La Couronne de Cuivre

" Tu ne dois pas te forcer à rester auprès de moi si tu n'en as pas envie, murmura Galathée. Je comprends que l'inactivité te pèse et cette campagne resplendissante est immanquablement attirante. Mon fardeau ne doit pas forcément être le tien... Ta culpabilité sera mauvaise compagne."
Elle soupira et étouffa un bâillement.
" De quoi parle le livre que t'a offert Tim ?"

-Il parle de la musique des sphères, répondit-il. On raconte qu'à l'aube des temps, l'univers fut créé par un chant primordial, un chant où musique et magie étaient étroitement mêlées. Il serait encore possible de le percevoir, de découvrir une sorte de musique universelle assurant la cohésion du monde, animant et unissant chaque être, chaque chose... Des érudits mènent des recherches à son secret, et l'on dit que ceux qui parviennent à la trouver percent de grands mystères, obtiennent de grands pouvoirs...
Il sourit.
-Je ne peux pas t'en dire plus; Jusqu'ici, je n'avais entendu que des rumeurs à ce sujet. Ce livre me permettra d'en apprendre davantage. Enfin, si je suis capable de le comprendre, ce qui n'est pas encore certain...

" Ne sois pas faussement modeste, je suis certaine que si quelqu'un peut y arriver..."
Elle se tourna vers lui.
" Ça a l'air bien intriguant... et bien dans ton genre... Tim a dû réussir à percevoir ta musique à toi... Logique, pour un clerc des bardes, je suppose."
Un moment, quelque chose passa dans son regard, quelque chose de ténu, peut-être un peu d'inquiétude, ou une pointe de regret... ou simplement le reflet de l'admiration qu'elle lui vouait. C'était difficile à dire. Cela disparut presque aussitôt.

Ce qu'il vit lui valut un pincement au cœur, et un soupçon d'inquiétude.
-Il a bien du mérite, parce que je peine à percevoir ma propre musique, souffla-t-il. Mais cela m'importe peu, en réalité. Tout ce qui compte, pour moi, c'est celle qui nous unit tous les deux, et celle que nous jouerons ensemble, avec nos enfants.
Il sourit à nouveau.
-Métaphoriquement parlant, bien sûr. J'ai bien noté que tu ne voulais pas apprendre à jouer d'un instrument de musique, et je ne l'imposerai pas non plus aux petits s'ils n'en ont pas le désire.

" Je pense que Victor et Baptiste feront déjà des élèves assidus..."
Elle sourit.
" J'espère qu'ils s'entendront bien... Baptiste est un jeune homme charmant, mais il a un côté... premier de classe... qui va certainement agacer notre Victor. Je peux déjà le deviner... Enfin... Ils se connaissaient avant Morféa et ils étaient camarades... mais je crois qu'ils ont changé, tous les deux..."
Elle noya un nouveau bâillement entre ses paumes.
" Nous veillerons. Tout se passera bien. Tu l'as dit... Lathandre t'a souri. Je trompe mon angoisse de demain en songeant à après-demain. Ridicule."

-Ce n'est pas ridicule. Moi qui suis plus... extérieur à ce qui va se passer, je suis inquiet aussi. Même si je suis convaincu que tout ira bien. Mais voilà, ça n'est quand même pas n'importe quel événement...
Il lui prit la main.
-Concernant Baptiste, il ne faut pas se fier aux apparences. Il adore lire, c'est sûr. Pour le reste... Nous avons sauvé un paladin qui le connaissait. Il nous a dit que c'était jadis un gosse plein d'humour, qui mettait beaucoup d'ambiance à la commanderie. Un peu trop, même... C'est sûr qu'il a dû bien changer, depuis. Néanmoins, quand il sera remis, quand il sera convaincu que ce n'est pas parce qu'il fait quelques bêtises que nous le chasserons... Je pense que son espièglerie reprendra le dessus. Et qu'il feront une sacrée paire, avec Victor.

" D'où mon inquiétude que tu ailles te perdre dans la musique des sphères." dit-elle d'un ton léger, en lui écartant les cheveux du front.
Elle ne lui laissa pas l'opportunité de répondre et l'embrassa.
" Je vais dormir... Comme hier et le jour d'avant, je n'ai rien fait et je suis pourtant épuisée."
Elle se retourna ensuite sous les draps, cherchant une position confortable sans la trouver. Le barde percevait sa nervosité et son incapacité à la museler. Elle finit par se blottir contre lui, de biais, le ventre reposant sur le sien. Il sentit quelque chose remuer à l'intérieur, puis la peau se tendit brusquement et demeura dure pendant quelques secondes, avant de se relâcher.
" Demain... ou le jour d'après..." souffla la rôdeuse.

-Si vite ? Je croyais qu'Helen voulait essayer de gagner au moins une veille...
Oui, "essayer". Manifestement, elle n'avait pas réussi.
Alors demain, ou le lendemain, l'accouchement se produirait, et leurs vies en seraient à jamais bouleversées.
Pour le meilleur, évidemment.
-Bonne nuit, Gal, lui souffla-t-il. Bonne nuit, vous deux, ajouta-t-il en posant une main légère sur son ventre.

Cette fois, la nuit se déroula sans heurts. Personne ne vint se glisser dans leur lit, aucun cri ne troubla le silence, et quand la lumière perla au petit matin, au travers des rideaux, venant tirer le barde de sa torpeur, Taliesin ne se souvint pas d'avoir rêvé de quoi que ce soit. A côté de lui, Galathée était déjà réveillée et elle lui sourit avec la mine de quelqu'un qui n'a pas beaucoup dormi. Elle paraissait cependant sereine, ou peut-être résignée.
" Bonjour, beau doux ami, souffla-t-elle. J'espère que tu as passé une belle nuit. J'ai pensé à toi... La lune était superbe... j'ai guetté... mais le cerf n'est pas venu."
Ils entendirent des rires distants, provenant de l'extérieur.
" Les enfants sont debout depuis un moment... Je crois qu'Alexandre et Blanche s'en chargent... Je n'ai pas entendu Perceval. Helen est sans doute levée, elle aussi. Et comme tu peux le constater, notre progéniture est toujours bien au chaud."

-Courage : cela ne durera plus très longtemps et, ensuite, tu ne devras plus être seule à t'occuper d'eux.
Il l'embrassa longuement puis se leva et entreprit de se changer.
-Je vais nous chercher le petit déjeuner : on ne dirait pas, comme ça, mais je peux être galant, parfois... Quand nous aurons terminé de manger, nous ferons notre petit baluchon et gagnerons le tilleul.
Avant de partir, toutefois, il prit le temps d'ouvrir les rideaux.

Le ciel était un peu voilé, mais il ne semblait pas devoir pleuvoir. Il y avait cependant davantage de vent. Taliesin pouvait voir l'herbe et les branches des arbres danser dans la lumière.
" Je ne suis pas certaine que je vais savoir aller jusque là, dit Galathée, d'une voix douce. Je vais devoir me plier en deux tous les trois pas... et si les bébés viennent là-bas... Enfin, tu me dirais que c'est un joli cadre, sous un tilleul, en pleine nature... Peut-être devrais-je faire l'effort... Mais j'ai l'impression qu'Helen ne se laissera pas avoir deux fois. Elle m'a sermonnée, hier, sur cette escapade. Je lui ai dit que j'avais envie qu'ils naissent, à présent. Elle a dit que ça ne tarderait plus... Peut-être va-t-elle capituler..."

-Et si nous la mettions devant le fait accompli ? Je nous rends invisible, je t'aide à gagner le pré, puis je reviens chercher à manger...
Il sourit, malicieux.
-Mais je ne veux pas t'infliger de trajet trop pénible. On peut rester ici, ou se trouver un coin agréable à l'intérieur de la maison ou aux environs immédiats. C'est vraiment comme tu préfères.

" Peut-être qu'une chaise longue dans l'herbe, ce serait déjà le paradis... Et ne me rends pas invisible ! Imagine si les bébés naissent dotés de ce genre de pouvoir... des bébés qui disparaissent subitement et puis qu'on doit chercher en remontant des pistes de panade ou de pipi... Quelle horreur."
Elle ferma les yeux.
" Va plutôt me chercher de quoi déjeuner... Ensuite, nous aviserons. Il serait temps de nous inquiéter du berceau... et des langes."

-Mais les langes sont prêts, non ? C'était l'un des objectifs de votre atelier couture d'hier martin... Le berceau, en revanche, ça risque d'être plus compliqué... Mais on s'arrangera. En tout cas, tu as raison, mieux vaut que nous nous occupions de cela sans plus tarder. Car à partir d'aujourd'hui... ou de demain... et pour des mois et des mois, nous n'aurons plus une seconde à nous ! Enfin, hormis quand ils feront leurs nuits. Il paraît que, pour certains bébés, ça ne prend que quelques veilles...
Il lui sourit puis s'en fut récupérer le petit-déjeuner.

Il dut aller directement dans la cuisine : il ne restait rien dans la salle à manger. Il trouva cependant tout le nécessaire pour concocter un petit déjeuner sain, en ce compris une note d'Helen lui enjoignant de cuire un oeuf à sa compagne. Il y avait aussi une infusion qui n'attendait que l'eau bouillante, du miel onctueux et du pain encore chaud.
Galathée le remercia pour se largesses lorsqu'il reparut et ils petit-déjeunèrent tranquillement sur le lit en devisant de choses triviales. Un peu plus tard, quand le barde rejoignit la cuisine pour faire sa vaisselle, il croisa un Perceval vaseux qui lui adressa un sourire incertain avant de se préparer un thé corsé. Apparemment, les garçons s'étaient levés aux aurores et une bataille d'oreilles avait eu lieu, réveillant la moitié de la ferme. Taliesin et Galathée dormaient du bon côté. Alexandre parut peu après et informa le barde qu'il avait l'intention d'essayer de fabriquer un semblant de berceau, mais que si l'elfe y connaissait quelque chose en travail du bois, il était bienvenu pour lui donner des conseils.
Taliesin songea cependant à Galathée et il l'aida à s'installer dans l'herbe, non loin de leur chambre.

Une fois encore, il n'allait pas pouvoir tenir ses engagements envers la rôdeuse. C'était pour la bonne cause, cependant. Le travail effectué l'été précédent - il avait bien fallu se fabriquer des meubles - et dans une moindre mesure quelques jours plus tôt, chez les DouceChute, allait lui être utile. Aussi, après avoir expliqué la raison de son départ à Galathée, rejoignit-il Alexandre, bien décidé à ne pas s'en tenir à des conseils mais à mettre la main à la pâte. A deux, peut-être en auraient-ils terminé avant le soir. Du moins en ce qui concernait le gros œuvre : pour les finitions, l'on verrait plus tard, l'important étant que le berceau soit fonctionnel au plus vite.

Alexandre l'attendait dans un petit hangar voisin du corps principal de la ferme. On y entreposait du bois et Taliesin vit qu'on y avait déjà bricolé plus d'un meuble de fortune.
" Bon, la première chose qu'il faut régler, c'est le nombre... Un seul grand berceau, ou deux ? Est-ce qu'il vaut mieux qu'ils se serrent comme dans le ventre de leur père, ou bien doit-on leur apprendre à se comporter en individus distincts ? Sans compter que les jumeaux ont la réputation de s'éveiller à tour de rôle... Séparés, ils se réveilleraient moins souvent... mais s'endormiraient peut-être plus mal. Ce n'est pas à moi de trancher."
Il sourit.
" Ensuite, nous fabriquerons quelque chose. Ce n'est pas bien grave si c'est un peu bancal : un sortilège l'améliorera ensuite."

Le barde grimaça.
-Sincèrement, Alexandre, je n'ai absolument aucune expérience des bébés. Ni des jumeaux, d'ailleurs : j'ai bien une sœur jumelle, mais comme j'ai découvert son existence il y a seulement quelques mois, ça ne compte pas vraiment... Spontanément, je trouverais cruel de les séparer alors que cela fait neuf mois qu'ils grandissent ensemble, mais...
Il haussa les épaules.
-Mais à mon avis, le plus important est d'avoir achevé ce travail à temps. Alors fabriquons un seul berceau si en faire deux est trop complexe, ou inversement...

" Bon, on va essayer de le faire à bascule, alors... Ce sera plus facile pour les bercer... Toi qui es féru d'instruments de musique, tu sais peut-être comment obtenir une belle courbe dans du bois... Les scies sont là... les ciseaux à bois ici... et tu as l'embarras du choix pour choisir ton essence. Le pin est facile à travailler, mais peut-être voudras-tu user de symbolisme... Tu es barde, après tout. Le pommier représente l'amour, le cèdre la confiance... Puisque tu sembles avoir des affinités avec Lathandre et que tu es barde, peut-être voudras-tu utiliser du hêtre pour stimuler la créativité... Evite le tilleul, le saule ou le peuplier, cependant. Ce sont des arbres peu sereins."
Il sourit, soudain embarrassé.
" Je vais faire le sommier, si tu le permets. Beaucoup plus simple."

Taliesin resta un moment muet. Il s'était préparé à fabriquer un meuble, non un objet chargé de sens... Par conséquent, il avait l'impression de se retrouver devant un choix crucial qu'il se sentait bien en mal de trancher sans l'avis de Galathée. Il se ressaisit, cependant : on ne parlait que de symbole. Et, après un instant de réflexion, c'est pour le pommier qu'il opta : il ne souhaitait pas influencer le futur des jumeaux, il voulait juste qu'ils ne soient jamais privés d'amour, jamais plongés dans l'horreur. C'était, de loin, le plus important. Sa décision prise, il se mit à l’œuvre, aussi concentré et minutieux que lorsqu'il avait sculpté son élémentaire. Cette fois, il ne s'agissait pas de payer une dette, ou de s'occuper les mains et la tête pour chasser des idées noires. Non, il voulait juste bien faire.
Bien faire son travail de père, qui allait commencer sous peu.
Qui commençait à l'instant, en réalité.

Taliesin parvint à extraire deux bascules du bois de pommier mais c'était un travail qui demandait concentration et temps. Les courbes devaient être symétriques, parfaites, et il s'appliqua, un crayon de plomb et une ficelle comme acolytes précieux. Alexandre vint le féliciter pour son travail.
" Bon... Veux-tu que nous fassions le tout en pommier, ou devrions-nous marier les essences ? En choisissant des bois différents, nous pourrions leur créer un cocon de valeurs..."
Il sourit.
" Je vois tes yeux qui s'agrandissent d'horreur, mais rappelle-toi que tu as affaire à un clerc ! Comment espérais-tu t'en tirer ?"
Il se tirailla la lèvre inférieure, songeur.
" De l'érable pour l'indépendance d'esprit... Du châtaignier pour l'honnêteté... Et du noisetier pour l'extraordinaire ! Ils méritent un peu d'extraordinaire, tu ne crois pas ?"

Il ne chercha même pas à lutter.
-Ils ont déjà une mère extraordinaire ! répondit-il, esquissant un sourire. En dehors de cela, je leur souhaite une vie calme, paisible, sans péripéties... Mais sans doute est-ce égoïste de ma part. Sans doute trouveraient-ils cela ennuyeux. Donc... Très bien pour le noisetier et pour les autres essences que vous avez suggérées. Pour le reste, du hêtre, peut-être : la créativité est une belle valeur, non ?
Il s'accorda un instant de réflexion et son sourire s'élargit :
-Avez-vous du bois aidant à faire vite ses nuits ? A apprendre la propreté en un rien de temps ? A se contenter de trois repas par jour en l'espace de quelques veilles ?

" L'olivier est censé apporter la sagesse, mais n'est-ce pas cruel d'imposer cela à de petits bébés ?" demanda le Chauntéen.
Il s'approcha de ses planches.
" Et je n'en ai plus, en fait. Mais entre nous, Taliesin, ça ne fonctionne pas très bien... Ne vous faites pas d'illusions quant au pouvoir des arbres. Les sortilèges que nous leur lancerons au moment de leur présentation aux dieux seront beaucoup plus efficaces pour déterminer leur tempérament et leur destinée."
Il posa la main sur une planche et l'examina avant de la soulever.
" C'était une blague. Nous ne leur lancerons rien du tout. Même s'ils pleurent toute la nuit pendant deux mois."

Le barde soupira. Il avait réellement craint, un moment, qu'une telle cérémonie soit organisée. Non pas qu'il l'aurait refusée par principe : simplement, à quels dieux les présenter ? A titre personnel, il n'était plus très sûr de qui il priait par principe ou par conviction...
-Si si, nous aurons recours à des sortilèges, affirma-t-il d'un ton léger. Zone de silence ne les affectera en rien, puisqu'il concerne uniquement l'environnement. Mais il sera très efficace : grâce à lui, nos tympans ne saigneront pas... Cependant, ne nous prenez pas pour des parents irresponsables : nous resterons non loin d'eux, nous verrons qu'ils ont faim ou mal ou besoin de compagnie à leurs mimiques.

Alexandre rit joyeusement.
" Un barde qui lance zone de silence, on aura tout vu. Moi je te dis qu'on les entendra, vos gamins. De la cave au grenier, même. Mais c'est le printemps. Nous vous laisserons la ferme et nous irons camper dans les hauteurs. Je t'expliquerai comment nourrir les chats et les poules."
La silhouette de Blanche s'encadra alors dans la lumière de la double-porte béante.
" Judicaël est arrivé avec Kerun, l'agent luménien.
— Je sais de qui il s'agit.
— Il voudrait aller à Phelyn dès ce soir. Est-il encore temps de prévenir un passeur ? Il dit qu'il peut y aller seul, mais les sentiers sont traîtres.
— Oui. Je vais descendre au village."
Blanche sourit.
" Veux-tu que je t'envoie des petites mains, Taliesin ? Ou vas-tu te débrouiller tout seul ?"

Il songea à Perceval, épuisé alors que la journée avait à peine commencé, aux gamins sans doute en train de s'amuser... Non, il n'avait pas le cœur de les déranger.
-Je vais me débrouiller, répondit-il, retournant son sourire à la prêtresse. Mais... Y a-t-il un problème ou une urgence, pour que Kerun soit si pressé ?
Il avait beau se trouver ici, au milieu d'un petit bout de paradis, il n'en oubliait pas pour autant ses compagnons, et le débarquement imprévu du Luménien, son besoin de passeur... Cela ne manquait pas de l'inquiéter.

" Non, pas que je sache. Judicaël a l'air plutôt détendu. Kerun, par contre, je ne le connais pas, je ne saurais juger. Je crois que vu les délais, il a décidé d'aller reconnaître le port. Compte tenu de la proximité entre Helonna et la côte, je crois qu'il a dans l'idée de faire venir un navire d'Antelucas pour venir vous chercher plutôt que de devoir trouver un capitaine prêt à vous embarquer avec sa cargaison. Il a l'air de penser que vous serez un peu trop nombreux pour vous glisser sur le premier bateau venu. Ou alors il préfère s'assurer de la loyauté de vos convoyeurs.
— C'est vrai que si vous êtes une dizaine, rares sont les marchands qui voudront vous embarquer." remarqua Alexandre en s'essuyant les paumes sur son pantalon.
Il sourit au barde.
" J'espère que ce berceau se balancera quand je reviendrai !"

Il se demanda de combien de temps leur retour serait retardé, si Kerun voulait vraiment faire venir un bateau d'Antelucas.
Mais ce serait plus prudent, sans doute.
Il se dit aussi que, même si les nouvelles de l'organisation du procès étaient horriblement mauvaises, il n'aurait plus aucun moyen d'y échapper une fois qu'il aurait mis le pied sur un bâtiment hélonnien.
Mais tout se passerait bien.
-Je l'espère aussi, et je ferai mon possible pour que ce soit le cas, répondit-il, tranquille, à son hôte.
Puis il salua les deux clercs d'un sourire, d'un geste de la main, et se mit au travail. A présent que les effectifs disponibles avaient diminué de moitié, il n'était plus question de perdre ne serait-ce qu'un instant, sous peine que les jumeaux arrivent avant que ne soit terminé le berceau.

Mais il ne demeura pas seul très longtemps : une nouvelle ombre s'encadra dans l'embrasure de la porte.
" Alors, on bricole ? Moi qui te croyais en train de bronzer sous le soleil — pas terrible, le soleil, d'ailleurs, faut bien le dire — je te retrouve encore en train de trimer ! Tu es impayable ! C'est une maladie, tu sais ? Mais pas du genre qui se soigne, je le crains."
Guéric lui décocha un large sourire.
" Tu veux un coup de main ? Tu fabriques quoi ? Un cheval à bascule ?"

-Presque : un berceau.
Il déposa ses outils et vint saluer son ami comme il se doit.
-Et tu sais, j'avais prévu de passer toute ma journée à deviser tranquillement avec Galathée. Mais celle-ci m'a rappelé qu'il fallait préparer un nid douillet pour les jumeaux, et Alexandre m'a recruté quelques instants plus tard pour ladite tâche : à mon avis, ces deux-là ont comploté derrière mon dos... Mais comme ce n'est plus qu'une question d'heures avant l'accouchement, je ne pouvais plus me permettre de paresser. D'autant que j'en ai bien profité hier.
Il sourit.
-Si tu veux rester pour bavarder, ce sera avec grand plaisir. Cependant, je refuse de te faire travailler : c'est ton jour de détente, il faut que tu le savoures du début à la fin !

La Couronne de Cuivre

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