La Couronne de Cuivre

-Mais vous nous connaissez même pas ! Comment vous saurez qu'on sait bien se battre, qu'on est costauds, qu'on va pas mourir à cause du froid et tout, s'il y a pas les Épreuves ?
-Ils savent qu'on se bat bien, parce qu'on a fait honneur à notre tribu. Mais le reste, non.
-Et si nous on veut pas trahir la tribu ? Si on vous trouve pas assez bien pour nous ?
-Moi je veux bien faire partie de la tribu d'Alban, intervint timidement Ingmar. Ou qu'il est, Alban ?
-Et ou qu'elle est, Ruth ? s'enquit Ida.

Et bien, ils n'étaient pas sortis de l'auberge.
" Alban et Ruth sont à l'école. Ils apprennent... à lire et à écrire. Et l'histoire de notre île. Et à calculer."
En fait, il n'était pas tout à fait sûr du programme...
" Ils viendront sûrement vous voir plus tard. Mais Alban et Ruth font tous les deux parties de la même tribu que moi. Et que Gabriel. Et que tous ceux qui ont combattu vos guerriers. Mais pour nous, combattre, ce n'est pas le but de la vie. C'est une nécessité, parfois, quand nous sommes attaqués par d'autres personnes. Mais sinon, nous préférons faire d'autres choses. Cultiver la terre. Fabriquer des meubles ou des vêtements. Dessiner. Chanter. Soigner les autres. Etre heureux."
C'était abstrait, ils étaient tellement jeunes.
" Nous n'avons pas tous besoin d'être costauds ou de savoir nous battre. Certains le font, d'autres s'occupent d'autre chose. Et nous allons rester dans ce château. Il nous protégera du froid."
Il regarda à nouveau la fillette.
" J'espère que tu nous trouveras assez bien pour toi, Olga."
Il préférait ne pas s'avancer sur ce qui se déroulerait dans le cas contraire.

-J'sais pas. Vous avez quand même l'air super bizarres. Pis chuis pas sûre que ça me plairait, planter de bêtes légumes ou fabriquer des machins. C'est des trucs de faibles. Moi j'aime mieux le combat.
-T'façon on a pas le choix, on est des prisonniers.
-Ouais mais le shaman il a dit qu'on nous taperait pas. Alors comment qu'ils peuvent faire qu'on obéisse ?
-Moi j'dis que c'est des bobards.
-Ou alors ils ont des punitions pires que se faire taper dessus.
-Moi je veux pas être puni.
-Où que c'est, l'école ?

Parler avec eux avait sans doute été une erreur. Albérich espérait que ce ne serait pas contreproductif à moyen terme. Ils paraissaient encore plus sceptiques qu'auparavant, à quelques exceptions près. Il ne pouvait pas les blâmer : même au delà du lexique, ils parlaient une autre langue. Tous leurs référents étaient différents. Rien de ce qu'il disait ne pouvait faire sens pour ces gosses arrachés à leurs racines.
" Personne ne va être puni pour l'instant, dit-il finalement en se redressant. Et si certains d'entre vous veulent quand même continuer à se battre, vous avez vu que nous ne manquons pas de guerriers : ils ont vaincu les vôtres. Mais il n'y aura pas de violence et de brimades et de morts. Et ceux qui n'ont pas envie de combat sont autant les bienvenus que les autres, et nous leur trouverons une place dans notre communauté."
Contacter Varamyr devenait une urgence : il aurait peut-être de bonnes idées. Mais Albérich craignait qu'avant tout, il ne le maudisse et ne lui conseille le massacre, ce dont il ne voulait bien sûr pas entendre parler.

La mention de la défaite infligée aux Écorcheurs moucha Olga. Ses camarades, eux, s'entreregardèrent, hésitants.
-Donc en fait, on fait ce qu'on veut, dans votre tribu ?
-Ben non, le shaman a dit qu'on devait courir et sauter, là...
-Ça ressemble à une mini Épreuve, ça.
-...et après se laver.
-Mais on s'est déjà lavés hier !
Ingmar, lui, s'assit par terre et se mit à sucer son pouce, tandis qu'Ida scrutait le château, y cherchant peut-être un signe de la mystérieuse école.

" Vous allez voir que c'est un bain d'un autre genre. Je pense que vous apprécierez..."
Il se redressa.
" Mais quand nous en aurons terminé, vous devrez sans doute réintégrer votre chambre pendant une partie de la journée... C'est pour cela que nous avons pensé que vous pourriez apprécier de profiter d'un peu d'espace pour... bouger, simplement."
C'était sans doute stupide. Il recula vers Gabriel.
" On devrait peut-être envoyer chercher Ruth et Alban. Hier, quand ils leur ont montré l'exemple, les choses se sont passées très sereinement... et je dois avouer que je ne suis plus trop à la page en matière de jeux d'enfants."
S'il l'avait jamais été.

Le Lathandrite lui sourit.
-Tu t'es pourtant très bien débrouillé, tu sais. Lorsqu'ils t'ont vu incanter, ils auraient pu s'enfuir en hurlant, d'autant qu'à mon avis, leurs shamans ne sont pas des gens très recommandables. Mais ils n'en ont rien fait, ils t'ont écouté, ils t'ont répondu... Bon, je n'ai rien compris, mais au moins ai-je vu que vous dialoguiez, ce qui est un bon début !
Il observa la petite troupe incertaine.
-Alban et Ruth pourraient nous aider, oui : je ne sais pas s'ils jouent souvent mais ils savent ce que c'est et ces petits les ont à la bonne. De manière plus générale, je crois que les enfants de la Communauté pourraient constituer des auxiliaires précieux, au moins pour nos invités les moins revêches. Sans compter que cela les responsabiliserait, aussi.

" Bon, faisons venir Ruth et Alban. Je m'excuserai auprès des institutrices plus tard. Je leur demanderai de sélectionner certains de leurs camarades pour leur prêter main forte. On pourrait leur proposer de rester avec les enfants barbares pendant quelques heures l'après-midi, quelque chose comme ça... Si Hubert accepte, encore, de me prêter ses écuyers... Diable, je les exploite... Bref, c'est la nécessité. Est-ce que tu peux superviser ça ? Moi je vais aller jeter un oeil sur le second groupe... et voir ce qui est possible avec eux..."
Il faudrait qu'il reste sur ses gardes, mais il se ferait accompagner par un ou deux volontaires, au pire.

-D'accord, je m'occupe de tout. Mais je culpabilise un peu, parce que j'ai vraiment l'impression que tu me laisses la partie la plus facile du travail... Enfin, sache en tout cas que tu peux compter sur moi pour le reste aussi.
Albérich retourna près des salles où demeuraient les autres "invités", accompagné d'un surveillant, pénétra dans l'une d'entre elles. Y était réuni un groupe de gosses ayant visiblement entre huit et dix ans. Des captifs des Écorcheurs, comme en témoignaient leur regard hanté, leur épuisement manifeste qu'une nuit de sommeil n'avait guère atténué... Ils étaient tous assis contre les murs et, instinctivement, se recroquevillèrent sur eux-mêmes quand le clerc et son acolyte firent leur apparition.

Albérich soupira et se baissa.
" Vous ne devez pas avoir peur. Je ne vais pas vous faire de mal. Plus personne ne vous fera de mal. Vous avez été recueillis par une... tribu qui ne partage pas vos traditions. Nous voulons vous accueillir parmi nous. Votre tribu a été vaincue par les Ecorcheurs et nous avons détruit les Ecorcheurs. Ils ne vous feront plus de mal, plus jamais."

Les gamins le dévisagèrent, incrédules et craintifs. Durant un moment, aucun ne prit la parole. Puis...
-Nous nous sommes battus, mais les Écorcheurs s'en sont moqués et ne nous ont pas traités en guerriers.
-Nous avons pensé qu'ils voulaient manger notre tribu, même si ils le font rarement. Nous avons pensé qu'ils nous feraient passer les Épreuves.
-Mais non. Ils nous ont traités comme si nous étions des lâches et des faibles. Pour vous effrayer.

" Je sais que vous n'êtes ni lâches, ni faibles, mais la Tradition des Ecorcheurs est révolue. A présent, c'est notre communauté qui va manger vos deux tribus. Et nous ne vivons pas comme vous viviez. Nous habitons dans ces demeures en pierre... le combat n'est pas notre activité favorite, même si nous avons de vaillants guerriers... et surtout... nous ne mangeons pas les gens. Et nous ne les torturons pas non plus. Nous ne voulons pas vous faire peur. Mais nous sommes conscients que... les choses vont être difficiles pour vous... dans les jours qui viennent... Nous serons patients. Vous devrez faire un effort."

Il y eut un profond silence, des murmures inaudibles.
-Votre tribu est puissante, très puissante pour avoir vaincu les Écorcheurs...
-La notre était puissante aussi, très puissante aussi, mais les Écorcheurs n'ont pas respecté les règles.
-Faites nous passer les Épreuves. Dans quelques années, ceux qui auront survécu seront des guerriers aussi bons que les vôtres.
-Moi je serai un très bon guerrier.

C'était tout aussi mal parti qu'avec les petits Ecorcheurs, mais il ne pouvait pas les blâmer. Ces gosses ne connaissaient rien d'autre. Modifier leur mode de vie, leur culture... C'était un travail de titan en perspective.
" Il n'y aura pas d'épreuves, pas de combats, pas de morts, dit finalement Albérich en se redressant. Ce matin, vous pourrez sortir un moment... puis nous vous emmènerons vous laver. Je sais, vous l'avez déjà fait hier, mais vous n'êtes pas encore vraiment propres. Ensuite... Vous allez habiter ici un moment. Alors prenez le temps de vous installer un rien... Nous essaierons de transformer cet espace en quelque chose de plus agréable."
Quoi que cela veuille dire pour ces barbares.

Il y eut un regain de surprise parmi son auditoire. Un regain de crainte, aussi.
-Pas d’Épreuves ?
-Comment saurez-vous que nous ne sommes ni lâches ni faibles ? Que nous sommes au contraire solides, courageux, efficaces ?.
-Aucune tribu n'accepte quelqu'un si elle n'est pas sûre de sa valeur.
-Les lâches et les faibles sont des poids morts. Et dans les Landes, les poids morts affaiblissent les tribus.
-Et une tribu affaiblie disparait très vite.

Il soupira. Il perdait son temps, à nouveau. Et il restait deux groupes encore.
" Notre tribu n'est pas construite sur... la crainte et la force et le combat... Nous avons des guerriers... qui nous protègent... et qui tuent ceux qui nous veulent du mal. Mais la plupart des gens de notre tribu font autre chose de leurs journées... et ils sont aussi courageux et efficaces, mais dans d'autres domaines. Ils tissent des vêtements, ils fabriquent des outils... Ils cherchent des trésors dans la ville... Se battre, souffrir, mourir... Ce n'est pas obligatoire. Ce n'est pas comme ça que la vie doit absolument se dérouler."
Les actes seraient plus efficaces que les paroles, assurément.
" Ecoutez. Vous allez bientôt sortir. Cela ne sert à rien de grogner, d'insulter, de frapper. Cela ne nous impressionnera pas. Cela nous rendra tristes. Si vous voulez nous prouver que vous êtes braves et courageux et forts... Restez tranquilles. Il vous faudra beaucoup de force pour vous montrer à la hauteur de nos espoirs. Mais une autre sorte de force. Celle qui vient du coeur et de l'esprit."

Albérich ne sut s'ils avaient saisi ne serait-ce qu'une partie des principes sur lesquels leur nouvelle vie serait basée. En tout cas, les plus bavards de ses auditeurs semblaient encore avoir maintes questions à poser, mais ils préfèrent se tenir cois, à l'instar de leurs camarades. Et au moins aucun d'entre eux n'émit-il de protestation, n'eut-il de geste menaçant. Sans doute le fait que la Communauté ait vaincu les Écorcheurs et épargné à ces gamins un ignoble destin jouait-il en sa faveur.

Albérich quitta ce second groupe sans savoir bien quoi penser. Ces enfants étaient jeunes, mais en même temps, ils avaient vécu suffisamment longtemps pour que leur culture sanguinaire soit bien intégrée. Les en guérir paraissait impossible. Mais il faudrait du temps, le Luménien le savait : quelques bonnes paroles ne suffiraient pas à subitement leur faire entrevoir la lumière. Des mois seraient nécessaires. Il faudrait se donner le temps... être patient.
Une fois de retour dans le couloir, il décida de contacter Varamyr... en espérant qu'il puisse, en quelques mots, lui suggérer des idées constructives.

Albérich -> Communication à distance -> Varamyr

Le Paludier, qui connaissait les limitations imposées par le sortilège, ne se perdit pas en vaines paroles.
-Les petits : faites à l'instinct, ça ira. Les moyens : reprenez et adaptez quelques traditions, ils seront moins déroutés, plus réceptifss. Les grands : idem, mais fermeté... et très grande prudence.
Difficile de savoir ce qu'il pensait de leur démarche. Mais il n'avait pas poussé de hauts cris, c'était déjà ça.

" Merci." souffla simplement Albérich, reconnaissant, avant de retourner dans l'arène.
Pour pouvoir adapter des traditions, il allait d'abord falloir qu'il les découvre. Et pour ça... Il faudrait poser des questions. Il regagna donc la pièce qu'il venait de quitter et cette fois, il s'assit par terre.
" Si vous me racontiez un peu comment ça se passait, alors, dans votre tribu. Une journée ordinaire. Avant la venue des Ecorcheurs. Et quelles étaient ces fameuses Epreuves ?"

Son retour et ses demandent surprirent grandement les jeunes barbares. Les deux plus diserts s'observèrent, regardèrent les autres, revinrent à Albérich.
-Les Épreuves, c'est... le chemin pour devenir un vrai membre de la tribu...
-Ça commence à sept ans. Avant, c'est les femmes qui s'occupent des enfants : ils sont trop faibles pour mériter que les hommes leur consacrent du temps. Et ça se termine vers douze ans, par l'Initiation.
-A sept ans, les hommes viennent nous chercher et nous prennent tout ce qu'on avait.
-"Rien n'est offert, tout se conquiert".
-Voilà. A partir de là, si on veut quelque chose, quoi que ce soit, faut le gagner en se rendant utile où en étant très méritant pendant les exercices.
-Alors on se rend utiles en allumant les feux, en s'occupant des armes, en montant les tentes, en chassant, en faisant le guet...
-Et les exercices, ben, c'est apprendre à se battre. A très, très bien se battre. C'est aussi devenir résistant à tout : au froid, à la faim, à la fatigue, à la peur, à la douleur...
-Y en a quelques-uns qui sont trop faibles et qui meurent. Les autres, le moment venu, ils participent à un grand banquet où on mange des guerriers vaincus pour la première fois. Et ensuite, ce sont de vrais membres de la tribu.

Cette dernière partie, au moins, il faudrait l'oublier.
Il acquiesça.
" Et bien, vous êtes dans la même situation, à présent. Vous n'avez plus rien."
Il n'avait aucune envie de forcer ces enfants à se rendre utiles. Ce serait de l'esclavage pur et simple. Et il n'entendait pas les priver de quoi que ce soit. Non, il fallait qu'il s'en ouvre à quelqu'un d'autre. Il n'était pas capable de trouver la dureté nécessaire en lui-même. Ce n'était pas dans son tempérament.
" Vous vous rendrez utiles en obéissant aux directives qu'on vous donne."

Certains gamins grimacèrent.
-On sera pas plus utiles en obéissant qu'en restant enfermés ici. Ce que vous dites, c'est ce qu'on dit aux petits : "En attendant de pouvoir te rendre utile, obéis aux ordres et reste pas dans nos pattes !".
-Leur toit, leur loi... souffla l'autre, apparemment effrayé par la rebuffade de son comparse.

" Ton ami a bien compris le message. Tu n'as de toute façon pas le choix." lui dit Albérich, plus sévère.
Il jeta un coup d'oeil circulaire autour de lui.
" Mais puisque tu tiens à te rendre utile, tu vas aller vider les pots de chambre. Et toi, tu viens aussi. Tu vas l'aider. Les autres, pendant ce temps-là, rangez-moi ces couvertures. Vous n'en aurez plus besoin avant la nuit."
Il leur ouvrit la porte.
" Quels sont vos noms ?" demanda-t-il aux deux qu'il comptait faire sortir.

Le duo qu'il avait désigné se fendit de grimaces dégoûtées, signe qu'ils n'appréciaient pas ce genre de tâches. Néanmoins, peut-être par réflexe de survie, ils s'empressèrent de s'exécuter, tête baissée.
-Nils, murmura le premier.
-Sven, souffla le second.
Le reste du groupe se mit lui aussi à l’œuvre.

" En route, alors." dit Albérich en les entraînant dans le couloir.
D'abord un arrêt aux latrines, ensuite il les emmènerait vers l'intendance pour qu'ils aillent y chercher le petit déjeuner de toute cette bande. Ce n'était pas très différent d'allumer un feu ou de monter une tente, et c'était le plus utile, dans l'immédiat. Mais le Luménien se sentait déjà épuisé après quelques heures en leur compagnie. Civiliser ces jeunes barbares serait un travail de titan. Il lui faudrait une équipe avec laquelle réfléchir aux étapes à mettre en place, à cette transformation des traditions. Il en parlerait avec les instituteurs et Gabriel sur l'heure du midi. Ensemble, ils dénicheraient bien quelques personnes prêtes à mettre la main à la pâte. Mais avant ça, il voulait aller voir les deux derniers groupes. Et s'informer de la progression du premier.

Tout le temps que dura l'opération ravitaillement, les deux gosses qui l'accompagnaient tentèrent de se montrer dignes et stoïques. Mais ils étaient mauvais comédiens, ou peut-être trop jeunes encore, et il n'eut aucun mal à percevoir leur peur, leur incrédulité, leur stupéfaction, même : le palais et son décor les laissèrent pantois, la nourriture distribuée sans qu'il faille rien faire en retour les fit tomber des nues...
Le trio s'apprêtait à repartir vers le rempart lorsqu'il croisa la route de Giovanni. Celui-ci, après avoir levé les yeux au ciel en constatant qui accompagnait Albérich, apprit à ce dernier qu'il avait été chassé des thermes par la brusque irruption d'une bande de petits sauvage, issus ou non de la Communauté, qui avaient en un instant rendu les lieux invivables. Cependant, le clerc eut la nette sensation que ces récriminations outrées n'étaient qu'une façade, que le barde était plutôt amusé, dans le fond.
Enfin, le Luménien se retrouva face au troisième groupe. Des Écorcheurs du même âge que les gamins précédents. D'emblée, il sut que l'affaire serait encore plus difficile, car ceux-là n'avaient nullement échappé à une mort affreuse : on avait anéanti leur tribu, simplement. Néanmoins, la morgue et l'hostilité qu'il découvrit sur les visages avait des airs de masques. Peut-être tout espoir n'était-il donc pas perdu.

Albérich se demanda, après avoir croisé Giovanni, si Hubert lui avait demandé de dessiner un plan des thermes, ou si, plus simplement, le paladin n'avait pas osé le déranger. Il n'eut pas le temps d'y réfléchir longtemps, cependant, car il était conscient que son sortilège de don des langues n'était éternel et qu'il risquait de s'épuiser avant qu'il n'ait adressé la parole à tous les groupes. Il en avait mémorisé un second, mais avait au départ prévu d'en gratifier quelqu'un d'autre, comme par exemple Alban. Peut-être cela ne serait-il finalement pas possible... Il devait aller au bout de ce qu'il avait commencé.
Il entra donc dans la troisième cellule, observa les visages et se lança.
" Vous êtes désormais les prisonniers de la communauté. Nous avons anéanti votre tribu et nous allons la manger. Vous allez être intégrés à notre tribu, petit à petit, en fonction de ce que vous pouvez nous prouver..."
Il se sentait ridicule d'adopter un tel vocabulaire, une telle attitude. Il soupira.
" Vous ne devez pas avoir peur de nous. Les guerriers de votre tribu nous ont causé tort et chagrin, et nous avons dû les tuer pour nous préserver. Mais vous êtes jeunes et vous pouvez aspirer à autre chose."
Il se souvint des paroles des précédents... mais ce n'étaient pas des Ecorcheurs. Peut-être leurs traditions étaient-elles différentes.
" La loi de notre tribu interdit la violence quand elle n'est pas dirigée contre un ennemi. Elle interdit aussi de manger d'autres humains. Vous devrez vous y habituer."

Pour désagréable qu'elle lui tut, son attitude n'en parut pas moins fonctionner : le groupe, habitué à être rudoyé par ses aînés, fut moins surpris que le précédent. Il le fut malgré tout, évidemment.
-Et si on ne veut pas être absorbés par votre tribu ? fit un garçon d'une dizaine d'années. Si on ne veut pas vous prouver quoi que ce soit ? Si on ne veut pas vous obéir ?
Son ton, comme son attitude, était celui du défi, mais le clerc y décela un léger tremblement.
Gabriel n'avait pas menti : le groupe des moyens donnait le change, mais il était terrifié.

" Dans ce cas, j'espère que cette pièce te plait, car il est probable que tu ne la quitteras plus que quelques heures par jour, pour aller prendre l'air, et ce jusqu'à la fin de tes jours." dit platement le Luménien.
Ensuite, il regarda le gosse droit dans les yeux.
" Mais avant de te résigner à pareil sort, je te suggère de te montrer courageux, d'affronter l'épreuve et de voir si tu es capable de la réussir."

La Couronne de Cuivre

[Lieu] Une cité perdue