La Couronne de Cuivre

" Oui, forcément. Ou bien Mielikki elle-même, va savoir. On dit que ses cheveux sont roux. Elle aurait aussi pu envoyer un firre... Ou même Shiallia, mais elle n'a pas tout à fait l'aspect d'une humaine, elle ressemble un peu à un satyre. En plus séduisant. Mais peu importe, il ne nous appartient pas d'en savoir plus. Si l'entité que tu as vu avait voulu qu'on connaisse son identité, elle t'aurait parlé. L'essentiel est que la Dame est intervenue pour restaurer ce bosquet..."
Il arracha ses jambes de bois au sol et s'approcha du jeune chêne.
" Ses blessures cicatrisent à une vitesse incroyable. Je le sens à travers le lien que j'entretiens avec tout arbre... Il gardera une marque, forcément, qui deviendra au fil du temps un creux dans son tronc, où viendront s'abriter les petits animaux des sous-bois... Jeune Kasumi, tu es réellement béni de recevoir un tel soutien de la Dame."

Marqué par l'émotion, Kasumi en prenait peu à peu conscience et la pensée avait de quoi lui faire tourner la tête. Comment lui, un jeune rôdeur de rien pouvait recevoir tant d'attention de sa déesse ? L'idée même qu'une créature divine ait pu le visiter pendant la nuit était tellement renversante qu'il préférait ne pas s'y attarder : c'était tellement impensable !

L'essentiel était bien que le chêne semblait se remettre de la veille si mouvementée et que la clairière retrouvait elle aussi sa vitalité. C'est fort de ces nouvelles certitudes et regonflé à bloc qu'il se décida à se relever : il y avait bien du travail encore et il escomptait profiter de sa forme pour en abattre le plus possible ! L'un des objectifs de la journée serait d'aller prendre des nouvelles de l'état de la résurgence : même s'il répugnait à s'éloigner de la clairière et de toute sa bienfaisance, il devrait le faire tôt ou tard ne serait-ce que pour se ravitailler.

Il traversa donc le rideau de buis à demi-brûlé qui ne dissimulait plus grand-chose, se dirigeant vers le sud et la résurgence. Très vite, il ressentit le contraste entre l'atmosphère accueillante et chaleureuse de la source, et celle, sombre et délétère, de la résurgence toujours souillée. Celle-ci n'avait changé en rien : il s'y trouvait toujours le même amoncellement de carcasses exhalant leur odeur nauséabonde, et l'eau stagnante était verdâtre -on avait peine à croire qu'elle provenait de la source pure que Kasumi venait de quitter. Les herbes étaient aussi brunes et sèches que si l'incendie les avait frôlées, alors qu'il avait débuté plus au nord et ne s'en était pas approché. L'endroit était imbibé de maléfice.

En prenant la mesure de toute cette souillure, le demi-elfe dut faire un gros effort pour résister à l'impulsion de faire demi-tour. L'endroit était encore plus malsain par contraste avec les abords de la source purifiée mais il savait de son devoir de tenter de restaurer l'équilibre naturel dans cette zone sinistrée.

Les malarites étaient manifestement partis. Dès lors, il pouvait espérer que ses efforts ne soient plus mis en échec. Il commença donc par inspecter la zone à la recherche d'activité mort-vivante : il lui fallait éliminer toute menace avant d'envisager le pénible labeur de dégager la résurgence des carcasses qui l'encombraient.

A cette heure où le soleil chauffait de tous ses rayons, les morts-vivants n'étaient guère présents, sans doute réfugiés en de plus sombres cachettes. Il eût beau scruter les alentours, il ne trouva que deux goules, promptement éliminées. Peut-être faisaient-elles partie de celles qu'il avait aperçues, l'avant veille, en train de festoyer des restes de chair accrochés aux ossements.
Une fois cette menace éliminée, il put prendre la mesure de la tâche qui l'attendait : le charnier de la résurgence, alimenté jour après jour par les malarites depuis plusieurs veilles, était autrement plus conséquent que celui de la source sacrée. Il s'y trouvait une bonne vingtaine de carcasses de taille imposante, et bon nombre d'autres plus petites. Il y avait au moins un corps humain, dans un état de décomposition avancé. Nettoyer l'ensemble lui prendrait plusieurs jours, puisqu'il lui fallait les transporter loin d'ici. Et il pressentait qu'il y avait là une souillure plus profonde, qui ne s'expliquait pas seulement par la présence des charognes. Comme les malarites avaient tenté de le faire pour la source, la résurgence avait dû être maudite, par un maléfice puissant, des années voire des décennies auparavant.

Il y avait presque de quoi baisser les bras mais Kasumi était plein d'énergie et d'optimisme et n'allait pas renoncer à la première difficulté. Il n'avait plus d'eau bénite et la seule tâche de dégager les corps s'annonçait colossale mais il le devait à tous ceux qui avaient péri ici. Il devait le tenter pour que les créatures mort-vivantes cessent d'affluer dans les parages immédiats de la clairière. Peut-être qu'en requérant une petite charrette à bras à Peyregorde, gagnerait-il du temps pour au moins extraire et incinérer les carcasses... En tous cas, pour cette journée, il entendait dégager l'homme défunt et lui fournir une sépulture décente.

Il se mit donc au travail, dégageant d'abord les carcasses sous lesquelles était enfoui le corps. Il nota que des corbeaux l'observaient, perchés sur une branche un peu éloignée, mais sans faire mine de réclamer leur part. Il réalisa alors qu'aucun charognard ne semblait tenté par ces cadavres. Même les mouches et leurs asticots semblaient nettement moins nombreuses qu'elles ne l'auraient dû. Signe, sans doute, que le lieu était bel et bien maudit et que les bêtes le percevaient.

Avant d'atteindre le corps, il lui fallait écarter une carcasse de sanglier et une autre de cervidé, qu'il transporta au loin, essayant de ne pas songer à la quantité de travail similaire qu'il aurait à fournir. Alors qu'il leur adjoignait une troisième carcasse d'origine indéterminé, il s'aperçut que les vautours l'avaient suivi et semblaient bien plus intéressés désormais, maintenant qu'ils étaient loin de la résurgence. Ils n'attendaient que son départ pour se nourrir des restes.

Kasumi décida de ne pas s'en soucier : le rôle des charognards était de nettoyer la forêt et leur laisser les corps des animaux morts ne l'émouvait pas plus que cela pour l'heure. Bien sûr, il n'avait pas non plus l'intention de les laisser pourrir pendant des jours à même le sol mais son objectif était avant tout d'atteindre l'humanoïde et de le dégager de la zone maudite. Il en aurait probablement pour le reste de la journée d'autant qu'il voulait encore trouver un autre point d'eau où il pourrait procéder à ses ablutions sans pour autant risquer d'infecter la source du bosquet.

Son travail lui prit du temps, effectivement. Il dut dégager cinq carcasses animales, qu'il entassa toutes au même endroit, vers le nord-ouest, là où se trouvait le départ de feu. Les vautours guettaient, impatients - ils étaient d'ailleurs de plus en plus nombreux.
Il put ensuite, enfin, s'occuper de la dépouille. Trop abîmée, elle était impossible à identifier : il manquait même des morceaux de son squelette. Il manquait d'outils pour l'inhumer correctement -il avait eu bien du mal à creuser le sol pour en tirer de l'argile la veille-, mais le sol était meuble, et en utilisant une cavité naturelle qu'il trouva au pied d'un arbre, plus au sud, il parvint à offrir au corps une sépulture décente.
Alors qu'il revenait vers la source, il aperçut, là où il avait laissé les corps des bêtes, un véritable ballets de vautours et quelques corbeaux également. Plus de charognards qu'il n'en avait jamais vus au même endroit.

Le rôdeur n'hésita pas longtemps sur la conduite à tenir : d'une part, il était dans l'ordre naturel des choses que les charognards se repaissent des carcasses d'animaux et d'autre part cela solutionnait son problème : mieux valait voir cette chair nourrir le cycle de la vie que de simplement l'incinérer. En revanche, il se garda bien de tirer l'un ou l'autre des oiseaux : ils étaient réputés peu goûteux et, à force de manipuler des carcasses depuis des heures, il se sentait incapable de manger de la viande dans l'immédiat. Non, il préférait de loin se mettre en quête d'un point d'eau propre et de fruits comestibles.

Un point d'eau propre... après réflexion, ça n'était pas si difficile à trouver: la source sacrée s'écoulait dans un ruisseau, qu'il avait été jusque-là incapable de suivre tant il était noyé sous les buis. L'incendie ayant causé pas mal de dommages à ceux-ci, il pouvait désormais en suivre le cours relativement aisément et, à distance de la source, y prélever un peu d'eau. Il pouvait même y pêcher, sans doute : des goujons, brêmes et petites truites s'y ébattaient joyeusement.
En poursuivant son exploration au milieu des buis à demi calcinés, il découvrit que le ruisseau s'achevait brutalement, s'engouffrant sous les racines d'un aulne pour y disparaître. Il se trouvait à moins de vingt toises de la résurgence, là où l'eau réapparaissait à la surface. L'aulne avait souffert de l'incendie tout proche, ses feuilles brunes pendaient lamentablement, mais il n'avait pas brûlé complètement et devrait reprendre de la vigueur, sans doute au printemps prochain.
Pour trouver des fruits, en revanche, il lui fallait quitter la zone incendiée, peut-être se diriger vers la rivière.
Ce n'est qu'à la tombée de la nuit qu'il découvrit enfin, dans une clairière, des myrtilles à foison, ainsi que quelques mures et framboises. Cela ne remplacerait pas un vrai repas... mais il pouvait aussi ramasser quelques glands ou, mieux, quelques rares châtaines de l'automne précédent. Et en furetant encore, il reconnut, enfin, des feuilles annonçant la présence de tubercules. De quoi se nourrir un peu mieux...

Kasumi poursuivit sa cueillette jusqu'à avoir réuni assez de vivres pour tenir jusqu'au lendemain soir. En prenant une heure ou deux pour pécher dans le ruisseau, il complèterai ses provisions mais cela devrait attendre le lendemain : il se sentait fatigué par sa journée de labeur et, plus important, il ressentait le besoin de retourner veiller près du chêne et de la source sacrée.

Il faisait nuit noire, et la source brillait sous l'éclat argenté de la lune presque pleine. La clairière était d'une quiétude presque surnaturelle, peuplée du chant des grillons et des cris des oiseaux de nuit. Le chêne se balançait doucement sous la brise : ses blessures superficielles s'étaient refermées, et celle causée par la hache se durcissait, cicatrisant tout autour de l'entaille. Le sylvanien était un peu plus loin, au milieu des buis, proche de la source, offrant ses branches aux oiseaux pour la nuit.
Kasumi était épuisé, mais le calme des lieux était tel que le simple fait de s'approcher de la source semblait lui rendre des forces. Il ressentait sa magie, ressentait la sève pulsant dans le chêne, ou peut-être était-ce une illusion ? En tout cas, il était plus serein qu'il ne l'avait pas été depuis longtemps.

Le demi-elfe se sentait ému et ragaillardi à la fois. Quelque part, il avait l'impression de se trouver dans un sanctuaire préservé pas vraiment destiné aux mortels mais qui l'accueillait néanmoins comme s'il y avait sa place.

Il retira ses bottes pour le plaisir de ressentir l'herbe sous la plante de ses pieds puis vint s'asseoir au bord de la source, y buvant directement de l'eau tandis qu'il dévorait son repas avec appétit. II leva un moment son regard vers la voûte étoilée et la lune magnifique puis les baissa à nouveau vers la clairière et sa si étrange luminosité. C'était décidément un endroit plus magnifique qu'il n'en avait jamais croisé et il ressentit un plaisir anticipé à l'idée de le faire découvrir à sa compagne. Sylvia aussi comprendrait toute la magie de cet endroit.

Il s'endormit serein, avec la sensation floue qu'une entité bienveillante et toute puissante veillait sur la source, mais aussi sur lui. C'était sans doute un peu comme le sentiment de confiance sereine qu'éprouve un nouveau-né en s'endormant dans le giron de sa mère...
Et ses rêves furent doux et apaisés, magnifiques aussi, sans qu'il parvienne à en garder le moindre souvenir.

Il fut réveillé bien avant l'aube par un bruit de branches écrasées et de grognements. Ils étaient encore à bonne distance, quelque part dans les buis, comme s'il y avait une lutte avec des grognements de souffrance, comme si quelque chose d'énorme écrasait des broussailles... Il avait du mal à émerger, si tôt, mais lorsqu'il ouvrit les yeux, enfin réveillé, il vit le sylvanien aux prises avec des adversaires invisibles, peut-être un groupe de morts-vivants, à quelques dizaines de toise. Il ne semblait pas en difficulté, cependant.

Mais les réflexes martiaux du rôdeur prirent le dessus : la proximité du combat eut tôt fait de lui faire reprendre conscience et de lui permettre de se lever. Il ne pouvait pas laisser le sylvanien se battre seul et défendre ce qui lui était si cher à sa place. Il s'empara donc de son arc et de ses épées et rejoignit le lieu de l'affrontement. La première chose qu'il convenait d'entreprendre était de mesurer les forces adverses puis il agirait en fonction...

Il y avait là une demi-douzaine de squelettes, ainsi que quelques goules et blêmes, que Akuburanar giflait de ses branches basses avant de les piétiner allègrement. Les morts-vivants ne faisaient pas le poids face au sylvanien, c'était une certitude. Néanmoins, ils pouvaient lui causer quelques blessures, peut-être lui transmettre des maladies, aussi était-il préférable de s'en débarrasser au plus vite. Et lorsque Kasumi joignit ses forces à celles du sylvanien, ils eurent tôt fait d'en venir à bout.
" Merci de ton aide, jeune demi-elfe. Même si tu aurais pu rester à dormir... Tu vois ainsi ce que sont les nuits ici depuis l'incendie."

Le combat - rapidement avorté - ne l'avait pas déchargé de toute son adrénaline et le demi-elfe balaya longuement les environs du regard avant de se convaincre qu'il ne viendrait pas d'autres mort-vivants dans l'immédiat. Rassuré temporairement sur ce fait, il prit le temps de nettoyer ses épées souillées avant de les rengainer et de répondre finalement :

- Je m'efforce de nettoyer la souillure dans la résurgence mais j'ai le sentiment que cela ne fera que freiner l'afflux de ces créatures. Avez-vous une idée de ce que nous pourrions faire de plus ?

Le sylvanien poussa un soupir, ressemblant étrangement au bruit du vent dans les branches.
" Pas grand-chose... La résurgence souillée les attire, et les attirera encore longtemps : elle a été maudite, il y a bien des années. Il faudrait un clerc pour la purifier... Ou une intervention divine, mais je crois qu'on a déjà eu notre content !"
Il secoua ses branches, chassant un écureuil qui y avait trouvé refuge.
" Le souci, c'est que depuis que l'incendie a détruit la végétation, le chêne est clairement visible d'ici, et je pense que la magie de la source restaurée doit briller comme un feu dans la nuit. Notre petit havre de paix apparaît clairement aux yeux des âmes damnées de ces bois, et ils doivent le percevoir comme un... je ne sais pas comment diraient les humains... une montagne à aplanir, un bosquet à bûcheronner... "

Alors comme cela ce qui apparaissait comme un miracle se retournait contre eux : la restauration de la pureté de la clairière via sa source allait aider le chêne à reprendre sa croissance mais ils allaient devoir faire face à tout ce que la Forêt Maudite contenait d'âmes damnées. En tous cas dans les environs... Si ce n'était pas une si mauvaise chose à moyen terme de se débarrasser de ces engeances, il allait falloir lutter pied à pied pour défendre la clairière. Et cela interdisait de relâcher leur vigilance.

- Maintenant que nous savons ce qui les attire et que nous avons une bonne idée du parcours qu'ils doivent emprunter, je peux placer quelques pièges. Cela en ralentira certains et les rendra plus faciles à abattre. Mais je vais commencer dès demain à dégager les cendres qui ralentissent la repousse des buis. Les charognards des environs ont certainement eu leur comptant de nourriture avariée pour un ou deux jours... Autant profiter de ce temps avant de reprendre mon travail à la résurgence.

" Dégager les cendres est une bonne idée. Mais la nature va à son rythme, tu le sais... Les buis ont été relativement peu touchés, il leur suffira de quelques veilles, peut-être jusqu'à la fin de l'été. Alors qu'il faudra deux ans, dans les zones les plus touchées par le feu, pour voir renaître une forêt. Je te conseille cependant, dans l'immédiat, de faire porter tes efforts davantage sur les zones situées en bordure de l'incendie, et de progresser peu à peu vers les secteurs plus touchés. Dans les zones où le sol a été le moins brûlé, quantité de graines dorment dans la terre, attendant le moment opportun. Et dès que le vent -ou ton action- aura chassé les cendres, tu assisteras à une explosion de germinations, qui se propagera peu à peu aux zones plus abîmées. Tu seras étonné par leur nombre et leur variété. Ainsi sont les lois de la nature : l'incendie détruit, mais il permet aussi la régénération d'une forêt plus riche qu'avant... Tout en enrichissant aussi le sol ! Cela dit, il est important que les cendres ne l'acidifient pas trop pour cela. Il faut parvenir à en ôter le surplus avant que les pluies ne les entraînent en profondeur. Mais tu as quelques jours de beau temps devant toi..."

Le sylvanien parlait avec passion et transmettait son amour des choses qui poussent. Le rôdeur prit bonne note de ses conseils, désireux de voir ce nouveau miracle de la nature et d'y contribuer à sa modeste façon. Son programme pour les prochains jours venait donc de changer : prier au réveil pour le chêne, travailler toute la journée à dégager les cendres, se ravitailler le soir et se préparer à combattre les mort-vivants attirés par la clairière la nuit. Et dire qu'il avait espéré passer un peu plus de temps auprès de Sylvia ou à la cabane ! Ce ne serait pas pour tout de suite !

Pour l'heure, toute menace semblait écartée, pour le moment du moins. Ils revinrent de concert auprès du chêne, intact et serein, baignant dans la clarté de la lune qui déclinait à l'horizon.
Le Sylvanien proposa à Kasumi de veiller tandis qu'il dormirait. Une fois le rôdeur réveillé, à l'aube, lui-même pourrait se reposer à son tour : les heures fraîches du petit matin avaient tendance à lui engourdir la sève et il n'aimait rien tant que rester parfaitement immobile jusqu'à ce que l'atmosphère se réchauffe un peu.

Cette répartition du temps de surveillance lui allait parfaitement et Kasumi souhaita une nuit paisible à son nouvel ami avant de regagner l'endroit où il avait laissé sa couverture. Malgré les circonstances mouvementées de son réveil, il n'avait aucun soute sur sa faculté à vite se rendormir : l'atmosphère était apaisante, toute urgence semblait écartée et il avait le sentiment du devoir accompli avec un programme pour les prochains jours. Il se recoucha donc sans arrières pensées.

La fin de la nuit fut aussi calme et paisible qu'il pouvait l'espérer. Il se sentait serein, en parfaite sécurité, et même s'il savait que ce sentiment pouvait être trompeur, induit par la magie des lieux, cela lui assurait un sommeil parfaitement réparateur, empli de rêves doux dont il ne garda aucun souvenir.
Le froid qui précède l'aube le réveilla, et il découvrit le sylvanien en train de s'endormir près de la source. Les premiers oiseaux du matin chantaient à qui mieux mieux, saluant l'aurore toute proche. La journée s'annonçait lumineuse.

Le rôdeur se leva sans tarder et passa volontairement dans le champ de vision du sylvanien pour lui signifier qu’il pouvait s’endormir sans crainte et qu’il prenait le relais de leur veille. Il retourna ensuite auprès du chêne pour prier comme il en avait pris l’habitude, y puisant une énergie et une impression de bien être à la mesure de la dévotion qu’il témoignait à sa déesse.

Ensuite, si son examen de l’arbre lui confirmait qu’il ne manquait de rien, il prendrait le temps de prendre un solide petit déjeuner avant de s’attaquer au travail qu’il avait convenu la veille. Il commencerait par nettoyer les abords de l’incendie qui se trouvaient le plus près de la clairière. Il ne doutait pas qu’il lui faudrait plusieurs jours pour en faire le tour alors autant commencer par le plus proche de la zone qu’il entendait préserver en priorité.

Le chêne se portait parfaitement bien : ses blessures cicatrisaient à vue d'oeil, les plus légères n'étaient déjà plus visibles et et la plus importante, celle causée par la hache des malarites, formait désormais un simple petit creux dans le bois.
Kasumi put donc déjeuner -autant que possible compte tenu du manque de variété dans ses provisions- et se mettre à l'ouvrage.
Il procédait avec méthode, ôtant les feuilles et branches abîmées des troncs sains pour favoriser leur repousse, avant de se pencher sur l'épineux problème des cendres qu'il fallait déblayer au maximum pour que la lumière du soleil atteigne le sol... mais où les entreposer ?
Il n'eût cependant pas le temps d'aller plus loin dans ses réflexions : un mouvement dans le ciel attira son attention. C'était le faucon de Sylvia.

" Tu rentres quand ?"

La question était directe... et un rien lapidaire.

Kasumi sentit toute l'impatience teintée de colère que la rôdeuse avait exprimée peut-être sans même le vouloir. Il devait bien reconnaître que la manière dont il était parti et l'absence de nouvelles avaient dû agacer la rôdeuse au caractère si bien trempé. Il réfléchit à une réponse diplomatique avant de se rendre compte - avec un zeste de lâcheté - que rentrer au village s'imposait. Non seulement il ne perdrait que peu de temps mais il avait aussi besoin de provisions et d'équipement pour transporter les cendres loin de la clairière. Il pourrait certainement emprunter une brouette ou une petite charrette à bras auprès de l'un des villageois. Cela devrait toutefois attendre que le sylvanien soit pleinement réveillé. Il inscrivit donc d'une écriture un peu hésitante :

"Je passerai en début d'après-midi mais je ne pourrai pas rester ce soir."

Autant préparer un peu le terrain même s'il ne couperait certainement pas à quelques réprimandes.

L'oiseau s'envola avec la courte missive et disparut à l'horizon. Le sylvanien semblait toujours endormi, aussi Kasumi put-il poursuivre encore un moment sa tâche. Il nettoya de son mieux la végétation encore en place, et prit la mesure de ce qui l'attendait ensuite. Effectivement, une brouette quelconque, ainsi qu'une bonne pelle, ne seraient pas de trop pour déblayer les cendres. Peut-être pouvait-il aussi prendre une petite bêche pour remuer la terre, une fois le plus gros enlevé...

Le Sylvanien donna signe de vie en fin de matinée, étirant ses branches vers le ciel comme pour saluer le soleil. Mais il resta immobile, planté près de la source : il faut dire qu'il ne pouvait guère être utile à grand-chose.

Kasumi avait déjà bien travaillé même si le labeur d'une matinée était à peine perceptible dans la masse qui lui restait encore à abattre. Toutefois, il avait acquis la conviction qu'il ne pourrait pas aller plus loin sans les outils appropriés. C'était en soi une bonne excuse pour s'absenter l'essentiel de l'après-midi même s'il devait reconnaître que l'impatience - et l'inquiétude - de voir Sylvia n'y étaient pas non plus étrangères.

Il salua le sylvanien quand il eut acquis la conviction qu'il était bien éveillé et lui fit part de ses plans : il allait retourner au village chercher des outils et serait de retour avant la nuit sauf imprévu.

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Aubépine