La Couronne de Cuivre

Comme à son habitude, Strode l'accueillit d'un simple hochement de tête couplé d'un claquement de talon. Il commença sans préambule.

"Les manostiens sont en attente de mesures concrètes pour les aider à se reprendre en mains. Et je vois d'ors et déjà un immense dysfonctionnement : nos femmes occupent des places prépondérantes dans la cité. Certaines se sont mêmes élevées comme nos égales. Il n'est pas étonnant que la cité se soit amolie jusqu'à perdre la guerre. Et je suis convaincu qu'un bon nombre d'hommes partagent notre point de vue et souffrent en silence."

Le Haut Prélat de Torm répondit par un simple hochement de tête, et écouta ce que son interlocuteur "Cavalieriste rouge" avait à dire, Strode semblait vouloir imputer la responsabilité des difficultés de la ville, aux nombreuses femmes qui s'y trouvent et qui occupent pour certaines des positions importantes... opinion étrange de la part d'un homme qui vénère une Déesse. Il préférait garder cette contradiction pour plus tard, et commença par poser une simple question sur son ton neutre habituel.

- Que reprochez-vous donc aux femmes ?

Le Haut Prélat de Torm en l’écoutant, avait repensé avec agacement au moment où il avait demandé à une paladine de Helm, "Chandara" de choisir une autre divinité à servir, et que celle ci s’était offusquée de sa demande. Elle avait réagit avec passion, alors que la situation de la cité nécessitait d'agir avec raison. Ainsi qu'a Angele sa sœur qui semblait guidé dans ses choix personnels plus par ses passions que sa raison, et qui avait filé à l'aquafondienne il y a peu de temps, l’empêchant de pouvoir assurer ses arrières... Il fut...fort contrarié... lorsqu'il l'apprit.

Le Haut Prelat de Torm lui n'avait pas cette opinion sur les femmes, le reproche qu'il pouvait faire à "certaines", il pouvait aisément aussi les faire à "certains". Mais il s'imaginait que Strode avait sa conception toute faite de la société parfaite, dans laquelle la femme à une place désignée au foyer...

Strode secoua la tête.

"Vous vous méprenez. Je ne leur reproche rien, bien au contraire. Ce sont elles qui portent nos enfants et qui les élèvent, qui gèrent l'intendance de nos demeures et de la plus belle des façons ...Les rôles de mères et de femmes sont astreignants et demandent de grands sacrifices. Alors pourquoi les affliger d'avantage en leur en imposant d'autres ? Bien sûr, elles acceptent sans broncher. Elles deviennent soldats, gardes, paladines, artisanes, soigneuses, juristes ... Mais elles sont épuisées par ces rôles contre leur nature. Et Manost ne peut se permettre de garder en son sein des personnes fatiguées, amollies. Croyez-moi, si vous demandiez aux femmes si elles veulent qu'on leur hôte le poids de leurs responsabilités en dehors de celles de leur foyer, elles vous répondraient oui sans hésiter. De plus, la guerre a enlevé à notre cité un bon nombre de citoyens dans la fleur de l'âge. Nous avons besoin d'enfants pour renouveler les générations ! Et croyez-moi, une femme éloignée de son foyer n'aura pas cette préoccupation-là. Il faut ramener les femmes chez elles car c'est là qu'elles seront le mieux, en tant qu'épouses et que mères. C'est ainsi que Manost a besoin d'elles."

Le Haut Prélat eu un instant l'impression que Strode le prenait pour un imbécile, mais il compris que son interlocuteur pensait vraiment tout cela : la femme ne devait s'occuper que du foyer, ce qui certes n'avait rien d'avilissant en soit, mais le fait est qu'il voyait cette répartition forcée... comme une étrange lubie : Manost est une cité où le mérite est le principal déterminant de la place de toute personne dans la hiérarchie et dans la société. Ces places n'avaient pas été usurpées, celles occupées par des femmes non plus. Aussi lorsque Strode dit que si l'on demandait aux femmes si elles voulaient quitter leur travail pour s'occuper uniquement du foyer et de la famille, celles ci rependraient toutes oui. Il souleva un sourcil, se demandant d'où Strode tenait ses sources, il connaissait des femmes qui effectivement aimait à s'occuper de leurs enfants et de leur habitation, mais il y avait tout autant qui préférait travailler, ou qui aimait faire les deux en même temps.

Le Haut Prélat se dit que si l'on appliquait le programme de Strode, Manost allait perdre beaucoup de personnes compétentes à des postes clés, ce qui n’était sans doute pas une bonne chose en général, et encor moins dans la situation présente ; Manost etait en crise, et se priver de la moitié des bras et des têtes pour les troquer contre des ventres, ne lui paraissait pas vraiment judicieux. Et puis en admettant que la mesure soit justifiée, était-ce à ce point pressant ?

- Dans la situation actuelle, est-ce bien judicieux nous avons sans doutes besoin de toute la main d’œuvre disponible. Cela va représenté une perte de main d’œuvre qualifiée... conséquente.

"Comme je vous l'ai dit, les femmes sont qualifiées ... pour les tâches qui leur incombent. Et c'est à nous de les délivrer des autres. Vous avez peur de ralentir la reconstruction de Manost si nous en démobilisons les femmes ? Je vous répondrai sans hésiter qu'au contraire, les travaux ne s'effectueront que plus rapidement. Les femmes distraient les hommes qui sont toujours à s'inquiéter pour elles ou qui doivent leur expliquer ce qu'eux ont compris deux fois plus vite."

Strode était sur de lui.

Le Haut Prélat de Torm s’efforçait de rester impassible mais en son fort intérieur il était ébranlé, ébranlé non par la justesse du propos de son interlocuteur, mais plutôt ébranlé par sa stupidité crasse... Comment en était-il arrivé là ? Strode jusqu’à présent lui avait parut certes belliqueux, mais en général assez rationnel... Là à présent, ses réflexions lui rappelaient celles d'hommes grossiers et trop avinés qui parlent en générale de la gente féminine... Essayer de le raisonner semblait être peine perdue aux yeux du Haut Prélat, et c’était là son principal interlocuteur pour diriger la cité... L'avenir risquait d’être tumultueux.

- Je doute un peu... et si nous menons pareil politique des voix vont sans doutes s’élever.

Le Haut Prélat avait déjà du mettre en place des mesures restrictives pour limiter les risques de chaos en ville, contrôle de la culture, renforcement des effectifs du guets et de la surveillance, couvre feu appliqué avec plus de sévérité, etc... Il y avait fort à parier que cette lubie de Strode, serait la mesure de trop, et allait faire bondir certains en ville.Il pensait à sa femme qui en apprenant cela resterait sans doute bouche bée.

Durant quelques secondes, Strode ne put empêcher de laisser transparaître son mépris devant le pusillanime Guiguemar D'Aufray. Cet imbécile avait peur que des gens élèvent la voix ? Qu'on parle, qu'on crie ... Il aiderait cette cité à aller dans le bon sens et pour le bien commun.

"Bien sûr, que des voix s'élèveront ! Des femmes remontées et des hommes bien dressés qui ne savent plus où est leur place. Vous même vous me donnez l'impression d'hésiter. Mais je vous rappelle que sans notre intervention, les mélandiens seraient dans nos murs. N'oubliez jamais cela. Bien sûr, cette réforme ne se fera pas sans heurts, mais dans quelques années, Manost sortira grandie de cette épreuve. C'est maintenant qu'il faut agir."

Le Haut Prélat de Torm répondait au mépris par une totale indifférence, il ne comptait pas sacrifier l'ordre qu'il s'est démener à maintenir depuis la mort de Helm, la disparition de Ravesta et le départ du conseiller Lothringen, simplement pour satisfaire les délires de ce misérable belliciste. Prier une déesse et mépriser les femmes... Tel était le paradoxe Strode.

- Il me serait fort difficile de l'oublier, d'autant que vous ne rater jamais une occasion de le rappeler... Mais justement rappelez vous vous aussi que l'Ordre du Coeur radieux s'est évertué à garder le calme et l'ordre dans cette cité. Un peuple ça ne se discipline pas comme un régiment de grognards.

En dehors de cela il est vrai que le Haut Prélat était obligé de collaborer avec Strode, il était aujourd'hui trop influent.

- Soit... Mettons en place votre projet, mais par étape, ça limitera peut-être les débordements...

Le Haut Prelat de Torm espérait que ces décisions impactent la popularité de Strode et du culte de la Cavalière rouge, laisser un imbécile pareil au pouvoir, il finirait par demander au passant de marcher au pas de deux.

Lothar Strode prit le temps d'observer son interlocuteur avant de répondre. Cette façon qu'il avait d'envoyer des piques quand il sentait sa fierté blessée. Il n'était pas étonnant qu'il soutienne les femmes ... parce qu'il en était un peu une lui-même. Mais loin de lui faire part de ces pensées, il préféra s'attarder sur le positif.

"Enfin, vous vous montrez raisonnable. Je conçois parfaitement que ce sera un sacrifice pour la plupart des femmes que de renoncer à des attributions qui ne sont pas les leurs. Je sais aussi que ce n'est pas facile pour vous étant donné que vous avez une mère, une épouse et une sœur. D'ailleurs, j'ai entendu certaines rumeurs selon lesquelles elle était sur une mauvaise pente. Une femme seule non mariée et sans enfants ... Nos mesures lui permettraient de retrouver une certaine respectabilité, vous ne pensez pas ?"

Il s'était laissé aller à sourire, ce qui rehaussa ses yeux bleus d'un éclat glacial.

"Mais vous avez raison : procédons par étapes. Je pense que la première serait de recenser nos femmes afin de mieux les connaître : leurs âges, leur situation maritale et les professions qu'elles occupent. Qu'en pensez-vous ?"

Le Haut Prélat de Torm ne considérait pas qu'il se montrait raisonnable, mais plutôt qu'il composait avec l'obstination bornée et la stupidité de son interlocuteur...

Il gardait un visage imperturbable, face aux tentatives évidente de provocations, ce que Strode pensait de lui, le Haut Prélat s'en doutait mais il n'en avait cure... pour sa famille, ou son ordre c’était autre chose... mais il n'allait pas lui faire ce plaisir...

- Une mère comme tout le monde, une femme comme tous les hommes mariés et une sœur comme beaucoup oui...

La remarque sur sa sœur, lui fit penser que certes il aurait préféré qu'elle fassent... d'autres choix dans sa vie, mais que jamais le Haut Prélat n'avait tenté de la contraindre à changer.

Le Haut Prélat pensa de suite que la bonne méthode était sans doute de cacher ce recensement ciblé dans un autre plus général, mais il tut son idée préférant laisser Strode assumer les conséquence de ses décisions. Le Haut prélat se contenterait de lui mettre des bâtons dans les roues, et s'assurer comme toujours que la situation ne devienne pas ingérable.

- Je suppose que c'est nécessaire à la mise en place de votre projet.

Strode était loin d'être dupe quant à ce que pensait le prélat de son entreprise, mais lui-même croyait au bien fondé de son engagement. Sous peu, Manost retrouverait sa dignité perdue et pourrait prendre sa revanche sur les mélandiens. Bien sûr, il ne serait pas populaire auprès de la gente féminine les premiers temps puis on le remercierait.

"Ce sera nécessaire, oui. Et il est primordial que nos proches montrent l'exemple. Je vous conseille vivement de parler aux femmes de votre entourage. En étant exemplaires, c'est elles qui montreront la voie aux autres femmes. Ou dans le cas contraire, elles serviront d'exemple ..."

Guiguemar d'Aulfray ne put s'empêcher d'entendre une menace dans le dernier propos.

Le Haut-Prélat se contint, face à la menace à peine voilée... il lâcha laconiquement :

- Tout comme les vôtres je suppose...

Le Haut-Prélat de Torm ne savait si pas Strode était marié ou non, il n'en avait jamais fait la publicité, mais au vu de ses idées ce n'aurait pas été surprenant qu'il le soit, sinon, Le Haut-Prélat plaignait sincèrement l'épouse du cavalieriste rouge. Strode lui "demandait" de discuter avec les femmes de son entourage... cette remarque l'aurait presque fait sourire s'il n'y avait pas cette impression de menace... Sa tendre épouse accueillera sans doutes cette nouvelle avec une ironie douce amère... sa douce mère avec un flegme stoïque, quant à sa chère sœur... cela risquait d’être compliqué, d'autant qu'elle était actuellement absente... et qu'ils ne s’étaient pas parler depuis fort longtemps... Angèle l’évitait, et lui n'avait pas spécialement cherché à lui parler. Une chose était sure : sa sœur n'allait pas apprécier tout ceci ; une discussion houleuse en perspective.

Une lueur mauvaise s'alluma un instant dans les yeux de Strode, mais celui-ci retrouva rapidement son calme et il secoua la tête.

"Il y a très longtemps, j'ai fait le choix de ne pas me lier pour mieux servir ma déesse. C'est elle qui a fait de moi ce que je suis. Je n'ai ni attache, ni faiblesses."

Rien ne permettait de savoir s'il disait vrai. Il était arrivé avec ses troupes pour sauver Manost et personne n'avait pu apprendre d'où il venait, ni ce qu'il avait laissé derrière lui. Le fait qu'il ait une grande prestance et soit plutôt bel homme indiquaient qu'il n'était sûrement pas seul par dépit. Mais l'était-il vraiment ?

Le Haut Prélat de Torm se rendit compte qu'il avait sans doute effleuré une corde sensible, il resta stoïque ne montrant aucune fierté ni contentement de sa touche. Il se contenta d'une réponse laconique et froide :

- Je vois.

Le Haut Prélat constatait qu'il ne savait rien sur Strode, sur son passé sa vie, en dehors de ce qu'il a bien voulu dire, situation problématique, lors de ses discussions, il avançait exposé au tir ennemi pendant que Strode était à couvert... Il conclut qu'il se devait tenter d’enquêter sur son homologue : il ne savait rien de lui, pire personne ne semblait rien savoir de lui... Pour la sureté de Manost c’était une situation dangereuse... Sinon il restait à savoir ce que Strode avait prévu d'autres...

Strode haussa les épaules et son visage retrouva son impassibilité coutumière.

"Et vous ? Que pensez-vous de tout cela ? Vous n'avez pas vraiment l'air d'adhérer à cette cause. Peut-être est-ce parce que vous voyez les choses par le spectre du dominé. Vous vous rendrez un grand service en montrant à toutes ses femmes que désormais, c'est vous qui dominez la situation."

(HRP Je suis de retour pour vous jouer un mauvais tour ! )

Le Haut Prélat de Torm constatait une fois de plus que Strode ne voyait les rapports avec les autres qu'à travers le prisme de la domination... que le Haut Prélat puisse voir son épouse comme une partenaire de vie ou une égale, semblait être le signe évident qu'il était une homme soumis aux yeux du pauvre Strode...

- Cette cause me parait... fort secondaire.

Il avait hésité sur le qualificatif ; les adjectifs "inutile", "stupide", "absurde" s’étaient bousculés en un instant dans son esprit, mais il avait opté pour "fort secondaire", par politesse formelle et par diplomatie.

- Comme l'on dit... "Cohabitation implique souvent concessions", et au pire considérez ceci comme à charge de revanche...

Le Haut Prélat avait trouvé fort judicieux de se montrer comme celui qui par bonté d’âme et par volonté de collaboration, acceptais à contre cœur la demande insistante et déraisonnable de son interlocuteur, après avoir tenter de le ramener à la raison. De plus Strode lui devait maintenant une faveur.

Alors qu'il avait parlé, il avait vu Lothar Strode plisser les lèvres mais celui-ci n'ajouta rien. Au bout d'un moment qu'il prit pour de la bouderie, l'adepte de la Cavalière Rouge haussa les épaules et répondit.

"Libre à vous de croire cette cause secondaire. Mais lorsque beaucoup de manostiens me suivront, renforcés dans leur statut d'hommes, quand Manost elle-même emmenée par ces hommes forts foulera Mélandis du pied, vous verrez que j'avais raison."