simple feuille morte. Un instant, elle crut avoir déchaîné la plus violente des tempêtes. Renversée sur le dos, elle constata que le ciel se couvrait à une vitesse inconcevable. Et cette cohorte de nuages noirs était si chargée en électricité qu’elle paraissait bouillonner littéralement. Des nuées d’oiseaux s’envolèrent en piaillant. Puis il y eut ce rire, un rire mauvais de vieille femme, un rire exalté, triomphant, terrible. En se redressant, la lycanthrope aperçut Orfeuille qui était retourné vers son arbre invoqué. Et sur l’autel était assise, une vieillarde dont la robe violette en lambeaux battait autour d’elle, à l’instar de sa longue chevelure grise. Il se dégageait d’elle une impression de puissance qui n’était pas sans rappeler celle du Prince de la Lune Noire.

Louve contempla le spectacle de ce déchainement de la nature, totalement médusée. Elle riait sans s'en rendre compte. Un rire convulsif qui tenait de la toux, ou du sanglot. Elle se redressa et vit la vieille dame, sentit son aura de puissance.

Comme elle l'avait fait avec le prince de la Lune Noire, elle inclina légèrement la tête en signe de respect. Elle ne la presserait pas de questions même si elle les sentait affluer dans son esprit. Elle la laisserait parler d'abord.

La vieille ne prêta pas un soupçon d’attention à Louve. Ses yeux, d’un jaune phosphorescent, tombèrent sur Orfeuille. Lorsqu’elle s’exprima, sa voix adopta des intonations qui ne pouvaient définitivement pas être humaines. On aurait dit un être sorti des enfers.
« Vois, druide, comme l’éternité peut se révéler courte ! Huit ans, à peine, que ta cabale m’a piégé ! On ne peut avoir le dernier mot contre moi ! Moi qui tient toujours mes promesses ! Et que vous avais-je promis déjà ? Ha oui, une mort lente et douloureuse, à vous tous ! »
À nouveau, elle éclata de son rire grinçant. L’ours qu’était Orfeuille se rua en avant. Il en fallait tout de même du courage pour oser affronter un tel monstre. Mais hélas, il fallait bien plus que du courage pour en venir à bout. Alors qu’il allait atteindre la vieille, celle-ci perdit consistance et ce fut finalement de la brume que traversa le druide, une brume vraisemblablement acide car son pelage, comme rongé, se mit à perler de sang. La brume se déplaça un peu plus loin et adopta cette fois l’apparence d’une belle jeune femme. Elle tendit son index vers la créature végétale d’Orfeuille. Un éclair de feu fusa. Louve en perçut l’onde de chaleur. L’arbre animé s’embrasa comme une torche.

Louve observa médusée ce déchainement de force de la nature. Ce coté sauvage, indompté, puissant et féroce. Jamais elle ne pourrait se lasser d'assister à un aussi beau spectacle. Elle se montrait cependant prudente et veilla à ne pas être victime de dommages collatéraux durant le conflit.

Ainsi donc, Orfeuille avait piégé la vieille femme. Qu'était-elle ? Une druidesse ou une forme de déité ? Dans tous les cas, elle correspondait très bien à sa nature sauvage. Elle espérait seulement pouvoir porter le coup de grâce à son ennemi et lui prendre sa tête.

Que la vieille soit une druidesse ne semblait pas impossible. En tout cas, elle avait une emprise sur la nature comme put le constater Louve. Alors que Orfeuille se remettait tant bien que mal de la cuisante traversée du nuage acide, son terrible adversaire poussa un cri ignoble. Même la lycanthrope en eut l’esprit chamboulé, au point d’avoir un vertige. Et voilà que le sol se mit à grouiller d’insectes : des vers, des araignées, des punaises, des cafards. Il y en avait des dizaines, des centaines, des milliers, des millions ! Il en venait de tout côté. Même si la plupart paraissait attirée par l’ours, le loup-garou ne fut pas complètement épargné pour autant. La vermines à proximité cherchait à lui monter dessus et à piquer. Les petites bestioles étaient très virulentes.

En entendant le cri d'Orfeuille, Louve sentit ses poils se hérisser. Certes, le druide était son ennemi mais elle n'enviait pas son sort. Le cri de souffrance qu'il venait de pousser venait de lui glacer les sangs, elle devait bien l'admettre. Elle faillit lui hurler de mourir en silence mais des insectes sortirent de terre à ce moment.

Ils grouillaient et piquaient. Louve s'éloigna en prenant bien soin de ne pas s'approcher du lieu du combat. En même temps, elle tapa des pieds et se frappa pour enlever les insectoïdes qui s'étaient mis en devoir de l'escalader.

Louve dût s’éloigner de plusieurs dizaines de mètres. Elle perdit donc de vu le combat qui n’en était pas vraiment un. Elle entendit de nouvelles calamités retentir. Des bruits à faire trembler le sol et battre le cœur. Mais le plus horrible de tout, ce furent les hurlement d’Orfeuille. Le druide dût trouver une mort particulièrement ignoble. Puis, tout d’un coup... ce fut le silence. Tout se calma. Ne restait que le vent dans le feuillage, si peu. La lycanthrope, d’où elle était, ne voyait vraiment rien. Il lui fallait se rapprocher, se rapprocher de cette vieille infernale...

Les hurlements d'Orfeuille lui glacèrent le sang. Elle avait ri de nouveau sans s'en rendre compte, totalement terrifiée mais fascinée. Puis vint le silence, le calme après le déluge. Elle devait se rapprocher pour voir ce qu'il s'était passé. Elle le fit prudemment, avec une circonspection certaine, une crainte mêlée de respect.

Elle se méfiait aussi. D'où elle était, elle n'avait pas vu l'issue du combat. Le druide pouvait-il avoir gagné ? C'était peu probable mais on ne savait jamais. Elle ne serait tranquille que lorsqu'elle aurait vu son corps. Ou plutôt sa tête ...

Sa tête, elle la vit, déposée sur l’autel. Elle lui faisait face, la fixait de ses yeux morts emplis de reproche. Le reste du corps semblait avoir disparût. À moins que ce ne soit ces petits morceaux jonchant le sol, un peu de partout. L’odeur était immonde. De la vieille, plus la moindre trace. Le silence se fit encore plus pesant, encore plus terrible. Louve ne se sentait pas tranquille. Ses sens la mettait en garde contre un danger imminent. Son imagination, peut-être.

Toujours ce picotement sur son épine dorsale. Toujours cette sensation d'oppression et de danger. Louve ne se saisit pas tout de suite la tête. Elle n'avait pas envie de toucher l'autel, du moins pas tout de suite. Elle regarda autour d'elle, tous les sens en alerte. Elle renifla, à la limite de la nausée provoquée par l'odeur immonde histoire de flairer une éventuelle présence, débusquer un éventuel mouvement.

Quelle force obscure venait-elle de réveiller ? Il était peut-être trop tard pour se poser la question.

Ici, les odeurs devenaient folles. Louve en fut décontenancée. Une partie de ses repaires devenaient incertains. Elle ne put déterminer s’il y avait encore quelqu’un dans les parages. Sûrement puisque le sentiment de menace persistait désagréablement. La tête l’attendait. Son sang ruisselait sur le macabre autel. Et ce silence, ce calme, l’écrasait. Une terre de malédiction et de mort que ce coin de la vieille forêt !

Louve avait envie de vomir et son angoisse allait croissant. Quelque chose lui hurlait qu'il ne fallait pas qu'elle reste par ici. Le mal régnait ici. Un mal plus fort et plus tenace qu'elle même. Elle s'approcha de la tête. Certes, elle voulait la mort du druide mais la façon dont il l'avait trouvée la faisait frémir. Maintenant, ce qui restait de lui gisait sur l'autel, telle une offrande à un dieu mauvais.

Elle s'approcha à pas comptés et tendit la main vers la tête, regardant partout ce qui pourrait bien surgir. Prête à prendre la fuite s'il le fallait.

À l’instant précis où les doigts de Louve touchèrent la tête d’Orfeuille, une brise légère se leva, tourbillonnant autour de la lycanthrope. Cette brise portait la voix mauvaise de la vieille, comme si l’impie créature s’était mise à chuchoter.

« Tu as eu ce que tu voulais. Maintenant, petit loup, disparaît avant que ma faim ne te réclame. »

Il sembla à Louve que la vieille murmurait à son oreille. Elle fut prise d'éclats de rire convulsifs - à moins que ce ne furent des sanglots. Elle se saisit de la tête et partit en courant droit devant elle. Des larmes de panique lui brouillaient la vue. Elle courut pour être loin du sanctuaire impie avant de retrouver son calme.

Qu'avait-elle donc réveillé ? Quelle force noire de la nature avait-elle donc tiré du sommeil ? Elle avait certes la tête d'Orfeuille mais à quel prix ? Elle devait désormais retrouver la meute de la Lune Noire. Peut-être leur raconterait-elle ce qu'il s'était passé, elle hésitait encore sur la conduite à tenir. Tout en réfléchissant, elle retrouva sa forme humaine et regarda autour d'elle pour savoir où elle était.

hrp : merci pour ce moment de terreur pure. J'attends la suite avec impatience.

HRP : content que ça te plaise.

Dans le ciel, l’orage s’était remis à gronder. Louve avait l’impression d’entendre les arbres murmurer sur son passage. Les branches grinçaient, s’entrechoquaient. La vieille forêt était plus sombre, plus lugubre que jamais. La lycanthrope, poussée par la peur, avait courut longtemps, fuyant ses mauvaises sensations, comme si le monstre la poursuivait. Dans le lointain, il y eut un rire, ou un cri, difficile à dire. Mais Louve en eut la chair de poule. En attendant, le paysage ne lui disait rien et sa fatigue était grande. Elle avait marché des heures avant de trouver le druide. Elle avait poursuivit sa route la nuit tombée. Devait-elle encore continuer alors qu’elle risquait de tomber d’épuisement ? S’était-elle assez éloignée pour échapper au monstre de l’autel ?

Pour une des rares fois de sa vie, Louve eut peur et beaucoup plus qu'elle n'aurait voulu l'admettre. Le vent lui-même lui semblait une menace et semblait lui murmurer à l'oreille sa plainte chimérique. Elle était épuisée mais continuait à marcher pour s'éloigner de ce lieu de mort et de damnation. Tout lui paraissait mauvais, perverti. Pour se donner bonne conscience, elle essayait de se dire qu'elle n'avait pas le choix, que le druide et surtout son monstre végétale l'auraient tuée si elle n'avait pas libéré la chose enfermée dans l'autel. Elle n'en était pas tout à fait sûre.

Elle n'était pas sûre non plus que le clan de la Lune Noire apprécierait la nouvelle. Au moins, elle avait tué - ou plutôt fait tuer - le vieux grigou.

Louve marcha deux heures durant. Il lui sembla que la forêt, autour d’elle, retrouvait un aspect ordinaire. Mais il était difficile d’en juger dans la pénombre nocturne. La tempête surnaturelle, débutée avec la libération de la diabolique vieillarde, s’était mué en un orage plus classique. Une pluie froide s’abattait sur les frondaisons touffues, parvenant petit à petit à les traverser. Des coups de tonnerre grondaient. Et la nuit, maintenant bien avancée, continuait de s’écouler. Épuisée, la lycanthrope pouvait se mettre à chercher un abri. Ou bien, elle pouvait continuer, encore et toujours, en dépit d’une attention déclinante.

Louve chercha donc un abri. Comme à son habitude, c'est les frondaisons épaisses d'un arbre qui lui parurent la meilleure option. Le nez en l'air, elle chercha donc l'abri idéal. C'est un chêne qui fit l'objet de son choix. Beaucoup de branches pour constituer des prises, une ramure épaisse et garnie de feuilles.

Restait à savoir si elle allait pouvoir monter compte tenu de sa fatigue. Elle commença à escalader tout doucement les premières branches. Au premier signe de faiblesse, elle changerait d'avis.

Louve parvint à escalader l’arbre. Il ne lui fallut pas plus de deux minutes pour s’endormir. Un instant plus tard, elle se réveillait. Il faisait jour. Le soleil avait déjà commencé son ascension vers le zénith. Les événements de la veille semblaient n’avoir été qu’un mauvais rêve. Mais la tête d’Orfeuille était là pour prouver le contraire. En tout cas, tout semblait normal dans les environs et la lycanthrope était reposée.

Louve prit la tête d'Orfeuille entre ses mains et la dévisagea gravement avant de lui parler.

"Alors, voila où nous en sommes vieille branche. Toi tu es mort et moi je suis en vie. Mais regarde un peu ce que tu m'as forcé à faire ... Si tu t'étais laissé occire sans faire d'histoires, je n'en serais pas là. Tu aurais dû te monter raisonnable et je t'aurais offert une mort propre. Tout est de ta faute."

Elle frissonna malgré sa fanfaronnade. Avant de descendre de l'arbre, elle regarda autour d'elle, les sens aux aguets.

Il n’y avait personne et Louve put se remettre en route. Rien ne vint entraver sa progression à travers la vieille forêt. De longues heures plus tard, vers la fin d’après-midi, elle aperçut enfin la grotte où Malagate l’avait conduit, où Zig s’était trouvé et où elle avait vu le Prince de la Lune Noire. Pour l’instant, l’endroit semblait désert. Mais... une odeur de rat flottait dans l’air.

Zig était donc là. Etait-il déjà parti en mission ? S'il était revenu, c'est qu'il l'avait réussi et qu'il était membre à part entière de la meute. Peut-être leur alliance pouvait-elle fonctionner après tout. Dans tous les cas, elle continuait de se défier de lui. Ce qu'elle venait de vivre ne faisait qu'augmenter sa paranoïa.

Essayant d'avoir l'air le plus flegmatique possible, elle s'approcha donc de la clairière.

Zig ? Non... Louve, en s’approchant, comprit que ce n’était pas son odeur. Malagate alors ? Non plus. Cette effluve était celle d’un inconnu. La lycanthrope ne fut donc pas trop surprise de voir sortir de la grotte un individu qu’elle ne connaissait pas. Il était de taille moyenne, maigrichon, mais à la posture droite, assurée. Un homme de trente ans, vêtu comme un bandit, mais qui ne semblait pas être un imbécile. Son visage avait quelque chose de mondain, sans doute à cause de son bouc taillé en pointe et de ses fines moustaches. À moins que ce soit simplement le fait qu’il semblait prendre un minimum soin de sa personne.

« Ha, la rousse, de retour... Vous n’avez pas traîné. Vous avez la tête ? »

Sa voix, à l’accent travaillé, soulignait le fait qu’il n’était pas un sauvage.

Pas Zig mais sûrement un autre rat d'un tout autre accabit. Pas une petite main, plutôt une des huiles qu'il fallait respecter. Louve inclina un peu la tête pour le saluer avant de lui tendre la tête d'Orfeuille.

S'il l'interrogeait, elle lui parlerait. Mieux valait éviter les longs discours.

Le rat-garou jeta un coup d’œil intéressé à la tête, sans toutefois la prendre.

« Mouais, c’est bien notre druide enquiquinant. Félicitation. Le Prince sera ravi. »

Il releva les yeux sur la rousse.

« Pardonne ma curiosité, mais ça c’est passé comment ? De ce que j’ai pu constater, le bougre avait un certain répondant. Impossible de le prendre par surprise à cause de ses fichus animaux. De toute façon, je déteste la forêt. À cause de lui, je la déteste encore plus. »

Louve regarda l'homme dans les yeux. Elle n'avait pas envie de mentir mais pas de tout dire non plus.

"Vous avez raison pour la surprise. J'ai tenté un subterfuge mais il n'a pas fonctionné. Il se méfiait et un renard lui a confirmé qui j'étais. J'ai dû employer la force."

Pour l'instant, elle n'avait pas envie de dire de quelle force il s'agissait. La sienne et une autre plus puissante à laquelle elle s'était temporairement alliée. Mieux valait le passer sous silence.

La Couronne de Cuivre

[Quête] La Lune Noire