La Couronne de Cuivre

Contrairement à ce qu’il imaginait et à ses réveils précédents, ce n’était pas Dotha mais un serviteur discret qui fit son apparition. Il resta sur le pas de la porte pour s’enquérir de ses envies : le petit déjeuner familial venait d’être servi mais il pouvait fort bien lui amener un plateau s’il préférait le prendre seul dans sa chambre.

Alchem hésita. Manger ici serait assurément plus rapide mais s’il retrouvait sa mère, il pourrait parler travail lors du petit déjeuné. Il opta donc pour cette solution qui était également de la préférence de Dalius. Aussi le fit-il savoir au serviteur et quitta sur le champ sa chambre. Nul doute qu’il se hâterait d’y retourner dès que possible pour étudier.

Lorsqu’il gagna la salle à manger où déjeunait sa famille et quelques-uns des étudiants et des serviteurs de haut rang, Alchem remarqua que sa mère venait à peine d’entamer son repas - sans doute avait-elle été réveillé en même temps que lui – mais il nota aussi l’absence notable de Dotha qui avait pourtant pris ses habitudes à la table de la maîtresse de lieux eu égard à son rang d’invitée. Théâya le salua et semblait apprécier qu’il ait choisi de se mêler aux autres plutôt que de rester isolé dans sa chambre. Elle affichait aussi les signes de fébrilité et de curiosité qui la caractérisait quand elle avait des questions à lui poser – sans doute en lien avec leur discussion de la veille – mais elle le laissa tranquillement s’installer sans lui en poser aucune.

Alchem prit donc place face à sa mère et commença à manger. Cependant, il ne fut pas long à déclarer, après les salutation d’usage :
« Rien n’a perturbé ma nuit. J’ai bien dormi et il semblerait qu’il ne me manque qu’un peu de travail sur mon grimoire pour pouvoir retrouver l’usage de ma magie, tout du moins celle des sorts qui me sont venus si étrangement. Et toi, du nouveau ? Dotha me fait la tête où c’est son travail qui la retient ? »

Théâya fut visiblement soulagée par les premières nouvelles concernant les nouveaux sortilèges d’Alchem et les conditions si particulières de leur acquisition. Il savait, tout comme elle, qu’elle demeurait méfiante et vigilante pendant un long moment encore, mais la Grande Mystificatrice se réjouissait tout de même de cette merveilleuse opportunité.

Quand il aborda le sujet de Dotha, elle esquissa un sourire énigmatique avant de déclarer avec emphase :

- Les deux à la fois. Dotha s’est réfugié dans son travail et ne quitte plus le laboratoire à sa disposition depuis hier. Elle a affirmé que tu lui avais confié beaucoup de travail pour se justifier mais son ton ne m’a pas trompé sur ses réelles motivations. Il semble que tu aies encore beaucoup à apprendre sur les femmes…

« Oui, sans doute, mais elle n’est plus en âge de faire des caprices. Et je n’ai pas besoin d’être materné. Elle est gentille et courageuse, là n’est pas la question, seulement on est en guerre. »
« Et après la guerre, il y en aura une autre. »
« Qu’est-ce que tu racontes toi ? »
« Tu es toujours en guerre, Alchem. En guerre contre le mal. Faudrait peut-être se relâcher un moment, non ? »
« Sans doute, mais pas pour le moment. »
Le gnome soupira.

Comme Dallius, sa mère ne l’entendait pas vraiment de cette oreille non plus. Elle objecta sans prendre de pincettes :

- La guerre n’excuse pas tout, Alchem. Dotha est une prêtresse : à ce titre, elle est bien mieux placée que toi pour savoir quels sont tes besoins en matière de repos et de guérison. Surtout après les épisodes traumatisants que tu as vécu ces derniers temps. Et je crois qu’elle agit aussi en amie et c'est une chance extraordinaire même si ce concept ne t’est pas familier. Je crois que tu devrais davantage en tenir compte.

« Ce n’est vraiment pas le moment pour ça. Mais vraiment pas », se buta Alchem.
Voilà au moins une raison de plus pour aller lui-même espionner les drow. Au moins, il aurait la paix. Il trouvait toujours qu’avoir conduit Dotha ici était une erreur. Qu’espérait sa mère, qu’il tombe amoureux, qu’il s’attendrisse, devienne gnangnan comme ceux de la surface ? Ha, la belle blague ! Son repas achevé, il déclara.
« Bon, j’ai du travail. Je te tiendrai informé sur mes expérimentations magiques. »
Et sur ce, il s’en alla.

Alchem n'entendit pas vraiment la remarque, mi acerbe, mi amusée que répondit sa mère avant qu'il ne quitte la pièce mais elle ne fit pas mine de le retenir ou de chercher à le suivre. Le gnome était maintenant libre de retourner étudier son grimoire pour tenter de préparer ses sorts ou peut-être de se rendre dans le laboratoire de la tour où Dotha avait très certainement avancé sur la tâche qu'il lui avait confiée.

HRP : n'hésite pas à décrire toi-même l'étude de ton nouveau grimoire ! Il n'est pas piégé... Enfin, apparemment.

Alchem n’hésita pas. Il se rendit dans ses quartiers et entama l’étude de son grimoire. Il allait procéder comme d’habitude, sauf qu’il allait bien sûr baser son travail sur ce qu’il avait écrit la veille. Si le résultat était satisfaisant, si il avait retrouvé l’usage de sa magie, il pourrait le dire à sa mère, puis il passerait à l’étape suivante, une nouvelle vérification, physique celle-là.

Le processus ne lui parut ni plus long ni plus difficile que d'habitude mais il fut bien plus intense car il parvenait à mémoriser un nombre de sorts bien plus importants et complexes que lors des jours précédents. Au bout d'une heure d'étude, il releva la tête avec le sentiment de maîtriser bien plus profondément son art et d'avoir la capacité de le mobiliser selon sa volonté.

Un sourire parvint à se frayer un chemin jusqu’aux lèvres d’Alchem. Il était difficile de le faire se réjouir, mais la magie avait toujours été pour lui source d’admiration, en plus d’être un outil utile dans sa vocation. Pouvoir user d’elle ainsi ne pouvait que susciter chez lui un grisant sentiment de satisfaction. Il brandit la main, murmura un mot et Dalius eut la surprise de voir devant lui apparaître un double de sa personne.
« Hé mais, c’est quoi ça ? Monsieur se met à lancer des sorts pour le plaisir ? C’est la fin du monde ! »
« Ce sort ci, je pense pouvoir l’employer à volonté. Difficile de considérer ça comme du gaspillage. Et puis, faut bien tester. »
« Moi j’apprécie ! »
Le rat toucha de la patte l’illusion qui se révéla bien sûr inconsistante. Bientôt elle s’évanouissait.
« Bon, la suite maintenant. »
Plutôt que d’aller tout de suite parler à sa mère, il fit mander Deskata et se rendit avec elle hors da la tour, sur la cour arrière où ils s’entrainaient. Là, il demanda à la gnome de le défier en duel. Il n’avait pas oublié le sentiment de se sentir plus faible physiquement. Il était tant de voir si cela se concrétisait.

Les svirfneblins – et particulièrement les éclaireurs – savaient toujours se tenir prêt à se battre. Dans ces conditions, la notion même d’entraînement était envisagée bien différemment que dans le monde de la surface. Un niveau d’engagement bien plus élevé constituait la norme et il ne vint même pas à l’idée de Deskata de chercher à ménager son supérieur hiérarchique. Du reste, la svirfnebline était habituée à ce qu’Alchem la surpasse facilement. Elle fut donc surprise et décontenancé de parvenir à le toucher plusieurs fois au cours de leurs premiers assauts.

- Est-ce que vous vous sentez souffrant, maître Alchem, demanda-t-elle au bout de plusieurs minutes sur un ton circonspect et presque gêné.

« Non », répondit avec une visible indifférence Alchem.
En vérité, il était partagé entre la frustration, l’inquiétude mais aussi le soulagement. La frustration de ne plus hêtre aussi fort, l’inquiétude au sujet de son efficacité globale et le soulagement d’avoir trouvé le probable prix de son savoir. Très vite, il chassa l’inquiétude. Ce qu’il avait perdu au combat, il l’avait gagné en magie. Mais il était trop têtu pour renoncer si vite.
« Continuons. Je tiens à être sûr de ce que je vaux. »

Deskata reprit l’assaut à un rythme légèrement moins soutenu mais pas tant qu’Alchem puisse s’en offusquer. Avec son aide, le svirfneblin put se jauger au combat : il n’avait pas perdu tous ses réflexes, loin de là, et une bonne partie de son entraînement continuait de faire de lui un adversaire redoutable contre la plupart des menaces communes d’Ombreterre. Cependant, il s’était indéniablement émoussé et certaines de ses capacités qui lui étaient naturelles jusque-là lui étaient devenues parfaitement étrangères. En somme, il était redevenu un patrouilleur d’expérience mais sans réels atouts au combat.

« Assez ! »
Il abaissa son épée.
« Il semble qu’il va me falloir m’adapter à ces changements... »
Il serra le poing. Des flammes naquirent entre ses doigts. Il les libéra en un trait de feu qui vint mourir contre le mur du parapet.
« Je pense avoir trouvé le prix du savoir acquis. Me voilà bien plus proche de ma mère que je ne l’étais avant cet étrange phénomène. Tu peux disposer Deskata. Je suis de nouveau opérationnel. Mes décisions ne tarderont pas. »

Obéissante et disciplinée, Deskata ne manifesta aucune curiosité, ne posa aucune question et se contenta de se retirer comme le lui avait demandé son supérieur hiérarchique. Alchem savait pouvoir compter sur sa diligence s'il avait besoin à nouveau d'elle mais il était maintenant libre de s'occuper du reste de ses affaires. Sa mère devait avoir fini de déjeuner et de méditer depuis longtemps et il pensait pouvoir la trouver dans son laboratoire, le même qu'employait sans doute Dotha en ce moment même.

Ce fut donc là qu’il se rendit. La présence de Dotha n’était pas de nature à le faire fuir une salle, surtout pas une de la tour de lumière. Il avait un rapport à faire à sa mère, rapport qu’il conclurait par ce qu’il avait déduit : le prix du savoir était sans aucun doute sa perte martiale. Puis il se renseignerait sur l’avancement des travaux. Il comptait tout mettre en ordre avant que ne revienne la patrouille envoyée à Lameroy, avant qu’il ne prenne la décision d’espionner les Drow chez eux.

Alchem trouva sa mère à l’endroit où il s’y attendait et aperçut, de loin, Dotha en train de travailler à des expérimentations sur les cristaux de pouvoir. Si la prêtresse avait remarqué sa présence, elle n’en donna aucun signe, moins encore de daigner s’interrompre pour le saluer ou partager ses découvertes s’il n’en prenait pas lui-même l’initiative.

Théâya semblait bien plus d’humeur à engager la discussion d’autant qu’elle attendait certainement avec curiosité les nouvelles qu’il pouvait lui apporter.

Alchem lui fit donc comme prévu son rapport, avec tout le recul et la minutie propre à un mage sérieux. Puis, imperturbable, il demanda s’il y avait du nouveau, que ce soit sur les bracelets ou sur les cristaux. Il n’hésita d’ailleurs pas à questionner Dotha.

Mais en vérité, ses pensées étaient déjà ailleurs. Ayant songé aux bracelets, il ne pouvait s’empêcher d’envisager bien des moyens de s’en servir contre les Drow.

Théâya parut rassurée par ses révélations : si toutefois la condition physique d'Alchem ne continuait pas à se dégrader, c'était un bien faible prix de son point de vue pour avoir un libre accès aux connaissances qui étaient maintenant les siennes. Dotha montra une pointe de curiosité en surprenant cette conversation et ce malgré sa rancœur. Quand le svirfneblin l'interrogea directement, elle ne chercha pas non plus à se dérober, répondant froidement sans parvenir à masquer tout à fait son intérêt pour le sujet :

- Les bracelets ont un nombre d'usage limité quand ils sont portés. Mais j'ai fait une découverte étonnante : en les plaçant entre les cristaux que j'ai ramené, ils y puisent de la charge magique. Malheureusement, les cristaux eux-mêmes semblent se flétrir. Peut-être parce que nous les avons récoltés mais ce n'est là qu'une hypothèse.

« Que les cristaux puissent servir de source magique ne m’étonne pas. Ni le fait que, coupés de leur source, ils perdent en efficacité. Quant est-il de leur implication sur les dimensions ? Tout porte à croire que les Drow cherchent à percer les défenses magiques de la ville. Les bracelets vont en ce sens. Et concernant ceux-ci, ne représentent-ils vraiment pas un danger pour un utilisateur qui n’est pas Drow ? »

Dotha insista tout de même sur un point, mettant une nouvelle fois de côté sa rancœur pour se concentrer sur son rôle et sa fonction :

- Ne sous-estimez pas le lien entre l'artefact drow et les cristaux. J'ai testé ces derniers sur quelques autres objets magiques. Pour bon nombre d'entre eux, il ne s'est rien passé mais certains spécifiques à la magie gnome semblent perturbés. J'en suis venu à l'hypothèse que les cristaux que nous pensions être du fait du despote sont sans doute liés directement aux drows. La concomitance des attaques n'est peut-être pas le fait d'une simple opportunité.

Elle marqua une pause avant de répondre directement à la question concernant les bracelets.

- Quant aux bracelets, je peux affirmer qu'ils ne sont dangereux que pour ceux qui n'auraient pas l'habitude d'utiliser des moyens de déplacement magiques. Car malgré leur fonctionnement inhabituel, ils ne sont rien d'autres que des objets de téléportation. Avec tous les risques que cela comporte pour un profane.

« Intéressant... Le Despote a sans doute pris contact avec les Drow assez tôt, tramant de concert leur plan. Ha, ces vermines, toujours prêt à s’associer pour détruire ! Le pire, c’est que je suis persuadé qu’ils se seraient trahi sitôt la victoire acquise, peut-être même avant. »
Alchem sombra dans ses pessimistes réflexions. Il rêvait d’agir, d’agir et de tuer. S’il pouvait purger cette région de l’Outreterre à coups de boules de feu, ils le ferait sans hésiter.
« Vous avez terminé vos expériences sur les bracelets ? »

Dotha apporta une confirmation à cette déduction, ajoutant simplement que, d'après ses calculs et expérimentations, les bracelets étaient à moitié déchargés et qu'il faudrait environ sept jours et sept nuits auprès de cristaux intacts pour se recharger tout à fait.

- Et avant que vous ne posiez la question, dans leur état actuel, il ne reste que six utilisations à courte portée. Seulement deux si vous voulez étendre la distance du voyage à leur maximum. Soit environ deux lieues.

« Bien. »
Il prit les bracelets. Ses intentions devaient être facile à deviner. Il ne s’en cachait pas. Il n’avait pas abandonné l’idée d’aller espionner les Drow. Allait-il s’en charger lui-même ou envoyer Deskata à la place ? Il verrait bien. Pour le moment, il lui fallait attendre les nouvelles de Lameroy. Et en attendant ces nouvelles, il avait pas mal de vérifications à faire : inspecter les défenses, vérifier l’état de ses effectifs, chercher une menace imprévue encore et toujours.

Si Dotha sembla un peu contrariée qu'Alchem s'empare des bracelets sans tenir compte de ses avertissements, elle ne chercha pour autant pas à l'en dissuader et se contenta de retourner à son étude des derniers cristaux, faute de nouveaux ordres.

S'il voulait obtenir d'autres éléments, ce n'était probablement pas dans le laboratoire qu'Alchem pourrait les obtenir mais peut-être pouvait-il à nouveau orienter les recherches de leur renfort venu de la surface et de l'église des mystères.

Alchem était prêt à aller chercher les nouveaux éléments lui-même. Il avait toujours préféré se charger des tâches importantes lorsqu’il en était capable, pour protéger les autres. Sauf qu’il était bloqué tant que les nouvelles de LameRoy ne lui serait pas parvenus. En attendant, parmi la somme des choses déjà prévues dans son emploi du temps mental, il choisit d’aller s’enquérir de l’état du patrouilleur mis en quarantaine.

Par prudence, Deskata avait fait interner le dit patrouilleur dans une annexe de la prison d’Ornegemme où il disposait d’une cellule individuelle sous la garde d’un mage et d’un prêtre en plus des gardes habituels. Ces derniers ne posèrent aucune difficulté pour laisser Alchem accéder à la cellule du patrouilleur prisonnier. En chemin, le garde qui l’escortait lui fit un résumé du comportement de leur pensionnaire au cours du jour écoulé :

- Nous n’avons pas noté de comportements suspects mais il réclame régulièrement de parler à un responsable car il ne comprend pas pourquoi on l’a enfermé.

Peut-être un comportement étrange en soi car les patrouilleurs étaient généralement connus pour leur stoïcisme en toutes circonstances…

Alchem se contenta de hocher la tête. Il songea que, peut-être, faire circuler un message informatif sur les étranges événements qui avaient eu lieu serait judicieux. Le message pourrait stipuler que toutes personnes ayant ressenti des sensations inhabituelles devraient faire des tests de potentiel. Qui sait, il y avait peut-être de nouveaux mages en ville. Quoi qu’il en soit, il ne prit la parole qu’une fois devant le patrouiller en quarantaine.
« Il semble que vous désiriez parler à un responsable... » fit-il, neutre.

La Couronne de Cuivre

Ornegemme, cité svirfnebline